Dictionnaire des proverbes (Quitard)/ingrat

La bibliothèque libre.

ingrat. — Obliger un ingrat, c’est perdre le bienfait.

Cela est vrai des bienfaits qui partent d’un espoir intéressé, mais non de ceux qui partent d’un sentiment généreux, Dans ce dernier cas, un bienfait ne peut être perdu, puisque la bienfaisance porte sa récompense avec elle ; et en supposant même qu’il puisse l’être, ne vaut-il pas mieux que ce soit dans les mains de l’ingrat que dans celles du bienfaiteur ?

Obliger un ingrat, c’est acheter la haine.

On ne peut guère être indifférent envers un bienfaiteur, et si l’on n’est point reconnaissant on est ingrat. La reconnaissance produit l’amour, et l’ingratitude la haine ; par conséquent les bienfaits sont comme des arrhes de l’une ou de l’autre de ces affections. Pourquoi la première est-elle si rare et la seconde si commune ? Serait-ce parce que la bienfaisance est presque toujours exercée sans délicatesse et que l’obligé se trouve placé à l’égard du bienfaiteur comme un débiteur à l’égard d’un créancier ? Ou bien faut-il en chercher la raison dans cet orgueil secret qui révolte le cœur de l’homme contre toute supériorité ? — Quelqu’un a dit spirituellement à ce sujet : Dieu a commandé le pardon des injures, et non pas celui des bienfaits.

Qui oblige fait des ingrats.

Quand j’accorde une grâce, disait Louis XIV, je fais un ingrat et vingt mécontents.

Un des plus grands obstacles à la bienfaisance, ou du moins un prétexte spécieux pour ne pas l’exercer, c’est la crainte de l’ingratitude. Cette crainte qui, poussée à l’excès, devient l’inhumanité même, a dicté le proverbe florentin : Non fai bene e non avrai male. Ne fais point de bien, et tu n’auras point de mal. Maxime détestable, à laquelle trop de faits donnent une apparence de fondement.

Opposons à cette maxime un adage oriental qui présente le plus beau précepte de la charité évangélique : Donne du pain à un chien, dût-il te mordre.