Dictionnaire philosophique/Garnier (1878)/Index alphabétique/R
Dans le temps que toute la France était folle du système de Lass[2] et qu’il était contrôleur général, un homme qui avait toujours raison vint lui dire, en présence d’une grande assemblée :
« Monsieur, vous êtes le plus grand fou, le plus grand sot, ou le plus grand fripon qui ait encore paru parmi nous ; et c’est beaucoup dire : voici comme je le prouve. Vous avez imaginé qu’on peut décupler les richesses d’un État avec du papier ; mais ce papier ne pouvant représenter que l’argent, représentatif des vraies richesses, qui sont les productions de la terre et des manufactures, il faudrait que vous eussiez commencé par nous donner dix fois plus de blé, de vin, de drap et de toile, etc. Ce n’est pas assez, il faudrait être sûr du débit. Or vous faites dix fois plus de billets que nous n’avons d’argent et de denrées ; donc vous êtes dix fois plus extravagant, ou plus inepte, ou plus fripon, que tous les contrôleurs ou surintendants qui vous ont précédé. Voici d’abord comme je prouve ma majeure. »
À peine avait-il commencé sa majeure qu’il fut conduit à Saint-Lazare.
Quand il fut sorti de Saint-Lazare, où il étudia beaucoup et où il fortifia sa raison, il alla à Rome ; il demanda une audience publique au pape, à condition qu’on ne l’interromprait point dans sa harangue ; et il lui parla en ces termes :
« Saint-père, vous êtes un antechrist, et voici comme je le prouve à Votre Sainteté. J’appelle antechrist ou antichrist, selon la force du mot, celui qui fait tout le contraire de ce que le Christ a fait et commandé. Or le Christ a été pauvre, et vous êtes très-riche ; il a payé le tribut, et vous exigez des tributs ; il a été soumis aux puissances, et vous êtes devenu puissance ; il marchait à pied, et vous allez à Castel-Gandolfe dans un équipage somptueux ; il mangeait tout ce qu’on voulait bien lui donner, et vous voulez que nous mangions du poisson le vendredi et le samedi, quand nous habitons loin de la mer et des rivières ; il a défendu à Simon Barjone de se servir de l’épée, et vous avez des épées à votre service, etc., etc., etc. Donc en ce sens Votre Sainteté est antechrist. Je vous révère fort en tout autre sens, et je vous demande une indulgence in articulo mortis. »
On mit mon homme au château Saint-Ange.
Quand il fut sorti du château Saint-Ange, il courut à Venise, et demanda à parler au doge.
« Il faut, lui dit-il, que Votre Sérénité soit un grand extravagant d’épouser tous les ans la mer : car, premièrement, on ne se marie qu’une fois avec la même personne ; secondement, votre mariage ressemble à celui d’Arlequin, lequel était à moitié fait, attendu qu’il ne manquait que le consentement de la future : troisièmement, qui vous a dit qu’un jour d’autres puissances maritimes ne vous déclareraient pas inhabile à consommer le mariage ? »
Il dit, et on l’enferma dans la tour de Saint-Marc.
Quand il fut sorti de la tour de Saint-Marc, il alla à Constantinople ; il eut audience du mufti, et lui parla en ces termes :
« Votre religion, quoiqu’elle ait de bonnes choses, comme l’adoration du grand Être, et la nécessité d’être juste et charitable, n’est d’ailleurs qu’un réchauffé du judaïsme, et un ramas ennuyeux de contes de ma mère-l’oie. Si l’archange Gabriel avait apporté de quelque planète les feuilles du Koran à Mahomet, toute l’Arabie aurait vu descendre Gabriel ; personne ne l’a vu : donc Mahomet n’était qu’un imposteur hardi qui trompa des imbéciles. »
À peine avait-il prononcé ces paroles qu’il fut empalé. Cependant il avait eu toujours raison.
Rare en physique est opposé à dense. En morale, il est opposé à commun.
Ce dernier rare est ce qui excite l’admiration. On n’admire jamais ce qui est commun, on en jouit.
Un curieux se préfère au reste des chétifs mortels, quand il a dans son cabinet une médaille rare qui n’est bonne à rien, un livre rare que personne n’a le courage de lire, une vieille estampe d’Albert Dure[4] mal dessinée et mal empreinte ; il triomphe s’il a dans son jardin un arbre rabougri venu d’Amérique. Ce curieux n’a point de goût ; il n’a que de la vanité. Il a ouï dire que le beau est rare ; mais il devrait savoir que tout rare n’est point beau.
Le beau est rare dans tous les ouvrages de la nature, et dans ceux de l’art.
Quoiqu’on ait dit bien du mal des femmes, je maintiens qu’il est plus rare de trouver des femmes parfaitement belles que de passablement bonnes.
Vous rencontrerez dans les campagnes dix mille femmes attachées à leur ménage, laborieuses, sobres, nourrissant, élevant, instruisant leurs enfants ; et vous en trouverez à peine une que vous puissiez montrer aux spectacles de Paris, de Londres, de Naples, ou dans les jardins publics, et qu’on puisse regarder comme une beauté.
De même, dans les ouvrages de l’art, vous avez dix mille barbouillages contre un chef-d’œuvre.
Si tout était beau et bon, il est clair qu’on n’admirerait plus rien ; on jouirait. Mais aurait-on du plaisir en jouissant ? C’est une grande question.
Pourquoi les beaux morceaux du Cid, des Horaces, de Cinna, eurent-ils un succès si prodigieux ? C’est que dans la profonde nuit où l’on était plongé, on vit briller tout à coup une lumière nouvelle que l’on n’attendait pas : c’est que ce beau était la chose du monde la plus rare.
Les bosquets de Versailles étaient une beauté unique dans le monde, comme l’étaient alors certains morceaux de Corneille. Saint-Pierre de Rome est unique, et on vient du bout du monde s’extasier en le voyant.
Mais supposons que toutes les églises de l’Europe égalent Saint-Pierre de Rome, que toutes les statues soient des Vénus de Médicis, que toutes les tragédies soient aussi belles que l’Iphigénie de Racine, tous les ouvrages de poésie aussi bien faits que l’Art poétique de Boileau, toutes les comédies aussi bonnes que le Tartuffe, et ainsi en tout genre ; aurez-vous alors autant de plaisir à jouir des chefs-d’œuvre rendus communs, qu’ils vous en faisaient goûter quand ils étaient rares ? Je dis hardiment que non ; et je crois qu’alors l’ancienne école a raison, elle qui l’a si rarement : Ab assuetis non fit passio, habitude ne fait point passion.
Mais, mon cher lecteur, en sera-t-il de même dans les œuvres de la nature ? Serez-vous dégoûté si toutes les filles sont belles comme Hélène ; et vous, mesdames, si tous les garçons sont des Pâris ? Supposons que tous les vins soient excellents, aurez-vous moins d’envie de boire ? Si les perdreaux, les faisandeaux, les gelinottes, sont communs en tout temps, aurez-vous moins d’appétit ? Je dis encore hardiment que non, malgré l’axiome de l’école, habitude ne fait point passion ; et la raison, vous la savez, c’est que tous les plaisirs que la nature nous donne sont des besoins toujours renaissants, des jouissances nécessaires, et que les plaisirs des arts ne sont pas nécessaires. Il n’est pas nécessaire à l’homme d’avoir des bosquets où l’eau jaillisse jusqu’à cent pieds de la bouche d’une figure de marbre, et d’aller au sortir de ces bosquets voir une belle tragédie. Mais les deux sexes sont toujours nécessaires l’un à l’autre. La table et le lit sont nécessaires. L’habitude d’être alternativement sur ces deux trônes ne vous dégoûtera jamais.
Quand les petits Savoyards montrèrent pour la première fois la rareté, la curiosité, rien n’était plus rare en effet. C’était un chef-d’œuvre d’optique inventé, dit-on, par Kircher ; mais cela n’était pas nécessaire, et il n’y a plus de fortune à espérer dans ce grand art.
On admira dans Paris un rhinocéros, il y a quelques années. S’il y avait dans une province dix mille rhinocéros, on ne courrait après eux que pour les tuer. Mais qu’il y ait cent mille belles femmes, on courra toujours après elles pour les.... honorer.
J’ai connu dans mon enfance un chanoine de Péronne, âgé de quatre-vingt-douze ans, qui avait été élevé par un des plus furieux bourgeois de la Ligue. Il disait toujours : Feu monsieur de Ravaillac. Ce chanoine avait conservé plusieurs manuscrits très-curieux de ces temps apostoliques, quoiqu’ils ne fissent pas beaucoup d’honneur à son parti ; en voici un qu’il laissa à mon oncle.
L’UN DES DEUX CONFESSEURS DE RAVAILLAC.
Dieu merci, mon cher enfant, Ravaillac est mort comme un saint. Je l’ai entendu en confession ; il s’est repenti de son péché, et a fait un ferme propos de n’y plus retomber. Il voulait recevoir la sainte communion ; mais ce n’est pas ici l’usage comme à Rome : sa pénitence lui en a tenu lieu, et il est certain qu’il est en paradis.
Lui, en paradis ? dans le jardin ? lui ! ce monstre !
Oui, mon bel enfant, dans le jardin, dans le ciel, c’est la même chose.
Je le veux croire ; mais il a pris un mauvais chemin pour y arriver.
Vous parlez en jeune huguenot. Apprenez que ce que je vous dis est de foi. Il a eu l’attrition ; et cette attrition, jointe au sacrement de confession, opère immanquablement salvation, qui mène droit en paradis, où il prie maintenant Dieu pour vous.
Je ne veux point du tout qu’il parle à Dieu de moi. Qu’il aille au diable avec ses prières et son attrition !
Dans le fond c’était une bonne âme. Son zèle l’a emporté, il a mal fait ; mais ce n’était pas en mauvaise intention. Car dans tous ses interrogatoires il a répondu qu’il n’avait assassiné le roi que parce qu’il allait faire la guerre au pape, et que c’était la faire à Dieu. Ses sentiments étaient fort chrétiens. Il est sauvé, vous dis-je ; il était lié, et je l’ai délié.
Ma foi, plus je vous écoute, plus vous me paraissez un homme à lier vous-même. Vous me faites horreur.
C’est que vous n’êtes pas encore dans la bonne voie : vous y serez un jour. Je vous ai toujours dit que vous n’étiez pas loin du royaume des cieux ; mais le moment n’est pas encore venu.
Le moment ne viendra jamais de me faire croire que vous avez envoyé Ravaillac en paradis.
Dès que vous serez converti, comme je l’espère, vous le croirez comme moi ; mais en attendant, sachez que vous et le duc de Sully, votre maître, vous serez damnés à toute éternité avec Judas Iscariote et le mauvais riche, tandis que Ravaillac est dans le sein d’Abraham.
Comment, coquin !
Point d’injures, petit fils ; il est défendu d’appeler son frère raca. On est alors coupable de la gehenne ou gehenne du feu. Souffrez que je vous endoctrine sans vous fâcher.
Va, tu me parais si raca que je ne me fâcherai plus.
Je vous disais donc qu’il est de foi que vous serez damné ; et malheureusement notre cher Henri IV l’est déjà, comme la Sorbonne l’avait toujours prévu.
Mon cher maître damné ! attends, attends, scélérat ; un bâton, un bâton !
Calmez-vous, petit fils, vous m’avez promis de m’écouter patiemment. N’est-il pas vrai que le grand Henri est mort sans confession ? N’est-il pas vrai qu’il était en péché mortel, étant encore amoureux de Mme la princesse de Condé, et qu’il n’a pas eu le temps de demander le sacrement de pénitence. Dieu ayant permis qu’il ait été frappé à l’oreillette gauche du cœur, et que le sang l’ait étouffé en un instant ? Vous ne trouverez assurément aucun bon catholique qui ne vous dise les mêmes vérités que moi.
Tais-toi, maître fou : si je croyais que tes docteurs enseignassent une doctrine si abominable, j’irais sur-le-champ les brûler dans leurs loges.
Encore une fois, ne vous emportez pas, vous l’avez promis. Monseigneur le marquis de Conchini, qui est un bon catholique, saurait bien vous empêcher d’être assez sacrilége pour maltraiter mes confrères.
Mais en conscience, maître Filesac, est-il bien vrai que l’on pense ainsi dans ton parti ?
Soyez-en très-sûr ; c’est notre catéchisme.
Écoute, il faut que je t’avoue qu’un de tes sorboniqueurs m’avait presque séduit l’an passé. Il m’avait fait espérer une pension sur un bénéfice. « Puisque le roi, me disait-il, a entendu la messe en latin, vous, qui n’êtes qu’un petit gentilhomme, vous pourriez bien l’entendre aussi sans déroger. Dieu a soin de ses élus ; il leur donne des mitres, des crosses, et prodigieusement d’argent. Vos réformés vont à pied et ne savent qu’écrire. » Enfin, j’étais ébranlé ; mais après ce que tu viens de me dire, j’aimerais cent fois mieux me faire mahométan que d’être de ta secte.
Ce page avait tort. On ne doit point se faire mahométan parce qu’on est affligé ; mais il faut pardonner à un jeune homme sensible et qui aimait tant Henri IV. Maître Filesac parlait suivant sa théologie, et le petit page selon son cœur.
Les épicuriens, qui n’avaient nulle religion, recommandaient l’éloignement des affaires publiques, l’étude et la concorde. Cette secte était une société d’amis, car leur principal dogme était l’amitié. Atticus, Lucrèce, Memmius, et quelques hommes de cette trempe, pouvaient vivre très-honnêtement ensemble, et cela se voit dans tous les pays. Philosophez tant qu’il vous plaira entre vous. Je crois entendre des amateurs qui se donnent un concert d’une musique savante et raffinée ; mais gardez-vous d’exécuter ce concert devant le vulgaire ignorant et brutal ; il pourrait vous casser vos instruments sur vos têtes. Si vous avez une bourgade à gouverner, il faut qu’elle ait une religion.
Je ne parle point ici de la nôtre ; elle est la seule bonne, la seule nécessaire, la seule prouvée, et la seconde révélée.
Aurait-il été possible à l’esprit humain, je ne dis pas d’admettre une religion qui approchât de la nôtre, mais qui fût moins mauvaise que toutes les autres religions de l’univers ensemble ? et quelle serait cette religion ?
Ne serait-ce point celle qui nous proposerait l’adoration de l’Être suprême, unique, infini, éternel, formateur du monde, qui le meut et le vivifie, cui nec simile nec secundum[7] ; celle qui nous réunirait à cet Être des êtres pour prix de nos vertus, et qui nous en séparerait pour le châtiment de nos crimes ?
Celle qui admettrait très-peu de dogmes inventés par la démence orgueilleuse, éternels sujets de dispute ; celle qui enseignerait une morale pure, sur laquelle on ne disputât jamais ?
Celle qui ne ferait point consister l’essence du culte dans de vaines cérémonies, comme de vous cracher dans la bouche, ou de vous ôter un bout de votre prépuce, ou de vous couper un testicule, attendu qu’on peut remplir tous les devoirs de la société avec deux testicules et un prépuce entier, et sans qu’on vous crache dans la bouche ?
Celle de servir son prochain pour l’amour de Dieu, au lieu de le persécuter, de l’égorger au nom de Dieu ; celle qui tolérerait toutes les autres, et qui, méritant ainsi la bienveillance de toutes, serait seule capable de faire du genre humain un peuple de frères ?
Celle qui aurait des cérémonies augustes dont le vulgaire serait frappé, sans avoir des mystères qui pourraient révolter les sages et irriter les incrédules ?
Celle qui offrirait aux hommes plus d’encouragement aux vertus sociales que d’expiations pour les perversités ?
Celle qui assurerait à ses ministres un revenu assez honorable pour les faire subsister avec décence, et ne leur laisserait jamais usurper des dignités et un pouvoir qui pourraient en faire des tyrans ? Celle qui établirait des retraites commodes pour la vieillesse et pour la maladie, mais jamais pour la fainéantise ?
Une grande partie de cette religion est déjà dans le cœur de plusieurs princes, et elle sera dominante dès que les articles de paix perpétuelle que l’abbé de Saint-Pierre a proposés seront signés de tous les potentats.
Je méditais cette nuit ; j’étais absorbé dans la contemplation de la nature ; j’admirais l’immensité, le cours, les rapports de ces globes infinis que le vulgaire ne sait pas admirer.
J’admirais encore plus l’intelligence qui préside à ces vastes ressorts. Je me disais : « Il faut être aveugle pour n’être pas ébloui de ce spectacle ; il faut être stupide pour n’en pas reconnaître l’auteur ; il faut être fou pour ne pas l’adorer. Quel tribut d’adoration dois-je lui rendre ? Ce tribut ne doit-il pas être le même dans toute l’étendue de l’espace, puisque c’est le même pouvoir suprême qui règne également dans cette étendue ? Un être pensant qui habite dans une étoile de la voie lactée ne lui doit-il pas le même hommage que l’être pensant sur ce petit globe où nous sommes ? La lumière est uniforme pour l’astre de Sirius et pour nous ; la morale doit être uniforme. Si un animal sentant et pensant dans Sirius est né d’un père et d’une mère tendres qui aient été occupés de son bonheur, il leur doit autant d’amour et de soins que nous en devons ici à nos parents. Si quelqu’un dans la voie lactée voit un indigent estropié, s’il peut le soulager et s’il ne le fait pas, il est coupable envers tous les globes. Le cœur a partout les mêmes devoirs : sur les marches du trône de Dieu, s’il a un trône ; et au fond de l’abîme, s’il est un abîme. »
J’étais plongé dans ces idées, quand un de ces génies qui remplissent les intermondes descendit vers moi. Je reconnus cette même créature aérienne qui m’avait apparu autrefois pour m’apprendre combien les jugements de Dieu diffèrent des nôtres, et combien une bonne action est préférable à la controverse[9].
Il me transporta dans un désert tout couvert d’ossements entassés ; et entre ces monceaux de morts il y avait des allées d’arbres toujours verts, et au bout de chaque allée un grand homme d’un aspect auguste, qui regardait avec compassion ces tristes restes.
« Hélas ! mon archange, lui dis-je, où m’avez-vous mené ?
— À la désolation, me répondit-il.
— Et qui sont ces beaux patriarches que je vois immobiles et attendris au bout de ces allées vertes, et qui semblent pleurer sur cette foule innombrable de morts ?
— Tu le sauras, pauvre créature humaine, me répliqua le génie des intermondes ; mais auparavant il faut que tu pleures. »
Il commença par le premier amas.
« Ceux-ci, dit-il, sont les vingt-trois mille Juifs qui dansèrent devant un veau, avec les vingt-quatre mille qui furent tués sur des filles madianites. Le nombre des massacrés pour des délits ou des méprises pareilles se monte à près de trois cent mille.
« Aux allées suivantes sont les charniers des chrétiens égorgés les uns par les autres pour des disputes métaphysiques. Ils sont divisés en plusieurs monceaux de quatre siècles chacun. Un seul aurait monté jusqu’au ciel ; il a fallu les partager.
— Quoi ! m’écriai-je, des frères ont traité ainsi leurs frères, et j’ai le malheur d’être dans cette confrérie !
— Voici, dit l’esprit, les douze millions d’Américains tués dans leur patrie parce qu’ils n’avaient pas été baptisés.
— Eh, mon Dieu ! que ne laissiez-vous ces ossements affreux se dessécher dans l’hémisphère où leurs corps naquirent, et où ils furent livrés à tant de trépas différents ? Pourquoi réunir ici tous ces monuments abominables de la barbarie et du fanatisme ?
— Pour t’instruire.
— Puisque tu veux m’instruire, dis-je au génie, apprends-moi s’il y a eu d’autres peuples que les chrétiens et les Juifs à qui le zèle et la religion malheureusement tournée en fanatisme aient inspiré tant de cruautés horribles.
— Oui, me dit-il ; les mahométans se sont souillés des mêmes inhumanités, mais rarement ; et lorsqu’on leur a demandé amman, miséricorde, et qu’on leur a offert le tribut, ils ont pardonné. Pour les autres nations, il n’y en a aucune depuis l’existence du monde qui ait jamais fait une guerre purement de religion. Suis-moi maintenant. »
Je le suivis.
Un peu au delà de ces piles de morts nous trouvâmes d’autres piles : c’étaient des sacs d’or et d’argent, et chacune avait son étiquette : « Substance des hérétiques massacrés au xviiie siècle, au xviie, au xvie, » et ainsi en remontant : « Or et argent des Américains égorgés, etc., etc. » Et toutes ces piles étaient surmontées de croix, de mitres, de crosses, de tiares enrichies de pierreries.
« Quoi ! mon génie, ce fut donc pour avoir ces richesses qu’on accumula ces morts ?
— Oui, mon fils. »
Je versai des larmes ; et quand j’eus mérité par ma douleur qu’il me menât au bout des allées vertes, il m’y conduisit.
« Contemple, me dit-il, les héros de l’humanité qui ont été les bienfaiteurs de la terre, et qui se sont tous réunis à bannir du monde, autant qu’ils l’ont pu, la violence et la rapine. Interroge-les. »
Je courus au premier de la bande ; il avait une couronne sur la tête, et un petit encensoir à la main ; je lui demandai humblement son nom.
« Je suis Numa Pompilius, me dit-il ; je succédai à un brigand, et j’avais des brigands à gouverner : je leur enseignai la vertu et le culte de Dieu ; ils oublièrent après moi plus d’une fois l’un et l’autre ; je défendis qu’il y eût dans les temples aucun simulacre, parce que la Divinité qui anime la nature ne peut être représentée. Les Romains n’eurent sous mon règne ni guerres ni séditions, et ma religion ne fit que du bien. Tous les peuples voisins vinrent honorer mes funérailles, ce qui n’est arrivé qu’à moi. »
Je lui baisai la main, et j’allai au second ; c’était un beau vieillard d’environ cent ans, vêtu d’une robe blanche : il mettait le doigt médium sur sa bouche, et de l’autre main il jetait des fèves derrière lui. Je reconnus Pythagore. Il m’assura qu’il n’avait jamais eu de cuisse d’or, et qu’il n’avait point été coq ; mais qu’il avait gouverné les Crotoniates avec autant de justice que Numa gouvernait les Romains, à peu près de son temps, et que cette justice était la chose du monde la plus nécessaire et la plus rare. J’appris que les pythagoriciens faisaient leur examen de conscience deux fois par jour. Les honnêtes gens ! et que nous sommes loin d’eux ! Mais nous, qui n’avons été pendant treize cents ans que des assassins, nous disons que ces sages étaient des orgueilleux.
Je ne dis mot à Pythagore pour lui plaire, et je passai à Zoroastre, qui s’occupait à concentrer le feu céleste dans le foyer d’un miroir concave, au milieu d’un vestibule à cent portes qui toutes conduisent à la sagesse. Sur la principale de ces portes[10], je lus ces paroles, qui sont le précis de toute la morale, et qui abrègent toutes les disputes des casuistes :
« Dans le doute si une action est bonne ou mauvaise, abstiens-toi. »
« Certainement, dis-je à mon génie, les barbares qui ont immolé toutes les victimes dont j’ai vu les ossements n’avaient pas lu ces belles paroles. »
Nous vîmes ensuite les Zaleucus, les Thalès, les Anaximandre, et tous les sages qui avaient cherché la vérité et pratiqué la vertu. Quand nous fûmes à Socrate, je le reconnus bien vite à son nez épaté[11].
« Eh bien, lui dis-je, vous voilà donc au nombre des confidents du Très-Haut ! Tous les habitants de l’Europe, excepté les Turcs et les Tartares de Crimée, qui ne savent rien, prononcent votre nom avec respect. On le révère, on l’aime, ce grand nom, au point qu’on a voulu savoir ceux de vos persécuteurs. On connaît Mélitus et Anitus à cause de vous, comme on connaît Ravaillac à cause de Henri IV ; mais je ne connais que ce nom d’Anitus ; je ne sais pas précisément quel était ce scélérat par qui vous fûtes calomnié, et qui vint à bout de vous faire condamner à la ciguë.
— Je n’ai jamais pensé à cet homme depuis mon aventure, me répondit Socrate ; mais puisque vous m’en faites souvenir, je le plains beaucoup. C’était un méchant prêtre qui faisait secrètement un commerce de cuirs, négoce réputé honteux parmi nous. Il envoya ses deux enfants dans mon école. Les autres disciples leur reprochèrent leur père le corroyeur ; ils furent obligés de sortir. Le père, irrité, n’eut point de cesse qu’il n’eût ameuté contre moi tous les prêtres et tous les sophistes. On persuada au conseil des cinq cents que j’étais un impie qui ne croyait pas que la Lune, Mercure et Mars, fussent des dieux. En effet, je pensais comme à présent qu’il n’y a qu’un Dieu, maître de toute la nature. Les juges me livrèrent à l’empoisonneur de la république ; il accourcit ma vie de quelques jours : je mourus tranquillement à l’âge de soixante et dix ans ; et depuis ce temps-là je passe une vie heureuse avec tous ces grands hommes que vous voyez, et dont je suis le moindre. »
Après avoir joui quelque temps de l’entretien de Socrate, je m’avançai avec mon guide dans un bosquet situé au-dessus des bocages où tous ces sages de l’antiquité semblaient goûter un doux repos.
Je vis un homme d’une figure douce et simple, qui me parut âgé d’environ trente-cinq ans. Il jetait de loin des regards de compassion sur ces amas d’ossements blanchis, à travers desquels on m’avait fait passer pour arriver à la demeure des sages. Je fus étonné de lui trouver les pieds enflés et sanglants, les mains de même, le flanc percé, et les côtes écorchées de coups de fouet.
« Eh, bon Dieu ! lui dis-je, est-il possible qu’un juste, un sage soit dans cet état ? Je viens d’en voir un qui a été traité d’une manière bien odieuse ; mais il n’y a pas de comparaison entre son supplice et le vôtre. De mauvais prêtres et de mauvais juges l’ont empoisonné : est-ce aussi par des prêtres et par des juges que vous avez été assassiné si cruellement ? »
Il me répondit oui avec beaucoup d’affabilité.
« Et qui étaient donc ces monstres ?
— C’étaient des hypocrites.
— Ah ! c’est tout dire ; je comprends par ce seul mot qu’ils durent vous condamner au dernier supplice. Vous leur aviez donc prouvé, comme Socrate, que la Lune n’était pas une déesse, et que Mercure n’était pas un dieu ?
— Non, il n’était pas question de ces planètes. Mes compatriotes ne savaient point du tout ce que c’est qu’une planète ; ils étaient tous de francs ignorants. Leurs superstitions étaient toutes différentes de celles des Grecs.
— Vous voulûtes donc leur enseigner une nouvelle religion ?
— Point du tout ; je leur disais simplement : « Aimez Dieu de tout votre cœur, et votre prochain comme vous-même, car c’est là tout l’homme. » Jugez si ce précepte n’est pas aussi ancien que l’univers ; jugez si je leur apportais un culte nouveau. Je ne cessais de leur dire que j’étais venu non pour abolir la loi, mais pour l’accomplir ; j’avais observé tous leurs rites ; circoncis comme ils l’étaient tous, baptisé comme l’étaient les plus zélés d’entre eux, je payais comme eux le corban ; je faisais comme eux la pâque, en mangeant debout un agneau cuit dans des laitues. Moi et mes amis, nous allions prier dans le temple ; mes amis même fréquentèrent ce temple après ma mort ; en un mot, j’accomplis toutes leurs lois sans en excepter une.
— Quoi ! ces misérables n’avaient pas même à vous reprocher de vous être écarté de leurs lois ?
— Non sans doute.
— Pourquoi donc vous ont-ils mis dans l’état où je vous vois ?
— Que voulez-vous que je vous dise ? ils étaient fort orgueilleux et intéressés. Ils virent que je les connaissais ; ils surent que je les faisais connaître aux citoyens ; ils étaient les plus forts ; ils m’ôtèrent la vie : et leurs semblables en feront toujours autant, s’ils le peuvent, à quiconque leur aura trop rendu justice.
— Mais, ne dîtes-vous, ne fîtes-vous rien qui pût leur servir de prétexte ?
— Tout sert de prétexte aux méchants.
— Ne leur dîtes-vous pas une fois que vous étiez venu apporter le glaive et non la paix ?
— C’est une erreur de copiste ; je leur dis que j’apportais la paix, et non le glaive. Je n’ai jamais rien écrit ; on a pu changer ce que j’avais dit sans mauvaise intention.
— Vous n’avez donc contribué en rien par vos discours, ou mal rendus, ou mal interprétés, à ces monceaux affreux d’ossements que j’ai vus sur ma route en venant vous consulter ?
— Je n’ai vu qu’avec horreur ceux qui se sont rendus coupables de tous ces meurtres.
— Et ces monuments de puissance et de richesse, d’orgueil et d’avarices, ces trésors, ces ornements, ces signes de grandeur, que j’ai vus accumulés sur la route en cherchant la sagesse, viennent-ils de vous ?
— Cela est impossible ; j’ai vécu, moi et les miens, dans la pauvreté et dans la bassesse : ma grandeur n’était que dans la vertu. »
J’étais près de le supplier de vouloir bien me dire au juste qui il était. Mon guide m’avertit de n’en rien faire. Il me dit que je n’étais pas fait pour comprendre ces mystères sublimes. Je le conjurai seulement de m’apprendre en quoi consistait la vraie religion.
« Ne vous l’ai-je pas déjà dit ? Aimez Dieu, et votre prochain comme vous-même.
— Quoi ! en aimant Dieu on pourrait manger gras le vendredi ?
— J’ai toujours mangé ce qu’on m’a donné : car j’étais trop pauvre pour donner à dîner à personne.
— En aimant Dieu, en étant juste, ne pourrait-on pas être assez prudent pour ne point confier toutes les aventures de sa vie à un inconnu ?
— C’est ainsi que j’en ai toujours usé.
— Ne pourrai-je, en faisant du bien, me dispenser d’aller en pèlerinage à Saint-Jacques de Compostelle ?
— Je n’ai jamais été dans ce pays-là.
— Faudrait-il me confiner dans une retraite avec des sots ?
— Pour moi, j’ai toujours fait de petits voyages de ville en ville.
— Me faudrait-il prendre parti pour l’Église grecque ou pour la latine ?
— Je ne fis aucune différence entre le Juif et le Samaritain quand je fus au monde.
— Eh bien, s’il est ainsi, je vous prends pour mon seul maître. » Alors il me fit un signe de tête qui me remplit de consolation.
La vision disparut, et la bonne conscience me resta.
L’évêque de Worcester, Warburton, auteur d’un des plus savants ouvrages qu’on ait jamais faits, s’exprime ainsi, page 8, tome Ier : « Une religion, une société qui n’est pas fondée sur la créance d’une autre vie, doit être soutenue par une providence extraordinaire. Le judaïsme n’est pas fondé sur la créance d’une autre vie : donc le judaïsme a été soutenu par une providence extraordinaire. »
Plusieurs théologiens se sont élevés contre lui ; et comme on rétorque tous les arguments, on a rétorqué le sien, on lui a dit :
« Toute religion qui n’est pas fondée sur le dogme de l’immortalité de l’âme, et sur les peines et les récompenses éternelles, est nécessairement fausse : or le judaïsme ne connut point ces dogmes ; donc le judaïsme, loin d’être soutenu par la Providence, était, par vos principes, une religion fausse et barbare qui attaquait la Providence. »
Cet évêque eut quelques autres adversaires qui lui soutinrent que l’immortalité de l’âme était connue chez les Juifs, dans le temps même de Moïse ; mais il leur prouva très-évidemment que ni le Décalogue, ni le Lévitique, ni le Deutéronome, n’avaient dit un seul mot de cette créance, et qu’il est ridicule de vouloir tordre et corrompre quelques passages des autres livres pour en tirer une vérité qui n’est point annoncée dans le livre de la loi.
Monsieur l’évêque, ayant fait quatre volumes pour démontrer que la loi judaïque ne proposait ni peines ni récompenses après la mort, n’a jamais pu répondre à ses adversaires d’une manière bien satisfaisante. Ils lui disaient : « Ou Moïse connaissait ce dogme, et alors il a trompé les Juifs en ne le manifestant pas ; ou il l’ignorait, et en ce cas il n’en savait pas assez pour fonder une bonne religion. En effet, si sa religion avait été bonne, pourquoi l’aurait-on abolie ? Une religion vraie doit être pour tous les temps et pour tous les lieux ; elle doit être comme la lumière du soleil, qui éclaire tous les peuples et toutes les générations. »
Ce prélat, tout éclairé qu’il est, a eu beaucoup de peine à se tirer de toutes ces difficultés ; mais quel système en est exempt ?
Un autre savant beaucoup plus philosophe, qui est un des plus profonds métaphysiciens de nos jours, donne de fortes raisons pour prouver que le polythéisme a été la première religion des hommes, et qu’on a commencé à croire plusieurs dieux avant que la raison fût assez éclairée pour ne reconnaître qu’un seul Être suprême.
J’ose croire, au contraire, qu’on a commencé d’abord par reconnaître un seul Dieu, et qu’ensuite la faiblesse humaine en a adopté plusieurs ; et voici comme je conçois la chose :
Il est indubitable qu’il y eut des bourgades avant qu’on eût bâti de grandes villes, et que tous les hommes ont été divisés en petites républiques avant qu’ils fussent réunis dans de grands empires. Il est bien naturel qu’une bourgade effrayée du tonnerre, affligée de la perte de ses moissons, maltraitée par la bourgade voisine, sentant tous les jours sa faiblesse, sentant partout un pouvoir invisible, ait bientôt dit : Il y a quelque être au-dessus de nous qui nous fait du bien et du mal.
Il me paraît impossible qu’elle ait dit : Il y a deux pouvoirs. Car pourquoi plusieurs ? On commence en tout genre par le simple, ensuite vient le composé, et souvent enfin on revient au simple par des lumières supérieures. Telle est la marche de l’esprit humain.
Quel est cet être qu’on aura d’abord invoqué ? Sera-ce le soleil, sera-ce la lune ? Je ne le crois pas. Examinons ce qui se passe dans les enfants ; ils sont à peu près ce que sont les hommes ignorants. Ils ne sont frappés ni de la beauté ni de l’utilité de l’astre qui anime la nature, ni des secours que la lune nous prête, ni des variations régulières de son cours ; ils n’y pensent pas il y sont trop accoutumés. On n’adore, on n’invoque, on ne veut apaiser que ce qu’on craint ; tous les enfants voient le ciel avec indifférence ; mais que le tonnerre gronde, ils tremblent, ils vont se cacher. Les premiers hommes en ont sans doute agi de même. Il ne peut y avoir que des espèces de philosophes qui aient remarqué le cours des astres, les aient fait admirer, et les aient fait adorer ; mais des cultivateurs simples et sans aucune lumière n’en savaient pas assez pour embrasser une erreur si noble.
Un village se sera donc borné à dire : Il y a une puissance qui tonne, qui grêle sur nous, qui fait mourir nos enfants : apaisons-la ; mais comment l’apaiser ? Nous voyons que nous avons calmé par de petits présents la colère des gens irrités ; faisons donc de petits présents à cette puissance. Il faut bien aussi lui donner un nom. Le premier qui s’offre est celui de chef, de maître, de seigneur ; cette puissance est donc appelée monseigneur. C’est probablement la raison pour laquelle les Égyptiens appelèrent leur dieu Knef ; les Syriens, Adoni, les peuples voisins, Baal, ou Bel, ou Melch, ou Moloch ; les Scythes, Papée : tous mots qui signifient seigneur, maître.
C’est ainsi qu’on trouva presque toute l’Amérique partagée en une multitude de petites peuplades, qui toutes avaient leur dieu protecteur. Les Mexicains mêmes, et les Péruviens, qui étaient de grandes nations, n’avaient qu’un seul dieu : l’une adorait Manco Capak, l’autre le dieu de la guerre. Les Mexicains donnaient à leur dieu guerrier le nom de Vitzliputzli, comme les Hébreux avaient appelé leur Seigneur Sabaoth.
Ce n’est point par une raison supérieure et cultivée que tous les peuples ont ainsi commencé à reconnaître une seule divinité ; s’ils avaient été philosophes, ils auraient adoré le dieu de toute la nature, et non pas le dieu d’un village ; ils auraient examiné ces rapports infinis de tous les êtres, qui prouvent un être créateur et conservateur ; mais ils n’examinèrent rien, ils sentirent. C’est là le progrès de notre faible entendement ; chaque bourgade sentait sa faiblesse et le besoin qu’elle avait d’un fort protecteur. Elle imaginait cet être tutélaire et terrible résidant dans la forêt voisine, ou sur la montagne, ou dans une nuée. Elle n’en imaginait qu’un seul, parce que la bourgade n’avait qu’un chef à la guerre. Elle l’imaginait corporel, parce qu’il était impossible de se le représenter autrement. Elle ne pouvait croire que la bourgade voisine n’eût pas aussi son dieu. Voilà pourquoi Jephté dit aux habitants de Moab : « Vous possédez légitimement ce que votre dieu Chamos vous a fait conquérir ; vous devez nous laisser jouir de ce que notre dieu nous a donné par ses victoires, » (Juges, XI, 24.)
Ce discours, tenu par un étranger à d’autres étrangers, est très-remarquable. Les Juifs et les Moabites avaient dépossédé les naturels du pays ; l’un et l’autre n’avait d’autre droit que celui de la force, et l’un dit à l’autre : Ton dieu t’a protégé dans ton usurpation, souffre que mon dieu me protége dans la mienne.
Jérémie et Amos demandent l’un et l’autre « quelle raison a eue le dieu Melchom de s’emparer du pays de Gad ». Il paraît évident par ces passages que l’antiquité attribuait à chaque pays un dieu protecteur. On trouve encore des traces de cette théologie dans Homère.
Il est bien naturel que l’imagination des hommes s’étant échauffée, et leur esprit ayant acquis des connaissances confuses, ils aient bientôt multiplié leurs dieux, et assigné des protecteurs aux éléments, aux mers, aux forêts, aux fontaines, aux campagnes. Plus ils auront examiné les astres, plus ils auront été frappés d’admiration. Le moyen de ne pas adorer le soleil, quand on adore la divinité d’un ruisseau ? Dès que le premier pas est fait, la terre est bientôt couverte de dieux ; et on descend enfin des astres aux chats et aux ognons.
Cependant il faut bien que la raison se perfectionne ; le temps forme enfin des philosophes qui voient que ni les ognons, ni les chats, ni même les astres, n’ont arrangé l’ordre de la nature. Tous ces philosophes, babyloniens, persans, égyptiens, scythes, grecs et romains, admettent un Dieu suprême, rémunérateur et vengeur.
Ils ne le disent pas d’abord aux peuples : car quiconque eût mal parlé des ognons et des chats devant des vieilles et des prêtres eût été lapidé ; quiconque eût reproché à certains Égyptiens de manger leurs dieux eût été mangé lui-même, comme en effet Juvénal rapporte qu’un Égyptien fut tué et mangé tout cru[13] dans une dispute de controverse.
Mais que fit-on ? Orphée et d’autres établissent des mystères que les initiés jurent par des serments exécrables de ne point révéler, et le principal de ces mystères est l’adoration d’un seul Dieu. Cette grande vérité pénètre dans la moitié de la terre ; le nombre des initiés devient immense : il est vrai que l’ancienne religion subsiste toujours ; mais comme elle n’est point contraire au dogme de l’unité de Dieu, on la laisse subsister. Et pourquoi l’abolirait-on ? Les Romains reconnaissent le Deus optimus maximus ; les Grecs ont leur Zeus, leur Dieu suprême. Toutes les autres divinités ne sont que des êtres intermédiaires : on place des héros et des empereurs au rang des dieux, c’est-à-dire des bienheureux ; mais il est sûr que Claude, Octave, Tibère, et Caligula, ne sont pas regardés comme les créateurs du ciel et de la terre.
En un mot, il paraît prouvé que, du temps d’Auguste, tous ceux qui avaient une religion reconnaissaient un Dieu supérieur, éternel, et plusieurs ordres de dieux secondaires, dont le culte fut appelé depuis idolâtrie.
Les lois des Juifs n’avaient jamais favorisé l’idolâtrie : car quoiqu’ils admissent des malachim, des anges, des êtres célestes d’un ordre inférieur, leur loi n’ordonnait point que ces divinités secondaires eussent un culte chez eux. Ils adoraient les anges, il est vrai, c’est-à-dire ils se prosternaient quand ils en voyaient ; mais comme cela n’arrivait pas souvent, il n’y avait ni de cérémonial ni de culte légal établi pour eux. Les chérubins de l’arche ne recevaient point d’hommages. Il est constant que les Juifs, du moins depuis Alexandre, adoraient ouvertement un seul Dieu, comme la foule innombrable d’initiés l’adoraient secrètement dans leurs mystères.
Ce fut dans ce temps où le culte d’un Dieu suprême était universellement établi chez tous les sages en Asie, en Europe, et en Afrique, que la religion chrétienne prit naissance.
Le platonisme aida beaucoup à l’intelligence de ses dogmes. Le Logos, qui, chez Platon, signifiait la sagesse, la raison de l’Être suprême, devint chez nous le Verbe et une seconde personne de Dieu. Une métaphysique profonde et au-dessus de l’intelligence humaine fut un sanctuaire inaccessible dans lequel la religion fut enveloppée.
On ne répétera point ici comment Marie fut déclarée dans la suite mère de Dieu, comment on établit la consubstantialité du Père et du Verbe, et la procession du Pneuma, organe divin du divin Logos, deux natures et deux volontés résultantes de l’hypostase, et enfin la manducation supérieure, l’âme nourrie ainsi que le corps des membres et du sang de l’Homme-Dieu adoré et mangé sous la forme du pain, présent aux yeux, sensible au goût, et cependant anéanti. Tous les mystères ont été sublimes.
On commença, dès le second siècle, par chasser les démons au nom de Jésus ; auparavant on les chassait au nom de Jehovah ou Ihaho : car saint Matthieu rapporte que les ennemis de Jésus ayant dit qu’il chassait les démons au nom du prince des démons, il leur répondit : « Si c’est par Belzébuth que je chasse les démons, par qui vos enfants les chassent-ils ? »
On ne sait point en quel temps les Juifs reconnurent pour prince des démons Belzébuth, qui était un dieu étranger ; mais on sait (et c’est Josèphe qui nous l’apprend) qu’il y avait à Jérusalem des exorcistes préposés pour chasser les démons des corps des possédés, c’est-à-dire des hommes attaqués de maladies singulières, qu’on attribuait alors dans une grande partie de la terre à des génies malfaisants.
On chassait donc ces démons avec la véritable prononciation de Jehovah aujourd’hui perdue, et avec d’autres cérémonies aujourd’hui oubliées.
Cet exorcisme par Jehovah ou par les autres noms de Dieu était encore en usage dans les premiers siècles de l’Église. Origène, en disputant contre Celse, lui dit, no 262[14] : « Si en invoquant Dieu, ou en jurant par lui, on le nomme le Dieu d’Abraham, d’Isaac, et de Jacob, on fera certaines choses par ces noms, dont la nature et la force sont telles que les démons se soumettent à ceux qui les prononcent ; mais si on le nomme d’un autre nom, comme Dieu de la mer bruyante, supplantateur, ces noms seront sans vertu. Le nom d’Israël traduit en grec ne pourra rien opérer ; mais prononcez-le en hébreu, avec les autres mots requis, vous opérerez la conjuration. »
Le même Origène, au nombre xix, dit ces paroles remarquables : « Il y a des noms qui ont naturellement de la vertu, tels que sont ceux dont se servent les sages parmi les Égyptiens, les mages en Perse, les brachmanes dans l’Inde. Ce qu’on nomme magie n’est pas un art vain et chimérique, ainsi que le prétendent les stoïciens et les épicuriens : ni le nom de Sabaoth, ni celui d’Adonaï, n’ont pas été faits pour des êtres créés ; mais ils appartiennent à une théologie mystérieuse qui se rapporte au Créateur ; de là vient la vertu de ces noms quand on les arrange et qu’on les prononce selon les règles, etc. »
Origène en parlant ainsi ne donne point son sentiment particulier, il ne fait que rapporter l’opinion universelle. Toutes les religions alors connues admettaient une espèce de magie ; et on distinguait la magie céleste et la magie infernale, la nécromancie et la théurgie : tout était prodige, divination, oracle. Les Perses ne niaient point les miracles des Égyptiens, ni les Égyptiens ceux des Perses. Dieu permettait que les premiers chrétiens fussent persuadés des oracles attribués aux sibylles, et leur laissait encore quelques erreurs peu importantes, qui ne corrompaient point le fond de la religion.
Une chose encore fort remarquable, c’est que les chrétiens des deux premiers siècles avaient de l’horreur pour les temples, les autels et les simulacres. C’est ce qu’Origène avoue, no 347. Tout changea depuis avec la discipline, quand l’Église reçut une forme constante.
Lorsqu’une fois une religion est établie légalement dans un État, les tribunaux sont tous occupés à empêcher qu’on ne renouvelle la plupart des choses qu’on faisait dans cette religion avant qu’elle fût publiquement reçue. Les fondateurs s’assemblaient en secret malgré les magistrats ; on ne permet que les assemblées publiques sous les yeux de la loi, et toutes associations qui se dérobent à la loi sont défendues. L’ancienne maxime était qu’il vaut mieux obéir à Dieu qu’aux hommes ; la maxime opposée est reçue, que c’est obéir à Dieu que de suivre les lois de l’État. On n’entendait parler que d’obsessions et de possessions, le diable était alors déchaîné sur la terre ; le diable ne sort plus aujourd’hui de sa demeure. Les prodiges, les prédictions, étaient alors nécessaires ; on ne les admet plus : un homme qui prédirait des calamités sur les places publiques serait mis aux petites-maisons. Les fondateurs recevaient secrètement l’argent des fidèles ; un homme qui recueillerait de l’argent pour en disposer, sans y être autorisé par la loi, serait repris de justice. Ainsi on ne se sert plus d’aucun des échafauds qui ont servi à bâtir l’édifice.
Après notre sainte religion, qui sans doute est la seule bonne, quelle serait la moins mauvaise ?
Ne serait-ce pas la plus simple ? Ne serait-ce pas celle qui enseignerait beaucoup de morale et très-peu de dogmes ? celle qui tendrait à rendre les hommes justes, sans les rendre absurdes ? celle qui n’ordonnerait point de croire des choses impossibles, contradictoires, injurieuses à la Divinité, et pernicieuses au genre humain, et qui n’oserait point menacer des peines éternelles quiconque aurait le sens commun ? Ne serait-ce point celle qui ne soutiendrait pas sa créance par des bourreaux, et qui n’inonderait pas la terre de sang pour des sophismes inintelligibles ? celle dans laquelle une équivoque, un jeu de mots et deux ou trois chartes supposées ne feraient pas un souverain et un dieu d’un prêtre souvent incestueux, homicide et empoisonneur ? celle qui ne soumettrait pas les rois à ce prêtre ? celle qui n’enseignerait que l’adoration d’un Dieu, la justice, la tolérance et l’humanité ?
On a dit que la religion des Gentils était absurde en plusieurs points, contradictoire, pernicieuse ; mais ne lui a-t-on pas imputé plus de mal qu’elle n’en a fait, et plus de sottises qu’elle n’en a prêché ?
Car de voir Jupiter taureau,
Serpent, cygne, ou quelque autre chose,
Je ne trouve point cela beau,
Et ne m’étonne pas si parfois on en cause.
Sans doute cela est fort impertinent ; mais qu’on me montre dans toute l’antiquité un temple dédié à Léda couchant avec un cygne ou avec un taureau ? Y a-t-il eu un sermon prêché dans Athènes ou dans Rome pour encourager les filles à faire des enfants avec les cygnes de leur basse-cour ? Les fables recueillies et ornées par Ovide sont-elles la religion ? Ne ressemblent-elles pas à notre Légende dorée, à notre Fleur des saints ? Si quelque brame ou quelque derviche venait nous objecter l’histoire de sainte Marie égyptienne, laquelle, n’ayant pas de quoi payer les matelots qui l’avaient conduite en Égypte, donna à chacun d’eux ce que l’on appelle des faveurs, en guise de monnaie, nous dirions au brame : Mon révérend père, vous vous trompez, notre religion n’est pas la Légende dorée.
Nous reprochons aux anciens leurs oracles, leurs prodiges : s’ils revenaient au monde, et qu’on pût compter les miracles de Notre-Dame de Lorette et ceux de Notre-Dame d’Éphèse, en faveur de qui serait la balance du compte ?
Les sacrifices humains ont été établis chez presque tous les peuples, mais très-rarement mis en usage. Nous n’avons que la fille de Jephté et le roi Agag d’immolés chez les Juifs, car Isaac et Jonathas ne le furent pas. L’histoire d’Iphigénie n’est pas bien avérée chez les Grecs. Les sacrifices humains sont très-rares chez les anciens Romains ; en un mot, la religion païenne a fait répandre très-peu de sang, et la nôtre en a couvert la terre. La nôtre est sans doute la seule bonne, la seule vraie ; mais nous avons fait tant de mal par son moyen que, quand nous parlons des autres, nous devons être modestes.
Si un homme veut persuader sa religion à des étrangers ou à ses compatriotes, ne doit-il pas s’y prendre avec la plus insinuante douceur et la modération la plus engageante ? S’il commence par dire que ce qu’il annonce est démontré, il trouvera une foule d’incrédules ; s’il ose leur dire qu’ils ne rejettent sa doctrine qu’autant qu’elle condamne leurs passions, que leur cœur a corrompu leur esprit, qu’ils n’ont qu’une raison fausse et orgueilleuse, il les révolte, il les anime contre lui, il ruine lui-même ce qu’il veut établir.
Si la religion qu’il annonce est vraie, l’emportement et l’insolence la rendront-ils plus vraie ? Vous mettez-vous en colère quand vous dites qu’il faut être doux, patient, bienfaisant, juste, remplir tous les devoirs de la société ? Non, car tout le monde est de votre avis. Pourquoi donc dites-vous des injures à votre frère, quand vous lui prêchez une métaphysique mystérieuse ? C’est que son sens irrite votre amour-propre. Vous avez l’orgueil d’exiger que votre frère soumette son intelligence à la vôtre : l’orgueil humilié produit la colère ; elle n’a point d’autre source. Un homme blessé de vingt coups de fusil dans une bataille ne se met point en colère ; mais un docteur blessé du refus d’un suffrage devient furieux et implacable[15].
Ne faut-il pas soigneusement distinguer la religion de l’État et la religion théologique ? Celle de l’État exige que les imans tiennent des registres des circoncis, les curés ou pasteurs des registres des baptisés ; qu’il y ait des mosquées, des églises, des temples, des jours consacrés à l’adoration et au repos, des rites établis par la loi ; que les ministres de ces rites aient de la considération sans pouvoir ; qu’ils enseignent les bonnes mœurs au peuple, et que les ministres de la loi veillent sur les mœurs des ministres des temples. Cette religion de l’État ne peut en aucun temps causer aucun trouble.
Il n’en est pas ainsi de la religion théologique : celle-ci est la source de toutes les sottises et de tous les troubles imaginables ; c’est la mère du fanatisme et de la discorde civile ; c’est l’ennemie du genre humain. Un bonze prétend que Fo est un dieu ; qu’il a été prédit par des fakirs ; qu’il est né d’un éléphant blanc ; que chaque bonze peut faire un Fo avec des grimaces. Un talapoin dit que Fo était un saint homme dont les bonzes ont corrompu la doctrine, et que c’est Sammonocodom qui est le vrai dieu. Après cent arguments et cent démentis, les deux factions conviennent de s’en rapporter au dalaï-lama, qui demeure à trois cents lieues de là, qui est immortel et même infaillible. Les deux factions lui envoient une députation solennelle. Le dalaï-lama commence, selon son divin usage, par leur distribuer sa chaise percée.
Les deux sectes rivales la reçoivent d’abord avec un respect égal, la font sécher au soleil, et l’enchâssent dans de petits chapelets qu’ils baisent dévotement ; mais dès que le dalaï-lama et son conseil ont prononcé au nom de Fo, voilà le parti condamné qui jette les chapelets au nez du vice-dieu, et qui lui veut donner cent coups d’étrivières. L’autre parti défend son lama dont il a reçu de bonnes terres ; tous deux se battent longtemps, et quand ils sont las de s’exterminer, de s’assassiner, de s’empoisonner réciproquement, ils se disent encore de grosses injures ; et le dalaï-lama en rit ; et il distribue encore sa chaise percée à quiconque veut bien recevoir les déjections du bon père lama.
On désigne par ce nom les restes ou les parties restantes du corps ou des habits d’une personne mise après sa mort, par l’Église, au nombre des bienheureux.
Il est clair que Jésus n’a condamné que l’hypocrisie des Juifs, en disant[17] : Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites, qui bâtissez des tombeaux aux prophètes et ornez les monuments des justes ! Aussi les chrétiens orthodoxes ont une égale vénération pour les reliques et pour les images des saints ; et même je ne sais quel docteur nommé Henri, ayant osé dire que quand les os ou autres reliques sont changés en vers, il ne faut pas adorer ces vers, le jésuite Vasquez[18] décida que l’opinion de Henri est absurde et vaine : car il n’importe de quelle manière se fasse la corruption. Par conséquent, dit-il, nous pouvons adorer les reliques, tant sous la forme de vers que sous la forme de cendres.
Quoi qu’il en soit, saint Cyrille d’Alexandrie[19] avoue que l’origine des reliques est païenne ; et voici la description que fait de leur culte Théodoret, qui vivait au commencement de l’ère chrétienne. On court aux temples des martyrs, dit ce savant évêque[20], pour leur demander, les uns la conservation de leur santé, les autres la guérison de leurs maladies, et les femmes stériles la fécondité. Après avoir obtenu des enfants, ces femmes en demandent la conservation. Ceux qui entreprennent des voyages conjurent les martyrs de les accompagner et de les conduire. Lorsqu’ils sont de retour, ils vont leur témoigner leur reconnaissance. Ils ne les adorent pas comme des dieux ; mais ils les honorent comme des hommes divins, et les conjurent d’être leurs intercesseurs.
Les offrandes qui sont appendues dans leurs temples sont des preuves publiques que ceux qui ont demandé avec foi ont obtenu l’accomplissement de leurs vœux et la guérison de leurs maladies. Les uns y appendent des yeux, les autres des pieds, les autres des mains, d’or et d’argent. Ces monuments publient la vertu de ceux qui sont ensevelis dans ces tombeaux, comme leur vertu publie que le Dieu pour lequel ils ont souffert est le vrai Dieu ; aussi les chrétiens ont-ils soin de donner à leurs enfants les noms des martyrs, afin de les mettre en sûreté sous leur protection.
Enfin Théodoret ajoute que les temples des dieux ont été démolis, et que les matériaux ont servi à la construction des temples des martyrs : car le Seigneur, dit-il aux païens, a substitué ses morts à vos dieux ; il a fait voir la vanité de ceux-ci, et a transféré aux autres les honneurs qu’on rendait aux premiers. C’est de quoi se plaint amèrement le fameux sophiste de Sardes, en déplorant la ruine du temple de Sérapis à Canope, qui fut démoli par ordre de l’empereur Théodose Ier l’an 389.
Des gens, dit Eunapius, qui n’avaient jamais entendu parler de la guerre, se trouvèrent pourtant fort vaillants contre les pierres de ce temple, et principalement contre les riches offrandes dont il était rempli. On donna ces lieux saints à des moines, gens infâmes et inutiles, qui, pourvu qu’ils eussent un habit noir et malpropre, prenaient une autorité tyrannique sur l’esprit des peuples ; et à la place des dieux que l’on voyait par les lumières de la raison, ces moines donnaient à adorer des têtes de brigands punis pour leurs crimes, qu’on avait salées pour les conserver.
Le peuple est superstitieux, et c’est par la superstition qu’on l’enchaîne. Les miracles forgés au sujet des reliques devinrent un aimant qui attirait de toutes parts des richesses dans les églises. La fourberie et la crédulité avaient été portées si loin que, dès l’an 386, le même Théodose fut obligé de faire une loi par laquelle il défendait de transporter d’un lieu dans un autre les corps ensevelis, de séparer les reliques de chaque martyr, et d’en trafiquer.
Pendant les trois premiers siècles du christianisme, on s’était contenté de célébrer le jour de la mort des martyrs, qu’on appelait leur jour natal, en s’assemblant dans les cimetières où reposaient leurs corps, pour prier pour eux, comme nous l’avons remarqué à l’article Messe. On ne pensait point alors qu’avec le temps les chrétiens dussent leur élever des temples, transporter leurs cendres et leurs os d’un lieu dans un autre, les montrer dans des châsses, et enfin en faire un trafic qui excitât l’avarice à remplir le monde de reliques supposées.
Mais le troisième concile de Carthage, tenu l’an 397, ayant inséré dans le canon des Écritures l’Apocalypse de saint Jean, dont l’authenticité jusqu’alors avait été contestée, ce passage du chapitre vi : « Je vis sous les autels les âmes de ceux qui avaient été tués pour la parole de Dieu. » autorisa la coutume d’avoir des reliques de martyrs sous les autels ; et cette pratique fut bientôt regardée comme si essentielle que saint Ambroise, malgré les instances du peuple, ne voulut pas consacrer une église où il n’y en avait point ; et l’an 692, le concile de Constantinople, in Trullo, ordonna même de démolir tous les autels sous lesquels il ne se trouverait point de reliques. Un autre concile de Carthage, au contraire, avait ordonné, l’an 401, aux évêques de faire abattre les autels qu’on voyait élever partout dans les champs et sur les grands chemins en l’honneur des martyrs, dont on déterrait çà et là de prétendues reliques, sur des songes et de vaines révélations de toutes sortes de gens.
Saint Augustin[21] rapporte que, vers l’an 415, Lucien, prêtre et curé d’un bourg nommé Caphargamata, distant de quelques milles de Jérusalem, vit en songe jusqu’à trois fois le docteur Gamaliel, qui lui déclara que son corps, ceux d’Abibas son fils, de saint Étienne et de Nicodème, étaient enterrés dans un endroit de sa paroisse qu’il lui indiqua. Il lui commanda, de leur part et de la sienne, de ne les pas laisser plus longtemps dans le tombeau négligé où ils étaient depuis quelques siècles, et d’aller dire à Jean, évêque de Jérusalem, de venir les en tirer incessamment, s’il voulait prévenir les malheurs dont le monde était menacé. Gamaliel ajouta que cette translation devait se faire sous l’épiscopat de Jean, qui mourut environ un an après. L’ordre du Ciel était que le corps de saint Étienne fût transporté à Jérusalem.
Lucien ou entendit mal ou fut malheureux ; il fit creuser et ne trouva rien : ce qui obligea le docteur juif d’apparaître à un moine fort simple et fort innocent, et de lui marquer plus précisément l’endroit où reposaient les sacrées reliques. Lucien y trouva le trésor qu’il cherchait, selon la révélation que Dieu lui en avait faite. Il y avait dans ce tombeau une pierre où était gravé le mot de cheliel, qui signifie couronne en hébreu, comme stephanos en grec. À l’ouverture du cercueil d’Étienne la terre trembla ; on sentit une odeur excellente, et un grand nombre de malades furent guéris. Le corps du saint était réduit en cendres, hormis les os, que l’on transporta à Jérusalem et que l’on mit dans l’église de Sion. À la même heure il survint une grande pluie, au lieu qu’il y avait eu jusqu’alors une extrême sécheresse.
Avite, prêtre espagnol, qui était alors en Orient, traduisit en latin cette histoire que Lucien avait écrite en grec. Comme l’Espagnol était ami de Lucien, il en obtint une petite portion des cendres du saint, quelques os pleins d’une onction qui était la preuve visible de leur sainteté, surpassant les parfums nouvellement faits et les odeurs les plus agréables. Ces reliques, apportées par Orose dans l’île de Minorque, y convertirent en huit jours cinq cent quarante Juifs.
On fut ensuite informé, par diverses visions, que des moines d’Égypte avaient des reliques de saint Étienne, que des inconnus y avaient portées. Comme les moines, n’étant pas prêtres alors, n’avaient point encore d’églises en propre, on alla prendre ce trésor pour le transporter dans une église qui était près d’Usale. Aussitôt quelques personnes virent au-dessus de l’église une étoile qui semblait venir au-devant du saint martyr. Ces reliques ne restèrent pas longtemps dans cette église : l’évêque d’Usale, trouvant à propos d’en enrichir la sienne, alla les prendre et les transporta, assis sur un char, accompagné de beaucoup de peuple, qui chantait les louanges de Dieu, et d’un grand nombre de cierges et de luminaires.
Ainsi les reliques furent portées dans un lieu élevé de l’église, et placées sur un trône orné de tentures. On les mit ensuite sur un carreau ou sur un petit lit dans un lieu fermé à clef, auquel on avait laissé une petite fenêtre, afin que l’on pût y faire toucher des linges qui servaient à guérir divers maux. Un peu de poussière ramassée sur la châsse guérit tout d’un coup un paralytique. Des fleurs qu’on avait présentées au saint, appliquées sur les yeux d’un aveugle, lui rendirent la vue. Il y eut même sept ou huit morts de ressuscités.
Saint Augustin[22], qui tâche de justifier ce culte en le distinguant de celui d’adoration qui n’est dû qu’à Dieu seul, est obligé de convenir[23] qu’il connaît lui-même plusieurs chrétiens qui adorent les sépulcres et les images. J’en connais plusieurs, ajoute ce saint, qui boivent avec les plus grands excès sur les tombeaux, et qui, donnant des festins aux cadavres, s’ensevelissent eux-mêmes sur ceux qui sont ensevelis.
En effet, sortant tout fraîchement du paganisme, et ravis de trouver dans l’Église chrétienne, quoique sous d’autres noms, des hommes déifiés, les peuples les honoraient tout comme ils avaient honoré leurs faux dieux ; et ce serait vouloir se tromper grossièrement que de juger des idées et des pratiques de la populace par celles des évêques éclairés et des philosophes. On sait que les sages, parmi les païens, faisaient les mêmes distinctions que nos saints évêques. Il faut, disait Hiéroclès[24] reconnaître et servir les dieux, de sorte que l’on ait grand soin de les bien distinguer du Dieu suprême, qui est leur auteur et leur père. Il ne faut pas non plus trop exalter leur dignité ; et enfin le culte qu’on leur rend doit se rapporter à leur unique créateur, que vous pouvez nommer proprement le Dieu des dieux, parce qu’il est le maître de tous et le plus excellent de tous. Porphyre[25], qui, comme saint Paul[26], qualifie le Dieu suprême de Dieu qui est au-dessus de toutes choses, ajoute qu’on ne doit lui sacrifier rien de sensible, rien de matériel, parce qu’étant un esprit pur, tout ce qui est matériel est impur pour lui. Il ne peut être dignement honoré que par la pensée et les sentiments d’une âme qui n’est souillée d’aucune passion vicieuse.
En un mot, Saint Augustin[27], en déclarant avec naïveté qu’il n’ose parler librement sur plusieurs semblables abus, pour ne pas donner occasion de scandale à des personnes pieuses ou à des brouillons, fait assez voir que les évêques usaient avec les païens, pour les convertir, de la même connivence que saint Grégoire recommandait deux siècles après pour convertir l’Angleterre. Ce pape, consulté par le moine Augustin sur quelques restes de cérémonies, moitié civiles, moitié païennes, auxquelles les Anglais, nouveaux convertis, ne voulaient pas renoncer, lui répondit : « On n’ôte point à des esprits durs toutes leurs habitudes à la fois ; on n’arrive point sur un rocher escarpé en y sautant, mais en s’y traînant pas à pas. »
La réponse du même pape à Constantine, fille de l’empereur Tibère Constantin, et épouse de Maurice, qui lui demandait la tête de saint Paul, pour mettre dans un temple qu’elle avait bâti à l’honneur de cet apôtre, n’est pas moins remarquable. Saint Grégoire[28] mande à cette princesse que les corps des saints brillent de tant de miracles qu’on n’ose même approcher de leurs tombeaux pour y prier, sans être saisi de frayeur. Que son prédécesseur (Pélage II) ayant voulu ôter de l’argent qui était sur le tombeau de saint Pierre, pour le mettre à la distance de quatre pieds, il lui apparut des signes épouvantables. Que lui Grégoire voulant faire quelques réparations au monument de saint Paul, comme il fallait creuser un peu avant, et celui qui avait la garde du lieu ayant eu la hardiesse de lever des os, qui ne touchaient pas au tombeau de l’apôtre, pour les transporter ailleurs, il lui apparut aussi des signes terribles, et il mourut sur-le-champ. Que son prédécesseur ayant voulu aussi faire des réparations au tombeau de saint Laurent, on découvrit imprudemment le cercueil où était le corps du martyr ; et quoique ceux qui y travaillaient fussent des moines et des officiers du temple, ils moururent tous dans l’espace de dix jours, parce qu’ils avaient vu le corps du saint. Que lorsque les Romains donnent des reliques, ils ne touchent jamais aux corps sacrés, mais se contentent de mettre dans une boîte quelques linges et de les en approcher. Que ces linges ont la même vertu que les reliques, et font autant de miracles. Que certains Grecs doutant de ce fait, le pape Léon se fit apporter des ciseaux, et ayant coupé en leur présence de ces linges qu’on avait approchés des corps saints, il en sortit du sang. Qu’à Rome, dans l’Occident, c’est un sacrilége de toucher aux corps des saints ; et que si quelqu’un l’entreprend, il peut s’assurer que son crime ne sera pas impuni. Que c’est pour cela qu’il ne peut se persuader que les Grecs aient la coutume de transporter les reliques. Que des Grecs ayant osé déterrer la nuit des corps proches de l’église de Saint-Paul, dans le dessein de les transporter en leur pays, ils furent aussitôt découverts ; et que c’est ce qui le persuade que les reliques qui se transportent de la sorte sont fausses. Que des Orientaux, prétendant que les corps de saint Pierre et de saint Paul leur appartenaient, vinrent à Rome pour les emporter dans leur patrie ; mais qu’arrivés aux catacombes où ces corps reposaient, lorsqu’ils voulurent les prendre, des éclairs soudains, des tonnerres effroyables, dispersèrent leur multitude épouvantée, et les forcèrent de renoncer à leur entreprise. Que ceux qui ont suggéré à Constantine de lui demander la tête de saint Paul n’ont eu dessein que de lui faire perdre ses bonnes grâces.
Saint Grégoire finit par ces mots : J’ai cette confiance en Dieu que vous ne serez pas privée du fruit de votre bonne volonté, ni de la vertu des saints apôtres, que vous aimez de tout votre cœur et de tout votre esprit ; et que si vous n’avez pas leur présence corporelle, vous jouirez toujours de leur protection.
Cependant l’histoire ecclésiastique fait foi que les translations de reliques étaient également fréquentes en Occident et en Orient ; bien plus, l’auteur des notes sur cette lettre observe que le même saint Grégoire, dans la suite, donna divers corps saints, et que d’autres papes en ont donné jusqu’à six ou sept à un seul particulier.
Après cela, faut-il s’étonner de la faveur qu’eurent les reliques dans l’esprit des peuples et des rois ? Les serments les plus ordinaires des anciens Français se faisaient sur les reliques des saints. Ce fut ainsi que les rois Gontran, Sigebert et Chilpéric partagèrent les États de Clotaire, et convinrent de jouir de Paris en commun. Ils en firent le serment sur les reliques de saint Polyeucte, de saint Hilaire et de saint Martin. Cependant Chilpéric se jeta dans la place, et prit seulement la précaution d’avoir la châsse de quantité de reliques qu’il fit porter comme une sauvegarde à la tête de ses troupes, dans l’espérance que la protection de ces nouveaux patrons le mettrait à l’abri des peines dues à son parjure. Enfin le catéchisme du concile de Trente approuve la coutume de jurer par les reliques.
On observe encore que les rois de France de la première et de la seconde race gardaient dans leur palais un grand nombre de reliques, surtout la chape et le manteau de saint Martin, et qu’ils les faisaient porter à leur suite et jusque dans les armées. On envoyait les reliques du palais dans les provinces, lorsqu’il s’agissait de prêter serment de fidélité au roi, ou de conclure quelque traité.
On conte que les Égyptiens n’avaient bâti leurs pyramides que pour en faire des tombeaux, et que leurs corps embaumés par dedans et par dehors attendaient que leurs âmes vinssent les ranimer au bout de mille ans. Mais si leurs corps devaient ressusciter, pourquoi la première opération des parfumeurs était-elle de leur percer le crâne avec un crochet, et d’en tirer la cervelle ? L’idée de ressusciter sans cervelle fait soupçonner (si on peut user de ce mot) que les Égyptiens n’en avaient guère de leur vivant : mais il faut considérer que la plupart des anciens croyaient que l’âme est dans la poitrine. Et pourquoi l’âme est-elle dans la poitrine plutôt qu’ailleurs ? C’est qu’en effet, dans tous nos sentiments un peu violents, on éprouve vers la région du cœur une dilatation ou un resserrement, qui a fait penser que c’était là le logement de l’âme. Cette âme était quelque chose d’aérien ; c’était une figure légère qui se promenait où elle pouvait, jusqu’à ce qu’elle eût retrouvé son corps.
La croyance de la résurrection est beaucoup plus ancienne que les temps historiques. Athalide, fils de Mercure, pouvait mourir et ressusciter à son gré ; Esculape rendit la vie à Hippolyte ; Hercule, à Alceste. Pélops, ayant été haché en morceaux par son père, fut ressuscité par les dieux. Platon raconte qu’Hérès ressuscita pour quinze jours seulement.
Les pharisiens, chez les Juifs, n’adoptèrent le dogme de la résurrection que très-longtemps après Platon.
Il y a dans les Actes des apôtres un fait bien singulier, et bien digne d’attention. Saint Jacques et plusieurs de ses compagnons conseillent à saint Paul d’aller dans le temple de Jérusalem observer toutes les cérémonies de l’ancienne loi, tout chrétien qu’il était, « afin que tous sachent, disent-ils, que tout ce qu’on dit de vous est faux, et que vous continuez de garder la loi de Moïse ». C’est dire bien clairement : Allez mentir, allez vous parjurer, allez renier publiquement la religion que vous enseignez.
Saint Paul alla donc pendant sept jours dans le temple, mais le septième il fut reconnu. On l’accusa d’y être venu avec des étrangers, et de l’avoir profané. Voici comment il se tira d’affaire :
« Or, Paul sachant qu’une partie de ceux qui étaient là étaient saducéens, et l’autre pharisiens, il s’écria dans l’assemblée : Mes frères, je suis pharisien et fils de pharisien ; c’est à cause de l’espérance d’une autre vie et de la résurrection des morts que l’on veut me condamner[30]. » Il n’avait point du tout été question de la résurrection des morts dans toute cette affaire ; Paul ne le disait que pour animer les pharisiens et les saducéens les uns contre les autres.
V. 7. « Paul ayant parlé de la sorte, il s’émut une dissension entre les pharisiens et les saducéens ; et l’assemblée fut divisée. »
V. 8. « Car les saducéens disent qu’il n’y a ni résurrection, ni ange, ni esprit, au lieu que les pharisiens reconnaissent et l’un et l’autre, etc. »
On a prétendu que Job, qui est très-ancien, connaissait le dogme de la résurrection. On cite ces paroles : « Je sais que mon rédempteur est vivant, et qu’un jour sa rédemption s’élèvera sur moi, ou que je me relèverai de la poussière, que ma peau reviendra, que je verrai encore Dieu dans ma chair[31]. »
Mais plusieurs commentateurs entendent par ces paroles que Job espère qu’il relèvera bientôt de maladie, et qu’il ne demeurera pas toujours couché sur la terre comme il l’était. La suite prouve assez que cette explication est la véritable ; car il s’écrie le moment d’après à ses faux et durs amis : « Pourquoi donc dites-vous : Persécutons-le ? » ou bien : « Parce que vous direz : Parce que nous l’avons persécuté. » Cela ne veut-il pas dire évidemment : Vous vous repentirez de m’avoir offensé quand vous me reverrez dans mon premier état de santé et d’opulence ? Un malade qui dit : je me lèverai, ne dit pas : je ressusciterai. Donner des sens forcés à des passages clairs c’est le sûr moyen de ne jamais s’entendre, ou plutôt d’être regardés comme des gens de mauvaise foi par les honnêtes gens.
Saint Jérôme ne place la naissance de la secte des pharisiens que très-peu de temps avant Jésus-Christ. Le rabbin Hillel passe pour le fondateur de la secte pharisienne, et cet Hillel était contemporain de Gamaliel, le maître de saint Paul.
Plusieurs de ces pharisiens croyaient que les Juifs seuls ressusciteraient, et que le reste des hommes n’en valait pas la peine. D’autres ont soutenu qu’on ne ressusciterait que dans la Palestine, et que les corps de ceux qui auront été enterrés ailleurs seront secrètement transportés auprès de Jérusalem pour s’y rejoindre à leur âme. Mais saint Paul, écrivant aux habitants de Thessalonique, leur a dit que « le second avénement de Jésus-Christ est pour eux et pour lui, qu’ils en seront témoins ».
V. 16. « Car aussitôt que le signal aura été donné par l’archange et par le son de la trompette de Dieu, le Seigneur lui-même descendra du ciel, et ceux qui seront morts en Jésus-Christ ressusciteront les premiers. »
V. 17. « Puis nous autres qui sommes vivants, et qui serons demeurés jusqu’alors, nous serons emportés avec eux dans les nuées, pour aller au-devant du Seigneur au milieu de l’air, et ainsi nous vivrons pour jamais avec le Seigneur[32]. »
Ce passage important ne prouve-t-il pas évidemment que les premiers chrétiens comptaient voir la fin du monde, comme en effet elle est prédite dans saint Luc, pour le temps même que saint Luc vivait ? S’ils ne virent point cette fin du monde, si personne ne ressuscita pour lors, ce qui est différé n’est pas perdu.
Saint Augustin croit que les enfants, et même les enfants mort-nés, ressusciteront dans l’âge de la maturité. Les Origène, les Jérôme, les Athanase, les Basile, n’ont pas cru que les femmes dussent ressusciter avec leur sexe.
Enfin, on a toujours disputé sur ce que nous avons été, sur ce que nous sommes, et sur ce que nous serons.
Le P. Malebranche prouve la résurrection par les chenilles, qui deviennent papillons. Cette preuve, comme on voit, est aussi légère que les ailes des insectes dont il l’emprunte. Des penseurs qui calculent font des objections arithmétiques contre cette vérité si bien prouvée. Ils disent que les hommes et les autres animaux sont réellement nourris et reçoivent leur croissance de la substance de leurs prédécesseurs. Le corps d’un homme réduit en poussière, répandu dans l’air et retombant sur la surface de la terre, devient légume ou froment. Ainsi Caïn mangea une partie d’Adam ; Énoch se nourrit de Caïn ; Irad, d’Énoch ; Maviael, d’Irad ; Mathusalem, de Maviael ; et il se trouve qu’il n’y a aucun de nous qui n’ait avalé une petite portion de notre premier père. C’est pourquoi on a dit que nous étions tous anthropophages. Rien n’est plus sensible après une bataille ; non-seulement nous tuons nos frères, mais au bout de deux ou trois ans, nous les avons tous mangés quand on a fait les moissons sur le champ de bataille ; nous serons aussi mangés sans difficulté à notre tour. Or, quand il faudra ressusciter, comment rendrons-nous à chacun le corps qui lui appartenait sans perdre du nôtre ?
Voilà ce que disent ceux qui se défient de la résurrection ; mais les ressusciteurs leur ont répondu très-pertinemment.
Un rabbin nommé Samaï démontre la résurrection par ce passage de l’Exode : « J’ai apparu à Abraham, à Isaac et à Jacob : et je leur ai promis avec serment de leur donner la terre de Chanaan. » Or Dieu, malgré son serment, dit ce grand rabbin, ne leur donna point cette terre ; donc ils ressusciteront pour en jouir, afin que le serment soit accompli.
Le profond philosophe dom Calmet trouve dans les vampires une preuve bien plus concluante. Il a vu de ces vampires qui sortaient des cimetières pour aller sucer le sang des gens endormis ; il est clair qu’ils ne pouvaient sucer le sang des vivants, s’ils étaient encore morts : donc ils étaient ressuscités ; cela est péremptoire.
Une chose encore certaine, c’est que tous les morts, au jour du jugement, marcheront sous la terre comme des taupes, à ce que dit le Talmud, pour aller comparaître dans la vallée de Josaphat, qui est entre la ville de Jérusalem et le mont des Oliviers. On sera fort pressé dans cette vallée ; mais il n’y a qu’à réduire les corps proportionnellement, comme les diables de Milton dans la salle du Pandémonium.
Cette résurrection se fera au son de la trompette, à ce que dit saint Paul. Il faudra nécessairement qu’il y ait plusieurs trompettes, car le tonnerre lui-même ne s’entend guère plus de trois ou quatre lieues à la ronde. On demande combien il y aura de trompettes : les théologiens n’ont pas encore fait ce calcul ; mais ils le feront.
Les Juifs disent que la reine Cléopâtre, qui sans doute croyait la résurrection comme toutes les dames de ce temps-là, demanda à un pharisien si on ressusciterait tout nu. Le docteur lui répondit qu’on serait très-bien habillé, par la raison que le blé qu’on sème, étant mort en terre, ressuscite en épi avec une robe et des barbes. Ce rabbin était un théologien excellent ; il raisonnait comme dom Calmet.
On a prétendu que le dogme de la résurrection était fort en vogue chez les Égyptiens, et que ce fut l’origine de leurs embaumements et de leurs pyramides ; et moi-même je l’ai cru autrefois[35]. Les uns disaient qu’on ressusciterait au bout de mille ans, d’autres voulaient que ce fût après trois mille. Cette différence dans leurs opinions théologiques semble prouver qu’ils n’étaient pas bien sûrs de leur fait. D’ailleurs nous ne voyons aucun homme ressuscité dans l’histoire d’Égypte, mais nous en avons quelques-uns chez les Grecs. C’est donc aux Grecs qu’il faut s’informer de cette invention de ressusciter.
Mais les Grecs brûlaient souvent les corps, et les Égyptiens les embaumaient, afin que quand l’âme, qui était une petite figure aérienne, reviendrait dans son ancienne demeure, elle la trouvât toute prête. Cela eût été bon si elle eût retrouvé ses organes ; mais l’embaumeur commençait par ôter la cervelle et vider les entrailles. Comment les hommes auraient-ils pu ressusciter sans intestins et sans la partie médullaire par où l’on pense ? où reprendre son sang, sa lymphe, et ses autres humeurs ?
Vous me direz qu’il était encore plus difficile de ressusciter chez les Grecs, quand il ne restait de vous qu’une livre de cendres tout au plus, et encore mêlée avec la cendre du bois, des aromates, et des étoffes.
Votre objection est forte, et je tiens comme vous la résurrection pour une chose fort extraordinaire ; mais cela n’empêche pas qu’Athalide, fils de Mercure, ne mourût et ne ressuscitât plusieurs fois. Les dieux ressuscitèrent Pélops, quoiqu’il eût été mis en ragoût, et que Cérès en eût déjà mangé une épaule. Vous savez qu’Esculape avait rendu la vie à Hippolyte ; c’était un fait avéré dont les plus incrédules ne doutaient pas : le nom de Verbius donné à Hippolyte était une preuve convaincante. Hercule avait ressuscité Alceste et Pirithous. Hérès, chez Platon, ne ressuscita à la vérité que pour quinze jours ; mais c’était toujours une résurrection, et le temps ne fait rien à l’affaire.
Plusieurs graves scoliastes voient évidemment le purgatoire et la résurrection dans Virgile. Pour le purgatoire, je suis obligé d’avouer qu’il y est expressément au sixième livre. Cela pourra déplaire aux protestants, mais je ne sais qu’y faire.
Non tamen omne malum miseris, nec funditus omnes
Corporese excedunt pestes, etc.
(Æn., VI, 736-37.)
Les cœurs les plus parfaits, les âmes les plus pures,
Sont aux regards des dieux tout chargés de souillures ;
Il faut en arracher jusqu’au seul souvenir.
Nul ne fut innocent : il faut tous nous punir.
Chaque âme a son démon, chaque vice a sa peine ;
Et dix siècles entiers nous suffisent à peine
Pour nous former un cœur qui soit digne des dieux, etc.
Voilà mille ans de purgatoire bien nettement exprimés, sans même que vos parents pussent obtenir des prêtres de ce temps-là une indulgence qui abrégeât votre souffrance pour de l’argent comptant. Les anciens étaient beaucoup plus sévères et moins simoniaques que nous, eux qui d’ailleurs imputaient à leurs dieux tant de sottises. Que voulez-vous ! toute leur théologie était pétrie de contradictions, comme les malins disent qu’est la nôtre.
Le purgatoire achevé, ces âmes allaient boire de l’eau du Léthé, et demandaient instamment à rentrer dans de nouveaux corps, et à revoir la lumière du jour. Mais est-ce là une résurrection ? Point du tout : c’est prendre un corps entièrement nouveau, ce n’est point reprendre le sien ; c’est une métempsycose qui n’a nul rapport à la manière dont nous autres ressuscitons.
Les âmes des anciens faisaient un très-mauvais marché, je l’avoue, en revenant au monde ; car qu’est-ce que revenir sur la terre pendant soixante et dix ans tout au plus, et souffrir encore tout ce que vous savez qu’on souffre dans soixante et dix ans de vie, pour aller ensuite passer mille ans encore à recevoir la discipline ? Il n’y a point d’âme, à mon gré, qui ne se lassât de cette éternelle vicissitude d’une vie si courte et d’une si longue pénitence.
Notre résurrection est toute différente. Chaque homme reprendra précisément le même corps qu’il avait eu ; et tous ces corps seront brûlés dans toute l’éternité, excepté un sur cent mille tout au plus. C’est bien pis qu’un purgatoire de dix siècles pour revivre ici-bas quelques années.
Quand viendra le grand jour de cette résurrection générale ? On ne le sait pas positivement ; et les doctes sont fort partagés. Ils ne savent pas non plus comment chacun retrouvera ses membres. Ils font sur cela beaucoup de difficultés.
1° Notre corps, disent-ils, est pendant la vie dans un changement continuel ; nous n’avons rien à cinquante ans du corps où était logée notre âme à vingt.
2° Un soldat breton va en Canada : il se trouve que par un hasard assez commun il manque de nourriture : il est forcé de manger d’un Iroquois qu’il a tué la veille. Cet Iroquois s’était nourri de jésuites pendant deux ou trois mois ; une grande partie de son corps était devenue jésuite. Voilà le corps de ce soldat composé d’Iroquois, de jésuite, et de tout ce qu’il a mangé auparavant. Comment chacun reprendra-t-il précisément ce qui lui appartient ? Et que lui appartient-il en propre ?
3° Un enfant meurt dans le ventre de sa mère, juste au moment qu’il vient de recevoir une âme : ressuscitera-t-il fœtus, ou garçon, ou homme fait ? Si fœtus, à quoi bon ? Si garçon ou homme, d’où lui viendra sa substance ?
4° L’âme arrive dans un autre fœtus avant qu’il soit décidé garçon ou fille ; ressuscitera-t-il fille, garçon, ou fœtus ?
5° Pour ressusciter, pour être la même personne que vous étiez, il faut que vous ayez la mémoire bien fraîche et bien présente : c’est la mémoire qui fait votre identité. Si vous avez perdu la mémoire, comment serez-vous le même homme ?
6° Il n’y a qu’un certain nombre de particules terrestres qui puissent constituer un animal. Sable, pierre, minéral, métal, n’y servent de rien. Toute terre n’y est pas propre ; il n’y a que les terrains favorables à la végétation qui le soient au genre animal Quand, au bout de plusieurs siècles, il faudra que le monde ressuscite, où trouver la terre propre à former tous ces corps ?
7° Je suppose une île dont la partie végétale puisse fournir à la fois à mille hommes, et à cinq ou six mille animaux pour la nourriture et le service de ces mille hommes ; au bout de cent mille générations, nous aurons un milliard d’hommes à ressusciter. La matière manque évidemment.
Materies opus est ut crescant postera sæcla.
8° Enfin, quand on a prouvé ou cru prouver qu’il faut un miracle aussi grand que le déluge universel ou les dix plaies d’Égypte pour opérer la résurrection du genre humain dans la vallée de Josaphat, on demande ce que sont devenues toutes les âmes de ces corps en attendant le moment de rentrer dans leur étui.
On pourrait faire cinquante questions un peu épineuses, mais les docteurs répondent aisément à tout cela.
La rime n’aurait-elle pas été inventée pour aider la mémoire, et pour régler en même temps le chant et la danse ? Le retour des mêmes sons servait à faire souvenir promptement des mots intermédiaires entre les deux rimes. Ces rimes avertissaient à la fois le chanteur et le danseur ; elles indiquaient la mesure. Ainsi les vers furent dans tous les pays le langage des dieux.
On peut donc mettre au rang des opinions probables, c’est-à-dire incertaines, que la rime fut d’abord une cérémonie religieuse : car, après tout, il se pourrait qu’on eût fait des vers et des chansons pour sa maîtresse avant d’en faire pour ses dieux ; et les amants emportés vous diront que cela revient au même.
Un rabbin qui me montrait l’hébreu, lequel je n’ai jamais pu apprendre, me citait un jour plusieurs psaumes rimés que nous avions, disait-il, traduits pitoyablement. Je me souviens de deux vers que voici :
[38]Hibbitu clare vena haru
Uph nehem al jech pharu.
Si on le regarde on en est illuminé,
Et leurs faces ne sont point confuses.
Il n’y a guère de rime plus riche que celle de ces deux vers ; cela posé, je raisonne ainsi :
Les Juifs, qui parlaient un jargon moitié phénicien, moitié syriaque, rimaient : donc les grandes nations dans lesquelles ils étaient enclavés devaient rimer aussi. Il est à croire que les Juifs, qui, comme nous l’avons dit si souvent, prirent tout de leurs voisins, en prirent aussi la rime[39].
Tous les Orientaux riment : ils sont fidèles à leurs usages ; ils s’habillent comme ils s’habillaient il y a cinq ou six mille ans : donc il est à croire qu’ils riment depuis ce temps-là.
Quelques doctes prétendent que les Grecs commencèrent par rimer, soit pour leurs dieux, soit pour leurs héros, soit pour leurs amies ; mais qu’ensuite ayant mieux senti l’harmonie de leur langue, ayant mieux connu la prosodie, ayant raffiné sur la mélodie, ils firent ces beaux vers non rimes que les Latins imitèrent et surpassèrent bien souvent.
Pour nous autres descendants des Goths, des Vandales, des Huns, des Welches, des Francs, des Bourguignons ; nous barbares, qui ne pouvons avoir la mélodie grecque et latine, nous sommes obligés de rimer. Les vers blancs chez tous les peuples modernes ne sont que de la prose sans aucune mesure ; elle n’est distinguée de la prose ordinaire que par un certain nombre de syllabes égales et monotones, qu’on est convenu d’appeler vers.
Nous avons dit ailleurs[40] que ceux qui avaient écrit en vers blancs ne l’avaient fait que parce qu’ils ne savaient pas rimer ; les vers blancs sont nés de l’impuissance de vaincre la difficulté, et de l’envie d’avoir plus tôt fait.
Nous avons remarqué[41] que l’Arioste a fait quarante-huit mille rimes de suite dans son Orlando, sans ennuyer personne. Nous avons observé[42] combien la poésie française en vers rimes entraîne d’obstacles avec elle, et que le plaisir naissait de ces obstacles mêmes. Nous avons toujours[43] été persuadés qu’il fallait rimer pour les oreilles, non pour les yeux ; et nous avons exposé nos opinions sans suffisance, attendu notre insuffisance.
Mais toute notre modération nous abandonne aux funestes nouvelles qu’on nous mande de Paris au mont Krapack. Nous apprenons qu’il s’élève une petite secte de barbares qui veut qu’on ne fasse désormais des tragédies qu’en prose. Ce dernier coup manquait à nos douleurs : c’est l’abomination de la désolation dans le temple des Muses. Nous concevons bien que Corneille ayant mis l’Imitation de Jésus-Christ en vers, quelque mauvais plaisant aurait pu menacer le public de faire jouer une tragédie en prose par Floridor et Mondori ; mais ce projet ayant été exécuté sérieusement par l’abbé d’Aubignac, on sait quel succès il eut. On sait dans quel discrédit tomba la prose d’Œdipe de Lamotte-Houdard ; il fut presque aussi grand que celui de son Œdipe en vers. Quel malheureux Visigoth peut oser, après Cinna et Andromaque, bannir les vers du théâtre ? C’est donc à cet excès d’opprobre que nous sommes parvenus après le grand siècle ! Ah ! barbares, allez donc voir jouer cette tragédie en redingote à Faxhall, après quoi venez-y manger du rosbif de mouton et boire de la bière forte.
Qu’auraient dit Racine et Boileau si on leur avait annoncé cette terrible nouvelle ? Bone Deus ! de quelle hauteur sommes-nous tombés, et dans quel bourbier sommes-nous[44] !
Il est vrai que la rime ajoute un mortel ennui aux vers médiocres. Le poëte alors est un mauvais mécanicien, qui fait entendre le bruit choquant de ses poulies et de ses cordes : ses lecteurs éprouvent la même fatigue qu’il a ressentie en rimant ; ses vers ne sont qu’un vain tintement de syllabes fastidieuses.
Mais s’il pense heureusement, et s’il rime de même, il éprouve et il donne un grand plaisir, qui n’est goûté que par les âmes sensibles et par les oreilles harmonieuses.
Que le rire soit le signe de la joie comme les pleurs sont le symptôme de la douleur, quiconque a ri n’en doute pas. Ceux qui cherchent des causes métaphysiques au rire ne sont pas gais ; ceux qui savent pourquoi cette espèce de joie qui excite le ris retire vers les oreilles le muscle zygomatique, l’un des treize muscles de la bouche, sont bien savants. Les animaux ont ce muscle comme nous ; mais ils ne rient point de joie, comme ils ne répandent point de pleurs de tristesse. Le cerf peut laisser couler une humeur de ses yeux quand il est aux abois, le chien aussi quand on le dissèque vivant ; mais ils ne pleurent point leurs maîtresses, leurs amis, comme nous ; ils n’éclatent point de rire comme nous à la vue d’un objet comique : l’homme est le seul animal qui pleure et qui rie.
Comme nous ne pleurons que de ce qui nous afflige, nous ne rions que de ce qui nous égayé : les raisonneurs ont prétendu que le rire naît de l’orgueil, qu’on se croit supérieur à celui dont on rit. Il est vrai que l’homme, qui est un animal risible, est aussi un animal orgueilleux ; mais la fierté ne fait pas rire ; un enfant qui rit de tout son cœur ne s’ahandonne point à ce plaisir parce qu’il se met au-dessus de ceux qui le font rire ; s’il rit quand on le chatouille, ce n’est pas assurément parce qu’il est sujet au péché mortel de l’orgueil. J’avais onze ans quand je lus tout seul, pour la première fois, l’Amphitryon de Molière ; je ris au point de tomber à la renverse ; était-ce par fierté ? On n’est point fier quand on est seul. Était-ce par fierté que le maître de l’âne d’or se mit tant à rire quand il vit son âne manger son souper ? Quiconque rit éprouve une joie gaie dans ce moment-là, sans avoir un autre sentiment.
Toute joie ne fait pas rire, les grands plaisirs sont très-sérieux : les plaisirs de l’amour, de l’ambition, de l’avarice, n’ont jamais fait rire personne.
Le rire va quelquefois jusqu’aux convulsions : on dit même que quelques personnes sont mortes de rire ; j’ai peine à le croire, et sûrement il en est davantage qui sont mortes de chagrin.
Les vapeurs violentes qui excitent tantôt les larmes, tantôt les symptômes du rire, tirent à la vérité les muscles de la bouche ; mais ce n’est point un ris véritable, c’est une convulsion, c’est un tourment. Les larmes peuvent alors être vraies, parce qu’on souffre ; mais le rire ne l’est pas ; il faut lui donner un autre nom, aussi l’appelle-t-on rire sardonien.
Le ris malin, le perfidum ridens, est autre chose : c’est la joie de l’humiliation d’autrui ; on poursuit par des éclats moqueurs, par le cachinnum (terme qui nous manque), celui qui nous a promis des merveilles et qui ne fait que des sottises : c’est huer plutôt que rire. Notre orgueil alors se moque de l’orgueil de celui qui s’en est fait accroire. On hue notre ami Fréron dans l’Écossaise plus encore qu’on n’en rit ; j’aime toujours à parler de l’ami Fréron : cela me fait rire.
« Roi, basileus, tyrannos, rex, dux, imperator, melch, baal, bel, pharao, éli, shadai, adoni, shak, sophi, padisha, bogdan, chazan, kan, krall, king, kong, kœnig, » etc., etc., toutes expressions qui semblent signifier la même chose, et qui expriment des idées toutes différentes.
Dans la Grèce, ni basileus, ni tyrannos ne donna jamais l’idée du pouvoir absolu. Saisit ce pouvoir qui put ; mais ce n’est que malgré soi qu’on le laissa prendre.
Il est clair que chez les Romains les rois ne furent point despotiques. Le dernier Tarquin mérita d’être chassé, et le fut. Nous n’avons aucune preuve que les petits chefs de l’Italie aient jamais pu faire à leur gré présent d’un lacet au premier homme de l’État, comme fait aujourd’hui un Turc imbécile dans son sérail, et comme de vils esclaves barbares beaucoup plus imbéciles le souffrent sans murmurer.
Nous ne voyons pas un roi au delà des Alpes et vers le Nord, dans les temps où nous commençons à connaître cette vaste partie du monde. Les Cimbres qui marchèrent vers l’Italie, et qui furent exterminés par Marius, étaient des loups affamés qui sortaient de leurs forêts avec leurs louves et leurs louveteaux. Mais de tête couronnée chez ces animaux ; d’ordres intimés de la part d’un secrétaire d’État, d’un grand boutillier, d’un logothète ; d’impôts, de laves arbitraires, de commis aux portes, d’édits bureaux, on n’en avait pas plus de notion que de vêpres et de l’opéra.
Il faut que l’or et l’argent monnayé, et même non monnayé, soit une recette infaillible pour mettre celui qui n’en a pas dans la dépendance absolue de celui qui a trouvé le secret d’en amasser. C’est avec cela seul qu’il eut des postillons et des grands officiers de la couronne, des gardes, des cuisiniers, des filles, des femmes, des geôliers, des aumôniers, des pages, et des soldats.
Il eût été fort difficile de se faire obéir ponctuellement si on n’avait eu à donner que des moutons et des pourpoints. Aussi il est très-vraisemblable qu’après toutes les révolutions qu’éprouva notre globe, ce fut l’art de fondre les métaux qui fit les rois, comme ce sont aujourd’hui les canons qui les maintiennent.
César avait bien raison de dire qu’avec de l’or on a des hommes, et qu’avec des hommes on a de l’or. Voilà tout le secret.
Ce secret avait été connu dès longtemps en Asie et en Égypte. Les princes et les prêtres partagèrent autant qu’ils le purent.
Le prince disait au prêtre : Tiens, voilà de l’or ; mais il faut que tu affermisses mon pouvoir, et que tu prophétises en ma faveur ; je serai oint, tu seras oint. Rends des oracles, fais des miracles, tu seras bien payé, pourvu que je sois toujours le maître. Le prêtre se faisait donner terres et monnaie, et il prophétisait pour lui-même, rendait des oracles pour lui-même, chassait le souverain très-souvent, et se mettait à sa place. Ainsi les choen ou chotim d’Égypte, les mages de Perse, les Chaldéens devers Babylone, les chazin de Syrie (si je me trompe de nom il n’importe guère), tous ces gens-là voulaient dominer. Il y eut des guerres fréquentes entre le trône et l’autel en tout pays, jusque chez la misérable nation juive.
Nous le savons bien depuis douze cents ans, nous autres habitants de la zone tempérée d’Europe. Nos esprits ne tiennent pas trop de cette température ; nous savons ce qu’il nous en a coûté. Et l’or et l’argent sont tellement le mobile de tout, que plusieurs de nos rois d’Europe envoient encore aujourd’hui de l’or et de l’argent à Rome, où des prêtres le partagent dès qu’il est arrivé.
Lorsque, dans cet éternel conflit de juridiction, les chefs des nations ont été puissants, chacun d’eux a manifesté sa prééminence à sa mode. C’était un crime, dit-on, de cracher en présence du roi des Mèdes. Il faut frapper la terre de son front neuf fois devant le roi de la Chine. Un roi d’Angleterre imagina de ne jamais boire un verre de bière si on ne le lui présentait à genoux. Un autre se fait baiser son pied droit. Les cérémonies diffèrent ; mais tous en tout temps ont voulu avoir l’argent des peuples. Il y a des pays où l’on fait au krall, au chazan, une pension, comme en Pologne, en Suède, dans la Grande-Bretagne. Ailleurs un morceau de papier suffit pour que le bogdan ait tout l’argent qu’il désire.
Et puis, écrivez sur le droit des gens, sur la théorie de l’impôt, sur le tarif, sur le foderum mansionaticum, viaticum ; faites de beaux calculs sur la taille proportionnelle ; prouvez par de profonds raisonnements cette maxime si neuve que le berger doit tondre ses moutons, et non pas les écorcher.
Quelles sont les limites de la prérogative des rois et de la liberté des peuples ? Je vous conseille d’aller examiner cette question dans l’hôtel de ville d’Amsterdam, à tête reposée.
L’évêque de Rome, avant Constantin, n’était aux yeux des magistrats romains, ignorants de notre sainte religion, que le chef d’une faction secrète, souvent toléré par le gouvernement, et quelquefois puni du dernier supplice. Les noms des premiers disciples nés juifs, et de leurs successeurs, qui gouvernèrent le petit troupeau caché dans la grande ville de Rome, furent absolument ignorés de tous les écrivains latins. On sait assez que tout changea, et comment tout changea sous Constantin.
L’évêque de Rome, protégé et enrichi, fut toujours sujet des empereurs, ainsi que l’évêque de Constantinople, de Nicomédie, et tous les autres évêques, sans prétendre à la moindre ombre d’autorité souveraine. La fatalité, qui dirige toutes les affaires de ce monde, établit enfin la puissance de la cour ecclésiastique romaine, par les mains des barbares qui détruisirent l’empire.
L’ancienne religion, sous laquelle les Romains avaient été victorieux pendant tant de siècles, subsistait encore dans les cœurs malgré la persécution, quand[49] Marie vint assiéger Rome, l’an 408 de notre ère vulgaire ; et le pape Innocent Ier n’empêcha pas qu’on ne sacrifiât aux dieux dans le Capitole et dans les autres temples, pour obtenir contre les Goths le secours du ciel. Mais ce pape Innocent fut du nombre des députés vers Alaric, si on en croit Zosime et Orose. Cela prouve que le pape était déjà un personnage considérable.
Lorsque Attila vint ravager l’Italie en 452, par le même droit que les Romains avaient exercé sur tant de peuples, par le droit de Clovis, et des Goths, et des Vandales, et des Hérules, l’empereur envoya le pape Léon Ier, assisté de deux personnages consulaires, pour négocier avec Attila. Je ne doute pas que saint Léon ne fût accompagné d’un ange armé d’une épée flamboyante, qui fit trembler le roi des Huns, quoiqu’il ne crût pas aux anges et qu’une épée ne lui fit pas peur. Ce miracle est très-bien peint dans le Vatican, et vous sentez bien qu’on ne l’eût jamais peint s’il n’avait été vrai. Tout ce qui me fâche, c’est que cet ange laissa prendre et saccager Aquilée et toute l’Illyrie, et qu’il n’empêcha pas ensuite Genseric de piller Rome pendant quatorze jours : ce n’était pas apparemment l’ange exterminateur.
Sous les exarques, le crédit des papes augmenta ; mais ils n’eurent encore nulle ombre de puissance civile. L’évêque romain élu par le peuple demandait, selon le protocole du Diarium romanum, la protection de l’évêque de Ravenne auprès de l’exarque, qui accordait ou refusait la confirmation à l’élu.
L’exarchat ayant été détruit par les Lombards, les rois lombards voulurent se rendre maîtres aussi de la ville de Rome : rien n’est plus naturel.
Pépin, l’usurpateur de la France, ne souffrit pas que les Lombards usurpassent cette capitale et fussent trop puissants : rien n’est plus naturel encore.
On prétend que Pépin et son fils Charlemagne donnèrent aux évêques romains plusieurs terres de l’exarchat, que l’on nomma les Justices de Saint-Pierre. Telle est la première origine de leur puissance temporelle. Il paraît que dès ce temps-là ces évêques songeaient à se procurer quelque chose de plus considérable que ces justices.
Nous avons une lettre du pape Adrien Ier à Charlemagne, dans laquelle il dit : « La libéralité pieuse de Constantin le Grand, empereur de sainte mémoire, éleva et exalta, du temps du bienheureux pontife romain Silvestre, la sainte Église romaine, et lui conféra sa puissance dans cette partie de l’Italie. »
On voit que dès lors on commençait à vouloir faire croire la donation de Constantin, qui fut depuis regardée pendant cinq cents ans, non pas absolument comme un article de foi, mais comme une vérité incontestable. Ce fut à la fois un crime de lèse-majesté et un péché mortel de former des doutes sur cette donation[50].
Depuis la mort de Charlemagne, l’évêque augmenta son autorité dans Rome de jour en jour ; mais il s’écoula des siècles avant qu’il y fût regardé comme souverain. Rome eut très-longtemps un gouvernement patricien municipal.
Ce Jean XII, que l’empereur allemand Othon Ier fit déposer dans une espèce de concile, en 963, comme simoniaque, incestueux, sodomite, athée, et ayant fait pacte avec le diable ; ce Jean XII, dis-je, était le premier homme de l’Italie en qualité de patrice et de consul, avant d’être évêque de Rome ; et malgré tous ces titres, malgré le crédit de la fameuse Marozie sa mère, il n’y avait qu’une autorité très-contestée.
Ce Grégoire VII qui, de moine étant devenu pape, voulut déposer les rois et donner les empires, loin d’être le maître à Rome, mourut le protégé ou plutôt le prisonnier de ces princes normands conquérants des Deux-Siciles, dont il se croyait le seigneur suzerain.
Dans le grand schisme d’Occident, les papes qui se disputèrent l’empire du monde vécurent souvent d’aumônes.
Un fait assez extraordinaire, c’est que les papes ne furent riches que depuis le temps où ils n’osèrent se montrer à Rome.
Bertrand de Goth, Clément V le Bordelais, qui passa sa vie en France, vendait publiquement les bénéfices, et laissa des trésors immenses, selon Villani.
Jean XXII, son successeur, fut élu à Lyon. On prétend qu’il était le fils d’un savetier de Cahors. Il inventa plus de manières d’extorquer l’argent de l’Église que jamais les traitants n’ont inventé d’impôts.
Le même Villani assure qu’il laissa à sa mort vingt-cinq millions de florins d’or. Le patrimoine de Saint-Pierre ne lui aurait pas assurément fourni cette somme.
En un mot, jusqu’à Innocent VIII, qui se rendit maître du château de Saint-Ange, les papes ne jouirent jamais dans Rome d’une souveraineté véritable.
Leur autorité spirituelle fut sans doute le fondement de la temporelle ; mais s’ils s’étaient bornés à imiter la conduite de Saint Pierre, dont on se persuada qu’ils remplissaient la place, ils n’auraient jamais acquis que le royaume des cieux. Ils surent toujours empêcher les empereurs de s’établir à Rome, malgré ce beau nom de roi des Romains. La faction guelfe l’emporta toujours en Italie sur la faction gibeline. On aimait mieux obéir à un prêtre italien qu’à un roi allemand.
Dans les guerres civiles que la querelle de l’empire et du sacerdoce suscita pendant plus de cinq cents années, plusieurs seigneurs obtinrent des souverainetés, tantôt en qualité de vicaires de l’empire, tantôt comme vicaires du saint-siége. Tels furent les princes d’Este à Ferrare, les Bentivoglio à Bologne, les Malatesta à Rimini, les Manfredi à Faenza, les Baglione à Pérouse, les Ursins dans Anguillara et dans Serveti, les Colonne dans Ostie, les Riario à Forli, les Montefeltro dans Urbin, les Varano dans Camerino, les Gravina dans Sinigaglia.
Tous ces seigneurs avaient autant de droits aux terres qu’ils possédaient que les papes en avaient au patrimoine de Saint-Pierre ; les uns et les autres étaient fondés sur des donations.
On sait comme le pape Alexandre VI se servit de son bâtard César de Borgia pour envahir toutes ces principautés.
Le roi Louis XII obtint de ce pape la cassation de son mariage, après dix-huit années de jouissance, à condition qu’il aiderait l’usurpateur.
Les assassinats commis par Clovis, pour s’emparer des États des petits rois ses voisins, n’approchent pas des horreurs exécutées par Alexandre VI et par son fils.
L’histoire de Néron est bien moins abominable : le prétexte de la religion n’augmentait pas l’atrocité de ses crimes. Observez que dans le même temps les rois d’Espagne et de Portugal demandaient à ce pape, l’un l’Amérique et l’autre l’Asie, et que ce monstre les donna au nom du Dieu qu’il représentait. Observez que cent mille pèlerins couraient à son jubilé, et adoraient sa personne.
Jules II acheva ce qu’Alexandre VI avait commencé. Louis XII, né pour être la dupe de tous ses voisins, aida Jules à prendre Bologne et Pérouse. Ce malheureux roi, pour prix de ses services, fut chassé d’Italie et excommunié par ce même pape, que l’archevêque d’Auch, son ambassadeur à Rome, appelait Votre Méchanceté, au lieu de Votre Sainteté.
Pour comble de mortification, Anne de Bretagne, sa femme, aussi dévote qu’impérieuse, lui disait qu’il serait damné pour avoir fait la guerre au pape.
Si Léon X et Clément VII perdirent tant d’États qui se détachèrent de la communion papale, ils ne restèrent pas moins absolus sur les provinces fidèles à la foi catholique.
La cour romaine excommunia Henri III, et déclara Henri IV indigne de régner.
Elle tire encore beaucoup d’argent de tous les États catholiques d’Allemagne, de la Hongrie, de la Pologne, de l’Espagne et de la France. Ses ambassadeurs ont la préséance sur tous les autres ; elle n’est plus assez puissante pour faire la guerre, et sa faiblesse fait son bonheur. L’État ecclésiastique est le seul qui ait toujours joui des douceurs de la paix depuis le saccagement de Rome par les troupes de Charles-Quint. Il paraît que les papes avaient été souvent traités comme ces dieux des Japonais, à qui tantôt on présente des offrandes d’or, et que tantôt on jette dans la rivière.
- ↑ Questions sur l’Encyclopédie, neuvième partie, 1772. (B.)
- ↑ Voyez le chapitre ii du Précis du Siècle de Louis XV, tome XV.
- ↑ Questions sur l’Encyclopédie, neuvième partie, 1772. (B.)
- ↑ Albert Dürer.
- ↑ Questions sur l’Encyclopédie, huitième partie. 1771. (B.)
- ↑ Les deux premières sections composaient tout l’article dans les Questions sur l’Encyclopédie, huitième partie, 1771. (B.)
- ↑ Horace, livre I, ode xii, v. 18.
- ↑ Ce morceau est célèbre. Il rappelle certaines Visions de Jean-Paul Richter. Qu’on nous pardonne ce rapprochement qui, quoique étrange, ne nous semble pas moins juste. Jean-Paul connaissait bien son Voltaire. (G. A.) — Voyez la note, page 340.
- ↑ Voyez l’article Dogme (Note de Voltaire.)
- ↑ Les préceptes de Zoroastre sont appelés portes, et sont au nombre de cent. (Note de Voltaire.)
- ↑ Voyez Xénophon. (Note de Voltaire.) — Dans le Banquet de Xénophon, chapitre v, § 6, c’est Socrate lui-même qui dit qu’il a les narines ouvertes, relevées, le nez camus. (B.)
- ↑ Dans l’édition de 1764 du Dictionnaire philosophique, l’article Religion était composé seulement des sept premières questions. (B.)
- ↑
Victrix turba . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . longum usque adeo tardumque putavit
Expectare focos, contenta cadavero crudo.(Juvénal, satire XV, vers 81-83.) - ↑ Ce n’est pas no 262, mais page 262 de l’édition de Cambridge, 1677, in-4o.
- ↑ Fin de l’article en 1764. (B.)
- ↑ Addition de 1765. (B.)
- ↑ Matthieu, chapitre xxiii, v. 29. (Note de Voltaire.)
- ↑ Livre II, de l’Adoration, disp. iii, chapitre viii. (Note de Voltaire.)
- ↑ Livre X, contre Julien. (Id.)
- ↑ Question 51 sur l’Exode, (Id.)
- ↑ Cité de Dieu, livre XXII, chapitre viii. (Note de Voltaire.)
- ↑ Contre Fauste, livre XX, chapitre iv. (Note de Voltaire.)
- ↑ Des Mœurs de l’Église, chapitre xxxix. (Id.)
- ↑ Sur les Vers de Pythagore, page 10. (Id.)
- ↑ De l’Abstinence, livre II, article xxxiv. (Note de Voltaire.)
- ↑ Épitre aux Romains, chapitre ix, v. 5. (Id.)
- ↑ Cité de Dieu, livre XXII, chapitre viii. (Id.)
- ↑ Lettre xxx, indict. xii, livre III. (Id.)
- ↑ Cette section formait tout l’article dans le Dictionnaire philosophique, en 1764. (B.)
- ↑ Actes des apôtres, chapitre xxiii, v. 6. (Note de Voltaire.)
- ↑ Job, chapitre xix, v. 26.
- ↑ Ire Épitre aux Thess., chapitre iv. (Note de Voltaire.)
- ↑ Addition faite en 1767. (B.)
- ↑ Section ire dans les Questions sur l’Encyclopédie, huitième partie, 1771. (B.)
- ↑ Tome XI, page 65 ; et dans le chapitre x de Dieu et les Hommes : voyez les Mélanges, année 1769 ; mais Voltaire est revenu à sa première idée dans l’article xxiv de ses Fragments sur l’Inde (voyez les Mélanges, année 1773).
- ↑ Section ii dans les Questions sur l’Encyclopédie, huitième partie, 1771. (B.)
- ↑ Questions sur l’Encyclopédie, neuvième partie, 1772. (B.)
- ↑ Psaume xxxiii, v. 6. (Note de Voltaire.)
- ↑ Voltaire se trompe ici. La poésie hébraïque, qui n’a ni nombre, ni pieds, ni césure, n’a non plus la rime. Le rhythme des vers hébreux se borne à une certaine symétrie dans les différentes parties ou membres du vers, et au parallélisme des idées qui y sont exprimées. (G. A.)
- ↑ Articles Églogue et Épopée, tome XVIII, pages 507 et 580.
- ↑ Voyez tome XVIII, page 580 ; et la conclusion de l’Essai sur la Poésie épique, imprimé dans le tome VIII, à la suite de la Henriade. Toutefois Voltaire n’y donne pas le compte des vers de l’Arioste.
- ↑ Voyez le Discours sur la tragédie, en tête de Brutus, tome Ier du Théâtre.
- ↑ Voyez la cinquième des Lettres, à la suite d’Œdipe : et dans le Commentaire sur Corneille, une des remarques sur la scène v du premier acte de Médée.
- ↑ Fin de l’artirle en 1772 ; le dernier alinéa est de 1774. (B.)
- ↑ Questions sur l’Encyclopédie, neuvième partie, 1772. (B.)
- ↑ Dans l’édition de Kehl, cet article se composait de la vingt et unième des Lettres philosophiques. (B.) — Voyez les Mélanges, année 1734.
- ↑ Questions sur l’Encyclopédie, huitième partie, 1771. (B.)
- ↑ Questions sur l’Encyclopédie, huitième partie, 1771. (B.)
- ↑ Les éditions données du vivant de l’auteur portent : « Subsistait encore avec splendeur quand Alaric, etc. » (B.)
- ↑ Voyez l’article Donations. (Note de Voltaire.)