Discours sur l’Histoire universelle/I/9

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IX. Epoque.

Scipion, ou Carthage vaincue.


L’an 552 de la fondation de Rome, environ 250 ans aprés la fondation de la monarchie des perses, et 202 ans avant Jesus-Christ, Carthage fut assujetie aux romains. Annibal ne laissoit pas sous main de leur susciter des ennemis par tout où il pouvoit : mais il ne fit qu’entraisner tous ses amis anciens et nouveaux dans la ruine de sa patrie et dans la sienne. Par les victoires du consul Flamininus, Philippe roy de Macedoine allié des carthaginois fut abbatu ; les rois de Macedoine réduits à l’étroit ; et la Grece affranchie de leur joug. Les romains entreprirent de faire perir Annibal, qu’ils trouvoient encore redoutable aprés sa perte. Ce grand capitaine réduit à se sauver de son païs, remua l’Orient contre eux, et attira leurs armes en Asie. Par ses puissans raisonnemens, Antiochus surnommé le grand roy de Syrie, devint jaloux de leur puissance, et leur fit la guerre : mais il ne suivit pas en la faisant les conseils d’Annibal, qui l’y avoit engagé. Batu par mer et par terre, il receût la loy que luy imposa le consul Lucius Scipio frere de Scipion L’Africain, et il fut renfermé dans le mont Taurus. Annibal réfugié chez Prusias roy de Bithynie échapa aux romains par le poison. Ils sont redoutez par toute la terre, et ne veulent plus souffrir d’autre puissance que la leur. Les rois estoient obligez de leur donner leurs enfans pour ostage de leur foy. Antiochus, depuis appellé l’Illustre ou Epiphanes, second fils d’Antiochus le grand roy de Syrie, demeura long-temps à Rome en cette qualité : mais sur la fin du regne de Seleucus Philopator son frere aisné il fut rendu ; et les romains voulurent avoir à sa place Demetrius Soter fils du roy, alors âgé de dix ans. Dans ce contretemps, Seleucus mourut ; et Antiochus usurpa le royaume sur son neveu. Les romains estoient appliquez aux affaires de la Macedoine, où Persée inquietoit ses voisins, et ne vouloit plus s’en tenir aux conditions imposées au roy Philippe son pere. Ce fut alors que commencerent les persecutions du peuple de Dieu. Antiochus l’Illustre regnoit comme un furieux : il tourna toute sa fureur contre les juifs, et entreprit de ruiner le temple, la loy de Moïse, et toute la nation. L’autorité des romains l’empescha de se rendre maistre de l’Egypte. Ils faisoient la guerre à Persée, qui plus prompt à entreprendre qu’à exécuter, perdoit ses alliez par son avarice, et ses armées par sa lascheté. Vaincu par le consul Paul Emyle, il fut contraint de se livrer entre ses mains. Gentius roy de l’Illyrie son allié, abbatu en trente jours par le préteur Anicius, venoit d’avoir un sort semblable. Le royaume de Macedoine, qui avoit duré 700 ans, et avoit prés de 200 ans donné des maistres non seulement à la Grece, mais encore à tout l’Orient, ne fut plus qu’une province romaine. Les fureurs d’Antiochus s’augmentoient contre le peuple de Dieu. On voit paroistre alors la résistance de Mathatias sacrificateur, de la race de Phinées, et imitateur de son zele ; les ordres qu’il donne en mourant pour le salut de son peuple ; les victoires de Judas le Machabée son fils, malgré le nombre infini de ses ennemis ; l’élevation de la famille des Asmonéens, ou des Machabées ; la nouvelle dédicace du temple que les gentils avoient profané ; le pontificat de Judas, et la gloire du sacerdoce rétablie ; la mort d’Antiochus digne de son impieté et de son orgueïl ; sa fausse conversion durant sa derniere maladie, et l’implacable colere de Dieu sur ce roy superbe. Son fils Antiochus Eupator encore en bas âge luy succeda, sous la tutele de Lysias son gouverneur. Durant cette minorité Démetrius Soter, qui estoit en ostage à Rome, crut se pouvoir rétablir ; mais il ne put obtenir du senat d’estre renvoyé dans son royaume : la politique romaine aimoit mieux un roy enfant. Sous Antiochus Eupator la persecution du peuple de Dieu, et les victoires de Judas le Machabée continuënt. La division se met dans le royaume de Syrie. Démetrius s’échape de Rome ; les peuples le reconnoissent ; le jeune Antiochus est tué avec Lysias son tuteur. Mais les juifs ne sont pas mieux traitez sous Démetrius que sous ses prédecesseurs ; il éprouve le mesme sort ; ses généraux sont batus par Judas le Machabée ; et la main du superbe Nicanor, dont il avoit si souvent menacé le temple, y est attachée. Mais un peu aprés Judas accablé par la multitude fut tué en combatant avec une valeur étonnante. Son frere Jonathas succede à sa charge, et soustient sa réputation. Réduit à l’extrémité, son courage ne l’abandonna pas. Les romains ravis d’humilier les rois de Syrie accorderent aux juifs leur protection ; et l’alliance que Judas avoit envoyé leur demander, fut accordée, sans aucun secours toutefois : mais la gloire du nom romain ne laissoit pas d’estre un grand support au peuple affligé. Les troubles de la Syrie croissoient tous les jours. Alexandre Balas, qui se vantoit d’estre fils d’Antiochus l’Illustre, fut mis sur le trosne par ceux d’Antioche. Les rois d’Egypte, perpetuels ennemis de la Syrie, se mesloient dans ses divisions pour en profiter. Ptolomée Philometor soustint Balas. La guerre fut sanglante : Démetrius Soter y fut tué, et ne laissa pour venger sa mort, que deux jeunes princes encore en bas âge, Demetrius Nicator, et Antiochus Sidetes. Ainsi l’usurpateur demeura paisible, et le roy d’Egypte luy donna sa fille Cleopatre en mariage. Balas, qui se crut au dessus de tout, se plongea dans la débauche, et s’attira le mépris de tous ses sujets. En ce temps Philometor jugea le fameux procés que les samaritains firent aux juifs. Ces schismatiques toûjours opposez au peuple de Dieu, ne manquoient point de se joindre à leurs ennemis ; et pour plaire à Antiochus l’Illustre leur persecuteur ils avoient consacré leur temple de Garizim à Jupiter hospitalier. Malgré cette profanation, ces impies ne laisserent pas de soustenir quelque temps aprés à Alexandrie devant Ptolomée Philometor, que ce temple devoit l’emporter sur celuy de Jerusalem. Les parties contesterent devant le roy, et s’engagerent de part et d’autre à peine de la vie à justifier leurs prétentions par les termes de la loy de Moïse. Les juifs gagnerent leur cause, et les samaritains furent punis de mort selon la convention. Le mesme roy permit à Onias de la race sacerdotale de bastir en Egypte le temple d’Heliopolis, sur le modele de celuy de Jerusalem : entreprise qui fut condamnée par tout le conseil des juifs, et jugée contraire à la loy. Cependant Carthage remuoit, et souffroit avec peine les loix que Scipion L’Africain luy avoit imposées. Les romains résolurent sa perte totale, et la troisiéme guerre punique fut entreprise. Le jeune Démetrius Nicator sorti de l’enfance songeoit à se rétablir sur le trosne de ses ancestres, et la molesse de l’usurpateur luy faisoit tout esperer. à son approche Balas se troubla : son beau-pere Philometor se déclara contre luy, parce que Balas ne voulut pas luy laisser prendre son royaume : l’ambitieuse Cleopatre sa femme le quitta pour épouser son ennemi, et il perit enfin de la main des siens aprés la perte d’une bataille. Philometor mourut peu de jours aprés des blessures qu’il y receût, et la Syrie fut delivrée de deux ennemis. On vit tomber en ce mesme temps deux grandes villes. Carthage fut prise, et réduite en cendre par Scipion Aemylien, qui confirma par cette victoire le nom D’Africain dans sa maison, et se montra digne heritier du grand Scipion son ayeul. Corinthe eût la mesme destinée, et la république des achéens perit avec elle. Le consul Mummius ruina de fonds en comble cette ville la plus voluptueuse de la Grece et la plus ornée. Il en transporta à Rome les incomparables statuës, sans en connoistre le prix. Les romains ignoroient les arts de la Grece, et se contentoient de sçavoir la guerre, la politique, et l’agriculture. Durant les troubles de Syrie les juifs se fortifierent : Jonathas se vit recherché des deux partis, et Nicator victorieux le traita de frere. Il en fut bientost récompensé. Dans une sedition, les juifs accourus le tirerent d’entre les mains des rebelles. Jonathas fut comblé d’honneurs : mais quand le roy se crut asseûré, il reprit les desseins de ses ancestres, et les juifs furent tourmentez comme auparavant. Les troubles de Syrie recommencerent : Diodote surnommé Tryphon éleva un fils de Balas qu’il nomma Antiochus Le Dieu, et luy servit de tuteur pendant son bas âge. L’orgueïl de Démetrius souleva les peuples : toute la Syrie estoit en feu : Jonathas sceût profiter de la conjoncture, et renouvella l’alliance avec les romains. Tout luy succedoit, quand Tryphon par un manquement de parole le fit perir avec ses enfans. Son frere Simon, le plus prudent et le plus heureux des Machabées, luy succeda ; et les romains le favoriserent, comme ils avoient fait ses prédecesseurs. Tryphon ne fut pas moins infidele à son pupille Antiochus, qu’il l’avoit esté à Jonathas. Il fit mourir cét enfant par le moyen des medecins, sous prétexte de le faire tailler de la pierre qu’il n’avoit pas, et se rendit maistre d’une partie du royaume. Simon prit le parti de Démetrius Nicator roy legitime ; et aprés avoir obtenu de luy la liberté de son païs, il la soustint par les armes contre le rebelle Tryphon. Les syriens furent chassez de la citadelle qu’ils tenoient dans Jerusalem, et en suite de toutes les places de la Judée. Ainsi les juifs affranchis du joug des gentils par la valeur de Simon, accorderent les droits royaux à luy et à sa famille, et Démetrius Nicator consentit à ce nouvel établissement. Là commence le nouveau royaume du peuple de Dieu, et la principauté des asmonéens toûjours jointe au souverain sacerdoce. En ces temps l’empire des Parthes s’étendit sur la Bactrienne et sur les Indes par les victoires de Mithridate le plus vaillant des arsacides. Pendant qu’il s’avançoit vers l’Euphrate, Démetrius Nicator appellé par les peuples de cette contrée que Mithridate venoit de soumettre, esperoit de réduire à l’obéïssance les Parthes que les syriens traitoient toûjours de rebelles. Il remporta plusieurs victoires ; et prest à retourner dans la Syrie pour y accabler Tryphon, il tomba dans un piége qu’un général de Mithridate luy avoit tendu : ainsi il demeura prisonnier des Parthes. Tryphon qui se croyoit asseûré par le malheur de ce prince, se vit tout d’un coup abandonné des siens. Ils ne pouvoient plus souffrir son orgueïl. Durant la prison de Démetrius leur roy legitime, ils se donnerent à sa femme Cleopatre et à ses enfans ; mais il fallut chercher un défenseur à ces princes encore en bas âge. Ce soin regardoit naturellement Antiochus Sidetes frere de Démetrius : Cleopatre le fit reconnoistre dans tout le royaume. Elle fit plus : Phraate frere et successeur de Mithridate traita Nicator en roy, et luy donna sa fille Rodogune en mariage. En haine de cette rivale, Cleopatre à qui elle ostoit la couronne avec son mari épousa Antiochus Sidetes, et se résolut à regner par toute sorte de crimes. Le nouveau roy attaqua Tryphon : Simon se joignit à luy dans cette entreprise, et le tyran forcé dans toutes ses places finit comme il le meritoit. Antiochus maistre du royaume oublia bientost les services que Simon luy avoit rendus dans cette guerre, et le fit perir. Pendant qu’il ramassoit contre les juifs toutes les forces de la Syrie, Jean Hyrcan fils de Simon succeda au pontificat de son pere, et tout le peuple se soumit à luy. Il soustint le siege dans Jerusalem avec beaucoup de valeur, et la guerre qu’Antiochus meditoit contre les Parthes pour delivrer son frere captif, luy fit accorder aux juifs des conditions supportables. En mesme temps que cette paix se conclut, les romains qui commençoient à estre trop riches, trouverent de redoutables ennemis dans la multitude effroyable de leurs esclaves. Eunus esclave luy-mesme les souleva en Sicile ; et il fallut employer à les réduire toute la puissance romaine. Un peu aprés, la succession d’Attalus roy de Pergame, qui fit par son testament le peuple romain son heritier, mit la division dans la ville. Les troubles des gracques commencerent. Le seditieux tribunat de Tiberius Gracchus un des premiers hommes de Rome, le fit perir : tout le senat le tua par la main de Scipion Nasica, et ne vit que ce moyen d’empescher la dangereuse distribution d’argent dont cét éloquent tribun flatoit le peuple. Scipion Aemilien rétablissoit la discipline militaire, et ce grand homme qui avoit détruit Carthage, ruina encore en Espagne Numance la seconde terreur des romains. Les Parthes se trouverent foibles contre Sidetes : ses troupes quoy-que corrompuës par un luxe prodigieux, eurent un succés surprenant. Jean Hyrcan qui l’avoit suivi dans cette guerre avec ses juifs, y signala sa valeur, et fit respecter la religion judaïque, lors que l’armée s’arresta pour luy donner le loisir de célebrer le jour du repos. Tout cedoit, et Phraate vit son empire réduit à ses anciennes limites ; mais loin de desesperer de ses affaires, il crut que son prisonnier luy serviroit à les rétablir, et à envahir la Syrie. Dans cette conjoncture, Démetrius éprouva un sort bizarre. Il fut souvent relasché, et autant de fois retenu suivant que l’esperance ou la crainte prévaloient dans l’esprit de son beaupere ; enfin un moment heureux où Phraate ne vit de ressource que dans la diversion qu’il vouloit faire en Syrie par son moyen, le mit tout-à-fait en liberté. à ce moment le sort tourna : Sidetes qui ne pouvoit soustenir ses effroyables dépenses que par des rapines insupportables, fut accablé tout d’un coup par un soulevement général des peuples, et perit avec son armée tant de fois victorieuse. Ce fut en vain que Phraate fit courir aprés Démetrius : il n’estoit plus temps ; ce prince estoit rentré dans son royaume. Sa femme Cleopatre qui ne vouloit que regner, retourna bientost avec luy, et Rodogune fut oubliée. Hyrcan profita du temps : il prit Sichem aux samaritains, et renversa de fonds en comble le temple de Garizim, deux cens ans aprés qu’il avoit esté basti par Sanabalat. Sa ruine n’empescha pas les samaritains de continuer leur culte sur cette montagne, et les deux peuples demeurerent irréconciliables. L’année d’aprés toute l’Idumée unie par les victoires d’Hyrcan au royaume de Judée, receût la loy de Moïse avec la circoncision. Les romains continuerent leur protection à Hyrcan, et luy firent rendre les villes que les syriens luy avoient ostées. L’orgueïl et les violences de Démetrius Nicator ne laisserent pas la Syrie long-temps tranquille. Les peuples se révolterent. Pour entretenir leur révolte, l’Egypte ennemie leur donna un roy : ce fut Alexandre Zebina fils de Balas. Démetrius fut batu, et Cleopatre qui crut regner plus absolument sous ses enfans que sous son mari, le fit perir. Elle ne traita pas mieux son fils aisné Selucus, qui vouloit regner malgré elle. Son second fils Antiochus appellé Grypus avoit défait les rebelles, et revenoit victorieux : Cleopatre luy presenta en céremonie la coupe empoisonnée, que son fils averti de ses desseins pernicieux luy fit avaler. Elle laissa en mourant une semence éternelle de divisions entre les enfans qu’elle avoit eû des deux freres Démetrius Nicator et Antiochus Sidetes. La Syrie ainsi agitée ne fut plus en estat de troubler les juifs. Jean Hyrcan prit Samarie, et ne put convertir les samaritains. Cinq ans aprés il mourut : la Judée demeura paisible à ses deux enfans Aristobule et Alexandre Jannée, qui regnerent l’un aprés l’autre sans estre incommodez des rois de Syrie. Les romains laissoient ce riche royaume se consumer par luy-mesme, et s’étendoient du costé de l’Occident. Durant les guerres de Démetrius Nicator et de Zeina, ils commencerent à s’étendre au-delà des Alpes ; et Sextius vainqueur des gaulois nommez saliens, établit dans la ville d’Aix, une colonie qui porte encore son nom. Les gaulois se défendoient mal. Fabius dompta les allobroges et tous les peuples voisins ; et la mesme année que Grypus fit boire à sa mere le poison qu’elle luy avoit préparé, la Gaule narbonoise réduite en province receût le nom de province romaine. Ainsi l’empire romain s’agrandissoit, et occupoit peu à peu toutes les terres et toutes les mers du monde connu. Mais autant que la face de la république paroissoit belle au dehors par les conquestes, autant estoit-elle défigurée par l’ambition desordonnée de ses citoyens, et par ses guerres intestines. Les plus illustres des romains devinrent les plus pernicieux au bien public. Les deux gracques, en flatant le peuple, commencerent des divisions, qui ne finirent qu’avec la république. Caïus frere de Tiberius ne put souffrir qu’on eust fait mourir un si grand homme d’une maniere si tragique. Animé à la vengeance par des mouvemens qu’on crut inspirez par l’ombre de Tiberius, il arma tous les citoyens les uns contre les autres ; et à la veille de tout détruire, il perit d’une mort semblable à celle qu’il vouloit venger. L’argent faisoit tout à Rome. Jugurtha roy de Numidie, souïllé du meurtre de ses freres que le peuple romain protegeoit, se défendit plus long-temps par ses largesses que par ses armes ; et Marius qui acheva de le vaincre ne put parvenir au commandement, qu’en animant le peuple contre la noblesse. Les esclaves armerent encore une fois dans la Sicile, et leur seconde révolte ne cousta pas moins de sang aux romains que la premiere. Marius batit les theutons, les cimbres et les autres peuples du nort qui penetroient dans les Gaules, dans l’Espagne et dans l’Italie. Les victoires qu’il en remporta furent une occasion de proposer de nouveaux partages de terre : Metellus qui s’y opposoit fut contraint de ceder au temps, et les divisions ne furent éteintes que par le sang de Saturninus tribun du peuple. Pendant que Rome protegeoit la Cappadoce contre Mithridate roy de Pont, et qu’un si grand ennemi cedoit aux forces romaines avec la Grece qui estoit entrée dans ses interests : l’Italie exercée aux armes par tant de guerres soustenuës ou contre les romains, ou avec eux, mit leur empire en peril par une révolte universelle. Rome se vit dechirée dans les mesmes temps par les fureurs de Marius et de Sylla, dont l’un avoit fait trembler le Midi et le Nort, et l’autre estoit le vainqueur de la Grece et de l’Asie. Sylla qu’on nommoit l’heureux, le fut trop contre sa patrie, que sa dictature tyrannique mit en servitude. Il put bien quitter volontairement la souveraine puissance ; mais il ne put empescher l’effet du mauvais exemple. Chacun voulut dominer. Sertorius zelé partisan de Marius se cantonna dans l’Espagne, et se ligua avec Mithridate. Contre un si grand capitaine, la force fut inutile ; et Pompée ne put réduire ce parti qu’en y mettant la division. Il n’y eût pas jusqu’à Spartacus gladiateur, qui ne crust pouvoir aspirer au commandement. Cét esclave ne fit pas moins de peine aux préteurs et aux consuls, que Mithridate en faisoit à Lucullus. La guerre des gladiateurs devint redoutable à la puissance romaine : Crassus avoit peine à la finir, et il fallut envoyer contre eux le grand Pompée. Lucullus prenoit le dessus en Orient. Les romains passerent l’Euphrate : mais leur général invincible contre l’ennemi ne put tenir dans le devoir ses propres soldats. Mithridate, souvent batu sans jamais perdre courage, se relevoit ; et le bonheur de Pompée sembloit necessaire à terminer cette guerre. Il venoit de purger les mers des pyrates qui les infestoient depuis la Syrie jusqu’aux colonnes d’Hercule, quand il fut envoyé contre Mithridate. Sa gloire parut alors élevée au comble. Il achevoit de soumettre ce vaillant roy, l’armenie où il s’estoit refugié, l’Iberie et l’Albanie qui le soustenoient, la Syrie dechirée par ses factions, la Judée où la division des asmonéens ne laissa à Hyrcan Ii fils d’Alexandre Jannée qu’une ombre de puissance, et enfin tout l’Orient : mais il n’eust pas eû où triompher de tant d’ennemis, sans le consul Ciceron qui sauvoit la ville des feux que luy préparoit Catilina suivi de la plus illustre noblesse de Rome. Ce redoutable parti fut ruiné par l’éloquence de Ciceron, plustost que par les armes de C Antonius son collegue. La liberté du peuple romain n’en fut pas plus asseûrée. Pompée regnoit dans le senat, et son grand nom le rendoit maistre absolu de toutes les déliberations. Jules Cesar en domptant les Gaules, fit à sa patrie la plus utile conqueste qu’elle eust jamais faite. Un si grand service le mit en estat d’établir sa domination dans son païs. Il voulut premierement égaler, et ensuite surpasser Pompée. Les immenses richesses de Crassus luy firent croire qu’il pourroit partager la gloire de ces deux grands hommes, comme il partageoit leur autorité. Il entreprit temerairement la guerre contre les Parthes, funeste à luy et à sa patrie. Les arsacides vainqueurs insulterent par de cruelles railleries à l’ambition des romains, et à l’avarice insatiable de leur général. Mais la honte du nom romain ne fut pas le plus mauvais effet de la défaite de Crassus. Sa puissance contrebalançoit celle de Pompée et de Cesar, qu’il tenoit unis comme malgré eux. Par sa mort, la digue qui les retenoit fut rompuë. Les deux rivaux qui avoient en main toutes les forces de la république, déciderent leur querelle à Pharsale par une bataille sanglante : Cesar victorieux parut en un moment par tout l’univers, en Egypte, en Asie, en Mauritanie, en Espagne : vainqueur de tous costez, il fut reconnu comme maistre à Rome et dans tout l’empire. Brutus et Cassius crurent affranchir leurs citoyens en le tuant comme un tyran malgré sa clemence. Rome retomba entre les mains de Marc-Antoine, de Lepide et du jeune Cesar octavien, petit neveu de Jules Cesar et son fils par adoption, trois insupportables tyrans dont le triumvirat et les proscriptions font encore horreur en les lisant. Mais elles furent trop violentes pour durer long-temps. Ces trois hommes partagent l’empire. Cesar garde l’Italie ; et changeant incontinent en douceur ses premieres cruautez, il fait croire qu’il y a esté entraisné par ses collegues. Les restes de la république perissent avec Brutus et Cassius. Antoine et Cesar, aprés avoir ruiné Lepide, se tournent l’un contre l’autre. Toute la puissance romaine se met sur la mer. Cesar gagne la bataille actiaque : les forces de l’Egypte et de l’Orient qu’Antoine menoit avec luy sont dissipées : tous ses amis l’abandonnent, et mesme sa Cleopatre pour laquelle il s’estoit perdu. Herode iduméen qui luy devoit tout, est contraint de se donner au vainqueur, et se maintient par ce moyen dans la possession du royaume de Judée, que la foiblesse du vieux Hyrcan avoit fait perdre entierement aux asmonéens. Tout cede à la fortune de Cesar : Alexandrie luy ouvre ses portes : l’Egypte devient une province romaine : Cleopatre qui desespere de la pouvoir conserver, se tuë elle-mesme aprés Antoine : Rome tend les bras à Cesar, qui demeure sous le nom d’Auguste et sous le titre d’empereur seul maistre de tout l’empire. Il dompte vers les Pyrenées, les Cantabres et les asturiens révoltez : l’Ethiopie luy demande la paix : les Parthes épouvantez luy renvoyent les étendars pris sur Crassus avec tous les prisonniers romains : les Indes recherchent son alliance : ses armes se font sentir aux Rhetes ou Grisons, que leurs montagnes ne peuvent défendre : la Pannonie le reconnoist : la Germanie le redoute, et le Veser reçoit ses loix. Victorieux par mer et par terre, il ferme le temple de Janus. Tout l’univers vit en paix sous sa puissance, et Jesus-Christ vient au monde.