Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Akiba

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AKIBA, fameux rabbin, a fleuri peu après que Tite eut ruiné la ville de Jérusalem. Il n’était juif que du côté de sa mère, et l’on prétend que son père descendait de Sisera, général d’armée de Jabin, roi de Tyr. Akiba vécut à la campagne jusqu’à l’âge de quarante ans, et n’y eut pas un emploi fort honorable, puisqu’il y gardait les troupeaux de Calba Schwa, riche bourgeois de Jérusalem. Enfin il entreprit d’étudier, à l’instigation de la fille de son maître, laquelle lui promit de l’épouser, s’il faisait de grands progrès dans les sciences. Il s’appliqua si fortement à l’étude pendant les vingt-quatre ans qu’il passa aux académies, qu’après cela il se vit environné d’une foule de disciples, comme un des plus grands maîtres qui eussent été en Israël. Il avait jusqu’à vingt-quatre mille écoliers. Il se déclara pour l’imposteur Bar-cochebas [a], et soutint que c’était de lui qu’il fallait entendre ces paroles de Balaan, une étoile sortira de Jacob, et qu’on avait en sa personne le véritable Messie [b]. Il ne se contenta pas de faire envers lui ce que Samuel avait fait envers les deux premiers rois des Juifs, je veux dire de l’oindre [c] ; il voulut de plus faire la fonction de son écuyer[d]. Les troupes que l’empereur Adrien envoya contre les Juifs, qui, sous la conduite de ce faux Messie, avaient commis des massacres épouvantables, exterminèrent cette faction. Akiba fut pris, et puni du dernier supplice avec beaucoup de cruauté[e]. On lui déchira la chair avec des peignes de fer, mais de telle sorte qu’on faisait durer la peine, et qu’on ne le fit mourir qu’à petit feu[f]. Il vécut six vingts ans, et fut enterré avec sa femme dans une caverne, sur une montagne qui n’est pas loin de Tibériade. Ses vingt-quatre mille disciples furent enterrés au-dessous de lui sur la même montagne[g]. Je rapporte ces choses sans prétendre qu’on les croie toutes. On s’imagine qu’il a supposé un ouvrage au patriarche Abraham (A). Quelques-uns lui attribuent un attentat encore plus condamnable que celui-là : c’est d’avoir altéré le texte hébreu de la Bible (B), afin de pouvoir répondre à une objection des chrétiens (C). Les juifs lui donnent de grands éloges (D), et le regardent comme celui qui leur a appris toute la loi non écrite (E). La remarque que nous faisons là-dessus contiendra quelques particularités de sa vie. S’il fallait juger de ses leçons par ses préceptes de garde-robe (F), on aurait lieu de les traiter de ridicules.

  1. Ce mot signifie en hébreu, Fils de l’Étoile.
  2. Vide Joh. à Lent, Schediasma Historico-Philologicum de Judæorum Pseudo-Messiis, pag. 9.
  3. Ibidem, pag. 14.
  4. Ibidem, pag. 9 et 15.
  5. Ibidem, pag. 14, ex Tractatu Talmudico. Eruf., fol. 21.
  6. Lent. de Pseudo-Messiis, pag. 15, ex Tractatu Talmudico Berachos, fol. 61.
  7. Ibidem, pag. 15, ex autore libelli de Cippis, ab Hortingero editi, et latinò translati.

(A) On s’imagine qu’il a supposé un ouvrage au patr. Abraham. ] Ce livre[* 1] est intitulé Sepher Jezirah, c’est-à-dire, le Livre de la Création. Voyez la remarque (E) de l’article Abraham, et ajoutez-y ce supplément. Lambecius ne devait pas dire que ce livre de la Création fut imprimé à Mantoue la première fois[1] ; car l’édition de Mantoue, in-4o., accompagnée du commentaire d’Abraham Ben-Dior, et de celui de plusieurs autres rabbins, dont vous trouverez les noms à la page 536 de l’Histoire critique du Vieux Testament, avait été précédée par l’édition de Paris, en 1552, in-8o. Le même livre a été imprime à Bâle, in-folio, l’an 1587, avec plusieurs autres de même trempe. Il est d’un grand poids chez les cabalistes : ils s’en servent à faire des miracles, disent-ils [2].

(B) On l’accuse d’avoir altéré le texte hébreu de la Bible. ] Cette altération se rapporte à l’âge qu’avaient les patriarches, lorsqu’il leur naissait des enfans. Personne n’ignore qu’en cette année-là ils étaient plus vieux, selon la Bible des Septante, que selon la Bible Hébraïque. Adam, par exemple si nous suivons le texte hébreu, avait cent trente ans, lorsque sa femme accoucha de Seth ; mais, selon la version des Septante, il était alors dans sa deux cent trentième année. La plupart des théologiens veulent qu’on préfère le texte hébreu au texte grec. Ceux qui tiennent l’autre parti sont en petit nombre ; mais en récompense, ce ne sont pour l’ordinaire que des savans d’élite. Le père Dom Paul Pezron, religieux de l’étroite observance de Cîteaux, et docteur en théologie de la faculté de Paris, s’est rangé au petit nombre. Il a débité, entre autres choses, que les Juifs ont altéré le texte hébreu dans le temps qui a coulé depuis la ruine de Jérusalem sous Tite, jusques à la douzième année de l’empereur Adrien[3]. Il le prouve par la version d’Aquila, publiée l’an douze de cet empereur, et assez conforme au texte hébreu d’aujourd’hui. Or, comme cet Aquila, en passant du christianisme au judaïsme, se mit sous la discipline d’Akiba, il paraît fort vraisemblable au père Pezron, qu’il faut imputer à ce rabbin cette altération de l’Écriture. Il est certain qu’Akiba était alors en grande estime parmi les Juifs, et surtout parmi ceux de la Palestine ; car il fut environ quarante ans le maître du collége qu’ils avaient à Jabné, ou à Tibériade, proche du lac de Genezareth[4]..... Il avait beaucoup de disciples, passait pour le plus savant d’entre les Juifs, et avait tant de créance dans leur esprit, que ce fut lui qui déclara que Barcochebas était le Messie[5].

(C) Afin de pouvoir répondre à une objection des chrétiens. ] « Jamais les chrétiens ne disputèrent contre les juifs plus fortement qu’en ce temps-là, dit le même auteur[6], et jamais aussi ils ne les combattirent plus efficacement. Car ils ne faisaient que leur montrer d’un côté les Évangiles, et de l’autre les ruines de Jérusalem, qui étaient devant leurs yeux, pour les convaincre que Jésus-Christ, qui avait si clairement prédit sa désolation, était le prophète que Moïse avait promis........ Mais ils les pressaient vivement par leurs propres traditions, qui portaient que le Christ se manifesterait après le cours d’environ six mille ans, en leur montrant que ce nombre d’années était accompli. Cela les embarrassait étrangement ; et c’est sans doute la raison pourquoi il est dit dans le Talmud, qu’Akiba et Samsai supputaient les années[7], dont on tirait contre eux de si puissans argumens. » Il est certain que les juifs pouvaient répondre à l’objection des six mille ans, si la Bible était telle que nous l’avons aujourd’hui ; car il s’en faut bien qu’elle ne nous donne ce nombre d’années depuis Adam jusqu’à Jésus-Christ.

(D) Les juifs lui donnent de grands éloges. ] Ils l’appelaient Sethumtaah [8], c’est-à-dire, l’Authentique. Il faudrait un volume tout entier, dit l’un d’eux[9], si l’on voulait parler dignement de lui. Son nom, dit un autre, a parcouru tout l’univers, et nous avons reçu de sa bouche toute la loi orale : Hujus nomen (inquit Autor Libri Zemach David) exiit ab uno extremo mundi usque ad aliud, atque totam legem oralem ex ejus ore accepimus [10].

(E) Et croient qu’il leur a appris toute la loi non écrite. ] Voyez le passage qu’on vient de citer, et le livre que le père Paul Pezron a publié à Paris, l’an 1691[11]. On y trouve [12], que Rabbi Akiba, fils de Joseph, est le premier compilateur des Deuteroses, ou des traditions judaïques, et le chef des traditionnaires ; qu’il ramassa les traditions qu’Hillel, Siméon, et autres anciens docteurs, avaient inventées ; qu’il y en ajouta d’autres de son invention ; qu’elles eurent cours toutes ensemble jusqu’à la fin du Ve. siècle, auquel temps on y en joignit d’autres, dont le Talmud fut composé ; qu’Akiba[13] se servit du rabbin Meïr, le plus célèbre de tous ses disciples, pour rédiger par écrit une partie de ces traditions dont on a depuis composé la Misne[14] ; qu’il fut assesseur du patriarche[15], et le maître d’Aquila, et du rabbin José, qui est l’auteur de la Grande Chronique des Juifs[16] ; qu’il devint chef des écoles judaïques, la même année que Josephe acheva ses Antiquités ; qu’il occupa cette place durant quarante ans ; qu’il est très-souvent cité dans le Pirke-Eliezer ; et qu’il souhaitait la damnation éternelle à tous ceux qui liraient les ouvrages des chrétiens.

(F) Ses préceptes de garde-robe. ] La nation judaïque a été livrée à un tel esprit de puériles et de chimériques observances, que leurs plus graves docteurs ont étendu le Rituel jusques aux actions les plus machinales, comme est celle d’aller au privé. Malheur à qui ne sait pas bien s’orienter ; car les quatre points cardinaux de l’horizon ne sont pas également favorables. Je ne puis dire qu’en latin le reste de leurs ridicules superstitions. Dixit R. Akiba, ingressus sum aliquandò post rabbi Josuam in sedis secretæ locum, et tria ab eo didici. Didici 1°. quòd non versus orientem et occidenten, sed versus septentrionem et austrum, convertere nos debeamus. Didici 2°. quòd non in pedes erectum, sed jam considentem se retegere liccat. Didici 3°. quod podex non dextrâ sed sinistrâ manu abstergendus sit. Ad hæc objecit ibi Ben Hasas ; usque adeò verò perfricuisti frontem erga magistrum tuum ut cacantem observares ? Respondit ille, legis hæc arcana sunt, ad quæ discenda id necessariò mihi agendum fuit[17]. Voilà un merveilleux docteur, qui, même sur sa chaise percée, expliquait sans dire mot les mystères de la loi.

  1. * Joly reproche à Bayle de donner le titre de Livre à un opuscule qui, bien qu’en cinq chapitres, est renfermé en trois pages de gros caractères, dans les Artis cabalisticæ scriptores.
  1. Lambecii Histor. Litterariæ Prodrom., pag. 53, apud Placcium de Pseudonymis, pag. 134.
  2. Placcius, ibid.
  3. Pezron, de l’Antiquité des Temps, chap. XVI, p. 289. Édit. de Paris, en 1687, in-4°.
  4. Là même, pag. 290
  5. Là même, pag. 291.
  6. Là même.
  7. Talmud, in Tractatu de Synedrio.
  8. Vide Jo. à Lent, de Pseudo-Messiis, p. 9.
  9. Zacutus in Juchasia, pag. 66, apud Leut, pag. 19.
  10. Konig, Biblioth., pag. 19.
  11. Intitulé, Défense de l’Antiquité des Temps.
  12. Pag. 61.
  13. Pag. 63, ex Tzemach David., pag. 99.
  14. Les Juifs prétendent que le rabbin Juda qui la compila, naquit le même jour qu’Akiba mourut. R. Juda princeps natus est illo die quo obiit R. Akiba, de quo ajunt, sol exortus est et sol occidit. Voyez Pezron, Défense de l’Antiquité des Temps, pag. 70.
  15. Nerva permit aux Juifs de se choisir un Patriarche de leur nation.
  16. Ex Hieronymo in cap. VIII Isaiæ.
  17. Ex Barajethâ in Massech. Berachos, fol. 62, apud Leut, pag. 10.

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