Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Galerie

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GALERIE, s. f. Passage couvert, de plain-pied, donnant à l’intérieur ou à l’extérieur, servant de communication d’un lieu à un autre, de circulation, aux différents étages d’un édifice ; c’est plutôt l’aspect monumental que le plus ou moins de largeur et de hauteur qui fait donner le nom de galerie à un passage. La dénomination de galerie entraîne avec elle l’idée d’un promenoir étroit relativement à sa longueur, mais décoré avec une certaine richesse. On donne aussi le nom de galerie à tout passage de service, très-étroit d’ailleurs, mais très-apparent et faisant partie de l’architecture d’un édifice. On dit la galerie des Rois à Notre-Dame, la galerie des Latéraux de la cathédrale de Rouen, bien que cette dernière galerie ne soit qu’un très-fâcheux passage. Quant aux galeries qui surmontent les bas-côtés dans les églises, les archéologues sont convenus de leur donner le nom de triforium, que nous leur conserverons sans discuter la valeur de cette dénomination.

Nous diviserons les galeries en galeries de service contribuant à la décoration extérieure ou intérieure des monuments, et en galeries promenoirs, dans les châteaux ou les édifices publics ou privés.

Les architectes du moyen âge établissaient, dans leurs grands monuments, des couloirs de service à différentes hauteurs, afin de rendre la surveillance et l’entretien faciles. Les hautes façades des cathédrales, par exemple, étaient divisées en plusieurs étages de galeries qui permettaient de communiquer de l’intérieur à l’extérieur, d’entretenir les parements, de réparer les vitres des roses, et de décorer au besoin les façades, à l’aide de tentures, lors des grandes cérémonies. Nos cathédrales françaises du Nord, bâties vers le commencement du XIIIe siècle, celles dont les façades ont été terminées, sont décorées de galeries superposées. À Notre-Dame de Paris, la façade, qui a été construite entre les années 1210 et 1225, présente, au-dessus des trois portails, une première galerie, fort riche, dont les entre-colonnements sont remplis de statues colossales des rois de Juda. Cette galerie est un véritable portique couvert par un plafond de dalles épaisses. Au-dessus est la galerie de la Vierge, sous la rose ; celle-ci est découverte et n’est qu’une terrasse munie d’une balustrade. Une troisième galerie, en manière de portique très-svelte et très-riche, ceint la base des deux tours et les réunit. Sur la façade de Notre-Dame d’Amiens, au-dessus des trois porches, est une galerie de service couverte, richement décorée d’arcatures et de colonnettes ; la galerie des Rois la surmonte, et celle-ci supporte une terrasse comme à Paris. À Reims, à la base des deux tours occidentales, au-dessus de la rose centrale, est la galerie découverte dite du Gloria. C’est de cette galerie qu’à certaines fêtes de l’année, devant le peuple assemblé sur le parvis, le clergé de Notre-Dame entonnait le Gloria in excelsis… Une longue suite de statues colossales de rois enveloppe la base du pignon et des tours au-dessus de cette terrasse. À Notre-Dame de Chartres, on observe une disposition analogue, mais dans des proportions beaucoup plus simples, et ne s’étendant qu’entre les deux tours. On peut donc ainsi se faire une idée de ce que sont les galeries dans les édifices du moyen âge. Nous allons entrer dans de plus amples détails sur ces parties importantes des constructions.

Galeries des Rois. La plus ancienne galerie des Rois à laquelle on puisse donner ce nom, en ce qu’elle sert en même temps de passage pour le service et de décoration, est celle de la façade de Notre-Dame de Paris ; on ne saurait lui assigner une date postérieure à 1220. Elle se compose d’une suite de piles (1) portant un plafond de pierre sur des encorbellements, et devant chacune desquelles est plantée une colonne. Les rois sont posés en A et abrités sous l’arcature portée par ces colonnes.
La fig. 2 donne cette galerie en coupe ; les statues des rois sont placées en A, un peu en retraite du socle des colonnes, et en B est une circulation pour le service, derrière les piliers de renfort posés au droit des colonnes. La terrasse dite de la Vierge est en C.
La fig. 3 présente l’aspect extérieur de la galerie. Par son style comme par sa composition, cette galerie est certainement la plus belle de toutes celles qui existent sur les façades de nos cathédrales françaises. On observera comme cette arcature, basse, simple par la composition générale, brillante par ses détails, forme un encadrement favorable autour des statues des rois. Quant à son effet sur l’ensemble de la façade, il est excellent. La galerie des Rois de Notre-Dame de Paris trace une zone riche et solide cependant au-dessus des trois portails et les couronne très-heureusement. La statuaire est bien à l’échelle du monument, paraît grande, sans pour cela rapetisser les membres de l’architecture[1].

Le style de la galerie des Rois de Notre-Dame de Reims est tout autre. À Reims, cette galerie remplace celle qui à Paris enveloppe la base des tours : elle n’est qu’une décoration et ne fournit pas une circulation continue. La construction date de la fin du XIIIe siècle, la statuaire en est médiocre. Cette galerie étant donnée en détail dans l’ouvrage de M. J. Gailhabaud[2], il ne paraît pas nécessaire de la reproduire ici.

Quant à la cathédrale d’Amiens, la disposition de sa galerie des Rois est fort belle. Comme celle de Paris, elle surmonte les trois portails ; mais à Amiens, entre la galerie des Rois et les gâbles des porches, est une galerie intermédiaire du plus beau style de l’art du XIIIe siècle (1235 environ).
La galerie basse (4), celle des Rois et la terrasse supérieure A sont praticables et communiquent avec les étages intérieurs des tours. Derrière la galerie basse s’ouvrent de grandes baies sans meneaux, qui éclairaient la nef centrale, à travers une autre galerie intérieure, avant la pose de la tribune des grandes orgues. D’autres fenêtres courtes sont ouvertes derrière la galerie des Rois ; celles-ci donnent sur une seconde galerie qui surmonte la galerie inférieure.


Le plan (5) explique cette belle disposition, qui, malheureusement, est masquée aujourd’hui par le buffet d’orgues. On remarquera (fig. 4) que la galerie inférieure porte sur des piles composées de trois colonnes groupées devant un pilastre ; des arcs de décharge richement décorés de redans et d’animaux sculptés sur le devant des sommiers reposent sur ces piles. Entre ces arcs de décharge, l’arcature est libre : c’est un simple remplissage à jour porté sur une colonne monolithe et maintenu seulement sous l’intrados des archivoltes par deux tenons dépendants des deux morceaux supérieurs du cercle. Ainsi l’architecte n’avait pas à craindre la rupture des parties de ce remplissage à jour sous la charge ou le tassement des parties supérieures. Une seule assise de pierre sépare la galerie basse de celle des Rois. Le dallage du passage découvert supérieur porte sur des linteaux qui forment les sommiers de l’arcature des rois. Chacun de ces sommiers est taillé en caniveau et rejette extérieurement les eaux du dallage par les têtes de gargouilles qui décorent les faces au-dessus des tailloirs.

Galeries de service des églises. Avec la galerie des Rois de la cathédrale d’Amiens, nous voyons une de ces galeries de service et décoratives à la fois qui venaient couper les lignes verticales des façades. Ces galeries, pendant le XIIIe siècle, sont passablement variées dans leur composition et leurs détails ; elles prennent une importance considérable comme la grande galerie à jour de la base des tours de Notre-Dame de Paris, comme celles du portail de Notre-Dame de Dijon, ou elles ne sont que des portiques bas, trapus, comme la galerie de la façade de Notre-Dame de Laon.

La question d’art et de proportions domine dans ces cas la question de service. Cependant ces galeries ont toujours une utilité. Dans leurs grands édifices, les architectes du moyen âge établissaient des moyens de circulation faciles à des niveaux différents, afin de pouvoir surveiller et entretenir les constructions, les couvertures et les verrières, sans être obligés, comme on le fait aujourd’hui, de poser des échafaudages dispendieux et nuisibles, à cause des dégradations qu’ils occasionnent aux sculptures et parties délicates de l’architecture.

Les deux galeries superposées de la face occidentale de l’église Notre-Dame de Dijon (XIIIe siècle) sont remarquablement belles, comme composition et sculpture.
Nous donnons (6) l’une de ces galeries, surmontée d’une haute frise d’ornements en façon de métopes posées entre des figures saillantes. Ces galeries étaient destinées à relier la base de deux tours qui n’ont jamais été élevées.

À l’extérieur des églises rhénanes du XIIe siècle, sous les combles, règnent souvent des galeries de circulation, particulièrement autour des absides. Ces galeries étaient prises alors aux dépens des reins des voûtes en cul-de-four de ces absides ; elles sont basses, formées de colonnettes portant une arcature plein cintre, et donnent de la richesse et de la légèreté aux couronnements de ces édifices.

Nous observerons que ce parti est adopté quelquefois dans le midi de la France, notamment dans les monuments religieux construits en brique. Ainsi, au sommet de l’église des Jacobins à Toulouse, on voit une galerie de service, un véritable chemin de ronde, placé sous le chéneau, et qui, donnant dans des échauguettes placées aux angles de l’édifice, permet de faire le tour de la construction près du sommet des voûtes.
Cette galerie A (7) prend jour du dehors, par les œils B, et permet d’examiner les voûtes par les petites fenêtres C vitrées et s’ouvrant sous les formerets ; elle est portée sur de grands arcs de décharge D bandés d’un contre-fort à l’autre et abritant parfaitement les verrières placées en E. Toute cette construction est en brique et présente un aspect des plus monumental.

À l’intérieur des grands vaisseaux gothiques voûtés, on trouve, au-dessus des triforiums, particulièrement en Bourgogne, des galeries de service qui passent derrière les formerets des voûtes. Nous voyons des galeries de ce genre à l’intérieur de l’église Notre-Dame de Dijon, de Notre-Dame de Semur, de Saint-Étienne d’Auxerre (voy. Construction, fig. 78, 79 bis et 88). Dans les églises de Champagne et de Bourgogne, nous voyons aussi que des galeries de service sont disposées dans les bas-côtés et chapelles, au-dessus des arcatures de rez-de-chaussée, sous les appuis des fenêtres (voy. Construction, fig. 86, 87).

Une galerie de ce genre, fort joliment composée, existe autour des bas-côtés du chœur de l’église abbatiale de Saint-Jean à Sens[3]. Sous les formerets des voûtes de ces bas-côtés s’ouvrent des triples fenêtres ; la galerie passe à travers leurs pieds-droits comme elle passe derrière les piles portant les voûtes (8).
Nous ne pouvons omettre ici les galeries de service qui coupent à peu près aux deux tiers de la hauteur des bas-côtés les piles de la nef de la cathédrale de Rouen, qui passent sur des arcades et pourtournent ces piles du côté du collatéral. Cette disposition singulière, et dont on ne s’explique guère aujourd’hui le motif, a paru assez nécessaire alors (vers 1220) pour que l’on ait cru devoir bander des arcs sous les archivoltes et donner aux encorbellements pourtournant les piles une importance et une richesse considérables.
La figure perspective 9 donne, en A, le plan de la galerie au niveau B de la naissance des arcades. En C devait exister une balustrade, dont les supports sont en place, mais qui n’a, croyons-nous, jamais été posée. La nef de l’église Saint-Étienne-du-Mont à Paris, qui date du XVIe siècle, présente une disposition analogue. Ces galeries ne pouvaient servir qu’à faciliter la tenture des nefs, les jours de fête.

On observera encore, à ce sujet, combien les architectes du moyen âge apportent de variété dans l’ensemble comme dans les détails de leurs conceptions. Leurs méthodes souples leur donnent toujours des moyens neufs lorsqu’il s’agit de satisfaire à un besoin, de remplir les diverses parties d’un programme.

Galeries de service des palais. On établissait souvent, dans les châteaux et palais du moyen âge, des galeries de service donnant sur les pièces principales (voy. Construction, fig. 119 et 120). Ces galeries desservaient un ou plusieurs étages. Au sommet des bâtiments fortifiés des XIVe et XVe siècles, elles devenaient des chemins de ronde propres à la défense et étaient munies alors de mâchicoulis (voy. Château, Donjon, Mâchicoulis). Nous voyons dans quelques châteaux les restes de ces galeries de service ; elles sont quelquefois prises dans l’épaisseur même des murs, passent à travers des contre-forts, comme dans l’exemple cité ci-dessus (fig. 120, Construction), ou sont portées sur des encorbellements.

Dans le bâtiment méridional du palais des Papes à Avignon, du côté de la cour, on trouve encore une jolie galerie, du XIVe siècle, qui donnait entrée dans les salles du second étage. Nous reproduisons (10) la coupe transversale de cette galerie voûtée en arcs d’ogives et éclairée par de petites fenêtres ouvrant sur la cour. Le dessus de cette galerie servait de chemin de ronde découvert, crénelé et décoré de pinacles.

Ces sortes de galeries de service aboutissaient à des escaliers et se combinaient avec ceux-ci. Vers la fin du XIVe siècle, on augmenta la largeur de ces couloirs, et on arriva, à la fin du XVe siècle, à en faire de véritables promenoirs. Cet usage fut adopté définitivement au XVIe siècle, comme on peut le voir aux châteaux de Blois, de Fontainebleau (galerie de François Ier), de Chambord, etc. Alors on les enrichit de peintures, de sculptures, on les garnit de bancs. Les galeries remplacèrent ainsi fort souvent la grand’salle du château féodal.

Sauval rapporte[4] « qu’en 1432 le duc de Bethfort fit faire, au palais des Tournelles, une galerie longue de dix-huit toises et large de deux et demie : on la nomme la gallerie des Courges, parce qu’il la fit peindre de courges vertes ; elle étoit terminée d’un comble peint de ses armes et de ses devises, couverte de tuiles assises à mortier de chaux et ciment, et environnée de six bannières rehaussées de ses armoiries et de celles de sa femme. Mais dans les siècles passés, ajoute cet auteur, il n’y en a point eu de plus magnifique que celle qu’acheva Charles V dans l’appartement de la reine à l’hôtel Saint-Pol. » Cette galerie était peinte depuis le lambris jusqu’à la voûte, de façon à représenter un bosquet tout rempli de plantes, d’arbres fruitiers, de fleurs, parmi lesquels se jouaient des enfants ; la voûte était blanc et azur. « Outre cela, continue Sauval, le roi Charles V fit peindre encore une petite allée par où passoit la reine pour venir à son oratoire de l’église Saint-Paul. Là, de côté et d’autre, quantité d’anges tendoient une courtine des livrées du roi : de la voûte, ou pour mieux dire d’un ciel d’azur qu’on y avoit figuré, descendoit une légion d’anges, jouant des instrumens et chantant des antiennes de Notre-Dame. Le ciel, au reste, aussi bien de l’allée que de la gallerie, étoit d’azur d’Allemagne (outremer) qui valoit dix livres parisis la livre, et le tout ensemble coûta six-vingt écus. »

Les galeries des habitations privées, destinées à desservir plusieurs pièces se commandant, étaient habituellement disposées en forme d’appentis donnant un portique à rez-de-chaussée, propre à abriter les provisions de bois de chauffage, à faire sécher le linge, etc. Ces galeries, légèrement construites en bois sur des colonnes de pierre ou sur des poteaux, n’avaient que la largeur d’un corridor, 1m,00 à 1m,50 c. (voy. Maison).

  1. Voy., au 7e Entretien sur l’Architecture, l’ensemble de cette façade.
  2. L’Architecture du Ve au XVIIe siècle et les arts qui en dépendent. T. I.
  3. Actuellement chapelle de l’hospice (1230 environ).
  4. Hist. et Antiq. de la ville de Paris. T. II, p. 281.