Dictionnaire des proverbes (Quitard)/bête

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bête. — Prendre du poil de la bête.

C’est chercher le remède dans la chose même qui a causé le mal, comme font les buveurs qui dissipent le malaise que leur a laissé l’ivresse de la veille par l’ivresse du lendemain.

Cette expression est fondée sur la croyance populaire que le poil de certains animaux, appliqué sur la morsure qu’ils ont faite, en opère la guérison. Del can che morde il pelo sana, dit le proverbe italien : Du chien qui mordit le poil guérit.

Pline rapporte (liv. xxix, ch. 5) qu’à Rome on croyait guérir ou préserver de l’hydrophobie un homme mordu par un chien, en faisant entrer dans la plaie de la cendre des poils de la queue de cet animal.

Porter sa bête dans sa figure.

Expression fondée sur l’opinion de quelques physionomistes qui enseignent qu’il existe des rapports frappants de ressemblance entre la tête de certains animaux et celle de certains hommes. Le napolitain J.-B. Porta, qui le premier a donné des développements à cette opinion, dans son Traité de la physionomie, soutenait que la figure du divin Platon, telle qu’elle est représentée sur des médailles antiques, a son parfait analogue dans un chien braque. Le peintre Lebrun, séduit par le système de Porta, chercha à l’accréditer, et il composa une collection de dessins comparés qui offrent les analogies les plus curieuses ; il y joignit même un texte qui s’est perdu, et auquel son élève Nivelon a tâché de suppléer par des interprétations. Les idées de Lebrun, répandues dans le monde, y occupèrent tant les esprits, qu’il ne fut plus question que d’elles. On ne pouvait paraître dans un cercle sans se soumettre à l’inspection des curieux et s’entendre demander : Quelle bête portez-vous dans votre figure ? Et c’est alors que naquit cette expression suffisamment expliquée par ce qu’on vient de lire.

La ressemblance que Lebrun prétendait trouver au physique entre les hommes et les animaux, Diderot a prétendu la trouver au moral. Il a dit, en parlant de la variété de la raison humaine, qu’elle correspond seule à toute la diversité de l’instinct des animaux. « De là vient, ajoute-t-il, que, sous la forme bipède de l’homme, il n’y a aucune bête innocente ou malfaisante dans l’air, au fond des forêts, dans les eaux, que vous ne puissiez reconnaître. Il y a l’homme-loup, l’homme-tigre, l’homme-renard, l’homme-pourceau, l’homme-mouton (et celui-ci est le plus commun), l’homme-anguille, l’homme-serpent, l’homme-brochet, l’homme-corbeau, etc. Rien de plus rare qu’un homme qui soit homme de toute pièce. Aucun de nous qui ne tienne un peu de son analogue animal. »

Morte la bête, mort le venin.

Un ennemi mort n’est plus en état de nuire.

Le duc d’Orléans régent fit de ce proverbe une application qui prouve qu’il avait fort peu d’affection pour le cardinal Dubois dont il subissait si complétement l’influence. À la mort de ce ministre, qui l’avait forcé de rompre ses liaisons avec le comte de Nocé, le chef des roués, il écrivit au favori disgracié : « Reviens, mon cher Nocé. Morte la bête, mort le venin. Je t’attends ce soir à souper. »

Au temps où les bêtes parlaient.

Rabelais prétend qu’il n’y a que trois jours, et l’on peut, si l’on veut, abréger encore l’intervalle.

Cette expression, dont on se sert pour faire une facile épigramme ou pour signifier le temps jadis, n’est point venue, comme on pourrait le croire, des fictions de l’apologue qui attribue à tous les animaux la faculté de parler. Elle est fondée sur une observation philosophique d’un très grand sens, et elle désigne proprement l’époque primitive où les hommes, vivant dans les bois, ignoraient l’art sublime de fixer la parole par le moyen des signes, n’avaient par conséquent qu’une intelligence bornée peu différente de l’instinct des bêtes, n’étaient en un mot que des bêtes parlantes.