Dictionnaire philosophique/Garnier (1878)/Question torture

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Éd. Garnier - Tome 20
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QUESTION, TORTURE[1].

J’ai toujours présumé que la question, la torture avait été inventée par des voleurs[2] qui, étant entrés chez un avare et ne trouvant point son trésor, lui firent souffrir mille tourments jusqu’à ce qu’il le découvrit.

On a dit souvent que la question était un moyen de sauver un coupable robuste, et de perdre un innocent trop faible ; que chez les Athéniens on ne donnait la question que dans les crimes d’État ; que les Romains n’appliquèrent jamais à la torture un citoyen romain pour savoir son secret ;

Que le tribunal abominable de l’Inquisition renouvela ce supplice, et que par conséquent il doit être en horreur à toute la terre ;

Qu’il est aussi absurde d’infliger la torture pour parvenir à la connaissance d’un crime, qu’il était absurde d’ordonner autrefois le duel pour juger un coupable : car souvent le coupable était vainqueur, et souvent le coupable vigoureux et opiniâtre résiste à la question, tandis que l’innocent débile y succombe ;

Que cependant le duel était appelé le jugement de Dieu, et qu’il ne manque plus que d’appeler la torture le jugement de Dieu ;

Que la torture est un supplice plus long et plus douloureux que la mort ; qu’ainsi on punit l’accusé avant d’être certain de son crime, et qu’on le punit plus cruellement qu’en le faisant mourir ;

Que mille exemples funestes ont dû désabuser les législateurs de cet usage affreux ;

Que cet usage est aboli dans plusieurs pays de l’Europe, et qu’on voit moins de grands crimes dans ces pays que dans le nôtre, où la torture est pratiquée.

On demande après cela pourquoi la torture est toujours admise chez les Français, qui passent pour un peuple doux et agréable.

On répond que cet affreux usage subsiste encore parce qu’il est établi ; on avoue qu’il y a beaucoup de personnes douces et agréables en France, mais on nie que le peuple soit humain.

Si on donne la question à des Jacques Clément, à des Jean Chastel, à des Ravaillac, à des Damiens, personne ne murmurera : il s’agit de la vie d’un roi et du salut de tout l’État[3]. Mais que des juges d’Abbeville condamnent à la torture un jeune officier[4] pour savoir quels sont les enfants qui ont chanté avec lui une vieille chanson, qui ont passé devant une procession de capucins sans ôter leur chapeau, j’ose presque dire que cette horreur perpétrée dans un temps de lumières et de paix est pire que les massacres de la Saint-Barthélemy commis dans les ténèbres du fanatisme.

Nous l’avons déjà insinué, et nous voudrions le graver bien profondément dans tous les cerveaux et dans tous les cœurs[5].


  1. Questions sur l’Encyclopédie, huitième partie. 1771. (B.)
  2. Voyez l’article Flibustiers ; et dans les Mélanges, année 1766, le paragraphe iv du Commentaire sur le livre Des Délits et des Peines ; année 1767, le paragraphe iv du Fragment des instructions pour le prince royal de *** ; et année 1771, la Méprise d’Arras.
  3. Lorsque l’impératrice-reine demanda sur cet objet l’avis des jurisconsultes les plus éclairés de ses États, celui qui proposa d’abolir la torture crut devoir soutenir que le seul cas pour lequel elle pût être conservée était le crime de lèse-majesté. L’impératrice lut son livre, et abolit la torture sans aucune réserve. Une souveraine a osé faire plus qu’un philosophe n’avait osé dire. (K.)
  4. Voyez dans les Mélanges, année 1766, la Relation de la mort du chevalier de La Barre.
  5. Voyez l’article Torture.


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