Discours sur la première décade de Tite-Live/Livre troisième/Chapitre 38

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Livre troisième
Traduction par Jean Vincent Périès.
Discours sur la première décade de Tite-Live, Texte établi par Ch. LouandreCharpentier (p. 553-555).



CHAPITRE XXXVIII.


Quelles sont les qualités nécessaires à un général pour qu’il puisse inspirer la confiance à ses soldats.


Ainsi que nous venons de le dire, Valerius Corvinus commandait l’armée destinée à s’opposer aux Samnites, ennemis nouveaux des Romains. Pour augmenter la confiance de ses troupes et leur faire connaître leurs ennemis, il commença par livrer de légères escarmouches ; mais ces épreuves ne lui paraissant pas suffisantes, il voulut les haranguer avant le combat, et il s’efforça de leur prouver combien peu de cas elles devaient faire de pareils ennemis, en leur alléguant et leur propre courage et celui qu’il possédait lui-même. Les paroles que Tite-Live met dans sa bouche peuvent servir à faire connaître quelles sont les qualités nécessaires à un général pour mériter la confiance de ses troupes : Tum etiam intueri cujus ductu auspicioque ineunda pugna sit : utrum qui audiendus duntaxat magnificus adhortator sit, verbis tantum ferox, operum militarium expers ; an qui, et ipse tela tractare, procedere ante signa, versari media in mole pugnœ sciat. Facta mea, non dicta, vos, milites, sequi volo, nec disciplinam modo, sed exemplum etiam à me petere, qui hac dextra mihi tres consulatus summamque laudem peperi.

Si l’on pèse bien ces paroles, elles apprendront quelles sont les qualités que doit posséder quiconque voudra bien remplir le grade de général : celui qui ne les aura pas trouvera avec le temps que cette dignité, à laquelle la fortune ou l’ambition l’aura fait monter, lui enlèvera sa réputation, loin de lui en donner ; car ce ne sont pas les titres qui honorent les hommes, mais les hommes qui honorent les titres.

On doit encore tirer une autre conséquence de ce que j’ai dit au commencement de ce chapitre : c’est que si les capitaines les plus célèbres ont usé de moyens extraordinaires pour affermir le courage d’une armée de vieux soldats prêts à combattre avec des ennemis inaccoutumés, à plus forte raison doit-on les employer lorsque l’on commande une armée nouvelle, qui n’a jamais vu l’ennemi en face. Si un ennemi inusité peut inspirer la terreur à de vieux soldats, combien n’en doit pas causer un ennemi quelconque à une armée novice !

Cependant on a vu souvent toutes ces difficultés prudemment surmontées par des capitaines expérimentés, tels que le Romain Gracchus, et le Thébain Épaminondas, dont j’ai déjà parlé, qui, avec des troupes novices, parvinrent à vaincre des vétérans habitués depuis longtemps aux combats. Les moyens qu’ils employèrent consistaient à les exercer pendant plusieurs mois dans des combats simulés, à les plier à l’obéissance et à la discipline, et à les employer ensuite avec confiance à de véritables combats. Un homme de guerre ne doit donc jamais désespérer de créer une bonne armée, lorsque les hommes ne lui manqueront pas ; et le prince qui manque de soldats, quoique ses États soient très-peuplés, ne doit se plaindre que de sa faiblesse et de son imprudence, et non de la lâcheté des hommes.