Dictionnaire topographique, historique et statistique de la Sarthe/Précis historique/IV/II

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Julien Remy Pesche
(Tome 1p. CXXIV-CLVII).

§. II. Depuis la première réunion à la couronne, sous Philippe-Auguste, jusqu’à la seconde, sous Louis XI.

1206. — Le jugement des pairs de France contre Jean-Sans-Terre, cette punition trop méritée d’un grand vassal félon et assassin, eût pu n’être qu’une nouvelle source de guerres acharnées entre les deux nations, si celui à qui ce châtiment était infligé eut été du reste un prince brave et entreprenant ; mais il en était autrement. Jean-Sans-Terre, aussi lâche, aussi faible et efféminé qu’il était ambitieux et cruel, car, l’assassinat de son neveu n’est pas le seul acte d’atrocité que l’histoire ait à lui reprocher, avait été obligé de repasser en Angleterre, après que les succès de Philippe-Auguste ne lui laissèrent plus d’espoir de rien conserver sur le territoire français.

La honte cependant l’en arracha. Forcé par les clameurs des Anglais, qui ne pouvaient supporter que Philippe jouît paisiblement de ce qui leur avait appartenu, Jean se trouva obligé d’essayer à ressaisir la proie qui venait de lui échapper. Il repassa en France avec une flotte nombreuse, débarqua à la Rochelle, où plusieurs seigneurs poitevins se rallièrent à lui, s’avança vers Angers qu’il prit et dementela et allait pénétrer dans le Maine, où il espérait que la mémoire de son père le servirait : mais il tourna du côté de la Bretagne, lorsqu’il vit que Philippe-Auguste, qui, du Poitou où il était campé, s’était retiré devant lui, avait garni les places du Maine, de manière à ne lui laisser aucune chance de succès, s’il les attaquait. Philippe eut bientôt repris tout ce dont Jean, qui était retourné en Angleterre, s’était emparé ; ses partisans n’eurent qu’à se soumettre et à implorer la clémence du vainqueur. Le Maine, n’ayant point manifesté de dispositions hostiles contre Philippe, n’eut point à implorer son indulgence ni à craindre sa sévérité.

1214. — Les mêmes événemens se renouvelèrent huit ans après, par la même cause. Jean-Sans-Terre, tentant un dernier effort, descend de nouveau à la Rochelle, prend Angers et plusieurs autres places, et fait pénétrer des partis jusqu’aux portes du Mans. Philippe envoie son fils, le prince Louis, contre son ennemi ; le Mans est mis en état de défense, et l’armée française ayant atteint celle de Jean, à la Roche-au-Moine, dont il faisait le siège, celui-ci s’enfuit épouvanté, n’osant livrer combat à son ennemi, ni le recevoir.

La déposition de Jean et sa mort, arrivée en 1216, le décès de Philippe-Auguste, en 1223, et les trêves conclues dans cet intervalle, entre les Français et les Anglais, enfin, la sage administration de la reine Bérengère, comtesse douairière du Maine, laissèrent à la province quelques années de repos et de tranquillité, dont elle avait grand besoin.

1229. — Deux fois le duc de Bretagne, Pierre de Dreux, surnommé Mauclerc, ayant essayé de rompre ses liens de vassalité envers la couronne de France, attira le roi Louis IX, ou Saint Louis, dans le Maine. La première fois, en 1227, ce prince fit fortifier la ville du Mans et les autres places en état d’être défendues, y plaça des garnisons et répandit ses troupes dans le Maine et dans l’Anjou ; la seconde en 1229, le roi passa de nouveau au Mans avec son armée, reçut à la Flèche le comte de la Marche qui, trois ans auparavant, était entré dans une ligue contre le roi et s’était reconcilié avec lui. Ces deux princes y renouvelèrent leur alliance et s’engagèrent à ne point traiter séparément avec l’ennemi commun. Louis marcha contre le duc de Bretagne qui, abandonné des Anglais avec lesquels il s’était allié et que le jeune roi avait battus, fut obligé de se soumettre, de se reconnaître vassal lige de son souverain ; il restitua différentes places qu’il possédait dans le Maine et dans l’Anjou, en conséquence du traité de Vendôme, de 1227, par lequel les villes d’Angers, de Baugé, de Beaufort et du Mans lui étaient mises entre les mains, en attendant le mariage de sa fille Iolande avec le prince Jean de France, qui devait avoir les comtés d’Anjou et du Maine, dont l’avait doté Louis VIII, par son testament : ce mariage ne s’effectua point.

Ce fut vers la même époque que mourut la reine Bérengère. Louis IX, en épousant Marguerite de Provence, en 1234, lui assigna pour son douaire le comté du Maine et d’autres terres, pour en jouir de la même manière que l’avait fait la veuve de Richard ; mais ce douaire lui fut assigné ailleurs lorsque, en 1246, les comtés d’Anjou et du Maine furent donnes par le roi à son frère Charles, devenu comte de Provence par son mariage avec l’héritière de ce comté, ei roi de Naples : c’est la tige de la troisième et célèbre maison d’Anjou, et de la seconde des comtes du Maine. Ce don, que P. Renouard traite d’apanage, ne mérite point cette qualification dans le sens que nous lui donnons aujourd’hui : les apanages de ce dernier genre ne commenceront qu’après la seconde réunion du Maine à la couronne sous Louis XI.

Si l’on en croit Morand, l’administration du comte Charles ne fut qu’une continuité de vexations envers la province, et si l’on est forcé de se tenir souvent en garde contre les assertions de cet historien, qui s’élève avec violence contre tout ce qui lui paraît blesser les intérêts du clergé, on peut croire à ce qu’il dit contre ce prince, à qui d’ailleurs il rend une entière justice sous d’autres rapports essentiels, puisque l’histoire le peint en effet comme un homme bouillant, difficile, hautain et absolu, ce que confirme son horrible conduite dans le royaume de Naples, contre le légitime héritier et la noblesse de ce pays, conduite qui amena l’affreuse catastrophe des vêpres siciliennes, en 1282, « laquelle fit un grand nombre de veuves, d’orphelins et d’héritiers dans les pays d’Anjou et du Maine, » ajoute le même historien.

1259. — Les rois d’Angleterre, Jean et Henri son fils, malgré qu’ils eussent perdu successivement toutes les possessions de leur famille en France, n’avaient pas cessé de conserver des prétentions sur les provinces qui en avaient fait partie. Henri III négocia avec tant de succès auprès de S. Louis, qu’il en obtint la restitution du Limousin, du Périgord, du Querci, de l’Agenois et d’une partie de la Guienne, à la charge de l’hommage, et en renonçant à tous ses droits, ou plutôt, à ses prétentions sur le Poitou, la Normandie, la Touraine, le Maine et l’Anjou. Ce traité mécontenta également les Anglais et les Français : les uns trouvaient qu’on n’avait pas obtenu assez ; les Français, avec plus de raison, qu’on avait trop accordé, en donnant quelque chose. On va voir qu’en effet cette concession du roi fut la source de nouvelles guerres sur le territoire de France.

Après le massacre des français en Sicile, le roi d’Arragon ayant envoyé des secours aux Siciliens, qualifiés de rébelles, le prince de Salerne, fils de leur roi Charles, fut fait prisonnier par eux. Son père en mourut de douleur.

Cependant, le pape Martin IV, ayant excommunié le roi Pierre d’Arragon, pour avoir pris parti en faveur des Siciliens contre le roi Charles son protégé, donna son royaume à Charles de Valois, fils du roi de France Philippe-le-Hardi, et d’Isabelle d’Arragon sœur de Pierre. Philippe envoya une armée pour mettre son fils en possession du royaume qui lui était donné. Mais, malgré quelques succès, il fallut renoncer à ces prétentions, pour tirer de la prison Charles II d’Anjou, surnommé le Boiteux, et faire la paix avec les fils de Pierre, Alphonse roi d’Arragon, et Jacques, qui s’était emparé de la Sicile et à qui elle resta.

Par suite de cet arrangement, Charles II d’Anjou ayant donné sa fille Clémence en mariage à Charles de Valois, les comtés d’Anjou et du Maine passèrent des descendans de S. Louis à ceux de Philippe III, surnommé le Hardi.

1288. — Pendant qu’une partie de la noblesse du Maine combattait en Sicile et en Arragon, pour les intérêts de ses comtes, une autre partie était en armes dans la province, contre son évêque Jean de Tanlai. Nous avons cité un exemple de cette espèce de guerre civile à l’article arçonnay : elle ne se termina que par la mort du prélat, en 1294.

1319. — Charles de Valois, qui gouverna le royaume pendant les trois règnes successifs des fils de Philippe-le-Hardi ses neveux, avait cédé le comté du Maine, ou plutôt en avait donné la jouissance à Philippe de Valois son fils, Celui-ci habita long-tems le château du Gué-de-Mauni (Voir ce mot), de la ville du Mans. Ce fut là que Jeanne de Bourgogne sa femme, mit au monde, le 6 des calendes de mai un fils bien connu dans l’histoire sous le nom du roi Jean. Philippe, son père, monta sur le trône en 1328, après la mort de Charles-le-Bel son cousin, à l’exclusion d’Edouard, roi d’Angleterre, qui y prétendait comme petit-fils de Philippe-le-Bel, par Isabelle sa mère. Mais on appliqua de nouveau la loi salique, fort silencieuse sur ce sujet, comme nous l’avons déjà dit, et qui avait été également invoquée inutilement, lors de l’avénement de Philippe-le-Long, pour décider que « toutes fois et quantes qu’une femme est déboutée d’aucune succession, comme de fief noble, les fils qui en viennent en sont aussi forclos. »

Philippe-de-Valois vint habiter quelquefois encore le château du Gué-de-Mauni, depuis qu’il fut roi, et Jeanne sa veuve, qui lui survécut près de cinquante ans, y passa aussi plusieurs années. Son nom cependant est moins dans la mémoire des habitans du Maine que celui de la reine Bérengère, quoiqu’elle y eut fondé un grand nombre d’établissemens religieux.

L’avènement de Philippe-de-Valois au trône, occasionna une nouvelle réunion du comté du Maine à la couronne, et le prince Jean, à qui son père avait fait don de ce comté, étant également devenu roi, le donna à son tour à Louis son second fils, avec le comté d’Anjou, qu’il érigea quelque temps après en duché. C’est ce prince, connu sous le nom de Louis I.er d’Anjou, qui fit revivre les prétentions de sa famille sur le trône de Naples ; il mourut en Italie en 1385.

1341. — La succession de Jean III, duc de Bretagne, ayant occasionné une conflagration d’intérêts entre les prétendans à ce duché, Charles de Blois et Jean de Montfort, Philippe-de-Valois prit le parti du premier de ces princes, et envoya une nombreuse armée sous le commandement de Jean son fils, pour appuyer ses prétentions. Le prince Jean entra dans le Maine à la tête d’une multitude de gens de guerre mal payés et indisciplinés qui commirent toutes sortes de vexations dans la province, « laquelle fut réduite à une si grande extrémité de misère, nous apprend Morand, qu’après une rude famine, une peste suivit si cruelle, qu’elle emporta les deux tiers des habitans. »

1356. — Après des trêves tant de fois renouvelées et rompues entre les monarques français et anglais, la guerre éclata enfin, entre Edouard III, roi d’Angleterre et le roi Jean. La victoire de Poitiers, remportée par le prince de Galles, surnommé le prince Noir, qui, avec huit mille hommes en défait quatre-vingt milles et fait le roi prisonnier, n’est de notre objet que relativement à son influence sur le sort de la province. En effet, les Anglais étant devenus maîtres du pays, chaque seigneur en prit occasion de se fortifier dans sa terre, et, sous prétexte de s’y défendre contre l’ennemi, d’armer ses sujets et de les obliger à faire la garde dans son château. Quelques-uns même, assurés de l’impunité, renouvelant les scènes de désordre des 10.e et 11.e siècles, se mirent à voler les marchands sur les chemins, à y dépouiller les passans, à commettre toutes sortes d’inhumanités sur les paysans. Ce fut dans cette occasion que les bourgeois du Mans rasèrent les églises des environs de la ville, et détruisirent le monastère de l’Epau, qui en est peu éloigné, dans la crainte que les Anglais n’en fissent un fort qui aurait pu les incommoder ; ils murèrent même toutes les portes de la ville et n’y laissèrent qu’un seul guichet, par lequel deux personnes ne pouvaient entrer de front.

Les impôts excessifs que la rançon du roi donna occasion d’établir, accrurent tellement la misère, qu’une foule de malheureux se joignirent aux maltôtiers, aux soldats congédiés et à toutes sortes d’autres vagabonds qui formèrent ou grossirent les bandes qui se reproduisirent à cette époque, sous le nom de Tards-Venus, dont une compagnie se répandit dans le Maine, et fut presqu’entièrement anéantie en voulant s’emparer du château de Touvoye. (Voir ce mot).

Le prince Louis I.er d’Anjou, comte du Maine, peu délicat sur la foi publique, s’échappa d’Angleterre où il avait été envoyé en otage, pendant que son père le roi Jean était venu en France chercher les moyens d’acquitter sa rançon ; le roi Jean, plus scrupuleux et plus respectable sous ce rapport, préféra reprendre ses fers, plutôt que d’entacher ainsi son honneur.

Nous arrivons à une des époques les plus calamiteuses de l’histoire de la France, de celle du Maine en particulier, à celle que l’on peut appeler la seconde guerre des Anglais dans notre pays. Pendant environ quatre-vingts ans, il n’est pas un coin de cette malheureuse province qui ne soit le théâtre de quelque combat avec ces insulaires. L’on ne peut attendre de nous, que nous les décrivions tous ici, où nous devons nous bornera la narration des principaux événemens : le récit des autres trouvera sa place dans le Dictionnaire, à chaque article local.

1369. — La Guienne s’étant révoltée contre le prince de Galles, qui ne sut pas assez la ménager, et de nouveaux différens étant survenus entre Charles V, surnommé le Sage, et Edouard III, la guerre recommença entre les français et les anglais. Ceux-ci étant débarqués en Bretagne avaient pénétré dans l’Anjou et dans le Maine, où ils s’étaient cantonnés, lorsque Bertrand du Guesclin, déjà illustré par ses faits d’armes en Bretagne et en Espagne, où il avait emmené les Grands-Compagnies et en avait débarrassé la France, fut rappelé par le roi, qui lui donna l’épée de Connétable, avec le gouvernement de toute l’ancienne Armorique, c’est-à-dire, de tout le pays situé entre la Loire, la Seine et la mer. Duguesclin vient dans le Maine que ravagent les Anglais commandés par Robert Knolles, les attaque entre Mayet et Pontvallain, les taille en pièces, et s’avançant contre les différens corps de troupes qui venaient à leur secours, les défait tous successivement.

Il est admirable de voir avec quelle modestie Duguesclin cherche à s’abaisser pour se dispenser d’accepter la charge si honorable alors de Connétable, disant « qu’il n’en estoit mie digne, et qu’il estoit un pauvre Chevalier, et un petit Bachelier au regard des grands seigneurs et vaillans hommes de France, combien que fortune l’eust un peu advancé ; » et ajoutant, sur les instances du roi Charles V, qui lui dit qu’il convenait qu’il le fut, que le conseil l’avait ainsi décidé et qu’il ne voulait point changer ses dispositions ; « cher Sire et noble Roy, je ne vous puis, n’y n’ose, n’y ne vueil dédire de vostre bon plaisir : mais il est vérité que je suis un pauvre homme, et de basse venue en l’office de la Connestablie, qui est si grand et si noble, qu’il convient (qui bien la veut exercer et s’en acquitter) qu’il commande et exploite moult avant, et plus sur les grans que sur les petits. Or veez-ci Messeigneurs vos frères, vos neveuz, et vos cousins qui auront charges de gens-d’armes, en ost et en chevauchées ; et comment oseroye-je commander sur eux : certes, cher Sire, les envies sont si grandes, que je les doy bien ressongner. Si vous prie chèrement que vous me déportiez de ceste office, et la bailliez à un autre, qui plus volontiers la prendra que moi, et qui mieux le sache faire. »

1382. — En même temps que le pays était écrasé par les armées des deux nations contendantes, une autre calamité augmentait encore le malaise de ses habitans. Les tentatives de Louis I.er d’Anjou, comte du Maine, pour s’emparer de Naples et de la Sicile, ne pouvant réussir qu’à force argent, Marie de Bretagne son épouse, qui était restée au Mans où elle exerçait la régence de l’Anjou et du Maine, et qui y prenait les titres fastueux de Reine de Sicile, Naples et Jérusalem, duchesse de Calabre et d’Anjou, comtesse de Touraine et du Maine, pressurait de tout son pouvoir les deux provinces du Maine et d’Anjou, pour en tirer des hommes et de l’argent et les envoyer à son mari, en même temps que la Régence qui gouvernait le royaume, pendant la minorité de Charles VI, établissait aussi dans le Maine, une maltôte sur le vin, et différens autres impôts, à l’effet d’obtenir de l’argent de son côté, pour subvenir aux pressantes nécessités d’une nouvelle guerre avec les Anglais et avec le duc de Bretagne : cette apparence de guerre forçait de relever encore une fois les fortifications de la ville et des châteaux du Mans.

1392. — Pierre de Craon, seigneur de Sablé et de la Ferté-Bernard, homme intrigant et en crédit, à qui Marie de Blois ou de Bretagne avait confié une somme de 1,500 livres d’or, arrachée aux deux provinces du Maine et d’Anjou, pour pourvoir aux besoins urgens du prince Louis, l’avait dissipée en Italie, et avait été cause, par cette infidélité, de la ruine de l’armée française dans le royaume de Naples et de la mort du prince, que la perte de ses espérances avait conduit au tombeau. Revenu à Paris, où la protection du duc d’Orléans, frère du roi, le sauva de la punition qu’il avait méritée, il y attaqua en guet-à-pens, à la tête d’une troupe de coupe-jarrets, le Connétable Olivier de Clisson, contre qui il avait un injuste ressentiment, le blessa à la tête et le laissa pour mort, puis se sauva auprès du duc de Bretagne qui, sans être son complice, eut le tort de le protéger. Une condamnation par contumace fut rendue contre Pierre de Craon ; plusieurs de ses complices furent punis de mort, même un pauvre curé de Chartres, fort innocent de son méfait ; son hôtel, situé près de l’église de S. Jean-en-Grève, fut rasé et l’emplacement donné à cette église pour lui servir de cimetière.

Charles VI ayant en vain fait sommer le duc de Bretagne de lui livrer Pierre de Craon, se mit à la tête d’une armée pour aller attaquer ce duc ; le rendez-vous des troupes fut au Mans. Le roi, dont l’esprit était déjà mal disposé, s’achemina à la tête de sa maison et de son arrière-garde, le gros de l’armée ayant pris les devants, par une chaleur ardente du mois d’août ; et, comme il traversait la Forêt du Mans, ( voyez cet article ), un grand homme noir, tout délabré, l’air furieux et égaré, s’élance à travers les arbres, saisit la bride de son cheval en s’écriant : Où vas-tu Roi ? ne chevauche plus avant, tu es trahi ! puis s’enfonce dans la forêt, où il fut impossible à ceux qui le poursuivirent, de le rattraper. Le roi n’en continua pas moins son chemin ; mais quelque temps après, au milieu d’une plaine sablonneuse, que les rayons solaires rendaient plus brûlante encore, un page s’étant endormi sur son cheval, laisse tomber sa lance sur le casque d’un de ses compagnons : ce bruit aigu trouble de frayeur le roi, qui, croyant y voir l’accomplissement de la prédiction du spectre, met l’épée à la main, fond sur tout ce qui l’entoure, et finit par tomber en faiblesse de lassitude et d’abattement. Alors on l’entoure, on le désarme, et on le ramène au Mans, où il resta jusqu’à ce que sa raison un peu rétablie, permît de le reconduire à Paris. L’orage près de fondre sur le duc de Bretagne se trouva dissipé par cet événement, et les troupes qui marchaient pour l’attaquer reçurent l’ordre de revenir sur leurs pas.

L’événement que nous venons de retracer, après tant d’autres écrivains, est un de ces singuliers mystères historiques que le temps n’a pu dévoiler : on n’a jamais su si le hasard l’avait occasionné, s’il était le résultat des intrigues du duc de Bretagne, ou de celles des oncles du roi et des seigneurs de sa cour, qui l’avaient joint au Mans, et qui tous désapprouvaient cette expédition. Plusieurs historiens semblent insinuer cette dernière cause, en nous apprenant que, pendant les trois semaines que Charles VI séjourna au Mans, on employa toutes sortes de moyens, on suscita mille embarras, pour empêcher le roi de donner suite à son projet, ce à quoi on ne put réussir.

Tout le monde sait les malheurs qui suivirent cette catastrophe et qui accompagnèrent la longue démence de ce malheureux roi. On sait également l’indigne conduite de la reine Isabeau de Bavière, qui, se rangeant du parti des ennemis de la France, profita de la faiblesse d’esprit de son époux infortuné, pour exclure le dauphin Charles, son fils, du gouvernement de l’état et de ses droits à la couronne, et pour y appeler, à la honte éternelle de ses perfides conseillers, l’ennemi naturel du royaume, le roi d’Angleterre, à qui elle donna sa fille Catherine en mariage. Exhérédation sans effet, par la constante persévérance de l’héritier légitime, et par le dévouement patriotique de quelques braves et généreux français, qui l’entourèrent et le soutinrent de leurs conseils et de leurs bras.

Au nombre de ces hommes recommandables, Ambroise de Loré, né dans le Maine, serait placé dans l’histoire au premier rang, auprès des Dunois, des Lahire, des Saintrailles, des Talbot, et même du connétable de Richemont, si la concentration de la plupart de ses exploits dans notre province, ne l’eût privé de toute la renommée qui s’acquiert plus volontiers sous l’œil du maître, et qu’obtinrent ses rivaux de gloire, en restant constamment auprès du Dauphin, depuis Charles II. Il n’est pour ainsi dire pas un combat donné dans la province, auquel ce vaillant homme n’ait assisté, pas une place-forte qu’il n’ait prise et défendue alternativement, ainsi qu’on le verra par le récit des faits particuliers fort multipliés, à mesure qu’ils se présenteront dans les articles de localités : nous nous bornons à faire connaître ici les faits généraux et principaux.

1412. — Charles VI, dans un des instans lucides que lui laissait quelquefois sa longue maladie, chargea le comte du Maine, Louis II, d’aller attaquer le duc d’Alençon, qui était entré dans la ligue du duc de Berry, ou du parti d’Orléans, dit des Armagnacs, en lui promettant les dépouilles du vaincu. Louis s’acquitta de cette commission avec succès, s’empara de plusieurs places du Saosnois, de Bellême et de Domfront, places que les Anglais, qui étaient descendus en Normandie, reprirent, tandis que le comte du Maine était allé au siège de Bourges, que faisait le roi.

1417 à 1450. — « Il y avait en ce temps, vers le Maine, dit Juvénal des Ursins, forte et aspre guerre. » En effet, les Anglais ayant pénétré, comme nous l’avons dit, dans le Maine et dans le Vendômois, s’étaient emparés de presque toutes les places et forts du Saosnois, de Ballon, de Beaumont et de Fresnay ; mais Ambroise de Loré, qui était à l’affût de leurs démarches, aidé de plusieurs autres seigneurs du Maine, les harcèle sans cesse, les bat en plusieurs rencontres, leur reprend Beaumont, dont la reddition est suivie de celle de dix à douze des forteresses qu’ils occupaient dans les environs : ce fut après ces faits d’armes que ce brave capitaine fut armé chevalier.

A la suite de la victoire de Beaugé, gagnée par le maréchal de la Fayette, en 1421, le Dauphin vient de Poitiers au Mans, par Tours, s’empare sur son chemin du château de Montmirail, contracte à Sablé, une alliance offensive et défensive avec le duc de Bretagne, et dispose ses troupes le long du Loir, de manière à empêcher les Anglais de traverser cette rivière ; ce qui les obligea de gagner la Beauce sans pouvoir pénétrer de ce côté dans notre pays. Mais, pendant ce temps, le comte de Cornouailles, trompant le maréchal de Rieux qui commandait au Mans, lui tend une embuscade, dans laquelle donne le maréchal, qui est fait prisonnier.

Une armée est formée à la même époque dans la province, avec laquelle le comte d’Aumale et le vicomte de Narbonne poursuivent les Anglais jusqu’à Bernai en Normandie, et ne reviennent au Mans que chargés de leurs dépouilles, après les avoir défaits. Les Anglais ont leur revanche quelque temps après ; et les années 1421 et 1432 se passent dans ces alternatives continuelles de succès et de revers. Le Dauphin, par la mort de Charles VI, devient roi et est couronné à Poitiers, sous le nom de Charles VII, cette même année 1422.

L’affaire du Bourgneuf, village situé à l’extrémité de la forêt de Concise, dans laquelle le colonel anglais de la Poole fut fait prisonnier, avec plusieurs de ses capitaines, par Ambroise de Loré, Gui de Laval, le baron de Coulonches, André de Laval de Loheac, eut lieu dans l’année 1424 ou la suivante. Ce fut un des beaux faits d’armes de l’époque dans nos contrées. André de Laval fut fait chevalier après cette affaire ; et Jeanne de Laval son aïeule, en lui ceignant l’épée de son époux, l’illustre Duguesclin, qui n’existait plus alors, lui recommanda d’en faire un aussi glorieux et aussi utile emploi que ce grand capitaine, contre les ennemis de la patrie. Ce fait d’armes est connu aussi dans l’histoire sous le nom de combat de la Gravelle, parce que les Anglais devaient passer par ce village, en revenant d’Anjou, pour aller faire des courses dans le Maine et le ravager.

A la suite de la funeste bataille de Verneuil, en 1424, où périt une grande partie de la noblesse française, le duc de Bethfort, voulant profiler de sa victoire, envoya le comte de Salisbery, pour s’emparer du Maine. Le siège du Mans, qu’entreprit ce général, est le premier, assure Polydore Virgile, où l’artillerie fut mise en usage : elle jeta l’épouvante dans la place, dont elle hâta la reddition. Le même effet eut lieu aux sièges de Sainte-Suzanne et de Mayenne, qui suivirent celui du Mans ; le château de la Ferté-Bernard résista plus longtemps : le brave capitaine Louis d’Avaugour, qui y commandait, y soutint un siège de quatre mois et obtint une honorable capitulation que les Anglais violèrent en le retenant prisonnier. Les sièges de Tennie, de Ramefort, place que l’on ne connaît plus et que nous tâcherons de découvrir à l’article Bousse, ceux de Malicorne, de Saint-Ouen-des-Toits, sont faits alternativement, soit par les Français, soit par les Anglais, sans que ces faits d’armes, et les différentes rencontres qui ont lieu en rase campagne, puissent rien décider en faveur du prince légitime ou de son compétiteur. La surprise du château du Mans par les Français, et l’atroce vengeance du comte de Suffolck qui fait trancher la tête à ceux des habitans qui y avaient pris part, n’ont d’autre effet que de rendre le nom anglais plus odieux dans le pays.

Le siège du Lude par les français, qui font une nouvelle tentative sur le Mans, ceux de Laval par les deux partis alternativement, et plusieurs autres affaires peu importantes ont lieu de 1426 à 1430.

Ambroise de Loré ayant été appelé pour accompagner Jeanne-d’Arc, allant au secours d’Orléans, la défense de l’importante place de Saint-Cénéric ou Saint-Célerin, près Alençon, dont ce capitaine était gouverneur, fut confiée par lui à l’un de ses lieutenans nommé Jean Armange, et à un écuyer du pays, appelé Henri de Villeblanche. Il est impossible de faire plus d’efforts que n’en firent les Anglais pour s’emparer de ce château, ni d’opposer une résistance plus courageuse et plus opiniâtre que celle du gouverneur Armange. Les anciens eussent placé un tel homme au rang de leurs demi-dieux : à peine son nom est-il connu dans notre pays !

Ambroise de Loré, revenu dans le Maine, en 1431, avec le titre de maréchal des armées du duc d’Anjou, lieutenant-général pour le roi dans la province, ayant rassemblé des troupes pour dégager le château de Saint-Cénéric, assiégé pour la quatrième fois, est fait prisonnier par l’ennemi : mais, loin que cet événement décourage ses soldats, comme il arrive trop souvent en pareil cas, il exalte leur courage, les fait pénétrer au milieu des Anglais jusqu’à ce qu’ils aient trouvé et délivré leur général : battus, les Anglais lèvent le siège et sont poursuivis par l’intrépide Armange, qui, dans le troisième siège qu’il avait soutenu, avait repoussé huit assauts et fait autant de sorties sur l’ennemi.

Ambroise de Loré, à peine guéri de ses blessures, veut se venger de sa courte captivité par un trait d’audace, Il part, suivi d’une troupe d’élite, s’avance et perce jusqu’au faubourg de S.-Etienne de Caen, alors sous la domination anglaise, pille les plus riches marchandises de la foire de S. Michel, qui y était ouverte, et rentre au bout de huit jours dans le fort de S.-Cénéric, conduisant trois mille prisonniers, sans compter un millier de vieillards, de femmes, d’enfans, et d’ecclésiastiques, qu’il avait renvoyés sans rançon, procédé généreux et inusité alors.

Au milieu de cette multitude de combats entre des ennemis acharnés se battant en corps, l’usage de ce temps autorisait et donnait lieu a de fréquens défis de bravoure, d’individus à individus. Un de ces duels, plus excusables que ceux entre concitoyens, eut lieu à Laval entre un seigneur de Brélignoles nommé Finot, et le chevalier anglais Arthus de Cliffton : celui-ci fut vaincu. Deux autres eurent pour théâtre les villes de la Ferté-Bernard et de Sablé, nous en parlerons à ces articles.

Différens combats, trop peu importans pour être rappelés ici, furent donnés autour de la place de Saint-Cénéric que les Anglais ne perdaient point de vue. Le comte d’Arondel, qui commandait alors dans la contrée les troupes de sa nation, entreprend un cinquième siège de cette forteresse, en 1432, et parvient à s’en emparer, après que le brave Armange, son fidèle émule de Villeblanche et une cinquantaine de leurs plus intrépides compagnons, eurent succombé sur la brèche. Ce siège fut suivi de ceux de Sillé-le-Guillaume et de Beaumont-le-Vicomte, qui réussirent également au comte d’Arondel, sans que la valeur française, si ce n’est à Beaumont, eût à se reprocher les succès de ce général.

Ambroise de Loré, et les principaux capitaines français qui avaient commandé dans le Maine, furent appelés à prendre part aux triomphes qu’avait préparés Jeanne-d’Arc, Ambroise de Loré, lorsque Charles VII, eut fait son entrée à Paris, fut nommé prévôt de cette ville, emploi qu’il remplit aussi dignement qu’il avait glorieusement combattu les ennemis de son roi.

Cependant, le roi d’Angleterre tenait le Maine presqu’en entier en sa possession. Il fit faire, en 1438, une proclamation par laquelle il offrait de rendre leurs biens à tous ceux qui voudraient le reconnaître pour souverain : presque tous les gentilshommes et autres propriétaires de tous états, se retirèrent dans celles des provinces voisines que les anglais n’occupaient pas, et se rendirent redoutables à l’ennemi par les courses continuelles qu’il faisaient sur les frontières du pays qu’il occupait. Personne n’avait non plus voulu reconnaître, autrement que par la force, les titres que s’était arrogés le duc de Bethfort, à qui la régence avait été donnée après la mort du roi d’Angleterre Henri V, et qui avait été nommé tuteur du jeune Henri VI, duc d’Anjou et comte du Maine, d’Alençon et du Perche.

Les années suivantes, jusqu’en 1444, furent encore signalées par la continuation des hostilités : les Français s’emparèrent du château de Sainte-Suzanne, et les Anglais de Saint-Denis-d’Anjou, expédition au retour de laquelle ils furent battus et perdirent tout le butin qu’ils avaient fait.

Enfin, en 1444, Henri VI roi d’Angleterre, ayant épousé Marguerite d’Anjou, fille de René roi de Sicile, et nièce de Charles comte du Maine, à qui René avait cédé cette province, une des conditions de ce mariage fut la restitution de ce comté à Charles ; mais le roi d’Angleterre, peu fidèle à ses engagemens, retint les villes du Mans et de Fresnay : il fallut qu’une armée Française, sous les ordres du comte de Dunois, vint le forcer à la restitution, qui eut lieu, pour celle du Mans, en 1448 ; et qu’un siège lui arrachât celle de Fresnay, en 1449.

La remise du Mans entre des mains françaises, et la cessation de la domination étrangère, parurent des événemens si heureux pour le pays, qu’il y fut institué une procession générale, qui se renouvela pendant plus d’un siècle, le 16 mars de chaque année, jour anniversaire de cette restitution.

Ainsi finit la domination anglaise dans le Maine, où l’on voit quelle fut toujours en horreur. Il est peu de provinces, il faut le dire, qui aient donné plus de gages de patriotisme ; et si quelqu’esprit d’indépendance s’y manifesta quelquefois, au moins ne fut-il jamais en faveur de l’étranger.

Louis XI, Charles VIII son fils, et tous les rois leurs successeurs, tinrent constamment compte aux Manceaux de leur attachement à la cause nationale, qui était aussi celle de ces souverains. Une foule de documens établissent les privilèges, franchises, libertés, exemptions qui leur furent octroyées, comme une juste récompense de leur fidélité.

« Considérant, depuis l’an 1417 jusqu’en 1450, ou environ, dit Louis XI, dans une déclaration en faveur de la ville du Mans, qu’ils furent remis ès-mains de feu notre père Charles VII, les habitans du Mans ont toujours été en frontière de guerre, et par l’espace de vingt-trois ans occupés et violemment retenus et usurpés par les Anglais ....... »

« Pour la bonne, grande amour et ferme loyauté, dit aussi Charles VIII, dans une confirmation de privilèges, que les habitans du Mans ont eues envers nous et notre feu seigneur et père, et autres progéniteurs rois, sans avoir varié ....... »

Les mêmes marques d’honorable gratitude furent également données aux autres villes qui avaient manifesté un semblable patriotisme : ainsi, dans une déclaration donnée à Tours le 14 décembre 1461, Louis XI reconnaît que la ville de la Ferté-Bernard, dont il confirme également les privilèges, « est une des clefs du pays du Maine, les Marches (frontières) de Normandie, d’une grande résistance aux Anglais, etc. »

Pendant cette longue occupation du comté du Maine, cette province avait changé plusieurs fois de légitime propriétaire. Louis II, duc d’Anjou et comte du Maine avait marié sa fille au Dauphin, qui devint Charles VII, et Louis III, fils de Louis II, succéda à son père aux comtés du Maine et de Provence, au duché d’Anjou, ainsi qu’à ses prétentions, qu’il fit revivre, sur le royaume de Naples. Étant mort à Cosenza en Italie, en 1434, son frère René, si connu sous le glorieux nom de le Bon, lui succéda, et céda, en 1440, son comté du Maine, dont sa mère Iolande avait la jouissance pour son douaire, à Charles son frère puîné. Cette disposition, renouvelée par le traité du mariage de la fille du roi René, avec le roi d’Angleterre, dont nous avons parlé, rencontra de la contradiction de la part des Angevins, qui prétendirent que le comté du Maine ayant été réuni à l’Anjou, et ces provinces possédées ainsi depuis le don qu’en avait fait le roi Jean, à Louis le second de ses fils, ces deux terres ne pouvaient être divisées d’après les lois et les coutumes de la monarchie, qui ne recevait dans les apanages qu’un héritier en droite ligne, ce qui était exact. Le parlement de Paris, adoptant ces principes de droit public, refusa d’homologuer la donation du roi René ; mais Charles VII, allié par sa femme à la maison d’Anjou, et qui était reconnaissant de la fidélité avec laquelle les princes de cette maison étaient restés dans ses intérêts, passa outre en faveur du comte Charles, pour qui il avait beaucoup de considération, et qui lui avait rendu des services considérables pendant ses malheurs.

Charles II succéda à son père, décédé à Aix en 1472, au comté du Maine. Etant mort sans enfans, le 12 décembre 1431, après avoir institué le roi Louis XI son neveu, son héritier universel, le comté du Maine se trouva, comme l’avait été le duché d’Anjou, après la mort du roi René, réuni de nouveau à la couronne, pour n’en être plus séparé ; car, depuis lors, cette province ne fut plus qu’un apanage usufruitier, sans droit de propriété, des fils puînés des rois de France : c’est en cette qualité qu’en jouissait encore en 1790, Monsieur, frère du roi Louis XVI, depuis Louis XVIII, qui en avait été pourvu par le roi Louis XV son aïeul.

On ne doit pas être étonne que nous avons, sur une époque aussi calamiteuse que la seconde partie de cette quatrième période, à-peu-près les mêmes remarques à faire que celles que nous avons faites sur la première partie de cette même période. Les mêmes causes, des guerres presque continuelles pendant un espace de deux cent soixante-quinze ans, ayant produit les mêmes résultats.

Les guerres privées, qui se continuaient sans cesse, de seigneur à seigneur, affaiblissaient le royaume et mettaient le monarque dans le cas de ne pouvoir faire tête à l’ennemi extérieur. Aussi, Philippe-le-Bel, dans un parlement tenu à l’époque de Toussaint, défend-il les guerres privées, tant que la sienne durera. Une ordonnance de Charles V, renouvelle cette défense d’une manière absolue, quatre-vingts ans plus tard. Une autre ordonnance rendue sous S. Louis, et qu’on appelle Quarantaine le roi, défend aux héritiers de tirer vengeance du meurtre avant quarante jours écoulés : elle a pour but d’empêcher les voies de fait causées par le premier moment de colère : car ces vengeances, toujours exercées les armes à la main, étaient souvent la cause de guerres intestines qui n’avaient point de fin.

La captivité du roi Jean fut surtout une nouvelle source d’anarchie. Nous avons vu qu’après la bataille de Poitiers, chaque seigneur se fortifiait dans son manoir et s’y livrait à toutes sortes d’excès. Ces pratiques désastreuses que nous avons dit exister dans le 11.e siècle, étaient loin d’être autorisées, puisqu’un arrêt rendu pendant le règne de S. Louis fait connaître que les seigneurs, au contraire, étaient tenus de faire garder les chemins, depuis le soleil levant jusqu’au soleil couché, et que le droit de péage qu’ils percevaient n’était qu’une indemnité de cette obligation. Cette police, bien ancienne, se trouve dans un capilulaire de Charlemagne de l’an 812. Une autre loi du même genre, une constitution de l’empereur Frédéric II, défend, sous quelque prétexte que ce puisse être et sous des peines graves, de troubler les laboureurs dans leurs travaux, de s’emparer de leurs biens, de leurs personnes, de leurs instrumens, de leurs bœufs, etc. Cette constitution n’était que le renouvellement d’un édit de Constantin sur le même sujet. Louis-le-Hutin, en la rendant exécutoire dans le royaume, fait connaître l’existence du mal, par le remède qu’il cherche à y apporter.

Cet état perpétuel de guerre qui dépeuplait le royaume, la noblesse surtout ; la malheureuse bataille de Verneuil, qui fit périr un si grand nombre de seigneurs, donnèrent lieu aux anoblissemens. Les premières lettres de noblesse sont de Philippe-le-Hardi, et données en faveur de Raoul, orfèvre ou argentier du roi. On en voit quelques autres sous Philippe-le-Bel, et des exemples de fiefs achetés par des roturiers. Il fallait beaucoup d’argent afin de se mettre en équipage pour aller à la Terre-Sainte, où chaque noble entretenait, payait, nourrissait les hommes d’armes qu’il y conduisait, dépense dont il faisait l’avance au moins ; souvent il fallait vendre une partie de ses biens pour y subvenir, et on ne le pouvait faire, qu’en s’adressant à ceux qui, restant chez eux, gardaient leur argent et pouvaient l’utiliser, en achetant les propriétés de ceux qui partaient.

De cet état de choses, de cette nécessité de trouver de l’argent, vint aussi l’admission du Tiers-Etat, ou des roturiers, dans les États du royaume. Il fallut bien consulter cette portion de la nation, quand elle commença à devenir quelque chose, que l’on eut besoin dans les affaires du concours de son assentiment. Ce fut, à ce qu’on croit, en 1303, sous Philippe-le-Bel, que cette première admission eut lieu. Une ordonnance de S. Louis, de l’an 1254, laisse croire que les trois États étaient consultés quand il était question de matières où le peuple avait intérêt.

« Louis VIII, suivant les maximes de ses prédécesseurs, signala l’avénement de son règne par l’affranchissement des Serfs ; » la reine Blanche mère de S. Louis, et régente pendant la croisade du roi son fils, Philippe-le-Bel et, enfin, Louis-le-Hutin, suivent cet exemple. Ce dernier force même les serfs de ces domaines à racheter leur liberté, aux dépens des effets mobiliers dont la disposition leur appartenait, ou au moyen de redevances d’un certain temps de service militaire par chacun an, « en sorte que le serf tenait la liberté comme un fief. » Qui croirait que six cents ans plus tard, Louis XVI dût encore avoir le mérite de l’abolition de la servitude dans ses domaines, et qu’il fallût plaider, il n’y a guère plus de cinquante ans, en faveur des Serfs du Jura, contre les moines de S.-Claude leurs seigneurs ?

Nous avons parlé, au paragraphe précédent, de l’affranchissement des communes et du service militaire qu’elles devaient au roi, comme avant, ceux qui les composaient, l’auraient dû à leur seigneur. Nous voyons sous Louis IX, que ce prince voulant châtier la révolte du duc de Bretagne, mande la Noblesse avec les Communes ; et que, en 1236, voulant marcher contre Thibaut comte de Champagne, nonobstant l’avis ou plutôt malgré les défenses de Grégoire IX, « S. Louis qui savait que le Saint-Père pouvait lui donner quelque fois des conseils, jamais des ordres, ne laissa pas d’envoyer dans les provinces pour mander la Noblesse et les Communes, dont le rendez-vous fut assigné à Vincennes. »

Cette fermeté d’un roi sï chrétien et si pieux, à tel point (et cela exprime tout sous ce rapport) qu’il a été canonisé, ne fut pas instantanée de sa part : il opposa toujours la même résistance aux entreprises du pouvoir ecclésiastique, pendant un règne assez long, notamment en 1231, contre les prétentions des évêques, qui, dès qu’ils avaient le plus léger sujet de plainte contre lui ou contre ses officiers, faisaient fermer les églises et interrompre les cérémonies de la religion. La Pragmatique-Sanction, par laquelle il régla ses rapports et ceux de ses sujets avec l’autorité papale, est un monument à jamais honorable de la chrétienne, mais royale indépendance de ce roi, de la sagesse et de l’étendue de son esprit. Au surplus, le code des lois et coutumes que Louis IX publia en 1270, et que l’on connaît sous le nom d’Établissemens de S. Louis, est une preuve que ce grand roi, qui avait eu à cœur d’asseoir sur des bases solides les libertés de l’église gallicane, voulut aussi fixer d’une manière certaine les lois civiles de la nation.

Le besoin impérieux d’argent, dont nous avons parlé, qui se renouvelait si souvent, motiva ou servit de prétexte à toutes les avanies auxquelles les Juifs continuèrent d’être en butte. Sous S. Louis, vers 1269, on les force à ouïr un prêcheur chrétien, et, contradiction étrange, si l’un d’eux se convertissait, il tombait en forfaiture, ses biens étaient confisqués par le seigneur de la terre où il demeurait, parce que « la liberté qu’il acquérait en devenant chrétien, dépouillait son seigneur de la propriété qu’il avait sur sa personne auparavant, » car, on les vendait avec la terre, ou séparément, suivant leur nombre, leurs talens, leur industrie.

Louis-le-Hutin les avait rappelés pour douze ans ; ces rappels après bannissement, ces tolérances de séjour, ces permis de résider, se payaient à prix d’argent : c’était un moyen de faire dégorger ces véritables sangsues qui ne se soutenaient contre toutes les vexations, les exactions, auxquelles ils étaient continuellement exposés, que par l’infame usure qu’ils ne cessaient d’exercer. C’était donc un moyen d’arracher de leurs mains les richesses qu’eux-mêmes ravissaient aux particuliers, par conséquent un rentable impôt indirect levé sur la nation, tellement que Charles II, roi de Sicile, pour s’indemniser de la perte qu’il éprouvait pour avoir été obligé de les bannir de son comté du Maine et d’Anjou, établît un fouage de trois sous sur chaque feu et de six deniers sur chacun de ses sujets chrétiens, qui gagnaient leur vie de leur métier.

Le roi Jean, pressé par le mauvais état des finances, permet aux Juifs de demeurer dans le royaume pendant vingt ans ; Charles V, tire de grandes sommes au même titre, en leur imposant un costume particulier ; enfin, sous Charles VI, ils sont expulsés du royaume sans retour et dépouillés de leurs biens.

Les confiscations étant un moyen certain de se procurer de grandes sommes, cette époque en offrit un autre exemple fort remarquable, celui de l’abolition de l’ordre et du supplice des templiers :

Etaient-ils innocens ?.... Ce doute fait horreur !

Cependant, ils furent sacrifiés ; et l’histoire rénumératrice des grandes infortunes comme des grands crimes, en s’appitoyant sur leur malheur, accuse et Philippe-le-Bel et Clément V, l’un d’avarice et de cruauté, l’autre d’une complaisance coupable, dont il paraît difficile de les justifier.

Il est certain que plusieurs des vices qu’on leur reproche furent au moins exagérés, tel par exemple que leur goût pour la boisson, qu’on a cru prouvé par le proverbe : boire comme un Templier ; cependant l’inventaire des caves de leurs maisons, en Normandie, offre des quantités de boissons trop minimes pour qu’elles puisent justifier une telle accusation, et peut-être est-ce le cas de dire ab uno disce omnes. Leur luxe, dans ces maisons appelées templeries, était tout agricole : on trouva dans l’une de leurs commanderies, qui était une véritable ferme, 14 vaches, 5 génisses, 2 bœufs, 290 moutons et brebis, 105 porcs, 8 jumens, 11 poulains et le palefroy du commandeur. Du reste, rien de brillant, point d’ameublement marquant ; les chapelles n’avaient qu’un calice et qu’un seul ornement. Mais le duc de Normandie et les seigneurs de cette province leur avaient fait beaucoup de dons, comme tous les princes et seigneurs de la chrétienté, et leur richesse fut le plus grand si ce n’est leur seul crime. Jean-sans-Terre, particulièrement, avait surpassé tous les autres princes à cet égard : il leur assura tous les ans, dit M. l’abbé de la Rue[1], un marc d’argent par chaque vicomte de l’Angleterre, rapportant cent livres à son domaine ; et de plus, une coupe d’argent du poids d’un marc, par chaque ville, château ou terre en Normandie, dans le Maine, l’Anjou, la Touraine, le Poitou et la Gascogne, lui produisant un revenu de même valeur : il fait, dit-il, cette donation aux pauvres chevaliers du Christ.

L’altération des monnaies, si fréquente alors, avait également sa source dans des besoins sans cesse renaissans. Le droit de battre monnaie était un privilège de féodalité que possédaient seuls les grands vassaux, les barons : plus de quatre-vingts seigneurs jouissaient de ce droit en France, notamment les comtes du Maine ; le roi seul pouvait faire battre de la monnaie d’or et d’argent. De l’un des côtés de la monnaie était une croix, et de l’autre des piliers, d’où est venue l’expression, qui subsiste encore, de croix et piles, quoiqu’on ne rencontre plus ces signes sur les pièces que nous connaissons. Avant Charles VI, les monnaies étaient parsemées de fleurs de lys sans nombre, du côté opposé à l’effigie : elles furent réduites à trois sous son règne, peut-être même sous celui de son prédécesseur. On sait que certains seigneurs de fiefs inférieurs avaient le droit, qui leur était concédé par leurs seigneurs, suzerains, de faire faire de petites monnaies appelées mailles : nous citerons un titre qui constate ce droit, à l’article Pescheseul. Au surplus, par une exception à ce que nous venons de dire, les comtes du Maine avaient le privilège de faire forger monnaie blanche, et, suivant P. Renouard, les Evêques du Mans, dès le 7.e siècle, faisaient battre des monnaies à leur coin dans la ville du Mans. On trouve une notice étendue et curieuse sur ce sujet, par P. Renouard, Ann. de la Sarthe, pour 1815, p. 33.

Le zèle religieux ne fut pas moins manifesté pendant cette longue période, qu’il ne l’avait été précédemment. Outre les ordres militaires réguliers qui durent leur naissance aux croisades, on vit s’établir les frères Mineurs, d’où vinrent les Cordeliers, les Capucins, les Récollets, etc. ; les frères Prêcheurs, plus connus sous les noms de Dominicains et de Jacobins : c’est à cet ordre que fut confié, en 1233, l’Inquisition, qui avait pris naissance en 1204. Les Carmes, religieux du Mont-Carmel, furent amenés de la Terre-Sainte par S. Louis, et s’établirent en France en 1254 ; enfin, le pape Alexandre III, réunit en seul ordre, sous le nom d’Ermites de S. Augustin, plusieurs congrégations d’ermites de différens instituts.

Le nombre des fondations religieuses diminue néanmoins pendant cet espace de temps. Nous n’y remarquons guère en effet que celles des monastères et congrégations de la Fontaine-Daniel, et de la Fontaine-Géhard, dans le Bas-Maine ; le monastère de la Pelice, près la Ferté ; les prieurés de Loué et de Clermont, le couvent des filles de Bonlieu, près Château-du-Loir, et l’institut des Filles-Dieu au Mans. Les Jacobins, les Franciscains, vinrent s’établir dans cette dernière ville, et les Cordeliers à Laval.

Un carme défroqué, anglais de nation, nommé Jean de Blibourg, s’acquit beaucoup de crédit dans la province vers 1430 : il enseignait les mathématiques, on l’accusa d’enseigner aussi la magie et de l’exercer : l’évêque Adam Châtelain lui fit faire son procès. On ne dit pas s’il fut condamné, cela est probable, puisque vingt-sept ans plus tard, le second successeur d’Adam, l’évêque Martin Berruyer, condamna au supplice de l’échelle et au bannissement quatre pauvres femmes de Beaumont-le-Vicomte, convaincues de sortilèges, de maléfices et même d’avoir invoqué le diable.

Comme dans les siècles précédens, les guerres de cette époque amènent après elles les mêmes calamités. Une peste générale affligea le royaume vers le milieu du 14.e siècle, et dans le 13.e une famine réduisit la province à une telle extrémité, que la populace fut prête à se jeter sur le riche trésor de la cathédrale pour le piller, et que l’évêque Geoffroi de Loudun ne parvint à le garantir qu’en vidant ses coffres et ses greniers et en les épuisant par de larges aumônes. Bel exemple de vertus pastorales, qu’ont suivi souvent les évêques du Mans, et qui força alors les personnes riches du diocèse à l’imiter.

Les croisades se continuèrent, et la plus remarquable est celle de S. Louis qui y fut accompagné par ses trois frères, dont Charles, comte du Maine, qui y montra beaucoup de valeur. Un grand nombre de seigneurs Manceaux durent y suivre leur comte : on nomme particulièrement Juhel de Mayenne, qui était archevêque de Reims.

La lèpre, ce fruit hideux des premières expéditions dans la Terre-Sainte, faisait encore des progrès à cette époque, où nous voyons plusieurs fondations d’hôpitaux et de maisons de retraite pour cette infirmité : on les appelait, outre les autres noms que nous avons fait connaître, ladreries, parce qu’elles furent assez généralement consacrées sous le nom de S. Lazare, que le peuple appelle S. Ladre. Devenues riches des libéralités des rois et des grands et des charités des fidèles, elles devinrent bientôt un objet d’envie pour l’insatiable fisc. Le désir de s’emparer de leurs richesses, fit accuser les malheureux lépreux de crimes horribles, et surtout de l’empoisonnement des eaux, accusation d’autant plus absurde, que ce crime présente plus de difficultés dans son exécution. Philippe-le-Long, en 1226, fait brûler plusieurs de ces infortunés, sur cette accusation, et confisque tous leurs biens. Cependant, mieux éclairé plus tard, il donne mainlevée des revenus de toutes les léproseries de son royaume. Ce mal affreux ayant diminué peu-à-peu, et disparu enfin, soit par l’usage du linge, ou par toute autre cause, les différentes fondations si nombreuses dans notre province, furent ou possédées à titres de bénéfices, ou réunies soit à l’ordre de N.-D. du Mont-Carmel et de S. Lazare, soit aux hôtels ou maisons-Dieu, aux hospices, hôpitaux et autres établissemens de charité.

Nous ne pouvons qu’indiquer brièvement quelques usages de ce temps. Le droit d’asile, dont jouissait la cathédrale du Mans à cette époque, se prorogea jusques dans le 16.e siècle ; et si rien ne constate qu’on y ait jamais célébré la fête de l’âne, comme dans quelques autres, on a des documens qui constatent que celle des Innocens et des Fous y jouissait d’une grande célébrité. Il est justifié par des registres de l’état civil de notre province, de 1579 à 1584, qu’on donnait à cette époque deux parrains aux garçons et deux marraines aux filles, en les baptisant.

La chevalerie était alors dans toute sa splendeur : mais il faudrait un volume pour en faire connaître les usages et toutes les particularités. Nous avons parlé précédemment des tournois ; on doit croire que c’est surtout pendant la plus grande vogue de la chevalerie qu’ils durent être particulièrement en honneur. En effet, malgré les anathêmes et les excommunications des souverains pontifes, les pas d’armes, les joûtes, tournois et carrousels, ne cessèrent d’être honorés en Europe, et d’y être un les divertissemens les plus recherchés, qu’après la mort de Henri II, qui fut tué dans un carrousel à Paris en 1559. Charles V rendit une Ordonnance qui, en défendant les jeux de hasard, excitait à ceux d’adresse et de force, tels que l’arc, l’arbalêtre, etc. Mais, par un contraste qui prouve bien le peu d’estime que l’on faisait alors de tout ce qui n’avait pas en ce genre un but guerrier, en proscrivant les jeux de dez il range dans la même cathégorie ceux de tables (dames), de palmes (paulme), de quilles, de pallet, de billes (billard), propre à exercer et à assouplir le corps des jeunes gens.

Ce qui valait beaucoup mieux, était la défense faite par S. Louis, en 1260, des duels ou gages de bataille dans ses domaines, auxquels il substitua la preuve par témoins ; mais il ne se croyait pas plus le droit de les interdire à ses vassaux, que lui et ses prédécesseurs et successeurs ne se crurent celui de les forcer à l’abolition de la servitude, car, comme le dit Beaumanoir dans sa Pratique, « li saint roi Lovis les osta de sa court, si ne les osta pas de la court à ses barons. » Ce fut Philippe-le-Bel qui, quarante-cinq ans plus tard, défendit les duels absolument, en matière civile. On trouve la mention des Parlements, comme tribunaux supérieurs, in maximo tribunali, dès l’année 1294, Philippe-le-Bel rendit sédentaire celui de Paris et jugeant qu’il ne pouvait suffire à l’étendue de son ressort, en créa un autre à Toulouse. « Les anciens monumens de notre histoire, dit le président Hénault, prouvent qu’il faut distinguer la cour de justice de nos rois, des assemblées du Champ-de-Mars, et que les parlements d’aujourd’hui fussent une émanation de ces grandes assemblées, malgré la rassemblance du nom de Parlement. »

Nous avons vu, dans l’examen de l’époque précédente, différens recueils de bulles et canons être introduits et faire partie de notre droit français. Les bulles de Clément V, appelées Clémentines, sont reçues en France au même titre, en 1321, et nous avons omis les Novelles, autre recueil du même genre, qui en faisait partie également.

La taille, qui n’avait été établie que momentanément et pour des besoins instantanés, depuis S. Louis, devint perpétuelle sous Charles VII. Les grandes dépenses que Charles I avait faites pour la conquête du royaume de Naples, lui ayant fait contracter des dettes, il imposa une taille sur son comté du Maine et demanda au clergé d’y concourir sous le nom de don gratuit, ce à quoi celui-ci ne consentit que sur la déclaration écrite du Comte, que le don que l’évêque et le clergé lui faisaient était de pure volonté et qu’en l’acceptant il n’avait entendu aucunement déroger à leurs privilèges. Quel immense pouvoir devait avoir alors un corps qui forçait un prince aussi absolu que Charles à se prêter à de semblables tempéramens,

Lui, lui, qui le premier, sur un vil échafaud,
Livra le sang royal au glaive d’un bourreau !

Une ordonnance de Philippe de Valois établit un droit de franc-fief sur les églises et sur les roturiers acquéreurs de terres nobles : ce n’était que le renouvellement d’une ordonnance de Philippe-le- Hardi, rendue en 1275, sous le titre de droit d’amortissement. Une autre de Charles-le-Bel, en rappelle une de S. Louis, sur le même sujet ; « en sorte, dit le président Hénault, que S. Louis est le premier de nos rois qui ait cru devoir tirer quelqu’ avantage de l’aggrandissement des gens de main-morte et de l’ambition (il aurait dû dire de la vanité) des roturiers. »

On rapporte au règne du même Philippe-de- Valois, vers l’an 1345, l’origine de la Gabelle, ce qui fit appeler ce prince, fort plaisamment, l’auteur de la loi Salique, par le roi d’Angleterre Edouard III. Il paraît néanmoins que Philippe-le-Long, mit le premier impôt sur le sel, qui jusques-là avait toujours été marchand. La vénalité du sel est permise pour dix ans dans la ville du Mans, en 1382, par Charles V, pour dédommager cette ville de ses charges et de la maltôte qu’on y imposait sur le vin.

On dit que Philippe-le-Long, que nous venons de nommer, et depuis lui Louis XI, eurent la pensée d’établir dans tout le royaume, l’uniformité des poids, des mesures et des monnaies. Il a fallu plus de quatre siècles et demi pour voir réaliser une idée si utile et si simple, encore son exécution laisse-t-elle quelque chose à désirer.

Une ordonnance du roi Jean, de 1353, est relative à la convocation du ban et de l’arrière-ban, mots dont on ne connaît pas bien la signification, les uns voulant que le ban regardât les fiefs et l’arrière-ban les arrière-fiefs ; les autres prétendant que le ban était le service ordinaire de chaque vassal, suivant la nature de son fief, et l’autre la convocation extraordinaire de tous les vassaux. C’est dans ce sens qu’on s’est servi de ces mots de nos jours, dans une occasion encore récente, quoiqu’il ne fut plus question de fiefs.

Il faut encore remarquer que, jusqu’alors, les sénéchaux des provinces avaient été, sous l’autorité des comtes, de véritables gouverneurs, ayant une juridiction contentieuse, recevant le tiers des amendes, nommant leurs lieutenans ; ce ne fut que sous Henri III qu’ils perdirent leurs juridictions ; mais ils cessèrent sous Louis XII de disposer des offices de leurs lieutenans. Lorsque Guillaume des Roches entra en fonctions, comme sénéchal d’Anjou, du Maine et de Touraine, il publia un rescrit à l’imitation des édits des préteurs, par lequel il annonça ne devoir rien toucher sur les rentes dues au roi de France, mais devoir prélever un marc par cinquante livres d’argent que paieraient les prévôts. Il ajoute qu’aucune coutume, comme droits de pacage, de chasse, de prendre du bois, ne lui appartiendrait dans les forêts royales, de la vente desquelles il n’aurait rien, non plus que des tailles que le roi pourrait établir sur les chrétiens et sur les juifs ; mais qu’il aurait le tiers sur les autres services et sur les délits ; qu’il ne pourrait s’arroger la garde d’aucuns châteaux et villes fortes du roi, à titre de fief ou de coutume ; qu’au contraire il lui remettrait ceux qu’il tiendrait de lui à sa réquisition ; déclaration qui était une amélioration du système qui avait prévalu jusqu’alors, d’après lequel les commandans institués héréditairement, s’étaient toujours considérés comme propriétaires des places qu’on leur confiait, et agissaient souvent à ce titre contre ceux même de qui ils les tenaient. Or, le sénéchal d’Anjou, homme lige du roi, et Missus dominicus, était héréditaire alors, contre l’usage des deux premières races où les gouverneurs étaient temporaires et révocables. Le même rescrit apprend encore que les charges de judicature se vendaient dès ce temps-là, quoique plusieurs auteurs modernes ne fassent remonter la vénalité qu’au règne de François I.er Mais Dom Housseau fait la remarque que Joinville et le testament de Philippe-Auguste contribuent avec cette pièce à démontrer le contraire : il pense même qu’on pourrait rapporter des preuves qui feraient remonter cet usage jusqu’à la seconde race. C’est aussi l’opinion de Bodereau, commentateur de la coutume du Maine. « Il est vrai, dit-il, que ce n’est pas de ce jour qu’en France les officiers et magistrats sont vénaux et héréditaires, car, auparavant S. Louis, on y procédait à la vente au lieu d’y aller par eslection ; à quoi ce bon prince S. Louis sçeut bien remédier, car, par son ordonnance de l’an 1256, il fist deffences de ne vendre à l’avenir les estas de judicature. Mais, ô sœcula, ô mores ! ceste saincte et divine ordonnance s’est peu à peu perdue avec la probité de nos majeurs, et la vénalité est ores autant en France que jamais. »

Cette période de près de trois siècles, est l’une de celles qui présente les découvertes les plus importantes peut-être, pour les progrès de l’esprit humain. L’invention de la boussole, application ingénieuse et utile du magnétisme à la navigation, en étendant les relations des peuples, et en faisant découvrir de nouveaux mondes, a donné un développement inconnu jusqu’alors au commerce et à l’industrie, dont les effets incalculables ne peuvent être trop appréciés ; celle des lunettes paraît avoir ouvert, par un autre moyen, de nouvelles et plus fortes communications entre la terre et les cieux ; la découverte de l’imprimerie, semble être comme le complément et le sceau des autres connaissances, et le nec plus ultrà de l’esprit humain, en ce qu’elle sert à les enregistrer dans ses annales, de manière à ce qu’elles ne puissent plus disparaître du monde civilisé ; enfin, l’invention de la poudre à canon, par Roger Bacon, dans le commencement du 13.e siècle, dont le moine Barthold Schvvartz apprit dans le 14.e l’usage meurtrier, loin d’être aussi funeste à l’humanité qu’elle semblait l’en menacer, lui aurait été utile, s’il est vrai, comme le démontre dit-on l’expérience, que les guerres sont devenues moins destructives, depuis que les guerriers, à l’aide de cet instrument si extraordinaire, ne s’approchent plus d’aussi près qu’autrefois où ils se prenaient corps à corps et ne se lâchaient point que l’un des deux ennemis n’eût été égorgé. Nous avons dit, d’après Polydore-Virgile, que le siège du Mans fait par les Anglais en 1425, est le premier où l’artillerie fut employée : cependant, les armées de cette nation avaient fait usage de canons, au moins en rase campagne, bien auparavant, puisqu’ils s’en servaient à la bataille de Créci, en 1346.

L’instruction, concentrée dans les écoles ecclésiastiques, changea de direction vers la fin du 13.e siècle : on ne trouve plus de traces de l’école de la cathédrale du Mans dans le 14.e et celles des monastères de la province furent fermées aux séculiers. Des collèges particuliers remplacèrent ces établissemens : il en fut fondé à Paris et à Angers en faveur des Manceaux, par la munificence des comtes du Maine, de plusieurs évèques et de quelques riches particuliers. On suivit les cours des Universités, et les Manceaux furent une des six nations qui composèrent celle d’Angers, Méad, principal du collège de la rue de Gourdaine au Mans, y faisait représenter ses tragédies, qui n’étaient probablement qu’une espèce de mystères, genre de spectacle bien en vogue dans le siècle suivant. Les traductions ou translations en vers le furent également pendant cette période, et notre bibliothèque départementale possède, outre plusieurs manuscrits de ce genre et de ce temps, une de ces chroniques historiques en vers, dont nous avons parlé, le Roumant de Bertrand du Glaiequin, écrit par un nommé Trueller, et qui a servi à la composition de toutes les histoires imprimées de ce grand capitaine, étranger à notre province par sa naissance, mais dont pour ses hauts-faits dans le pays, elle doit garder et garde en effet un éternel et reconnaissant souvenir.

Le 14.e siècle, le siècle de Charles V, devait être le précurseur de celui de François I.er, de ce siècle si vanté avec raison, mais à la gloire duquel ce prince prit bien moins de part qu’on ne lui en attribue communément. Charles qui eût mérité le nom de Grand, s’il n’eût obtenu celui de Sage, plus glorieux peut-être, surtout d’après l’acception qu’on lui donnait alors, celle de savant et de lettré, fut en effet l’admirateur et le protecteur des lettres. Il aimait la lecture, et les livres par conséquent ; il laissa après lui une collection de neuf cents volumes environ, au lieu d’une vingtaine qu’avait rassemblés son père, le roi Jean. Cette bibliothèque qu’il plaça au Louvre, dans une tour que pour cela on appela Tour de la Livrairie, fut le fondement de l’immense et précieuse Bibliothèque du Roi. On ne peut s’empêcher de citer, à l’honneur de ce prince, ces belles paroles qu’il n’est peut-être pas hors de propos de rappeler aujourd’hui, et qui sont une réponse au reproche qu’on lui faisait de trop honorer les gens de lettres, appelés clercs alors : « Les clercs où à sapience l’on ne peut trop honorer, et tant que sapience sera honorée en ce royaume, il continuera à prospérité, mais quand déboutée y sera, il décherra. »

  1. Essais historiques sur la ville de Caen, t. II, p. 404.