Dieu et les hommes/Édition Garnier/Chapitre 15
On ne peut ici que consulter les Juifs eux-mêmes, confronter ce qu’ils rapportent, et voir ce qui est le plus probable.
Selon eux, ils demeurèrent sous des tentes, dans un désert, au nombre de six cent trente mille combattants, ce qui faisait environ trois millions de personnes en comptant les vieillards, les femmes, et les enfants. Cela fortifie la conjecture qu’ils étaient des Arabes, puisqu’ils n’habitaient que des tentes, et qu’ils changeaient souvent de lieu. Mais comment trois millions d’hommes auraient-ils eu des tentes, s’ils s’étaient enfuis d’Égypte au travers de la mer ? Chaque famille avait-elle porté sa tente sur son dos ? Ils n’avaient pas demeuré sous des tentes en Égypte. Une preuve qu’ils étaient du nombre de ces Arabes errants qui ont de l’aversion pour les demeures des villes, c’est que, lorsqu’ils eurent pris Jéricho, ils le rasèrent, et ne se fixèrent nulle part : car, ne jugeant ici qu’en profanes, et par les seules lumières de notre raison, ce n’est pas à nous de parler des trompettes qui firent tomber les murs de Jéricho. C’est un de ces miracles que Dieu faisait tous les jours, et que nous n’osons discuter.
Quoi qu’il en soit, ils disent n’avoir eu une ville capitale, n’avoir été fixés à Jérusalem que du temps de David ; et, selon eux, entre leur fuite d’Égypte et leur établissement à Jérusalem, il y a environ quatre cent cinquante années. Je n’examine pas ici leur chronologie, sur laquelle ils se contredisent continuellement[1] ; car, à bien compter, il y aurait plus de six cents ans entre Moïse et David. Je vois seulement qu’ils ont vécu dans la Palestine en Arabes vagabonds pendant plusieurs siècles, attaquant tous leurs voisins l’un après l’autre, pillant tout, ravageant tout, n’épargnant ni sexe ni âge, tantôt vainqueurs, tantôt vaincus, et très-souvent esclaves.
Cette vie vagabonde, cette suite continuelle de meurtres, cette alternative sanglante de victoires et de défaites, ces temps si longs de servitude, leur permirent-ils d’apprendre à écrire, et d’avoir une religion fixe ? N’est-il pas de la plus grande vraisemblance qu’ils ne commencèrent à former des lois et des histoires par écrit que sous leurs rois, et qu’auparavant ils n’avaient qu’une tradition vague et incertaine ?
Jetons les yeux sur toutes les nations de notre occident, depuis Archangel jusqu’à Gibraltar : y en a-t-il une seule qui ait eu des lois et une histoire par écrit avant d’être rassemblée dans des villes ? Que dis-je ? Y a-t-il un seul peuple sur la terre qui ait eu des archives avant d’être bien établi ? Comment les Juifs auraient-ils eu seuls cette prérogative ?
- ↑ Voyez tome XXVI, page 202, note 2.