Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Zoroastre

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ZOROASTRE, en latin Zoroastres, roi des Bactriens, fut vaincu par Ninus, et a passé pour l’inventeur de la magie (A). Eusèbe pose sous l’an 7 d’Abraham cette victoire de Ninus, et il y a bien des auteurs qui font Zoroastre beaucoup plus ancien. Quelques-uns aussi le font beaucoup plus moderne ; tout est plein de variations sur ce chapitre de l’histoire de ce fameux personnage (B), et l’on ne s’accorde guère mieux sur le reste. Ainsi mes lecteurs ne doivent s’attendre qu’à trouver ici un ramas d’incertitudes et de contes bigarrés[* 1]. On rapporte[a] que Zoroastre se mit à rire le même jour qu’il naquit, et qu’il est le seul de tous les hommes à qui cela soit arrivé, et que la palpitation de son cerveau était si forte, qu’elle repoussait la main que l’on mettait sur sa tête, ce qui fut un pronostic de sa science. On ajoute[b] qu’il passa vingt ans dans les déserts, et qu’il n’y mangea que d’un fromage qui ne vieillissait jamais[c] ; que l’amour de la sagesse et de la justice l’obligea à se retirer sur une montagne pour y vivre dans la solitude ; que lorsqu’il descendit de cette montagne il y tomba un feu céleste qui brûlait toujours ; que le roi de Perse s’en approcha accompagné des plus grands seigneurs de sa cour, afin de faire des prières à Dieu ; que Zoroastre sortit de ces flammes sans en être endommagé ; qu’il consola et encouragea les Perses, et qu’il offrit quelques sacrifices, comme si Dieu l’avait accompagné jusqu’à ce lieu-là, qu’ensuite il ne vécut point indifféremment avec toutes sortes d’hommes, mais seulement avec ceux qui étaient nés pour la vérité, et qui étaient capables de connaître Dieu, gens que les Perses nommaient mages[d] ; qu’il souhaita d’être frappé de la foudre, et d’être consumé du feu du ciel, et qu’il ordonna aux Perses de recueillir ses os après qu’il aurait été brûlé de cette façon, et de les garder et vénérer comme un gage de la conservation de leur monarchie ; qu’ils eurent en effet pour ses reliques une grande vénération, mais qu’enfin étant tombés dans la négligence à cet égard-là, ils déchurent aussi de la royauté. La Chronique d’Alexandrie ajoute qu’après leur avoir tenu ce discours, il invoqua Orion, et fut consumé d’un feu céleste. Quelques-uns disent[e] que Mesraïm, fils de Cham, fut instruit dans la magie par son père, et[f] qu’il fut brûlé tout vif par le démon qu’il importunait trop souvent[g] ; que les Perses l’adorèrent comme un ami de Dieu, et comme un saint à qui la foudre avait servi de véhicule pour monter au ciel, et comme un astre vivant, d’où vint aussi qu’il fut nommé Zoroastre après sa mort. Grégoire de Tours assure à peu près la même chose touchant Chus, fils de Cham (C). D’autres disent que Cham même est le Zoroastre des Orientaux, inventeur de la magie[h]. M. Bochart réfute très-bien cette fausseté[i]. Cédrénus observe que Zoroastre, qui devint un si fameux astronome parmi les Perses, était issu de Bélus. Cela signifie qu’il était issu de Nemrod. Quelques-uns l’ont pris pour Nemrod même[j] ; quelques autres, ou pour Assur, ou pour Japhet. Les anciens Persans veulent tous que Zoroastre soit plus ancien que Moïse ; et il y a des mages qui prétendent même qu’il est le même qu’Abraham, et qui l’appellent souvent Ibrahim Zerdascht, comme qui dirait, Abraham, l’ami du feu[k]. Les chrétiens orientaux disent que Zoroastre commença à paraître sous le règne de Cambyses ; qu’il était natif de la province de Médie ; mais d’autres le font Assyrien, et veulent qu’il ait été disciple du prophète Élie[l]Ben Schuhnah dit qu’il fut disciple d’Esdras, et que ce prophète lui donna sa malédiction, à cause qu’il soutenait des opinions fort opposées aux principes de la loi judaïque et qu’il devint lépreux pour punition de son impiété ; et qu’ayant été à ce sujet chassé de Jérusalem il se retira en Perse, où il se fit l’auteur d’une nouvelle religion[m]. Quelques-uns l’ont pris pour le prophète Ézéchiel[n], et l’on ne peut disconvenir qu’ils ne se fondent sur quantité de conformités entre ce qui appartient à l’un et ce qui est raconté de l’autre[o]. George Hormius s’est imaginé que Zoroastre est le faux prophète Balaam[p]. M. Huet montre que c’est le Moïse des Juifs, et il rapporte une infinité de convenances entre ce que l’Écriture nous apprend de Moïse, et ce que les auteurs païens ont débité de Zoroastre[q]. Il n’y a guère de gens qui ne croient qu’il y a plusieurs Zoroastres, tout comme plusieurs Jupiters et plusieurs Hercules. Voyez le Traité de Thomas Stanlei[r] ; que M. Leclerc a mis en latin : vous y trouverez[s] un Zoroastre chaldéen, un bactrien, un perse, un pamphylien, un proconnésien et un babylonien[t]. On a tort de croire que Zoroastre ait enseigné la magie diabolique ; car sa magie n’était autre chose que l’étude de la nature divine et du culte religieux. Platon le déclare formellement (D). Mais si à cet égard-là il est facile de le disculper, il est malaisé de la faire sur le dogme des deux principes ; tant la présomption est grande qu’il a enseigné actuellement qu’il y avait deux causes coéternelles, l’une des bonnes choses, l’autre des méchantes (E). M. Hyde, dans son excellent Traité de la Religion des anciens Perses, cite des auteurs qui le disculpent sur ce point-là. Nous examinerons s’ils méritent d’être crus (F). On veut même qu’il n’ait pas été idolâtre, ni quant au culte du feu, ni quant à celui de Mithra (G). Ce qui parait de moins incertain, parmi tant de choses que l’on conte de cet homme, est qu’il a été l’introducteur d’une nouvelle religion dans la Perse, et qu’il a fait cela environ le régné de cas Darius, qui fut le successeur Cambyses[* 2]. Il est encore dans une grande vénération parmi les Perses qui ne suivent pas la religion mahométane, mais l’ancienne religion du pays. Ils le nomment Zardhust, et plusieurs croient qu’il était venu de la Chine, et ils en content une infinité de choses miraculeuses. Vous en pourrez voir un échantillon dans la bibliothéque orientale de M. d’Herbelot[u], et dans l’Histoire de la Religion des Benjans, traduite de l’anglais de M. Lord, par M. Briot[v]. Consultez aussi la Démonstration évangélique de M. Huet[w], et l’ouvrage de M. Hyde. Bien des gens croient que tous les ouvrages qui ont couru sous le nom de Zoroastre, et dont quelques-uns subsistent encore, sont supposés. M. Hyde n’est pas de ce sentiment (H).

  1. * Chaufepié, qui prétend que Bayle a bien qualifié son article par ces derniers mots, n’a pas manqué de vouloir en faire un sur le même personnage. Il avoue toutefois qu’il rapporte ce qu’on pense de plus vraisemblable sur le sujet de cet homme célèbre.
  2. * Joly s’étonne que Bayle n’ait pas, dans cet article, cité l’Apologie de Naudé pour les grands hommes accusés de Magie, chap. VIII, où l’auteur justifie Zoroastre : il dit qu’on peut consulter l’Incrédulité savante et la Crédulité ignorante, Lyon, 1671, in-4o., ouvrage du père Jacques d’Autun, capucin, qui est une réponse à l’Apologie. Joly termine son article par l’extrait d’un manuscrit de la Bibliothéque du roi, intitulé : Recueil quelques Astrologues et Hommes doctes, fait par Simon de Phares, dédié au roi Charles VIII.
  1. Risisse codem die, quo genitus esset, unum hominum accepimus Zoroastrem. Eidem cerebrum ita palpitâsse, ut impositam rapelleret manum, futuræ præsagio scientiæ. Plinius, lib. VII, cap. XVI. pag. 592.
  2. Idem, lib. XI, cap. XLII, pag 592.
  3. Dio. Chrysost., Orat. Borysthenicâ.
  4. Cédrenus et Suidas.
  5. Clemen, Recognitionum lib. IV, apud Bochart. Geogr. sacræ, lib. IV, cap. I, pag. m. 231.
  6. Idem, ibid., apud, Huetium, Demonstr. evang., propos. IV, cap. V, pag. m. 156.
  7. Idem, ibidem, apud eund, ibid., pag. 152.
  8. Voyez ci-dessus remarque (B) de l’article Cham, tom. V, pag. 54.
  9. Bochart. Geogr. sacræ, lib. IV, cap. I, pag. m. 231 et seq.
  10. Voyez M. Huet, Demonstr. evangel., propos. IV. cap. V, pag. 150.
  11. Herbelot, Biblioth. Orientale, p. 931.
  12. Le même, là même, ex Abulpharagio.
  13. Là même, pag. 932.
  14. Huetius, Demonstr. Evang., propos. IV, cap. V, pag. 151.
  15. Idem, ibid., pag. 458.
  16. Hornius, Histor. Philos., lib. II, cap. IV, pag. 79, 80.
  17. Huetius, Demonstr. Evang., propos. IV, cap. V, pag. 149 et seq.
  18. Intitulé Historia Philosophiæ orientalis.
  19. Au chapitre II du Ier livre.
  20. Voyez la rem. (B) vers la fin.
  21. Sous le mot Zerdascht.
  22. Cette traduction fut imprimée à Paris l’an 1666, in-12.
  23. Pag. 152 et seq., et pag. 458, 459.

(A) Il fut vaincu par Ninus, et a passé pour l’inventeur de la magie. ] Justin va nous dire que ce fut la dernière des victoires de ce conquérant, et que Zoroastre philosopha avec beaucoup d’exactitude sur les principes de l’univers et sur les mouvemens des étoiles. Postremum illi (Nino) bellum cum Zoroastre rege Bactrianorum fuit, qui primus dicitur artes magicas invenisse, et mundi principia, siderumque motus diligentissimè spectâsse. Hoc occiso, et ipse decessit[1]. Quelques-uns[2] attribuent à Sémiramis la gloire d’avoir vaincu Zoroastre. Ils entendent sans doute quelque chose de plus fort que ce qu’on lit dans Diodore de Sicile[3], qu’ayant été trouver son mari au siége de Bactra, elle conseilla et fit une attaque qui fut suivie de la réduction de la ville. Ninus l’épousa depuis. Je crois qu’ils veulent dire, que l’une des guerres qu’elle termina glorieusement après la mort de ce grand monarque fut celle où Zoroastre perdit ses états. Un historien[4], cité par Syncellus, traite de la naissance de Sémiramis et de celle de ce magicien, après avoir raconté les actions de Ninus[5]. Ce serait donc à Sémiramis plutôt qu’à Ninus qu’il aurait attribué la victoire dont nous parlons : et je ne sais si, pour confirmer la chose, on ne voudrait point se prévaloir de ces vers latins,

Persarum statuis Babylona Semiramis urbem,
.........................
.........................
Jussit et imperio surgere Bactra caput[6].


M. Stanlei[7] dit que Zoroastre, selon Eusèbe, a été contemporain de Sémiramis ; mais il est sûr qu’au rapport d’Eusèbe il fut vaincu par le roi Ninus. S’il était vrai, comme Arnobe le raconte, que de part et d’autre l’on se servit des secrets de la magie dans cette guerre des Assyriens et des Bactriens, il serait malaisé de croire que Zoroastre eût inventé cet art-là ; car il faudrait supposer que ses secrets passèrent bientôt en Chaldée, et qu’on les y perfectionna si promptement, que les magiciens de Ninus furent capables de disputer avec l’inventeur ; et de le vaincre. Je ne donne pas cela pour une impossibilité. Mais voici les paroles d’Arnobe : Ut inter Assyrios et Bactrianos Nino quondam Zoroastreque ductoribus non tantùm ferro dimicaretur et viribus, verùm etiam magicis et Chaldæorum ex reconditis disciplinis, invidia nostra hæc fuit[8]. Ammien Marcellin veut que Zoroastre n’ait fait qu’augmenter les secrets magiques des Chaldéens[9]. Quelques-uns disent qu’Azonace fut celui qui instruisit Zoroastre : ce serait donc Azonace qu’il faudrait considérer comme l’inventeur de la magie. Hermippus qui de totâ eâ arte diligentissimè scripsit, et vicies centum millia versuum à Zoroastre condita, indicibus quoque voluminum ejus positis explanavit, præceptorem, à quo institutum diceret, tradidit Azonacem, ipsum verò quinque millibus annorum ante Trojanum bellum fuisse[10]. Saint Augustin[11] et Orose[12] ont suivi la tradition rapportée par Justin. La liste qu’Apulée donne des plus fameux magiciens de l’antiquité met Zoroastre au premier rang, au plus ancien poste. Si quamlibet modicum emolumentum probaveritis, ego ille sim Carinondas, vel Damigeron, vel Moses, vel Jannes, vel Apollonius, vel ipse Dardanus, vel quicumque alius POST Zoroastrem, et Hostanem inter magos celebratus est[13].

Notez que Diodore de Sicile[14], qui raconte assez amplement la guerre de Ninus et des Bactriens, nomme le roi de ceux-ci, non pas Zoroastre, mais Oxyartes, et qu’il ne fait mention d’aucune magie. Cependant il narre ce qu’il avait lu dans Ctésias, qui était un historien assez enclin au débit de pareilles choses[15]. Vossius[16] et Henri Valois prétendent que Justin assure que Zoroastre se défendit contre Ninus, non-seulement par les armes, mais aussi par la magie. Il n’est pas vrai que Justin dise cela. Le même Vossius assure que ce narré de Justin a été tiré du premier livre de Ctésias, comme Arnobe l’a indiqué. C’est un nouveau mensonge. Les paroles d’Arnobe sont fort embrouillées[17], et l’on n’y saurait trouver ce fait-là.

(B) Tout est plein de variations sur le temps de Zoroastre. ][* 1] Nous avons vu qu’on le fait contemporain du roi Ninus, qui mourut, selon Eusèbe, environ 825 ans avant la prise de Troie. Nous avons vu aussi[18] que Zoroastre, selon l’opinion d’Hermippus, a précédé de cinq mille ans la guerre de Troie. Le platonicien Hermodore a suivi la même chronologie qu’Hermippus[19], et Plutarque l’a rapportée comme la plus commune[20] ; mais, selon Suidas, il n’y a qu’un intervalle de 500 ans depuis Zoroastre jusques à la guerre de Troie. Il y a de grands auteurs qui ont dit que Zoroastre a vécu six mille ans avant la mort de Platon. Eudoxus, qui inter sapientiæ sectas clarissimam, utilissimamque eam ( magicam artem) intelligi voluit, Zoroastrem hunc sex millibus annorum ante Platonis mortem fuisse prodidit. Sie et Aristoteles[21]. D’autres, comme Xanthus le Lydien[22], ne le font antérieur que de six cents ans à l’expédition de Xerxès. D’autres disent qu’il le faut confondre avec un Pamphylien qui se nommait Er, et qui était fils d’Arménius, et qui, étant ressuscité douze jours après sa mort, raconta les choses qu’il avait vues dans l’autre monde[23]. Ses narrations semblent prouver qu’il avait lu l’Iliade. Elles sont pour le moins une preuve démonstrative qu’il a vécu après le siége de Troie. Vous les trouverez dans Platon, au Xe. livre de la République[24]. C’est Clément d’Alexandrie qui suppose que cet homme-là ne diffère point de Zoroastre, ce qu’il prouve par la raison que celui-ci se déclare fils d’Arménius, et Pamphylien de naissance[25], et instruit divinement de plusieurs choses dans les enfers[26]. Or, puisqu’Arnobe remarque que ce Pamphilien fils d’Arménius a été aimé de Cyrus, voilà une tradition selon laquelle Zoroastre a paru au monde beaucoup plus tard qu’on ne croit, Armenius Zostriani nepos, et familiaris Pamphilus Cyri[27]. Ce sont les paroles d’Arnobe. M. de Valois observe qu’Armenius se prend là pour filius Armanii[28] ; le mot Cyri lui est suspect ; il aimerait mieux lire Nini, parce, dit-il, qu’il s’agit là d’un Zorostrate dont le premier livre de Ctésias avait fait mention. Or Ctésias n’avait commencé à parler des rois de Perse qu’au VIIe. livre, et il avait employé les six livres précédens à raconter les actions des Assyriens et celles des Mèdes. Je réponds qu’il n’est nullement certain qu’Arnobe prétende que Ctésias ait parle de ce fils d’Arménius. Notez que plusieurs critiques veulent qu’au lieu de Zostriani, on mette Ostanis ou Hostanis : mais ils ne prennent pas garde qu’ils attribuent à Arnobe un anachronisme bien grossier ; car Ostanes ayant suivi Xerxès dans l’expédition de Grèce[29], il n’est pas possible qu’il soit l’aïeul d’un ami de Cyrus.

Agathias, qui a vécu sous l’empire de Justinien, assure que, selon les Perses de ce temps-là, Zoroastre et Hystaspe avaient été contemporains. Mais ils ne disaient pas si cet Hystaspe était le père de Darius, ou quelque autre. M. Marsham décide tout net qu’il faut entendre le père de Darius[30] ; et il se fonde sur ce que l’un des éloges qui furent gravés sur son tombeau fut d’avoir été l’instructeur des mages, et sur ce que le même historien qui assure qu’Hystaspe a excellé en magie, l’a qualifié père de Darius[31]. Deindè (post Zoroastrem) Hystaspes rex prudentissimus Darii pater. Qui cùm superioris Indiæ secreta fidentiùs penetraret, ad nemorosam quamdam venerat solitudinem, cujus tranquillis silentiis præcelsa brachmanorum ingenia potiuntur : eorumque monitu rationes mundani motûs et siderum, purosque sacrorum ritus quantùm colligere potuit eruditus, ex his quæ didicit, aliqua sensibus magorum infudit : quæ illi cum disciplinis præsentiendi futura, per suam quisque progeniem, posteris ætatibus tradunt. Ex eo per sæcula multa ad præsens unâ eâdemque prosapiâ multitudo creata, deorum cultibus dedicatur[32]. Ammien Marcellin n’a pas eu raison de dire que ce père de Darius était roi, et peut-être n’a-t-il commis cette faute que pour avoir lu, en général, qu’un roi Hystaspe avait été un grand magicien, et pour avoir cru qu’il n’y avait point d’autre Hystaspe que le père de Darius. Mais il est sûr que l’on a parlé d’un roi Hystaspe, grand prophète, et plus ancien que la fondation de Rome. Hydaspes quoque, qui fuit Medorum rex antiquissimus, a quo amnis quoque nomen accepit, qui nunc Hydaspes dicitur, admirabilis omnium, sub interpretatione vaticinantis pueri ad memoriam posteris tradidit sublatum iri ex orbe imperium, nomenque Romanum ; multò ante præfatus, quàm illa Trojana gens conderetur[33]. Il faut lire Hystaspes et non pas Hydaspes dans ce passage de Lactance : c’est ainsi que les bons critiques ont corrigé les deux endroits où Justin Martyr a fait mention de ce prophète païen ; dans l’un, pour nous apprendre qu’il a prédit l’incendie de toutes les choses périssables ; dans l’autre, pour observer que la lecture de ses écrits était défendue à peine de la vie, parce qu’elle pouvait découvrir les vérités que les infidèles persécutaient[34], Κατ᾽ ἐνέργειαν δὲ τῶν ϕαύλων δαιμόνων, θάνατος ὡρίσθη κατὰ τῶν τὰς Ὑςάσπου ἢ Σιϐύλλης, ἢ τῶν προϕητῶν βίϐλους ἀναγινωσκόντων, ὅπως διὰ τοῦ ϕόϐου ἀποστρέψωσιν ἐντυγχάνοντας τοὺς ἀνθρώπους τῶν καλῶν γνῶσιν λαϐεῖν, αὐτοῖς δὲ δουλεύοντας κατέχωσιν· ὅπερ εἰς τέλος οὐκ ἴσχυσαν πρᾶξαι. Operâ autem et instinctu malorum dæmonum mortis supplicium adversùs librorum Hydaspis aut Sibyllæ aut prophetarum lectores constitutum est : ut per timorem homines ab illis, quò minùs scripta ea legentes rerum bonarum notitiam percipiant, sed in servitute eorum retineantur, absterreantur[35]. Pour le dire en passant, ces écrits-là[36], aussi-bien que ceux des sibylles, étaient de la forge pieuse de quelques chrétiens. Disons que M. Marsham pouvait se servir encore d’une autre preuve, et la bâtir de cette façon : Clément d’Alexandrie a prétendu que Zoroastre ne différait point du Pamphylien fils d’Arménius : or, selon Arnobe, ce Pamphylien a été ami de Cyrus, et nous lisons dans Hérodote un entretien de Cyrus et d’Hystaspe, père de Darius : il est donc vrai que Zoroastre et cet Hystaspe ont vécu en même temps[37]. M. de Valois le jeune affirme[38] que, selon le témoignage d’Agathias, quelques-uns disaient qu’Hystaspe, le docteur des mages, était beaucoup plus ancien que le père de Darius. Il est certain qu’Agathias ne dit point cela, et qu’au contraire il se plaint de ce que les Perses ne marquaient pas si leur Hystaspe était le père de Darius ou non. Je ne remarque ceci qu’afin qu’on voie que les citations des auteurs les plus judicieux nous trompent souvent, et qu’ainsi la prudence veut que l’on vérifie les passages, qui que ce soit qui les allègue. Je répète ici cette observation ; je me souviens bien de l’avoir faite en d’autres endroits.

Je n’aurais jamais fait si je voulais relever toutes les inexactitudes de nos auteurs, et rapporter toutes les variétés qui concernent la chronologie de Zoroastre. Mais voici de quoi confirmer encore la pensée de M. Marsham. On a dit que Pythagoras fut disciple de Zoroastre, sous le règne de Cambyse, fils de Cyrus. J’ai cité ailleurs[39] les paroles d’Apulée qui nous apprennent ce fait. Quelques-uns les entendent comme si Pythagoras, ayant été fait esclave en Égypte, avait été transporté en Perse. Quelques autres veulent qu’il ait été transporté en Babylone, et qu’il y ait été instruit par Zoroastre le Babylonien, qu’ils distinguent du Persan. Hisce (quinque Zoroastris) addi potest Sextus Zoroaster, sic enim ab [* 2] Apuleio vocatur, qui Babylone vixit, quo tempore Pythagoras captivus à Cambyse eo deductus est. Idem scriptor cum vocat, omnis divini arcanum antistitem, eoque magistro præcipuè usum esse Pythagoram dicit. Videtur idem esse ac Zabratus, à quo Diogenes [* 3] affirmat Pythagoram purgatum esse omnibus pristinæ vitæ sordibus, et edoctum quarum rerum probos expertes esse oporteret, uti et physicam. Idem quoque erit Nazaratas Assyrius, quem Alexander, in libro de Pythagoricis Symbolis, affirmat magistrum fuisse Pythagoræ. Hunc eundem Suidas vocat, Zarem, Cyrillus Zaranem, Plutarchus Zaratam[40]. Ces paroles sont tirées d’un ouvrage de Thomas Stanlei ; je ne sais point ce qu’il veut dire lorsqu’il remarque qu’Apulée se sert de cette expression Sextus Zoroaster : je ne la trouve point du tout dans le livre que l’on a cité. Je ne sais point non plus sur quoi l’on se fonde en assurant que Pythagoras fut amené prisonnier à Babylone par le roi Cambyse. Les termes d’Apulée signifient, visiblement qu’il fut envoyé on Égypte avec les prisonniers de ce monarque[41]. Pour bien entendre cela, il faut consulter Hérodote[42], qui raconte que Polycrate, tyran de Samos, voulant se défaire de quelques personnes qui lui étaient suspectes de brasser une rébellion, fit prier Cambyse de lui demander des troupes. Cambyse lui en ayant demandé, Polycrate lui envoya en Égypte quarante vaisseaux où il avait embarqué ces personnes-là, et le fit prier de ne pas permettre leur retour. Apulée a voulu dire, sans doute, qu’il y a des gens qui prétendent que Pythagoras fut un de ceux qui furent alors livrés à Cambyse par Polycrate. Il ne parle point du transport de Pythagoras, soit en Perse, soit à Babylone.

(C) Grégoire de Tours assure à peu près la même chose touchant Chus, fils aîné de Cham. ] « Le fils aîné de Cham, dit-il[43], s’appela Chus. Celui-ci fut le premier inventeur de l’art magique, à la suggestion du diable, et le premier aussi qui donna commencement à l’idolâtrie. Il fut le premier qui, par une suggestion diabolique, fit une petite statue pour être adorée : il faisait accroire aux hommes qu’il avait la puissance d’attirer les étoiles et le feu du ciel. Il s’en alla parmi les Perses, qui l’appelèrent Zoroastre, c’est-à-dire, vivante étoile. Ayant aussi appris de lui la manière d’adorer le feu, ils le révérèrent lui-même comme Dieu, ayant été consumé divinement par le feu. »

(D) Sa magie n’était autre chose que l’étude…. du culte religieux. Platon le déclare formellement. ] Il y a quatre personnes d’élite, dit-il, qui élèvent le fils aîné du roi des Perses. On choisit le plus sage, le plus juste, le plus tempérant et le plus brave qui se puissent trouver. Le plus sage lui enseigne la magie de Zoroastre, c’est-à-dire le culte des dieux : il lui enseigne aussi l’art de régner. Ωνο μὲν μαγείαν τε διδάσκει τὴν Ζωροάστρου τοῶ Ὡρομάζον (ἔςι δε τοῦτο θεῶν θεραπεία) διδάσκει δέ καὶ τὰ βασιλικά. Quorum primus magiam Zoroastri Oromasii filii docet, est autem illa deorum cultus : atque idem tradit instituta regia[44]. Notez que Zoroastre est qualifié fils d’Oromase, et qu’Oromase est le nom que lui et ses sectateurs donnaient au bon Dieu : il semble donc que c’était la même chose de l’appeler fils d’Oromase que de l’appeler fils de Dieu. M. Stanlei conjecture, avec beaucoup de vraisemblance, qu’on lui donnait ce dernier titre. Hinc colligas verba Platonis esse intelligenda de mago Persâ, qui propter inusitatam eruditionem figuratè, aut fabulosè dicebatur filius Dei, aut alicujus boni genii, quo honore affecti sunt Pythagoras, Plato, aliique præstantissimi viri[45]. Qui voudra voir une infinité de passages qui témoignent que la magie des Perses, instituée par Zoroastre, était l’étude de la religion et de la morale, n’aura qu’à lire Brissonius[46] et Boulanger[47]. Personne n’ignore que Gabriel Naudé justifie doctement et solidement notre Zoroastre de l’accusation de magie noire[48]. Il indique bien des auteurs que l’on pourra consulter.

(E) Qu’il y avait deux causes coéternelles, l’une des bonnes choses, l’autre des méchantes. ] Plutarque assure que c’est l’avis et l’opinion de la plupart et des plus sages des anciens[49]. « Zoroastre le magicien, ajoute-t-il, qu’on dit avoir esté cinq cens[50] ans devant le temps de la guerre de Troie….. appelloit le bon Dieu Oromazes, et l’autre Arimanius[51] ..... et enseigna de sacrifier à l’un pour lui demander toutes choses bonnes, et l’en remercier ; et à l’autre, pour divertir et destourner les sinistres et mauvaises : car ils[52] broyent ne sai quelle herbe, qu’ils appellent omomi, dedans un mortier, et reclament Pluton et les tenebres, et puis la meslant avec le sang d’un loup qu’ils ont immolé, ils la portent et la jettent en un lieu obscur où le soleil ne donne jamais : car ils estiment que des herbes et plantes les unes appartiennent au bon Dieu, et les autres au mauvais dæmon ; et semblablement des bestes, comme les chiens, les oiseaux et les hérissons terrestres soyent à Dieu ; et les aquatiques, au mauvais dæmon, à cette cause reputent bienheureux ceux qui en peuvent faire mourir plus grand nombre. Toutefois ces sages-là disent beaucoup de choses fabuleuses des dieux ; comme sont celles-ci : que Oromazes est né de la pure lumiere, et Arimanius des tenebres ; qu’ils se font la guerre l’un à l’autre, et que l’un a fait six dieux, le premier celui de Benevolence, le second de Verité, le troisieme de bonne Loi, le quatrieme de Sapience, le cinquieme de Richesse, le sixieme de Joye, pour les choses bonnes et bien faites : et l’autre en produit autant d’autres en nombre, tous adversaires et contraires à ceux-ci. Et puis Oromazes s’estant augmenté par trois fois, s’esloigna du soleil, autant comme il y a depuis le soleil iusques à la terre, et orna le ciel d’astres et d’estoiles, entre lesquelles il en establit une comme maîtresse et guide des autres, la caniculaire. Puis ayant fait autres vingt et quatre dieux, il les mit dedans un œuf, mais les autres, qui furent faits par Arimanius, en pareil nombre, graterent et ratisserent tant cest œuf, qu’ils le percerent, et depuis ce temps-là les maux ont esté pesle-mesle brouillez parmi les biens. Mais il viendra un temps fatal et predestiné, que cest Arimanius, ayant amené au monde la famine ensemble et la peste, sera destruit et de tout poinct exterminé par eux, et lors la terre sera toute plate, unie et égale, et n’y aura plus qu’une vie, et une sorte de gouvernement des hommes, qui n’auront plus qu’une langue entre eux, et vivront heureusement. Theopompus aussi escrit que selon les magiciens, l’un de ces dieux doit estre trois mille ans vainqueur, et trois autres mille ans veincu, et trois autres mille ans qu’ils doivent demeurer à guerroyer et à combattre l’un contre l’autre, et à destruire ce que l’autre aura fait, jusqu’à ce que finalement Pluton sera delaissé, et perira du tout, et lors les hommes seront bienheureux, qui n’auront plus besoin de nourriture, et ne feront plus d’ombre, et que le Dieu qui a ouvré, fait et procuré cela, chomme cependant et se repose un temps, non trop long pour un Dieu, mais comme mediocre à un homme qui dormiroit. Voilà ce que porte la fable controuvée par les mages. »

Il n’a pas été inutile de rapporter tout ce passage, puisque l’on y voit quelques détails sur les opinions, et sur les préceptes de Zoroastre, et que nous pouvons connaître par-là que les sectateurs des deux principes s’embarrassaient dans plusieurs inconséquences absurdes, dès qu’ils descendaient à l’explication particulière de leur système. J’ai observé la même chose en parlant des manichéens[53]. Or puisque, selon la tradition la plus commune, Zoroastre doit passer pour le fondateur des mages, et qu’on peut prouver par un grand nombre d’autorités qu’ils ont admis un bon dieu et un mauvais dieu, celui-là, nommé Oromase ou Orosmade, celui-ci nommé Arimanius, il y a beaucoup d’apparence qu’il a soutenu effectivement cette doctrine[54].

Observons que Plutarque, ayant rapporté ce qu’on a vu ci-dessus, ajoute : Voilà ce que porte la fable controuvée par les mages[55]. Si l’on inférait de là qu’il rejetait en général toute l’hypothèse des deux principes, l’un bon et l’autre mauvais, on ne saurait guère ses sentimens. Il pouvait bien condamner les explications particulières des sectateurs de Zoroastre ; mais sans doute il admettait tout le fondement de leur système, que le dieu qu’ils appelaient bon n’est la cause d’aucun mal. J’ai cité divers endroits de ses œuvres où il se déclare là-dessus sans équivoque, et cependant ils ne nous découvrent point tout le fond de sa doctrine[56]. C’est pourquoi je mettrai ici quelques passages qui nous la feront mieux connaître. Je crois qu’elle était assez conforme au sentiment qu’il attribuait à Platon. Ce philosophe, dit-il[57], admet deux âmes du monde, l’une bienfaisante, l’autre malfaisante : « et laisse encore entre-deux une troisième cause, qui n’est point sans ame, ni sans raison, ni immobile de soi-mesme, comme aucuns estiment, ains adjacente et adherante à toutes ces deux autres, apettant toutefois tousjours la meilleure, la desirant et la pourchassant…… parce que la generation, composition et constitution de ce monde ici est meslée de puissances contraires, non pas toutefois égales, car la meilleure le gagne, et est plus forte, mais il est impossible que la mauvaise perisse du tout, tant elle est avant imprimée dedans le corps et dedans l’ame de l’univers, faisant tousjours la guerre à la meilleure. » Il expose plus amplement en un autre endroit cette doctrine de Platon, et nous fait entendre que l’origine du mal n’est point dans une matière insensible et inanimée, qui n’ait point d’action ni de qualités, et qui puisse recevoir toutes les formes imaginables, mais dans une matière qui se meut, et qui est unie à une âme dont les désordres ne peuvent être entièrement corrigés. Je dirai ci-dessous pourquoi je rapporte un si long morceau de son ouvrage.

«[58] Heraclitus dit qu’il n’y a eu ni dieu homme qui ait fait ce monde, comme craignant que si nous desavouyons Dieu pour créateur, il ne fust incontinent necessaire de confesser que l’homme en eust esté l’architecte et l’ouvrier : mais il vaut beaucoup mieux, suivant la sentence et avis de Platon, que nous avouyons, voire chantions, qu’il a esté fait et creé de Dieu, comme estant l’un le plus grand chef d’œuvre qui jamais ait esté fait, et l’autre le plus excellent ouvrier et la meilleure cause qui puisse estre : mais la substance et la matiere dont il a esté fait n’a pas esté creée, ains a de tout temps esté sujette à l’ouvrier, pour le disposer et ordonner, et le rendre, le plus qu’il seroit possible, semblable à soi, car generation ne se peut faire de ce qui n’est point, mais de ce qui n’est pas bien ou ainsi qu’il apartient… Or, avant la creation du monde, l’univers estoit un chaos, c’est à dire un desordre confus, lequel toutefois n’estoit pas sans corps, ni sans mouvement et sans ame, mais ce qu’il y avoit de corps estoit sans forme et sans consistance, et ce qu’il y avoit d’ame mouvante estoit temeraire, sans entendement ni raison, ce qui n’estoit autre chose qu’un desordre d’ame non regie par aucun jugement de raison. Car Dieu n’a point fait corps ce qui estoit incorporel, ni ame ce qui estoit inanimé ; comme le musicien ne fait pas la voix ni le baladin le mouvement, mais il rend bien la voix douce, accordante et harmonieuse, et le mouvement mesuré de bonne grace et bien compassé : aussi Dieu n’a pas fait la solidité palpable du corps, ni la puissance mouvante et imaginative de l’ame : mais ayant trouvé ces deux principes-là, l’un tenebreux et obscur, l’autre insensé et turbulent, tous deux imparfaits, desordonnez et indeterminez, il les a ordonnez et disposez tous deux, en sorte qu’il en a composé le plus beau et le plus parfait animal de tous. La substance du corps donc, qui est la nature qu’il[59] appelle susceptible de toutes choses, le siege et la nourrice de tout ce qui est engendré, n’est autre chose que cela. Quant à la substance de l’ame, il l’appelle, au livre intitulé Philebus, infinité, qui est la privation de tout nombre, de toute mesure et de toute proportion, qui n’a en soi ne fin, ne terme, ne plus ne moins, ne peu ne trop, ne similitude ne dissimilitude. Et celle qu’il dit au Timæus estre meslée avec l’indivisible nature, et devenir divisible par les corps, il ne faut pas entendre que ce soit ni multitude en unité, ni longueur et largeur en poincts : car ce sont qualitez qui conviennent plutost au corps que non pas à l’ame, ains ce principe-là desordonné, indefini, se mouvant soi-mesme, et ayant vertu mouvante lequel il appelle en plusieurs lieux necessité, en ses livres des Loix il l’appelle tout ouvertement ame desordonnée, mauvaise et mal-faisante. C’est l’ame simplement dite à par soi, laquelle depuis a esté faite participante d’entendement, et de discours de raison, et de sage proportion, afin qu’elle devinst ame du monde. Et aussi ce principe-là materiel, qui reçoit tout, avoit bien magnitude, distance et place ; mais de beauté, de forme et figure proportionnée, et de mesure, il n’en avoit point ; mais il en eut quand il fust accoustré, afin qu’il devint corps de la terre, de la mer, des estoiles et du ciel, des plantes et des animaux de toutes sortes. Or ceux qui attribuent à la matiere ce qu’il appelle au Timæus, necessité, et au traité de Philebus, infinité et immensité de plus et de moins, de peu et de trop, d’excez et de defaut, et non pas à l’ame, ils ne pourront pas maintenir qu’elle soit cause du mal, d’autant qu’il suppose tousiours que cette matiere-là soit sans forme ne figure quelconque, destituée de toute qualité et faculté propre à elle, la comparant aux huiles qui n’ont odeur quelconque leur, dont les parfumiers se servent à faire leurs parfums : car il n’est pas possible que Platon suppose que ce qui est de soi oiseux, sans qualité active, ni mouvement ou inclination à chose aucune, soit la cause et le principe de mal, ne qu’il la nomme infinité mauvaise et mal-faisante, ni aussi la necessité qui en plusieurs choses repugne à Dieu, lui estant rebelle, et refusant de lui obéir : car celle necessité, qui a renverse le ciel, comme il dit en son Politique, et le retourne tout au contraire : la concupiscence qui est née avec nous, et la confusion de l’ancienne nature, où il n’y avoit ordre quelconque, avant qu’elle fust rengée en la belle disposition du monde qui est maintenant, d’où est-ce qu’elle est venue és choses, si le sujet qui est la matiere estoit sans qualité quelconque, exempte de toute efficace de cause ? Et l’ouvrier, estant de sa nature tout bon, desiroit, autant qu’il est possible, rendre toutes choses semblables à soi, car il n’y a point de tiers, outre ces deux principes-là : et si nous voulons introduire le mal en ce monde, sans cause precedente et sans principe qui l’ait engendré, nous tomberons és difficultez et perplexitez de stoïques : car des principes qui sont en estre, il n’est pas possible que celui qui est bon, ne celui qui est sans force ne qualité quelconque, ait donné estre ni generation à ce qui est mauvais. Et n’a point fait Platon comme ceux qui sont venus depuis lui, lesquels à faute d’avoir veu et entendu le troisieme principe et troisieme cause, qui est entre Dieu et la matiere, se sont laissez aller, et tomber en un propos le plus estrange, et le plus faux du monde, faisans je ne sai comment venir du dehors casuellement la nature du mal par accident, ou bien de lui-mesme, là où ils ne veulent pas conceder à Epicurus qu’un seul atome gauchisse ni destourne tant peu que ce soit, pource qu’ils disent qu’il introduit temerairement un mouvement, sans en supposer aucune cause precedente : et eux cependant disent que le vice, la meschanceté, et mille autres difformitez et imperfections des corps, aviennent par conséquence, sans qu’il y ait autre cause efficiente[60]. Mais Platon ne dit pas cela, ains despouillant la matiere de toute qualité, et mettant bien au loin arriere de Dieu toute cause de mal, a ainsi escrit, touchant le monde, en ses Politiques : Le monde a eu, dit-il, toutes bonnes choses de son auteur qui l’a composé, mais de son habitude exterieure du paravant : tout ce qu’il y a de mauvais, de meschant et d’injuste au ciel, il le tient de là, et puis il l’imprime ça bas aux animaux. Et après, un petit plus avant : Par trait de temps, dit-il, oubliance prenant pied, et s’imprimant en lui la passion de son ancien desordre et confusion, y domine de plus en plus ; et y a danger que venant à se dissoudre, il ne s’en retourne derechef plonger en sa fondriere vaste et infinie de diversité… Platon appelle bien voirement la matiere mere et nourrice, mais aussi, dit-il, que la cause du mal est la puissance motive resseante en icelle, et qui par les corps est divisible, qui est un mouvement desraisonnable et desordonné, mais non pas toutefois sans ame, laquelle il appelle disertement et expressément és livres de ses Loix, ame contraire et repugnante à celle qui est cause de tout bien, parce que l’âme est bien la cause et le principe de mouvement, mais l’entendement est la cause et le principe de l’ordre et de l’harmonie du mouvement : car Dieu n’a point rendu la matiere oiseuse, mais il a empesché qu’elle ne fust plus agitée ni troublée d’une cause folle et temeraire, et n’a pas donne à la nature les principes de mutations et de passions, mais elle estant enveloppée de toutes sortes de passions et de mutations desordonnées il en a osté tout le desordre et tout l’erreur qui y estoit, se servant pour outils propres à ce faire des nombres, des mesures et des proportions. »

Ce développement de la doctrine de Platon sur la création du monde, et sur l’origine du mal, est l’un des plus beaux endroits qui se trouvent dans Plutarque ; et quoique cette doctrine ne soit pas vraie, elle mérite pourtant d’être lue avec attention, et contient de belles idées et des conceptions sublimes, et d’une fécondité merveilleuse par rapport à ceux qui savent profiter des conséquences. C’est la raison qui m’a engagé à ne point tronquer cet endroit-là. Combien y a-t-il de gens qui le liront, qui ne prendraient pas la peine de recourir à Plutarque si je m’étais contenté de leur indiquer les pages, ou de la version d’Amyot, ou celles de l’original ? Une autre raison m’a empêché de me contenter de cela, c’est qu’on trouve dans ce passage de Plutarque certaines choses dont il faudra que je me serve ci-dessous[61].

(F) M. Hyde…… cite des auteurs qui le disculpent…….. Nous examinerons s’ils méritent d’être crus. ] Ceux qui ont lu le journal de M. Bernard[62] n’ont pas besoin qu’on leur apprenne que l’Historia religionis veterum Persarum, publiée par M. Hyde[63], à Oxford l’an 1700, in-4°., est un des beaux ouvrages qui se pût faire sur un tel sujet. L’idée que cet habile journaliste en donne fait assez entendre que cette Histoire de la Religion des anciens Perses contient une érudition exquise, et des discussions profondes qui déterrent des raretés, et qui découvrent des pays que l’on ne connaissait guère. Venons au fait. M. Hyde assure[64] que les anciens Perses n’ont reconnu qu’un seul principe incréé, c’était le principe du bien, Dieu, en un mot : quant au principe du mal, ils le regardaient comme une chose créée. L’un des noms qu’ils donnaient à Dieu était Hormizda, et pour ce qui est du mauvais principe ils le nommaient Ahariman. Voilà l’origine des deux mots grecs Όρομάσδης et Άρειμάνιος : l’un était le nom du bon principe, l’autre celui du mauvais principe, comme on l’a vu ci-dessus[65] dans un passage de Plutarque. Les Perses ont prétendu qu’Abraham est le premier fondateur de leur religion[66]. Zoroastre y fit ensuite quelques changemens ; mais on veut qu’il ne l’ait point altérée quant au dogme du seul principe incréé : toute son innovation à cet égard fut de donner au bon principe le nom de lumière, et au mauvais principe le nom de ténèbres[67]. Voici un témoin[68] : Zerdusht affirmavit lucem et tenebras esse....... duo principia sibi invicem contraria : et sic esse Yezdân et Ahreman, qui fuerunt..... initium eorum quæ inveniuntur in mundo : ex eorum mistione (seu combinatione) extitisse compositiones : et ex variis compositionibus productas fuisse formas. Et quòd Deus qui creavit lucem et tenebras, utriusque autor unicus sit, sine socio, sine pari aut simili ; nec ei reserenda sit..... existentia tenebrarum, sicut dicunt Zervanitæ : sed bonum et malum, integritas et corruptio, et Puritas ac sparcities exiverunt ex mistione (seu commissione) lucis et tenebrarum : et nisi hæc duo commista fuissent, non extitisset mundus. Et hæc duo contra se invicem insurgebant et de victoriâ contendebant, donec lux vinceret tenebras, et bonum malum. Tum posteà salvum evasit bonum ad mundum suum : et malum divertebat ad mundum suum : et sic fuit causa liberationis. Cùmque Deus excelsus hæc duo temperaverat et miscuerat pro arbitrio suo, eaque in compositione viderat, tum instituit lucem ut originale quiddam, et indixit existentiam ejus ut existera. Sed tenebræ secutæ sunt sicut umbra personam. Nam cùm videret eas quodammodo existere, sed non realiter existere, tum planè produxit lucem, et acquisitæ sunt tenebræ per consequentiam : nam ex necessitate extitit contrarium, quippe cujus existentia fuit necessaria, sc. ut contingens in creatione, non autem ex primâ intentione secundum exemplum quod adduximus de personâ et umbrâ. Ces paroles marquent clairement que dans l’hypothèse de Zoroastre les deux principes l’un du bien, et l’autre du mal, Oromaze, Arimanius, ou la lumière et les ténèbres, n’étaient à proprement parler, que causes secondes, et ne méritaient pas en rigueur le nom de principe. C’était l’ouvrage d’une autre cause, et la production de Dieu. Il y a bien des absurdités dans l’explication particulière de la doctrine de ce mage ; car il disait d’un côté que Dieu seul avait produit les ténèbres, et de l’autre que leur existance ne devait point être rapportée à Dieu. Il disait que Dieu mêla la lumière avec les ténèbres, à cause que sans ce mélange le monde n’aurait pu être produit ; que le bien et le mal, la pureté et l’impureté, sortirent de ce mélange ; qu’il y eut un grand combat entre la lumière et les ténèbres, jusqu’à ce que celles-ci furent vaincues ; qu’après leur défaite elles se retirèrent dans leur monde, et la lumière dans le sien ; que Dieu, ayant mêlé ensemble ces deux contraires, établit une lumière originale, et la fit exister : que les ténèbres résultèrent de cela comme l’ombre suit le corps ; car Dieu, voyant que les ténèbres existaient en quelque façon, mais non pas réellement, donna une pleine existence à la lumière, et ainsi les ténèbres existèrent par une suite inévitable, et non pas selon l’intention directe et primitive du Créateur[69]. Nous ne saurions voir goutte dans ce chaos de pensées nous autres Occidentaux : il n’y a que des Levantins, accoutumés à un langage mystique et contradictoire, qui puissent souffrir sans dégoût et sans horreur un si énorme galimatias. Mais quoiqu’il en soit, me dira-t-on, voilà Zoroastre disculpé sur la principale accusation : il ne sera plus permis de prétendre qu’il a reconnu deux principes incréés, un Arimanius essentiellement méchant, qui existe par soi-même. C’est ce qui me reste à examiner.

I. Je réponds en premier lieu qu’il est hors de doute que les auteurs grecs qui ont donné à Zoroastre l’opinion des deux principes ont prétendu lui attribuer un sentiment qui était contraire et à la théologie commune et au dogme des aristotéliciens et des stoïciens : ces deux sectes s’accordaient avec le peuple sur ce point-ci, que le même Dieu, qui verse les biens sur la terre y verse les maux ; que s’il punit d’un côté il récompense de l’autre, etc. Or si l’on a prétendu que Zoroastre et les mages étaient dans un sentiment opposé à celui-là, il faut qu’on ait cru qu’ils enseignaient que le principe qui distribue les biens est distingué personnellement du principe qui fait le contraire, et que ces deux principes sont indépendans l’un de l’autre, et aussi éternels l’un que l’autre[70].

II. Cela se confirme par la raison qu’on ne recourait à cette hypothèse qu’afin d’éviter les embarras[71] qui se rencontrent dans la supposition que le même être qui est la cause du bien soit aussi la cause du mal. Or on ne les eût pas évités, si l’on eût dit qu’Arimanius était une production du bon Dieu ; car la question serait revenue, comment Arimanius, principe du mal, avait pu être produit par une cause infiniment bonne. Chacun comprend que, soit que l’on dise que Dieu produit lui-même tous les maux particuliers, soit que l’on dise qu’il produit Arimanius, qui est ensuite l’auteur nécessaire de tous les maux particuliers[72], cela revient à la même chose, quod est causa causae est causa causati. Ainsi Zoroastre n’eût pu se sauver d’aucune objection, si sa doctrine eût été telle que Shahristâni la rapporte[73]. Disons donc que les Grecs ne lui ont point imposé.

III. Je n’ignore pas qu’on me peut dire qu’ils ont mal connu les opinions des philosophes qu’ils nommaient barbares. Ce qu’ils ont écrit de la nation judaïque et des antiquités d’Égypte n’a rien d’exact. Qu’on répète cela tant qu’on voudra, je répondrai que les écrivains arabes ne sont pas une meilleure caution, quand ils parlent d’un philosophe aussi éloigné de leur temps que l’a été celui-ci.

IV. Je conjecture que ses sectateurs lui ont prêté charitablement, et pour leurs propres intérêts, la création du mauvais principe, et qu’ils en ont usé de la sorte depuis qu’ils ont été soumis à la dure domination des Mahométans, qui les abhorrent et qui les traitent d’idolâtres et d’adorateurs du feu. Ne voulant point s’exposer encore plus à leur haine et à leurs insultes, sous prétexte qu’ils reconnaîtraient une nature incréée et souverainement méchante, et indépendante de Dieu, ils ont trouvé à propos de donner une autre interprétation à cette partie de leur système ; car pour nier absolument qu’il ait admis deux principes, ils ne pourraient pas. On sait trop qu’il les admettait : « Le Tarikh Montekheb dit que Zoroastre, autour de la secte des megiousch ou mages, est aussi le premier qui a enseigné la doctrine des deux principes de toutes choses, et que le surnom de megiousch que l’on lui donne, est un nom corrompu par les Arabes, du mot persien méikhousch, qui signifie aigre-doux, à cause des deux principes bon et mauvais qu’il établissait[74]. Voilà un auteur qui attribue à Zoroastre le premier établissement de ce dogme ; mais M. Hyde nous va donner un passage qui fait ce système beaucoup plus ancien, et qui semble même dire que Zoroastre le réforma : Quod Persarum gentem… ei est religio pervetusta : et in eâ docti vocantur Keiomarsii. Isti statuunt aliquem Deum æternum quæm vocant Yezdân, eo designantes τὸν Θεόν : et alium deum creatum ex tenebris, quem nominant Ahrenam, designantes diabolum. Magnifaciunt lucem, eò usque dum colant ignem : et cavent sibi à tenebris. Nec destiterunt sic facere [75], donec prodiit Zerdusht jactans prophetiam. Asserunt itaque Deum creatorem, quòd scil. creavit lucem et tenebras : eumque esse unicum, nec habere socium. Et quòd bonum et malum, et probitas et improbitas conquisita sunt ex mixtione lucis et tenebrarum : et quòd si hæc duo non fuissent mixta, non extitisset mundus : et, quòd hæc duo hoc modo mixta non desinent, donec bonum approprietur mundo suo, et malum mundo suo ; i. e. utrumque horum tandem concedet ad mundum sibi proprium, scil. in fine mundi..... Et hanc esse religionem magorum[76].

V. Enfin, je dis que M. Hyde reconnaît qu’il y a encore des sectes qui, en admettant comme deux natures coéternelles, Dieu et le diable, sont conformes aux sectateurs de l’Oromaze, et de l’Arimanius de Zoroastre. Voici ses paroles : Dualistae diaboli coœternitatem asserunt. Sunt enim ex Indo-Persis et dualistis manichæis aliisque hæreticis (ut quidam sunt in omni religione), qui opinantur diabolum à seipso processisse, ut loquuntur, i. e. æternum fuisse, et malos angelos sibi creâsse : sed est hæretica opinio, eaque ignorantium quorundam hominum qui peculiariter vocantur… Thanavîa, i. e. Dualistæ seu… domini duorum, scil. assertores seu autores duorum principiorum ; qui (inquit Shahristâni), lucem et tenebras seu Deum et diabolum statuunt duo principia coæterna, in contrarium magorum qui lucem æternam et tenebras creatas ponunt. Isti tales fuerunt, qui Oromazen et Arimanium duos esse deos asserebant, ut Plut., lib. de Iside et Osir.[77]. Il y a des choses bien particulières et bien extravagantes touchant ce système des mages zoroastriens, dans le livre d’un mahométan. Je vais citer ce qui concerne les dualistes qui tiennent encore la coéternité du diable, et qui demandent d’une manière très-importune d’où le mal a pu venir, si le mauvais principe n’est pas éternel. Addit Shahristâni, quòd magusæis peculiaris sit… dualitas, adeò ut statuant… ductores seu gubernatores duos æternos, qui dividuntur in bonum et malum, et probitatem ac improbitatem, emolumentum ac documentum. Horum unus nominatur lux et alter tenebræ, sc. Yezdan seu Deus, et Ahrenam seu diabolus. Eorumque religionem esse sec. hanc divisionem seu distinctionem : et quòd omnes magorum quæstiones vertantur super duobus cardinihus, quorum unus est explicatio causæ mistionis lucis et tenebrarum : et alter est explicatio liberationis lucis à tenebris. Et quidem, quod mistionem statuant… Initium seu statum à quo, et liberationem… Reditum seu statum ad quem. Citons encore ceci Supradictus Shahristani pergit narrare, quòd magi statuant… Principia duo, sicuti dixerat : sed quòd… Magi originales non existiment expedire ut ambo sint… coæterna ab initio ; sed quòd lux sit… æterna ab initio, et tenebræ… productæ. Et quòd tum differant de modo seu causâ productionis ejus ; cùm a luce producitur tantùm lux, quæ non producit ullum malum ; et quomodo ergò productum principium mali aut alius cujusvis rei, cùm nihil adjunctum (seu par fuerit) luci quoad primam ejus productionem et æternitatem[78]. Quelques-uns de ces mages disent qu’Arimanius, ou le mauvais principe, fut créé par une mauvaise pensée qui s’éleva dans l’entendement divin. Cette pensée était, que sera-ce si je n’ai point de querelles ? que peut-on dire de plus abominable ? Serait-il plus blasphématoire de ne donner aucune origine à cet Arimanius que de lui donner celle-là ? Asserentes Yesdân fuisse…… sine initio æternum, et Ahreman fuisse… productum et creatum. Yezdân cogitasse secum, Nisi fuerint mihi controversiæ, quomodo erit ? Hancque cogitationem pravam naturæ lucis minuùs analogam, produxisse tenebras dictas Ahreman, qui naturâ dispositus ad malum et dissidium et improbitatem et noxam et omnia nocumenta : et prodiens contra lucem, eam opposuit tam naturâ (seu facto) quàm dicto[79]. Ils ajoutent qu’il s’éleva une guerre entre l’armée de la lumière et l’armée des ténèbres, qui se termina enfin par un accommodement dont les anges furent médiateurs, et dont les conditions furent que le monde inférieur serait laissé pleinement à Arimanius pendant sept mille ans, après quoi il le restituerait à la lumière. Il avait exterminé avant la paix tous les habitans du monde. La lumière avait appelé les hommes à son secours pendant qu’ils n’étaient encore que des esprits : elle avait fait cela, ou afin de les retirer du pays d’Arimanius, ou afin de leur donner des corps qui combattissent contre cet adversaire. Ils acceptèrent les corps et le combat, à condition d’être assistés par la lumière et de vaincre enfin Arimanius. La résurrection viendra après qu’il aura vaincu. Voilà, concluent-ils[80], quelle fut la cause de la mixion, et quelle sera la cause de la délivrance. Les Grecs n’ont pas ignoré que Zoroastre enseignait la résurrection future[81].

(G) On veut qu’il n’ait pas été idolâtre ni quant au culte du feu, ni quant à celui de Mithra.] M. Hyde assure[82] que les sectateurs de l’ancienne religion des Perses nient qu’ils aient jamais rendu aux astres le culte divin. Ils soutiennent qu’ils n’adorent pas le soleil, et qu’ils se tournent seulement vers cet astre lorsqu’ils prient Dieu. Il a trouvé parmi les préceptes de Zoroastre qu’il faut saluer le soleil et lui donner des éloges, mais non pas qu’il faille le servir religieusement. Il prouve que leurs cérémonies peuvent justement passer pour des honneurs civils, et il fait là-dessus des observations tout-à-fait curieuses. Il applique au feu ce qu’il a dit du soleil ; les révérences et les prostrations des Perses devant le feu sacré n’étaient pas une adoration religieuse, mais seulement civile : Idem quoque dicendum est de eorum cultu ignis, quem (ut suprà tetigimus), imitando Judæos in Pyreis servârunt. Nam quamvis ei exibuerint reverentiam quandam, eamque per prostrationes, hœ tamen non fuerint adoratio divina, sed tantùm civilis, prout se habet mos Orientis erga quosvis magnates, et olim fuit erga angelos tanquam Dei legatos ejus personam repræsentantes ; cujus rei exempla affatim suppetunt non tantùm in Vet. Test, sed et in Novo, ubi fœminæ ad veram fidem conversæ (visis apud Christi sepulchrum angelis), adorârunt procidentes faciebus in terram : idque quamvis probè scirent non esse Deum, sed angelos, ut constat ex verbis earum profitentium se vidisse visionem angelorum[83]. Il conclut[84] que l’on a tort de les nommer idolâtres et adorateurs du feu, et il veut que Zoroastre ait été un instrument pour les faire persévérer dans la vraie foi[85]. C’était un homme qui avait été nourri dans la connaissance du vrai Dieu, et qui l’adora particulièrement dans un antre naturel, où il mit divers symboles qui représentaient le monde. Mithra représentant le soleil y tenait la place du maître. Mais ce n’était point à Mithra, c’était au vrai Dieu qu’il rendait ses adorations : Is cum esset insignis philosophus, religione austerus, et totius matheseos peritissimus, hâc ratione Persas suî admiratione perculit, et suæ doctrinæ attentos reddidit. Præsertim coluit Deum in naturali quodam antro, quod ille Mithriacum effecit et mirificè ac mathematicè comparavit ; ubi scil. Mithra præsidens, hæc inferiora regio modo regens eaque imprœgnans sedebat : adeò ut omnes posteà non tantùm in summis montium jugis antiquissimo more Deum colebant, sed et subindè illius exemplo, sacra sua Mithriaca in tali antro præstare et peragere didicerunt. In eo erant Mithræ et hujus mundi symbolica philosophicè et mathematicè spectanda et contemplanda, non autem colenda ; quâ itaque in re falluntur autores : nam Persæ tunc talia simulachra non colebant[86]. Consultez ce savant homme, au chapitre IV de son ouvrage, vous y trouverez, entre autres belles éruditions, ces paroles de Porphyre : Referente Eubulo, Zoroastres primus omnium in montibus Persidi vicinis antrum nativum, floridum, fontibusque irriguum in honorem. Creatoris, et omnium patris Mithræ, consecravit : ita ut antrum conditi à Mithrâ mundi figuram ei repræsentaret : ea verò quæ intra antrum, erant certis invicem intervallis disposita, ut elementorum climatumque mundanorum symbola seu figuras gererent[87].

Vous remarquerez, s’il vous plaît, qu’il y a dans cet ouvrage de M. Hyde quelques observations qui peuvent être officieuses aux jésuites, dans le procès qu’on leur fait touchant les honneurs de Confucius, qu’ils soutiennent n’être que civils. Le père le Comte qu’on a tant blâmé pour avoir dit que la vraie religion, ou la connaissance du vrai Dieu, a subsisté dans la Chine pendant plusieurs siècles[88], trouvera un bon second dans ce docte professeur d’Oxford.

(H) Bien des gens croient que tous les ouvrages qui ont couru sous le nom de Zoroastre… sont supposés. M. Hyde n’est pas de ce sentiment. ] Suidas assure que l’on avait quatre livres de Zoroastre περὶ ϕύσεως, de Naturâ ; un livre περὶ λίθων τιμίων, de Gemmis, et cinq livres d’astrologie judiciaire, Ἀςεροσκοπικά, ἀποτελέσματικὰ, Prædictiones ex inspectione stellarum[* 4]. Il est fort apparent que ce que Pline rapporte sous la citation de Zoroastre[89] avait été pris de ces livres-là. Eusèbe[90] cite un passage qui contient une magnifique description de Dieu, et il le donne pour les propres termes de Zoroastre, ἐν τῇ ἱερᾷ συναγώγῃ τῶν Περσικῶν, in sacro Persicorum rituum Commentario. Je ne vois personne qui ne croie que Clëment d’Alexandrie a dit que les sectateurs de Prodicus se vantaient d’avoir les livres occultes de Zoroastre[91]. Mais peut-être que ses paroles ont un autre sens, et signifient qu’ils se vantaient d’avoir les livres occultes de Pythagoras. On a imprimé en dernier lieu, avec les vers des sibylles, à Amsterdam, 1689, selon l’édition d’Opsopéus, Oracula magica Zoroastris, cum Scholiis Plethonis et Pselli. Ces prétendus oracles magiques ne contiennent pas deux pages. Voici le jugement de M. Huet sur tous les livres, en général, qui ont couru sous le nom de Zoroastre. Il les traite tous de supposés. Ex cujus (Zoroastris) famâ et existimatione provenit eorum fallacia, qui sub ejus nomine oracula quædam magica græcè scripta incautis obtruserunt. Edita illa sunt cum Pselli et Plethonis scholiis : sed si nares admoveris, fraus subolebit. Vetustiora quidem illa sunt, nihilo lumen γνησιῶτερα (sinceriora) oracula, quæ Cræsi temporibus extitisse narrat [* 5] Nicolaüs Damascenus. Insinceros quoque eos dixerim libros, quos chaldaicè scriptos, et chaldaicis commentariis illustratos, et effata ac sententias complexos Johannem Picunt habuisse ferunt ; insincerum et librum Zind, mihi de nomine solum cognitum, quo ritus magicos, et ignis colendi disciplinam aiunt caontineri… Insinceros et quos Hermippus, Plinio teste, ducentis versuum millibus sub Zoroastris nomine conditos indicibus quoque positis ex planavit. Ex iisdem falsariorum incudibus profectus est suprà memoratus Persicarum legum codex Zundavastaw, quem vetustissimum tamen conjicio, et eumdem fortassè, qui ab [* 6] Eusebio Collectio sacra Persicarum rerum appellatur. Indidem profectus et quam se in arsanis habere jactabant, qui Prodici Philosophi doctrinam sectabantur, ut est apud [* 7] Clementem Alexandrinum ; indidem et quos commemorat [* 8] Suidas ; et qui de magiâ, Zoroastris nomine, scripti circumferebantur, ut habet [* 9] auctor recognitionum ; et quem tradit auctor astrologiæ cujusdam Persicœ, ebraicè redditæ, ab eo lucubratum, et regnum Dei fuisse inscriptum, et manibus Persarum assiduè gestari esse solitum [92]. M. Huet ajoute[93] que Porphyre[94] a reproché aux chrétiens la supposition de beaucoup d’ouvrages, et qu’il se vante d’avoir prouvé que l’Apocalypse de Zoroastre était du nombre de ces livres-là.

M. Hyde reconnaît que les anciens hérétiques ont allégué faussement, sous le nom de Zoroastre, quelques prophéties touchant Jésus-Christ ; mais il prétend qu’ils n’eurent cette hardiesse que parce qu’ils n’ignoraient pas qu’il y avait de légitimes écrits de Zoroastre qui contenaient de ces prophéties[95]. Il croit[96] que Dieu avait révélé à Zoroastre l’avénement du Messie, et que Zoroastre inséra dans ses ouvrages cette merveilleuse révélation. Il regarde comme un véritable écrit de cet homme le Zundavastaw, que M. Huet rejette : il en donne le vrai titre et l’analyse ; et il est persuadé[97] que les compositions de cet auteur furent faites en ancien persan, et qu’elles se sont conservées jusqu’à ce temps-ci.

  1. * L’auteur des observations insérées dans la Bibl. franç., tome XXX, page 22, dit que les variations sur le siècle de Zoroastre se montent tout au plus à six, c’est-à-dire qu’on ne marque que six époques bien distinctes les unes des autres ; et il les explique par l’existence de plusieurs Zoroastres, dont on ne voulait faire qu’un seul personnage. Joly renvoie à Fabricius, qui a parlé amplement de Zoroastre dans la Bibl. Græca, livre I, chapitre 36.
  2. (*) In Floridis.
  3. (*) Porphyr. Vit. Pythagoræ.
  4. * Citation de Suidas. — In voce Ζωροάςρης.
  5. (*) NicoL Damasc., Hist., l. 7, in Exc. Const. Porphyr.
  6. (*) Eus., Præp. evangel., l. 1.
  7. (*) Clem. Alex. Strom. i.
  8. (*) Suidas in ζωροαςρης.
  9. (*) Auct. Recogn. l. 4, c. 27.
  1. Justin., lib. I, cap. I.
  2. Theo, in Progym. cap. IX, pag. m. 112.
  3. Diodor. Sicul., lib. II, cap. VI.
  4. Nommé Céphalion ; il vivait sous Hadrien. Voyez Marsham, ubi infrà.
  5. Syncellus, page 167, apud Marsham, Chron. Can., ad sæcul. IX, Pag. m. 144.
  6. Propert., eleg. X, lib. III.
  7. Thomas Stanleius, Hist. Philos, oriental., lib. I. cap. III, page 10, ex versione Jo. Clerici.
  8. Arnob., lib. I, pag. m. 5.
  9. Cujus (magiæ) scientiæ seculis priscis multa ex Chaldæorum arcanis Bactrianus addidit Zoroastres. Amm. Marcel., lib. XXIII, cap. VI, pag. m. 374.
  10. Plinius, lib. XXX, cap. I, pag. m. 725.
  11. Magicarum artium fuisse perhibetur inventor (Zoroastres) Augustin, de Civitat. Dei, lib. XXI, cap. XIV.
  12. Orosius, lib. I, cap. IV.
  13. Apuleius, Apolog. page m. 331.
  14. Diod. Sicul., lib. II, cap. IV et seq.
  15. Henr. Valen. Is Amm. Marcel, l. XXIII, pag. m. 374.
  16. Vossius, de Orig. Idolol., lib. I, cap. V, pag. m. 33.
  17. Arnob., lib. I, pag. m. 31.
  18. Dans la remarque précédente, citat. (10).
  19. Apud Diogen. Laertius, in Proœm. num. 2.
  20. Plut. de Iside, pag. 369.
  21. Plinius, lib. XXX, cap. I, pag. 725.
  22. Apud Diogen. Laërtium, in Proœm., n. 2.
  23. Plato, de Republ., lib. X, pag. 361.
  24. Pag. 361 et seq.
  25. Clem. Alexand. Strom., lib. V, pag. 599.
  26. Conférez ce qui a été dit de Pythagoras, tome XII, pag. 132, remarque (F) de son article.
  27. Arnob., lib. I, page 31.
  28. Henr. Valesius, in Ammian. Marcellin., lib. XXIII, pag. 374.
  29. Plinius, lib. XXX, cap. I, pag. 726.
  30. Marsham, Chron. Can., ad sæcul. IX, page m. 145.
  31. Porphyr., περὶ ἀποχῆς, lib. IV, num. 15, apud Marsham, ibid. M. de Valois, in Ammian. Marcellin., lib. XXIII, pag. 374, prétend que cet éloge fut gravé sur le tombeau de Darius, et non pas sur celui d’Hystaspe.
  32. Ammian. Marcellin., lib. XXIII, pag. m. 374.
  33. Lactant., lib. VII, cap. XV, pag. m. 492. Dans le chapitre XXVIII du même livre, il rapporte un passage de cet Hydaspe.
  34. Justinius, apolog. II, pag. 66.
  35. Idem, ibidem, page 82.
  36. Voyez de quelle manière Clément d’Alexandrie, Strom., lib. VI, pag. 636, D, en parle.
  37. Herod., lib. I, cap. CCIX.
  38. Hadrian. Valerius in Ammian. Marcellin., lib. XXII, page 374.
  39. Ci-dessus, citation (25) de l’article Pithagoras, tome XII, page 130.
  40. Thomas Stanleius, Hist. Philosophiæ orientalis, lib. I, cap. II, pag. 8 et 9.
  41. Inter captivos Cambysæ regis, Ægyptum cuùm adveheretur (Pythagoras). Apul. Flor., pag. m. 351.
  42. Herod., lib. III, cap. XLIV.
  43. Gregor. Turon., Hist. Francorum, lib. I, cap. V : je me sers de la version de M. l’abbé de Marolles.
  44. Plato, in Alcibiade I, pag. 441, C.
  45. Stanleius, Hist. Philosoph. orientalis, pag. 11.
  46. Brissonius, de Regno Persarum, lib. II, pag. 178 et seq., edit. Commel., 1595.
  47. Jul. Cæsar Bullengerus, Eclog. ad Arnobium, pag. 346 et seq.
  48. Naudé, Apologie des grands Hommes, p. 134 et suiv.
  49. Plut, de Iside et Osiride, pag. 369 ; je me sers de la version d’Amyot.
  50. Il fallait dire cinq mille, car le grec de Plutarque porte, ὃν πεντακισχιλίους ἔτεσι τών Τρωἲκῶν γεγονέναι πρεσϐύτερον ἱστοροῦσι.
  51. Ce qui manque ici se voit ci-dessus, article Manichéens, tome X, page 192, remarque (C), au premier alinéa.
  52. C’est-à-dire les Perses.
  53. Ci-dessus, remarque (B) de l’article Manichéens, tom. X, pag. 189.
  54. Voyez Diogène Laërce, in Proœ mio, num. 8, et Agathias, Histor., lib. II.
  55. Ἡ μὲν οὖν μάγων μυθολογία τοιοῦτον ἔχει τρόπον. Hoc modo se habent magorum fabulæ. Plut, de laide, pag. 370. B.
  56. Voyez ci-dessus, article Manichéens, rem. (C), tom. X, pag. 191, etc ; Pauliciens, citat. (67) ; article Périclès, citat. (71).
  57. Plut., ibidem, pag. 370, F.
  58. Plut., de Creat. Animæ, pag. 1014, 1015, version d’Amyot.
  59. C’est-à-dire Platon.
  60. Voyez ci-dessus, remarque (T) de l’article Chrysippe, philosophe, tom. V, pag. 182 ; et remarque (L) de l’article Pauliciens, tom. XI, pag. 502.
  61. Dans la remarque suivante.
  62. Nouvelles de la République des Lettres, mois de février 1701, art. III ; et mois de mars 1701, art. I.
  63. Professeur aux langues orientales dans l’université d’Oxford.
  64. Thomas Hyde, Hist. Religionis veter. Persarum, cap. IX, pag. 161.
  65. Dans la rem. (E), citat. (50).
  66. Idem, ibid., cap. XXI, pag. 275.
  67. Idem, ibid., cap. XXII, pag. 290.
  68. Shahristâni, apud Hyde, ubi suprà, pag. 299. On n’imprime point les mot arabes qui sont dans ce passage de M. Hyde, aux endroits où il a mis deux ou trois points. Ceci sera pratiqué de même dans les passages de M. Hyde, cités ci-dessous.
  69. Conférez ce que dessus, article Chrysippe, philosophe, tom. V, pag. 181 rem. (T) ; et art. Pauliciens, rem. (I), tom. XI, pag. 499, au troisième alinéa.
  70. M. Hyde convient que ceux dont Plutarque parle enseignaient cela. Voyez ci-dessus citation (77).
  71. Voyez Plutarque, dans le passage qui a été cité dans l’article Manichéens, tome X, page 192, citation (28), et dans la remarque précédente de ce présent article.
  72. La lumière et les ténèbres sont des causes qui agissent nécessairement et sans nulle liberté.
  73. Ci-dessus, citation (68).
  74. Herbelot, Biblioth. orientale, page 931, col. 1.
  75. Ceci semble signifier que Zoroastre mit fin à ces choses.
  76. Ibn Shahna, in libro de Primis et Postremis, apud Hyde, Hist. Relig. vet. Persar., cap. IX, pag. 164.
  77. Idem, ibidem, pag. 164.
  78. Idem, ibid., cap. XXII, pag. 295, citant le livre de Shahristâni, de Religionibus Orientis.
  79. Ibn Shahua, in libro de Primis et Postremis, apud Hyde, Hist. Relig. vet Persar, cap. XXII, pag. 295, citant le livre de Shahristâni, de Religionibus Orientis.
  80. Ejusmodi fuisse causam mistionis hanc verò causam liberationis. Idem, ibid., pag. 206.
  81. Voyez ce que Diogène Laërce, in Proœmio. num. 8, rapports de la doctrine des mages.
  82. Hyde, Hist. Relig. vet. Persar. cap. I, pag. 5.
  83. Idem, ibidem, pag. 10.
  84. Idem, ibidem, pag. 24. Voyez aussi page 22.
  85. Idem, ibidem, pag. 16.
  86. Idem, ibidem.
  87. Porphyr., de Nympharum Antro, apud Hyde, ibidem, cap. IV, pag. 118.
  88. La Sorbonne condamna cette proposition le 18 d’octobre 1700.
  89. Plinius, lib. XVIII, cap. XXIV, pag. m. 502 ; et libro XXXVII, cap. X, pages 407, 410, 412.
  90. Euseb., Præparat. evangel., lib. I, sub fin., pag. 43.
  91. Clem. Alexandrin. Strom., lib. I, p. 304.
  92. Huet, Demonst. evangel., pag. 160.
  93. Idem, ibidem, pag. 160.
  94. Porphyr., in Vitâ Plotini.
  95. Hyde, Hist. Relig. Vet. Persar., in epist. dedicat. Voyez aussi chapitre XXVI, pages 340, 341.
  96. Idem, cap. XXXI, pag. 382 et seq.
  97. Voyez sa Préface.

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