Doctrine de la vertu (trad. Barni)/Eléments métaphysiques/Introduction/XVII

La bibliothèque libre.
Doctrine de la vertu
Traduction par Jules Barni.
Auguste Durand (p. 58-59).


XVII.


la vertu présuppose nécessairement l’apathie (considérée comme une force).


Ce mot est pris en mauvaise part, comme s’il signifiait l’insensibilité[1], par conséquent une indifférence subjective à l’égard des objets de la volonté ; on entend par là un défaut. On peut prévenir cette équivoque, en désignant sous le nom d’apathie morale ce genre d’apathie[2], qu’il faut bien distinguer de l’indifférence, et qui est très-nécessaire, car les sentiments qui résultent des impressions sensibles ne perdent leur influence sur le sentiment moral, qu’autant que le respect de la loi devient plus puissant qu’eux tous. — Ce n’est qu’une force apparente et fiévreuse, que celle qui pousse jusqu’à l’affection, ou plutôt y laisse dégénérer le vif intérêt que l’on prend au bien lui-même. Une affection de cette espèce s’appelle enthousiasme ; et c’est ici qu’il faut appliquer cette modération, que l’on a coutume de recommander dans la pratique même des vertus (insani sapiens nomen ferat, æquus iniqui, ULTRA QUAM SATIS EST virtutem si pelat ipsam. Horat.). Autrement il faudrait dire, ce qui est absurde, que l’on peut être trop sage, trop vertueux. L’affection appartient toujours à la sensibilité, quel que soit l’objet qui l’excite. La vraie force de la vertu est la tranquillité d’âme[3], avec la résolution réfléchie et ferme de pratiquer la loi morale. C’est là ce qui constitue l’état de santé dans la vie morale ; l’affection au contraire, même quand elle est excitée par la représentation du bien, est un phénomène qui ne brille qu’un instant et laisse après lui la fatigue. — Celui-là encore ne possède qu’une vertu fantastique, qui n’admet point de choses indifférentes (adiaphora) à la moralité, qui jonche tous ses pas de devoirs, comme d’autant de chausses-trapes, et qui ne trouve pas insignifiant que l’on se nourrisse de viande ou de poisson, de bière ou de vin, quand on se trouve bien de l’un et de l’autre. Introduire de telles minuties[4] dans la doctrine de la vertu, c’est en faire dégénérer l’empire en tyrannie.

Notes du traducteur[modifier]

  1. Fühllosigkeit.
  2. Affectlosigkeit.
  3. Das Gemüth in Ruhe.
  4. Kant se sert ici du mot de micrologie.

Notes de l’auteur[modifier]