Dictionnaire des proverbes (Quitard)/événement

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événement. — Les grands événements procèdent des petites causes.

Cette maxime, passée en proverbe, est devenue le sujet et le titre d’un ouvrage où sont rapportées beaucoup de petites particularités qui ont influé sur de grandes affaires. Cependant la disproportion qu’on remarque entre la cause et l’effet n’est pas aussi réelle qu’on se l’imagine. La Harpe regarde cette disproportion apparente comme la suite nécessaire de la différence de rang et de pouvoir. « Les passions, dit-il, c’est-à-dire les affections qui ne sont pas dans l’ordre de la raison, sont petites en elles-mêmes, comme l’avarice, l’amour, la jalousie, etc., ou très susceptibles de petitesses, comme l’orgueil, l’ambition, la haine, la vengeance, etc. Elles occasionnent les mêmes incidents chez ceux qui gouvernent et chez ceux qui sont gouvernés, avec cette différence que, dans les conditions inférieures, ces incidents n’ont qu’une influence obscure et bornée, et qu’ils en ont une très étendue et très sensible dans les personnes qui ont entre leurs mains les destinées publiques, et qui ne sont pas toujours mues par des ressorts proportionnés à l’importance de la chose publique, et dans un rapport exact avec le devoir et avec le bien général. »

Jean-Baptiste Say a dit sur le même sujet : « Les petites causes amènent parfois de grands événements ; mais c’est lorsque ces grands événements sont mûrs pour arriver. Elles sont causes occasionnelles et non pas efficientes. Un souffle fait tomber une poire ; il est cause de cet événement, si vous voulez ; mais ce n’est pas le souffle qui a produit la poire ; c’est la terre, le soleil et le temps ; le temps ! élément si important dans toutes les choses de ce monde !

« Je conviens que de très petits événements ont eu de graves conséquences ; mais ils sont plus rares qu’on ne croit, et agissent plutôt négativement que positivement. Certes si, au moment où Alexandre préparait son expédition contre la Perse, il eût avalé de travers une arête, et qu’il en eût été étouffé, il est probable que la conquête de l’Asie n’eût pas eu lieu. Dès lors point de ces royaumes grecs fondés en Syrie, en Égypte ; point de Cléopâtre ; la bataille d’Actium n’eût pas été perdue par Antoine ; Auguste ne serait pas monté sur le trône du monde, etc. Mais il serait arrivé des événements analogues, parce que l’univers était mûr pour eux. Pascal ne me semble pas fondé à dire que si le nez de Cléopâtre eût été plus court, toute la face de la terre était changée. César lui-même se fût-il noyé en passant le Rubicon, Rome n’évitait pas l’esclavage ; Rome devait être gouvernée par le sabre, parce que les Romains avaient été trop avides de triomphes militaires ; et si ce n’eût été par le sabre de César, ç’aurait été par un autre. »

Voltaire a bien mal raisonné aussi, lorsqu’il a écrit : « Si Léon X avait donné des indulgences à vendre aux moines augustins qui étaient en possession du débit de cette marchandise, il n’y aurait point de protestants. » Le protestantisme était un feu couvé pendant la plus grande partie du moyen âge, et ce volcan devait avoir nécessairement son éruption.