Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Pergame 2

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PERGAME (Attale, roi de), succéda, l’an 512 de Rome, à Eumènes, son cousin (A), qui avait été le successeur de Philétære leur oncle. Il se donna le titre de roi, qu’ils n’avaient point pris (B), et il crut le pouvoir faire sans arrogance après la gloire qu’il avait acquise en gagnant une bataille contre les Gaulois [a]. Il fit alliance avec les Romains [b] dans un temps où un tel ami leur était fort nécessaire ; car, outre qu’ils avaient à repousser Annibal dans l’Italie, il fallait qu’ils tinssent tête à Philippe, roi de Macédoine, qui s’était déclaré leur ennemi. Attale prit le parti des Romains avec beaucoup de chaleur, et fut attaché à leurs intérêts tout le reste de sa vie. Il fit un voyage à Athènes pour nuire au roi de Macédoine. Les Athéniens lui firent de grands honneurs (C). Il fit un autre voyage en Grèce à l’âge de plus de soixante et dix ans, afin de procurer des alliés aux Romains contre le roi de Macédoine[c]. Il harangua les Thébains avec tant de force (D), afin de les engager dans cette ligue, que son ardeur, un peu trop grande pour un vieillard, lui causa, ou un vertige, ou une fluxion, qui ne lui permit pas de continuer sa harangue. Il tomba évanoui au milieu de son discours ; et, s’étant embarqué peu de jours après, il s’en retourna à Pergame, où il mourut[d] en peu de temps, après un règne de quarante-quatre années[e]. Il vécut soixante et douze années[f]. Ce fut un prince qui aima les philosophes [g], et qui se servit de ses richesses en homme d’honneur, et en homme magnanime. Il fut fidèle à ses alliés ; il vécut en fort bonne intelligence avec sa femme (E), et il éleva très-bien ses quatres fils[h]. Eumènes, l’aîné de tous, lui succéda. Il était d’un tempérament infirme , mais d’une grandeur de courage qui suppléait à la faiblesse de son corps. Il aimait la gloire souverainement ; il fut magnifique, et il combla de bienfaits plusieurs villes grecques, et plusieurs particuliers. Il étendit au long et au large les bornes de ses états, et ne fut redevable de cet agrandissement qu’à son industrie et qu’à sa prudence. Il sut si bien contenir ses frères dans leur devoir (F), qu’ils concoururent avec lui au bien de l’état sans se laisser jamais entraîner à des entreprises factieuses[i]. Il se tint inviolablement attaché à l’alliance des Romains, et il en tira de grandes utilités. Il amena en personne une bonne flotte au consul Flaminius, pendant la guerre contre Philippe, roi de Macédoine[j]. Il excita les Romains à faire la guerre à Antiochus, et il éprouva que les principes sur lesquels il raisonnait, en leur donnant ce conseil, étaient fort justes[k] ; car il fut gratifié de plusieurs provinces qui furent ôtées à Antiochus après la bataille de Magnésie[l] (G). Il excita les mêmes Romains à la guerre contre Persée, roi de Macédoine [m], et il fit pour cela un voyage exprès à Rome. En s’en retournant par Delphes, où il voulait faire un sacrifice, il fut blessé dangereusement par des assassins que Persée avait apostés[n]. Il n’en mourut pas ; mais le bruit de sa mort se répandit jusqu’à Pergame. Il dissimula en partie le ressentiment qu’il eut de ce qu’Attale, son frère, s’était montré un peu trop ardent à succéder[o]. Il n’assista point à la guerre contre Persée [p], et quelques-uns disent qu’il se rendit suspect aux Romains. N’oublions pas qu’il perdit une bataille navale par un stratagème d’Annibal (H), et qu’il y pensa périr. Il était alors en guerre avec Prusias, roi de Bithynie. Il mourut fort âgé (I) l’an 596, laissant la tutelle à son fils, et l’administration du royaume à son frère Attale[q]. Celui-ci, à proprement parler régna jusques à sa mort. Il commença sa régence par une action glorieuse ; ce fut de rétablir Ariarathe dans le royaume Cappadoce[r]. Il se signala par plusieurs autres actions[s], et mourut, l’an 516 ; ensuite de quoi son pupille Attale régna seul. Celui-ci fut surnommé Philémetor (K) : il aima extrêmement l’agriculture (L), et il en fit même des livres. Il fut fort cruel[t]. Il envoya de riches présens à Scipion devant Numance (M), et mourut fort peu après, environ l’an 621 ; et, comme il n’avait point d’enfans, il institua son héritier le peuple Romain [u]. Aristonicus, bâtard d’Eumènes, voulut se moquer de ce testament, et se porta pour successeur légitime : il gagna même quelques batailles[v] ; mais il fut vaincu et pris l’an de Rome 623[w]. Ainsi finit le royaume de Pergame, qui dans une assez petite durée était devenu fort puissant, et où la magnificence fut si éclatante, qu’elle passa en proverbe (N). Il faudra marquer quelques fautes du Moréri (O).

  1. Voyez la rem. (B).
  2. L’an 542. Voyez Tite Live, lib. XXVI, pag. m. 451.
  3. Tite Live, lib. XXXIII, pag. 610.
  4. L’an 556 de Rome.
  5. Tite Live, lib. XXXIII, pag. 610. Polybius in Excerptis Valesianis, pag. 103.
  6. Polyb., ibidem.
  7. Voyez l’article Lacyde, tom. IX, pag. 7.
  8. Ex eodem Polybio, in Excerptis Valesianis, pag. 103.
  9. Idem, ibid., pag. 166 et seq.
  10. Titus Liv., lib. XXXIV, pag. 632.
  11. Voyez Tite Live, liv. XXXIV, p. 651.
  12. Elle se donna l’an de Rome 563.
  13. Idem Livius, lib. XLII, pag. 803.
  14. Idem, ibid., p. 815.
  15. Voyez la rem. (F).
  16. Livius, lib. XLIV, pag. 853.
  17. Strabo, lib. XIII, pag. 429.
  18. Polyb. in Excerpt. Valesian., p. 168.
  19. Voyez la remarque des fautes de Moréri.
  20. Voyez la rem. (L).
  21. Florus, lib. II, cap. XX, et multi alii.
  22. Justinus, lib. XXXVI, cap. IV.
  23. Id., ibid.

(A) Il succéda à Eumènes son cousin. ] Philétære avait deux frères : le plus âgé se nommait Eumènes, l’autre se nommait Attale. Le fils de celui-là eut le même nom que son père, et succéda à Philétære. Le fils d’Attale appela Attale, et fut successeur d’Eumènes [1]. Si le père Labbe avait lu Strabon attentivement, il ne l’aurait pas cité comme ayant dit qu’Attale fut frère et successeur d’Eumènes[2]. Cette faute a été copiée par M. Moréri [3]. Je m’étonne que M. Ménage n’ait point remarqué une faute de Diogène Laërce que M. Valois avait censurée[4]. Cet historien des philosophes assure qu’Eumènes était fils de Philétære[5]. Il fallait dire neveu : c’est la qualité que Strabon et Athénée lui donnent. Je rapporte les paroles du dernier, parce qu’elles nous apprennent un fait curieux ; c’est que cet Eumènes mourut de trop boire. ὑπὸ μέθης ἀπέθανεν Ευμένης ὁ Περγαμηνὸς, ὁ Φιλεταίρου τοῦ Περγάμου βασιλεύσαντος ἀδελϕιδοῦς, ὡς ἱςορεῖ Κτησικλῆς ἐν τρίτῳ χρόνων [6]. Eumenes Pergamenus, Philetæri[7] qui Pergami regnavit ex fratre nepos, ebrietate periit, ut refert Ctesicles libro tertio de Temporibus. Notez qu’Athénée s’est servi encore ailleurs[8] du même mot ϐασιλεύσας, en parlant de Philétære.

(B) Il se donna le titre de roi, qu’ils n’avaient point pris. ] Strabon nous l’apprend d’une manière précise : Ἀνηγορεύθη βασιλεὺς οὗτος πρῶτος νικήσας Γαλάτας μάχῃ μεγάλῃ. Hic primus rex salutatus est cùm magnâ pugnâ Galatas vicisset[9]. Polybe avait déjà assuré la même chose[10] : Νικήσας γὰρ μάχῃ Γαλάτας, ὃ βαρύτατον καὶ μαχιμώτατον ἔνθος ἦν τότε κατά τὴν Ἀσίαν, ταύτην ἀρχὴν ἐποίησατο, καὶ τότε τρῶτον αὐτὸν ἔδειξε βασιλέα. Superatis enim prœlio Gallis, quæ gens maximè terribilis ac bellicosissima tùm in Asiâ erat, tùm primùm regium nomen palàm sibi adscivit. Tite Live a adopté le même fait : Victis deindè prœlio uno Gallis quæ tùm gens recenti adventu terribilior Asiæ erat, regium ascivit nomen cujus magnitudini semper animum æquavit[11]. Ces trois témoignages me paraissent préférables à l’autorité de Justin, et à celle de Diogène Laërce ; car en premier lieu Justin commet une faute qui prouve qu’il ne s’est pas informé exactement de ce qu’il fallait savoir. Il dit qu’Eumènes était roi de Bithynie. Voilà ce qu’il peut fournir à ceux qui refuseraient de croire que notre Attale ait pris le premier le titre de roi. Eumènes, son prédécesseur, pourraient-ils dire, n’est-il pas qualifié roi par l’historien Justin[12] ? Mais, répondrai je, commandait-il dans la Bithynie ? Ne commandait-il pas dans Pergame ? Votre Justin pourra-t-il se disculper, s’il ne recourt à quelques critiques qui lisent Nicomèdes, et non pas Eumènes, dans le passage en question ? En second lieu, comme Diogène Laërce ne traite pas historiquement de Pergame, et qu’il ne parle d’Eumènes que par accident, il ne faut point croire qu’il ait cherché avec quelque soin si ce prince s’appelait roi : il lui a suffi de savoir qu’Eumènes avait dans Pergame l’autorité souveraine ; cela, dis-je, lui a suffi pour se servir d’une expression qui signifie la royauté. Il a dit[13] qu’Eumènes, ayant comblé de bienfaits Arcésilas, fut le seul de tous les rois à qui cet auteur dédia des livres. Le passage d’Athénée que j’ai cité n’est pas une chose à m’opposer. On y trouve que Philétære régna dans Pergame ; mais cela ne veut pas dire qu’effectivement il se qualifiait roi. Lisez les historiens modernes des ducs de Savoie, des électeurs de Bavière ou de Brandebourg, etc., vous y trouverez souvent les mots régner, règne, qui ne signifient qu’une autorité exercée sous le nom de duc ou d’électeur. Les médailles qui donnent à Philétærus le titre de roi, si l’on en croit Goltzius [14], sont plus fortes contre Strabon, en cas qu’elles ne soient point supposées. Celles que M. Spanheim a vues ne le qualifient pas ainsi[15]. Au reste, la victoire d’Attale sur les Gaulois fut remportée la dernière année de la 134e. olympiade[16]. C’est l’an 512 de Rome.

(C) Les Athéniens lui firent de grands honneurs. ] Toute la ville, hommes et femmes, et les prêtres avec leurs habits sacerdotaux, furent au-devant de lui. Peu s’en fallut qu’on ne contraignît les dieux à lui rendre le même honneur. C’est Tite Live qui me fournit cette pensée : Rex Piræeum, renovandæ firmandæque cum Atheniensibus societatis causâ trajecit. Civitas omnis obviàm effusa cum conjugibus ac liberis, sacerdotes cum insignibus suis intrantem urbem, ac dii propè ipsi exciti sedibus suis exceperunt[17]. Il remarque qu’Attalus trouva plus conforme à sa dignité de communiquer par écrit ses propositions, que de commettre sa modestie à la nécessité d’étaler lui-même ses services, et de recevoir d’un peuple flatteur une infinité d’applaudissemens. L’historien explique à merveille cette pensée : In concionem extemplò populus vocatus, ut rex quæ vellet, coràm ageret : deindè ex dignitate magis visum, scribere eum, de quibus videretur : quàm præsentem aut referendis suis in civitatem beneficiis erubescere, aut significationibus acclamationibusque multitudinis, assentatione immodicâ pudorem onerantis[18]. La guerre fut conclue contre Philippe, roi de Macédoine. Ce fut alors que, pour honorer Attalus, on proposa d’ajouter une nouvelle tribu aux dix anciennes, et de la nommer Attalide. Ingenti consensu bellum adversùs Philippum decretum. Honores rego primùm Attalo immodici, deindè et Rhodiis habiti : tùm primùm mentio illata de tribu, quam Attalide appellarent, ad decem veteres tribus addenda[19].

(D) Il harangua les Thébains avec tant de force. ] Ceci est assez singulier pour mériter que l’on voie les propres paroles de Plutarque[20] Καὶ μέντοι παρελθών ὁ Τίτος ὡς οὐκ ἔχων τὴν πόλιν, ἔπειθεν ἑλέσθαι τὰ Ῥωμαίων, Ἀττάλου τοῦ βασιλέως συναγορεύοντος ἀυτῷ καὶ συνεξορμῶντος τοὺς Θηϐαίους. ἀλλ’ Ἄτταλος μὲν (ὡς ἔοικεv) τοῦ γήρως προθυμότερον ἑαυτὸν τῷ Τίτῳ ῥήτορα παρασχεῖν ϕιλοτιμούμενος, ἐν ἀυτῷ τῷ λέγειν προσπεσόντος ἰλίγγου τινὸς ἢ ῥεύματος, ἄϕνω τὴν αἴσθησιν ἐπιληϕθεὶς ἔπεσεν, καὶ μετ’ οὐ πολὺ ταῖς ναυσὶν εἰς Ἀσίαν ἀποκομισθεὶς ἐτελεύτησεν. Titus [21] indè, quasi urbe non potiretur affatus eos est, suadens ut in partes Romanorum discederent, adjuvante Attalo et Thebanos incitante. Sed Attalus quidem, quùm præter ætatem (ut mihi quidem videtur), majore contentione oratorem Quintio præstare vellet, et vertigine quâdam vel pituitâ esset in mediâ oratione correptus, collapsus est, nec multis diebus post in Asiam navibus devectus expiravit. Voyez dans Tite Live[22] comment Eumènes, fils d’Attalus, représenta cet accident au sénat romain, après avoir étalé en peu de mots les services que son père avait rendus à la république romaine.

(E) Il vécut en fort bonne intelligence avec sa femme. ] Elle était de Cyzique et de condition roturière, et se nommait Apollonias. Elle acquit le caractère de reine, et le conserva toute sa vie, non par les adresses d’une courtisane[23], mais par sa modestie, par sa probité, par sa prudence, par sa gravité. Elle aima tendrement ses quatre fils, et leur conserva son affection jusques à sa mort, quoiqu’elle survécût plusieurs années à son mari. Cette clause n’est pas superflue ; car il n’arrive que trop souvent que des reines douairières fassent des cabales au préjudice de leurs enfans. Le roi Attalus, son fils, l’honora beaucoup ; ce fut un spectacle que l’on admira dans Cyzique, que de le voir, lui et son frère, mener par la main leur mère dans tous les temples et dans tous les autres lieux de la ville. Cela leur attirait mille louanges et mille bénédictions [24]. On ne serait pas si surpris de voir aujourd’hui de semblables choses dans l’Occident.

(F) Il sut si bien contenir ses frères dans leur devoir. ] Polybe, nous donnant le caractère d’Eumènes, marque, pour le dernier trait de distinction, que ce fut un prince qui se conduisit si habilement envers ses frères, qu’ils furent les instrumens de la sûreté de son règne. Il ajoute qu’on voit rarement cela. Ἀδελϕοὺς χων τρεῖς καὶ κατὰ τὴν ἡλικίαν καὶ ρῶξιν πάντας τούτους συνέσχε πειθαροῦντας αὐτῷ, καὶ δορυϕοροῦντας καὶ σώζοντας τὸ τῆς βασιλείας ἀξίωμα. τοῦτο δὲ σπανίως εὔροι τις ἂν γεγονὸς. Fratres cùm haberet tres et ætate et industriâ pollentes, eos in officio omnes continuit et morigeros custodesque regni ac dignitatis suæ habuit satellites. Quod rarò admodùm contigisse reperias [25]. Il a raison de dire que c’est une chose rare[26] : l’histoire est toute remplie des cruelles guerres que les princes ont eues à soutenir, ou contre leurs frères, ou contre leurs propres enfans. De sorte que ceux qui l’ont lue avec réflexion, ont pu bâtir cet aphorisme, qu’un roi qui a des frères et des enfans a plus de peine à gouverner sa famille qu’à gouverner son royaume. S’il prévient les guerres civiles, ce n’est pas sans des précautions pénibles et continuelles ; et s’il ne les prévient pas, quels soins ne doit-il point prendre pour les terminer ? à quelle inquiétude, à quels périls ne se voit-il pas exposé ? La politique des Turcs fait horreur ; elle sacrifie inhumainement à celui qui règne, ou la vie, ou la liberté de tous ses frères : mais c’est un mal nécessaire ; car sans cela on exposerait un vaste empire aux désolations les plus affreuses. Voyez les Méditations historiques de Camérarius au chapitre LXXXVIII du Ier. volume. Quoi qu’il en soit, ne regardons pas comme un bonheur, mais plutôt comme l’effet d’une prudence consommée, soutenue par un grand mérite, la concorde où le roi Eumènes fit vivre ses frères. Il était d’autant plus difficile de les contenir dans leur devoir, qu’ils étaient environnés de mauvais exemples. La Syrie et l’Égypte étaient cruellement déchirées par des disputes de succession. La maison royale dans la Macédoine fut ensanglantée par la jalousie de l’autorité. Ce fut un siècle abominable. On ne voyait qu’attentats horribles des frères contre les frères, et des pères contre les enfans, ou des enfans contre les pères. Cela était fort capable de tenter les frères du roi de Pergame. Leur mère avait bien sujet de s’estimer très-heureuse de les voir si bien unis. Ἀπολλωνίδα οὖν Κυζικηνὴν, Εὐμενοῦς δὲ τοῦ βασιλέυς μητέρα, καὶ τριῶν ἄλλων Αττάλου, καὶ Φιλεταίρου καὶ Ἀθηναίου, λέγουσι μακαρίζιν ἑαυτὴν ἀεὶ καὶ τοῖς Θεοῖς χἀριν ἔχειν, οὐ διὰ τὸν πλοῦτον, οὐδὲ διὰ τὴν ἡγεμονίαν, ἀλλ᾽ ὅτι τοὺς τρεῖς υἱοὺς ἑώρα τὸν πρεσϐύτατον δορυϕοροῦντας, κἀκεῖνον ἐν μέσοις αὐτοῖς δόρατα καὶ ξίϕη ϕοροῦσιν, ἀδεῶς διαιτώμενον, Apollonidem Cyzicenam, Eumenis regis matrem ac trium prætereà filiorum Attali, Philetæri, et Athenæi, prædicâsse subindè se beatam, diisque egisse aiunt gratias, non propter divitias vel imperium : sed quòd tres filios videret natu maximi esse satellites, eumque in medio ipsorum gladios hastasque ferentium absque metu versari[27]. Attalus, l’aîné des trois frères qui ne régnaient pas, était celui qui avait le plus de part aux grandes affaires. Il témoigna, je l’avoue, beaucoup d’amitié à Eumènes en diverses occasions. Le sachant fort affligé de la conduite que les villes du Péloponnèse avaient tenue [28], il n’oublia rien pour les engager à lui en faire satisfaction[29]. Il donna le nom d’Euménie à une ville, pour faire honneur à son frère[30] : en un mot, il eut le surnom de Philadelphe ; mais néanmoins il était suspect au roi, et avec raison, comme Tite Live va nous l’apprendre. Cet historien raconte qu’après la conquête de la Macédoine[31] Attalus, qui avait très-bien servi les Romains dans cette fameuse expédition, vint à Rome avec de secrètes espérances de supplanter son propre frère, et qu’il aurait fait éclater toute cette intrigue, si le médecin qui l’accompagnait ne l’en avait détourné. Or, ce médecin était un homme qu’Eumènes lui avait donné, et qui avait ordre de l’observer. C’était proprement l’espion du roi. On le donna par un principe de défiance bien fondée. Suberat et secreta spes honorum præmiorumque ab senatu, quæ vix salvâ pietate ejus contingere poterant. Erant enim quidam Remanorum quoque non boni actores qui spe cupiditatem ejus elicerent : eam opinionem de Attalo et Eumene Romæ esse, tanquàm de altero Romanis certo amico, altero nec Romanis, nec Persi fido socio. Itaque vix statui posse, utrùm quæ pro se, an quæ contrà fratrem petiturus esset, ab senatu magis impetrabilia forent : adeò universos omnia et huic tribuere, et illi verò negare. Eorum hominum (ut res docuit) Attalus erat, qui quantùm spes spopondisset cuperent, ni unius amici prudens monitio velut frænos animo ejus gestienti secundis rebus imposuis set. Stratius cum eo fuit medicus, ad idipsum à non securo Eumene Romam missus speculator rerum ; quæ à fratre agerentur, monitorque fidus si decedi fide vidisset. Is ad occupatas jam aures solicitatumque jam animum cùm venisset, aggressus tempestivis temporibus rem propè prolapsam restituit [32]. Je ne rapporte pas les raisons solides que ce médecin employa pour contenir Attalus dans son devoir ; je dis seulement qu’elles méritent d’être lues dans Tite Live, et qu’apparemment celle-ci ne fut pas la moins touchante. On représenta que le roi Eumènes était vieux et sans enfans, et qu’ainsi la porte de la succession légitime serait ouverte bientôt à Attale [33]. Il faut savoir qu’en ce temps-là le fils d’Eumènes n’avait pas été reconnu. Il n’y avait que trois ou quatre ans qu’il s’était passé des choses qui témoignaient que l’amitié fraternelle était combattue par l’ambition dans le cœur d’Attale. Le roi Eumènes, ayant été dangereusement blessé de deux coups de pierre proche de Delphes, s’était fait porter à l’île d’Égine. On le pansait si secrètement qu’il n’y avait presque personne qui sût au vrai s’il était en vie. Ainsi bruit de sa mort courut par-tout. Attale y ajouta foi avec plus de promptitude qu’un bon frère n’aurait fait. Il parla en roi à sa belle-sœur, femme d’Eumènes, et au gouverneur de la citadelle. Pour couper court, il se montra trop habile à succéder. Eumènes ne l’ignora point, et quoiqu’il eût résolu de souffrir cela sans en marquer son ressentiment, il ne se put abstenir de reprocher à son frère, dès la première conversation, cette impatience excessive d’épouser la reine. Tite Live n’en dit pas davantage ; mais la vérité est, si nous en croyons d’autres auteurs, qu’Attale coucha effectivement avec la reine.[34] Compotem jam sui regem, amici postero die deferunt ad navem : indè Corinthum, à Corintho per isthmi jugum navibus traductis[35], Æginam trajiciunt. Ibi adeò secreta ejus curatio fuit, admittentibus neminem, ut fama mortuum in Asiam perferret. Attalus quoque celeriùs quàm dignum concordiâ fraternâ erat, credidit. Nam et cum uxore fratris, et præfecto arci, tanquàm jam haud dubius regni hæres est locutus. Quæ posteà non fefellere Eumenem : et quanquàm dissimulare et tacitè habere id patique statuerat, tamen in primo congressu non temperavit, quin uxoris petendæ præmaturam festinationem fratri objiceret. Romam quoque fama de morte Eumenis perlata est. Plutarque a converti tout ceci en matière de panégyrique, tant pour Eumènes que pour Attalus : il avait besoin d’y donner ce tour ; car il faisait un Traité de l’Amitié fraternelle dans lequel la maison royale de Pergame devait paraître de bon exemple, après ce qu’il avait déjà dit de la mère des quatre frères [36]. Pour moi je trouve le récit de Tite Live plus vraisemblable. Voici le narré de Plutarque. « Ayant entendu qu’il venoit de la marine vers la ville pour se conseiller à l’oracle d’Apollo, et l’assaillans par derriere, lui jetterent de grosses pierres, qui l’assenerent sur la teste et sur le col : dont il fut tellement estourdi, qu’il en tomba par terre tout pasmé, de maniere qu’on pensa qu’il fust mort, et en courut le bruit par tout, tant que quelques-uns de ses serviteurs et amis mesmes coururent jusques en la ville de Pergame en porter la nouvelle, comme de chose à laquelle ils avoient esté presens. Pourquoi Attalus, le plus aagé de ses freres, homme de bien, et qui s’estoit tous jours plus fidelement et plus loyaument que nul autre porté envers son frere, fut non seulement declaré roy ; et couronné du diademe royal ; mais qui plus est, il espousa la roine Stratonice femme de son frere, et coucha avec elle : mais depuis, quand les nouvelles arriverent qu’Eumenes estoit vivant, et qu’il s’en venoit, posant le diademe, et reprenant la javeline, comme il avoit accoustumé de porter à la garde de son frere, il lui alla au devant avec les autres gardes, et le roy le receut humainement, salua et embrassa la roine avec grand honeur et grandes caresses : et ayant vescu longuement depuis sans plainte ni suspicion quelconque, finalement venant à mourir il consigna et laissa son royaume et sa femme à son frere Attalus. Mais que fit Attalus apres sa mort ? il ne voulut jamais faire nourrir aucun de ses enfans que Stratonice sa femme lui porta, et si en eut plusieurs, ains nourrit et esleva le fils de son frere defunct, jusques à ce qu’il fut en aage d’homme et lors lui-mesme lui mit sur la teste le diademe royal, et l’appella roy[37]. »

(G) Il fut gratifié de plusieurs provinces qui furent ôtées à Antiochus après la bataille de Magnésie. ] Après que ce prince eut été contraint d’accepter la paix aux conditions que les Romains lui imposèrent, tous les alliés des Romains cherchèrent à profiter de ses dépouilles. On écouta leurs demandes, et voici ce qui leur fut répondu : Decem legatos more majorum senatum missurum ad res Asiæ disceptandas, componendasque : summam tamen hanc fore, ut eis Taurum montem quæ intrà regni Antiochi fines fuissent, Eumeni attribuerentur, præter Lyciam Cariamque, usquè at Mæandrum amnem, ea civitatis Rhodiorum essent. Cæteræ civitates Asiæ, quæ Attali stipendiariæ fuissent, eædem Eumeni vectigal penderent : quæ vectigales Antiochi fuissent, eæ liberæ atque immunes essent [38]. Après un témoignage si formel, il ne serait pas nécessaire d’ouïr Cicéron : je le citerai pourtant, pour remarquer une faute qu’il a commise : Antiochum illum magnum, dit-il [39], majores nostri magnâ belli contentione terrâ marique superatum intrà montem Taurum regnare jusserunt : Asiam quâ illum multârunt, Attalo ut is regnaret in eâ, condonaverunt. Cicéron se trompe sur le nom du roi qui obtint du peuple romain un si beau présent. Ce fut Eumènes et non Attalus qui le reçut. Je ne sais point si quelque commentateur a observé cette méprise[40] ; mais je viens d’en consulter deux qui, au lieu de la remarquer, ont commis une autre faute. Attalo, dit Manuce[41], Eumenis fratri qui eam posteà populo romano moriens testamento legavit. Un autre dit Attalo Pergami regi qui moriens populum romanum fecit hæredem[42]. Il n’est pas vrai qu’Attalus, frère d’Eumènes, ait reçu du peuple romain les provinces qui furent ôtées à Antiochus, et il est faux qu’il les ait rendues au peuple romain par son testament. Celui qui choisit un tel héritier était Attalus, fils d’Eumènes. Le père Abram fait une autre faute : il croit que Cicéron parle d’Antiochus Épiphanes, et que cet Antiochus fut vaincu par Lucius Scipion [43] ; il se trompe. Antiochus Épiphanes ne régna qu’après Séleucus Philopator, successeur d’Antiochus-le-grand, et ce fut d’Antiochus-le-grand que les Romains triomphèrent sous les auspices de Lucius Scipion. Au reste, l’erreur de Manuce n’est qu’une copie de celle de Valère Maxime. Liberalis populus romanus magnitudine muneris, quod Attalo regi Asiam dedit dono. Sed Attalus etiam testamenti æquitate gratus, qui eandem Asiam populo romano legavit [44].

Notez que quand je fis cet article l’édition des Oraisons de Cicéron que M. Grævius a procurée, ne paraissait pas encore. Elle a paru depuis[45], je l’ai consultée en relisant tout ceci avant que de le donner aux imprimeurs, et j’ai trouvé que la faute du père Abram, celle de Manuce et celle de Cicéron, ont été marquées par M. Grævius. Voyez la page 78 et 79 du Ve. tome.

(H) Il perdit une bataille navale par un stratagème d’Annibal. ] Antiochus, ne se sentant point capable de protéger Annibal contre les Romains, qui lui demandaient de le leur livrer, l’avertit de prendre la fuite. Annibal se retira dans l’île de Crète, et puis à la cour de Prusias, roi de Bithynie, et lui inspira la hardiesse de rompre la paix que les Romains avaient établie entre lui et notre Eumènes. Les suites de cette rupture incommodèrent d’abord Prusias ; il fut battu par terre, et obligé de tenter si une bataille navale ne serait plus favorable[46]. Il la gagna, et voici comment, Annibal fit enfermer dans des pots de terre toutes sortes de serpens, et donna ordre de jeter ces pots dans les vaisseaux de l’ennemi. On suivit cet ordre, et l’on gagna la victoire ; car les équipages d’Eumènes furent consternés de se trouver au milieu de tant de serpens. Cùm Prusias terrestri bello ab Eumène victus esset, et prælium in mare transtulisset, Annibal novo commento auctor victoriæ fuit. Quippè omne serpentium genus in fictiles lagenas conjici jussit, medioque prœlio in naves hostium mittit. Id primum ponticis ridiculum visum, fictilibus dimicare, qui ferro nequeant. Sed ubi serpentibus repleri naves cœpêre, ancipiti periculo circumventi, hosti victoriam cessêre[47]. Cornélius Népos raconté cela plus amplement, et observe que l’intention principale d’Annibal fut de faire périr Eumènes, et pour cet effet il fait être assuré sur quel vaisseau il était[48]. On le découvrit en dépêchant une chaloupe sous prétexte de lui porter une lettre ; après cela Annibal commanda aux officiers des vaisseaux de s’attacher principalement à celui d’Eumènes : ils le firent ; et ils l’auraient pris, s’il ne se fût retiré à force de voiles. Les autres vaisseaux de Pergame se battirent vigoureusement ; mais les serpens que l’on y jeta les obligèrent à s’enfuir [49]. Les Romains ayant su ces choses, envoyèrent des ambassadeurs en Asie, pour pacifier ces deux princes, et pour demander à Prusias de leur livrer Annibal, qui prévint l’effet de cette demande en s’empoisonnant [50]. Ce fut environ l’an 570 de Rome.

(I) Il mourut fort âgé. ] Il vécut quatre-vingt-deux ans, si nous en croyons Lucien. Ἄτταλος δὲ, ὁ ἐπικληθεὶς Φιλάδελϕος, τῶν Περγαμηνῶν καὶ οὗτος Βασιλέυων, πρὸς ὃν καὶ Σκηπίων ὁ τῶν Ρωμαίων ςρατηγὸς ἀϕίκετο, δυὸ καὶ ὀγδοήκοντα ἐτῶν ἐξέλιπε τὸν βίον. Attalus, cognomento Philadelphus, rex etiam Pergamenorum, ad quem etiam Scipio Romanorum imperator venit, duos et octoginta annos natus è vitâ migravit[51]. Je ne doute point que Lucien ne fasse ici une faute. Le général romain dont il parle est sans doute Lucius Scipion l’Asiatique, qui défit Antiochus. Or en ce temps-là Attale ne régnait point.

(K) Il fut surnommé Philométor. ] « À cause de l’amitié qu’il avait pour sa mère, qui même fut cause de sa mort ; car comme il lui creusait un tombeau, il fut frappé du soleil, et mourut en sept jours[52], » Afin qu’on sache d’où M. Dacier a pris cette circonstance, je citerai ces paroles de Justin : matri deindè sepulcrum facere instituit, cui operi intentus morbum ex solis fervore contraxit, et septimâ die decessit[53]. Sa mère s’appelait Stratonice[54], et était fille d’Ariarathe, roi de Cappadoce : elle fut mariée avec Eumènes un peu après la victoire que les Romains remportèrent sur Antiochus à Magnésie [55]. Au reste, puisque Strabon [56], Appien[57] et plusieurs autres lui donnent le surnom de Philométor, je m’imagine que Plutarque par une erreur de mémoire lui donne celui de Philopator[58]. C’est dans la Vie des Gracques. Ailleurs il le nomme Philométor. Voyez le passage que je cite dans la remarque suivante. Volaterran avait rapporté assez bien ce qui concerne les rois de Pergame, mais il gâte tout quant au dernier. Il prétend que par contre-vérité on l’appela Philométor : Is Philometor ex scelere per antiphrasin cognominatus est, quod matrem interfecerit[59]. Qui pis est, il cite Justin comme ayant dit que ce prince ayant fait mourir sa mère, et puis sa femme secrètement, laissa croître ses cheveux et sa barbe pour cacher son crime. Justin dit toute autre chose.

(L) Il aima extrêmement l’agriculture. ] Ce ne fut pas sa première inclination, et il semble que ce fut un effet de mélancolie. Il avait fait mourir plusieurs personnes illustres[60], après quoi il s’enfonça dans un chagrin extraordinaire : il se couvrit, pour ainsi dire, de sac et de cendres ; et puis il abandonna le soin des affaires, et ne s’occupa que de la culture de son jardin. Mais il ne quitta point la cruauté ; car il se plaisait principalement à cultiver les herbes les plus venimeuses ; il en distillait les sucs, qu’il mêlait ensuite avec des remèdes salutaires, et il envoyait ces sortes de compositions à ses amis comme un présent. Voici mon auteur [61] : In Asiâ rex Attalus florentissimus ab Eumene[62] patruo acceptum regnum, cædibus amicorum, et cognatorum suppliciis. fodabat, nunc matrem anum, nunc Berenicem sponsam, maleficiis eorum necatas confingens. Post hanc scelestar violentiæ rabiem, squalidam vestem sumit : barbam capillumque in modum reorum submittit : non in publicum prodire, non populo se ostendere, non domi lætiora convivia inire, aut aliquod signum sani hominis habere, prorsùs ut pœnas pendere manibus interfectorum videretur. Omissa deindè regni administratione, hortos fodiebat, gramina seminabat, et noxia innoxiis permiscebat, eaque omnia veneni succo infecta, velut peculiare munus, amicis mittebat. Joignons à cela ces paroles de Plutarque : Ἄτταλος ὁ ϕιλομήτωρ ἐκήπευε πὰς ϕαρμακώδεις βοτάνας, οὐ μόνον ὑοσηύαμον καὶ ἑλλέϐορον, ἀλλὰ καὶ κώνειον καὶ ἀκόνιτον καὶ δορύκνιον αὐτὸς ἐν τοῖς κηποῖς βασιλικοῖς σπείρων καὶ ϕυτεύων, ὀτοὺς τε καὶ καρπὸν αὐτῶν, ἔργον πεποιημένος ἐιδέναι καὶ κομίζεσθαι καθ᾽ ὥραν. Attalus Philometor herbas venenosas colebat, non tantùm hyoscyamum et helleborum, sed et cicutam, aconitum, dorycnion, ipse in hortis regiis seminans et plantans : liquoresque et semina et fructus horum elaborabat cognoscere, ac suo quæque tempore colligere[63]. Attalus changea cette occupation et s’appliqua à la fonte des métaux[64]. Ses livres d’agriculture n’étaient pas inconnus à Varron [65], à Pline[66] et à Columella[67]. Le père Hardouin observe que ce prince, selon le témoignage de Galien, entendait toutes sortes de remèdes et en composa des livres. Haud diversum ab eo puto Attalum esse eum, quem medicum appellat Plinius in indice l. 33. et 33. cùm hunc ipsum Pergamenorum regem, omnis generis medicamentorum perquam studiosum fuisse Galenus affirmet, l. 1. κατά γένη, cap. 13. p. 657, et l. 1, antidotis cap. 1. pag. 865. De medicinis ex animalibus scripsisse, lib. 10. de facult. simp. medic. cap. 1 pag. 275[68]. M. Ménage donne à un autre ce qui concerne les jardins de cet Attalus[69].

(M) Il envoya de riches présens à Scipion devant Numance. ] Je n’ai lu cela que dans Cicéron. Quo in Dejotarum talem ergà te cognovisti qualis rex Attalus in Africanum fuit, cui magnificentissima dona, ut scriptum legimus, usquè ad Numantiam misit ex Asiâ, quæ Africanus inspectante exercitu accepit[70]. À quoi songe le père Abram quand il dit que Tite Live ne s’accorde avec Cicéron[71] ? Là-dessus il cite un passage du LVIIIe. livre de Tite Live[72], qui témoigne que Scipion ayant reçu de grands présens d’Antiochus, les montra à toute l’armée, et voulut que le questeur en chargeât ses livres de compte. Cicéron a-t-il prétendu parler du Scipion qui vainquit Antiochus ?

(N) La magnificence de Pergame passa en proverbe. ] Lisez les commentateurs d’Horace sur ces paroles :

..........Attalicis conditionibus
Nunquàm dimoveas, ut trabe Cypriâ
Myrtoum pavidus nauta secet mare[73]


Considérez aussi ces passages de Properce :

Nec mihi tunc fulcro sternatur lectus eburno
Nec sit in Attalico mors mea nixa toro[74]
Attalicas supera vestes, atque omnia magnis
Gemmea sint ludis, ignibus ista dabis[75]


On prétend que les tapisseries ne furent connues à Rome, que depuis que l’on y eut transporté celles d’Attalus, dont le peuple romain fut héritier[76]. Servius assure[77] qu’elles furent inventées à la cour des rois de Pergame, et qu’on les nomma aulæa, ab aulâ Attali[78], il se trompe sur ce dernier point ; car les Romains ne les nommèrent ainsi que parce qu’en grec elles se nommaient αὐλαίαι[79]. Quoi qu’il en soit, les tapisseries attaliques étaient célèbres. Quid illa attalica, totâ Siciliâ nominata, ab eodem Heio peripetas mata emere oblitus es[80] ? Le roi Attalus fut l’inventeur de la broderie d’or : aurum intexere in eâdem Asiâ invenit Attalus rex[81]. Consultez ce passage de Sicius Italicus :

Quæ radio jactat Babylon, vel murice picto,
Læta Tyros, quæque Attalicis variata per artem,
Aulæis scribuntur acu[82]. ......


Pline fait souvent mention du prix excessif que le roi Attale achetait les bons tableaux[83].

(O) Il faudra marquer quelques fautes du Moréri. ] J’ai égard ici à l’édition de Hollande. I. Il n’est pas vrai qu’Attale Ier. du nom ait étendu ses conquêtes dans l’Asie jusques au mont Taurus. Ce fut sous Eumènes que le royaume de Pergame eut cette étendue, et cela par la libéralité des Romains. Avant cela c’était un petit état, comme je vais le prouver. Συνεπολέμησε δὲ καὶ οὗτος (Εὐμένης) Ῥωμαίοις πρός τε Ἀντίοχον τὸν μέγαν, καὶ πρὸς Περσέα. καὶ ἔλαϐεν ὑπο τῶν Ῥωμαίων ἅπασαν τὴν ὑπ᾽ Ἀντίοχῳ τὴς ἐντὸς τοῦ Ταύρου. Πρότερον δ᾽ ἦν τὰ περὶ Πέργαμον οὐ πολλὰ χωρία μέχρι τῆς θαλάττης τῆς κατὰ τὸν Ἐλαΐτην κόλπον, καὶ τὸν Ἀδραμυττηνόν. Hic quoque (Eumenes) Romanorum socius fuit in bellis adversùs Antiochum Magnum, et Perseum : accepitque à Romanis quidquid Asiæ intrà Taurum Antiochus pessederat : cùm antè sub Pergami ditione fuissent pauca quædam loca usquè ad mare, juxta Sinum Elaiticum et Adramyttenum [84]. Le père Labbe a fait faire cette faute à M. Moréri ; car voici ses citations touchant Attale ; « Justin 27 ; Tite Live 34 ; Polybe 5, où il dit qu’il étendit ses conquêtes dans l’Asie jusques au mont Taurus [85]. » Je n’ai point trouvé cela au Ve. livre de Polybe, mais seulement qu’Attale pendant la guerre contre Achæus, contraignit les habitans de plusieurs villes à se déclarer pour lui. Ce n’est point ce qu’on appelle conquêtes : il ne paraît point qu’après son retour à Pergame ces villes lui aient été soumises. II. Il ne fallait pas se contenter de la citation des trois auteurs du père Labbe, puisqu’ils ne disent rien de l’amitié des quatre frères, qu’on propose ordinairement pour modèle de l’union qu’il doit y avoir entre les frères. Il fallait citer pour cela Plutarque, comme : avait fait le père Labbe[86]. III. La femme d’Attale, mère de ces quatre frères, s’appelait Ἀπολλωνίς[87]. Il ne fallait pas l’appeler Apollonie, mais Apollonis, ou Apollonide. IV. L’article d’Attalus II est pitoyable. On y débute par dire qu’il fut premièrement envoyé par son frère Eumènes à Rome, l’an 596, où il obtint tout ce qu’il souhaitait du sénat. Copie pure du père Labbe[88]. Cet Attalus avait plus de soixante ans au temps qu’on marque : il ne fallait donc point commenter par là son histoire, vu les choses mémorables qu’il avait faites auparavant. V. Je ne pense pas qu’il ait été ambassadeur de son frère à Rome, l’an 596 ; et je m’imagine qu’on a confondu les temps : on a transporté à cette année le voyage qu’il fit à Rome, après la prise du dernier roi de Macédoine, environ l’an 584. VI. Il est absurde de citer Polybe, lib. 5 ; et Justin, lib. 36, puisqu’ils ne disent rien de cet Attalus. Notez que l’histoire de Polybe ne s’étendait pas jusqu’à l’an de Rome. VII. Attalus III était surnommé Philométor, et non pas Philopator. Cette faute aussi se trouve dans le père Labbe[89]. Mais ce qu’il y a de plus blâmable, c’est avoir fourré, entre ces trois Attalus, un Attalus Philadelphe, sans avertir que ce n’est pas un nouvel Attale. L’omission de cet avertissement fait croire au lecteur que cet Attalus Philadelphe est différent des trois autres, et néanmoins il est le même qu’Attalus II. Nous allons voir si son article est comme il faut. VIII. On n’y distingue point ce qu’il fit avant qu’être roi, d’avec ce qu’il fit sous le règne de son frère : il n’y a point de lecteurs qui n’aient droit de s’imaginer que tout ce que l’on raconte fut fait par Attale depuis qu’il fut établi tuteur de son neveu avec le titre de roi. Or cela est faux. IX. Ce ne fut point lui qui soutint le siége de Pergame contre Antiochus. Nous avons vu[90] que le roi Eumènes était en personne dans Pergame pendant le siége. X. Il ne fit point la guerre à Persée roi de Macédoine : il fallait dire qu’il assista à cette guerre comme allié des Romains. XI. Strabon et Appien qu’on cite ne disent point qu’Attale fit prisonnier Prusias. XII. Ni qu’il envoya des présens à Scipion Émilien devant Numance. XIII. Ni qu’il périt par les embûches de son neveu Attale. Il était mort avant que ce Scipion allât à Numance.

  1. Strabo, lib. XIII, pag. 429.
  2. Labbe, Chronologue français, tom. II, p. 300, à l’ann. de Rome, 512.
  3. Au mot Eumènes.
  4. Henricus Valesius, Notis ad Excerpta Polybii, pag. 19.
  5. Diogen. Laërtius, lib. IV, in Arcesilao, num. 48.
  6. Athen., lib. X, pag. 445.
  7. On met ici Attali dans la traduction de Dalechamp.
  8. Athen., lib. XIII, pag. 577.
  9. Strabo, lib. XIII, pag. 429.
  10. Polyb., lib. XVIII, in Excerptis Valesianis, pag. 103.
  11. T, Livius, lib. XXXII, pag. m. 610.
  12. Rex Bithyniæ Eumenes, Justin., lib. XXVII, cap. III.
  13. Ἐχορήγει αὐτῷ πολλὰ Εὐμενὴς ὁ τοῦ Φιλεταίρου· διὸ καὶ τοῦτῳ μόνῳ τῶν ἄλλων Βασιλέων προσεϕώνει· Diogen. Laërtius, lib, IV, num. 38.
  14. Voyez Valesius, Notis ad Excerpta Polybii, pag. 19.
  15. Ésech. Spanhem., de præst. et usu Numismat., pag. 468.
  16. Valesius, Notis ad Excerpta Polybii, pag. 19.
  17. T. Livius, lib. XXXI, pag. 572.
  18. Idem, ibidem.
  19. Idem, ibidem, pag. 573.
  20. Plutarchus, in Vitâ Flaminii, pag. 37, B.
  21. C’est-à-dire Titus Quinctius Flamininus qui était alors consul.
  22. T. Livius, lib. XXXVII, cap. LIII.
  23. Οὐχ ἑταιρικὴν προσϕερομένη πιθανότητα. Non meretriciis illecebris. Polybius, ubi infrà.
  24. Polybius, in Excerptis Valesian., pag. 113, 114.
  25. Idem, ibidem, editis, pag. 169.
  26. Conférez ce que dessus, citation (7) de l’article Drusille, fille d’Agrippa, tom. VI, pag. 25 ; et citation (4) de l’article Drusus, fils de Germanicus, dans le même vol., pag. 59.
  27. Plutarchus, de fraterno Amore, pag. 480, C.
  28. Elles avaient renversé, par décret public, toutes les statues d’Eumènes, Polyb., in Excerpt. pag. 133.
  29. Polyb., ibidem.
  30. Sthephan., voce Εὐμένεια.
  31. En 585.
  32. Titus Livius, lib. XLV, pag. 877.
  33. Haud ambiguum propediem regnaturum eum infirmitate ætateque Eumenis esset nullam stirpem liberùm habentis. (Nec dum enim agnoverat eum, qui posteà regnavit.) Quid atineret vim afferre rei suæ spontè mox ad eum adventuræ ? Idem, ibidem.
  34. Idem, lib, XLII, pag. 815.
  35. Voici un fait remarquable : on transporta son vaisseau par terre d’un des golfes du Péloponnèse à l’autre. Cela s’est fait en d’autres rencontres.
  36. Voyez ci-dessus, remarque (E).
  37. Plutarque, de l’Amitié fraternelle, pag. 273 ; (dans l’édition grecque et latine c’est à la page 489 ;) je me sers de la version d’Amyot.
  38. Titus Livius, lib. XXXVII, cap. LV. Voyez le passage de Strabon que je citerai dans la remarque contre Moréri.
  39. Cicer., in Oratione pro Sextio, p. m. 92.
  40. Voyez les dernières lignes de cette remarque.
  41. Paulus Manutius, in Oration. Ciceronis pro Sextio, pag. 93.
  42. Nicol. Abramus, in eamd. orat., p. 100.
  43. Antiochum Epiphanem sive illustrem de quo auspiciis Luc. Scipionis Asiatici superato Appianus in Syriacis, ect. Idem, ibidem.
  44. Valer. Maximus, lib. V, cap. II, num. 3, in extern.
  45. C’est-à-dire l’an 1699.
  46. Justinus, lib. XXXII, cap. IV.
  47. Idem, ibidem.
  48. Classiarios convocat (Hannibal) hisque præcipit, omnes ut in unam Eumenis regis concurrant navem, à cæteris tantùm satis habeant se defendere. Id facilè illos serpentium multitudine consecuturos. Rex autem quâ nave veheretur, ut scirent se facturum, quem si aut cepissent, aut interfecissent, magno his pollicetur præmio fore. Cornelius Nepos, in Vitâ Hannibalis, cap. X.
  49. Idem, ibidem.
  50. Justinus et Cornelius Nepos, ubi suprà.
  51. Lucianus, in Macrobiis, pag. 637, tom. II, edit. Salmur.
  52. Dacier, Remarques sur l’ode I du Ier. liv. d’Horace, pag. m. 14.
  53. Justinus, lib. XXXVI, cap. IV, pag. m. 537.
  54. Sato, lib. XIII, pag. 429.
  55. Livius, lib. XXXVIII, pag. 733.
  56. Strabo, lib. XIII, pag. 429.
  57. Appianus, in Mithridat.
  58. Plutarchus, in Vitâ Gracchor., pag. 830.
  59. Volaterranus, lib. XIII, pag. m. 497.
  60. Voyez les Excerpta Diodoni Siculi, publiés par Henri Valois, pag. 370.
  61. Justinus, lib. XXXVI, cap. IV, pag. 537.
  62. Justin se trompe ; il devait dire ab Attalo.
  63. Plutarchus, in Demetrio, pag. 897, D.
  64. Ab hoc studio, ærariæ artis fabricæ se tradit cerisque fingendis, et ære fundendo procudendoque oblectabatur. Justinus, lib. XXXVI, cap. IV, pag. m. 537.
  65. Il en parle dans le Ier. chapitre du Ier. livre de Re Rusticâ.
  66. Plin., lib. XVIII, cap. III.
  67. Columella, lib. I, cap. I ; mais au lieu de dire Attalus et Philométor, lisez Attalus Philométor. Voyez le père Hardouin, in Indice Pliniano, pag. 100.
  68. Harduinus, ibid.
  69. Voyez la remarque (B) de l’article Lacyde tom. IX, pag. 7.
  70. Cicer., in oratione pro Rege Dejotaro, pag. m. 647.
  71. Abramus Commentar. in orat. Cicer., pro Dejotaro, pag. 441.
  72. Nous n’avons de Tite Live que jusqu’au livre XLV.
  73. Horatius, ode I, lib. I, vs. 12.
  74. Propertius, eleg. XIII, lib II. Voyez aussi eleg. XXXII ejusdem libri.
  75. Idem, eleg. XVII, lib. III. Voyez aussi eleg. V, lib. IV.
  76. Voyez le Commentaire Variorum sur Virgile, Géorg., lib. III, vs. 20.
  77. Ideò aulæa dicta sunt quòd primùm in aulâ Attali, regis Asiæ, qui populum romanum scripsit hæredem inventa sunt. Servius, in Æn., lib. I, vs. 697.
  78. Servius, in hæc verba Georgic., lib. III, vs. 25.

    Purpurea intexti tollunt aulæa Britanni.

  79. Voyez Plutarque, in Vitâ Themistoclis.
  80. Cicero in Verrem, lib. VI, folio m. 70, B.
  81. Plinius, lib. VIII, cap. XLVIII, pag. m. 232 : il dit au chap. III du XXXIIIe. livre. Attalicis jampridem aurum intexitur invento regum Asiæ.
  82. Silius Italicus, lib. XIV, pag. m. 636.
  83. Plin., lib. VII, cap. XXXVIII, et lib. XXXIV et XXXV.
  84. Strabo, lib. XIII, pag. 429.
  85. Labbe, Chronol. franç., tom. II, pag. 300, à l’ann. de Rome 512.
  86. Labbe, là même, pag. 336, à l’ann. 556.
  87. Strabo, lib. XIII, pag. 429.
  88. Labbe, pag. 365, à l’ann. 596.
  89. Labbe, pag. 391, à l’ann. 621.
  90. Dans la dernière remarque de l’article précédent, à la fin.

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