Discours sur la première décade de Tite-Live/Livre troisième/Chapitre 42

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Livre troisième
Traduction par Jean Vincent Périès.
Discours sur la première décade de Tite-Live, Texte établi par Ch. LouandreCharpentier (p. 560-561).



CHAPITRE XLII.


On ne doit pas tenir les promesses arrachées par la force.


Après l’affront qu’elle avait reçu, l’armée, dépouillée de ses armes, rentra dans Rome avec les consuls. Le premier qui décida dans le sénat que l’on ne devait point observer la paix conclue à Caudium, fut le consul Spurius Posthumius, en disant que ce traité ne liait en rien les Romains ; qu’il n’était obligatoire que pour lui seul et pour tous ceux qui avaient juré la paix ; que, par conséquent, si le peuple voulait s’affranchir de toute obligation, il n’avait qu’à livrer entre les mains des Samnites lui et tous ceux qui avaient pris part à ce traité. Il soutint sa proposition avec tant de vigueur que le sénat l’adopta et envoya le consul et ses compagnons prisonniers à Samnium, où ils déclarèrent aux Samnites que la paix n’était pas valable. La fortune, dans cette circonstance, favorisa tellement Posthumius, que les Samnites le laissèrent partir, et que, de retour à Rome, sa défaite lui acquit plus de gloire aux yeux des Romains que la victoire n’en avait mérité à Pontius parmi les Samnites.

Il faut ici remarquer deux choses : l’une, que la gloire s’acquiert par toutes sortes d’actions, et que si la victoire la donne ordinairement, on peut la trouver encore dans la défaite, soit en montrant qu’on ne peut vous en imputer la faute, soit en se hâtant d’en effacer la honte par quelque acte éclatant de courage ; l’autre, qu’il ne peut y avoir d’ignominie à ne point observer les promesses imposées par la force ; et toujours les promesses forcées, lorsqu’elles intéressent la chose publique, se rompront sans que la honte atteigne celui qui les aura rompues, dès que la force qui les maintenait cessera d’exister. Les histoires de l’antiquité sont pleines de pareils exemples ; et de notre temps il n’est pas de jour qu’on n’en voie quelques-uns. Non-seulement, entre les princes, on n’observe pas les promesses dictées par la force, lorsque cette force a disparu ; mais ils n’observent pas davantage les autres promesses, lorsque les motifs qui les avaient dictées n’existent plus à leur tour. J’ai examiné en détail, dans mon Traité du prince, si cette conduite est louable ou non, et si un souverain doit se croire enchaîné par de pareils traités ; en conséquence, je n’en dirai pas ici davantage.