Documents et notes sur le Velay/16

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XVI

Pétition du chapitre du Puy à Saint-Louis en faveur de Guy Falcodi.


(Le Puy, novembre 1257.)

Il est étrange et tout au moins regrettable que parmi tant d’écrivains de nos jours, voués à l’étude du moyen âge, aucun ne se soit laissé séduire par cette belle et haute figure du pape Clément IV. Il se trouve là, pourtant, un riche thème à une monographie des plus attrayantes. Mêlé aux grandes affaires du monde chrétien, avant d’en être le régulateur suprême, jurisconsulte, diplomate, administrateur de premier ordre, intelligence ouverte, cœur généreux et libéral, vertueux et saint pontife, Clément IV honora son siècle, l’Église et l’humanité. Son souvenir doit être particulièrement cher à notre diocèse qu’il gouverna un peu moins de trois ans. Il ne cessa de témoigner sa tendresse à sa première épouse, lui accorda de précieux privilèges et lui donna, dès qu’il fut pape, des règlements qui firent loi jusqu’à la Révolution dans le régime intérieur de notre chapitre et de notre cathédrale. Les deux Clementines forment la base des Statuta Ecclesiæ Aniciensis[1], véritable code de discipline et d’organisation ecclésiastiques, dont la rédaction définitive est fixée par Du Cange à l’année 1410[2].

Guy Foulques ou Fulcodi, surnommé quelquefois le Gros[3] d’un sobriquet de famille, naquit à Saint-Gilles en Provence, suivit d’abord la carrière des armes, puis se livra à l’étude de la jurisprudence civile et canonique. Il devint professeur de droit et acquit la réputation du plus célèbre avocat de son temps. Oracle de toutes les cours de justice, il fut appelé à donner fréquemment son avis dans les procès de la couronne, des princes et des évêques. Après la mort de sa femme, il embrassa la carrière ecclésiastique. Le roi saint Louis, qui l’avait entendu plaider à son conseil, goûta fort sa science et ses mœurs, et le nomma, dit-on, mais sans trop de preuves, juge à Saint-Gilles et peut-être sénéchal de Beaucaire. Ce qui est certain, c’est que le roi admit Guy Fulcodi dans son intimité et lui confia des missions importantes, surtout en Languedoc. Guy Fulcodi voulait se faire chartreux, comme son père, mais le roi le retint dans le siècle, estimant que les lumières d’un tel homme importaient à la cour et au public[4]. On ne sait pas bien à quelle époque l’illustre jurisconsulte devint le clerc, c’est-à-dire le secrétaire d’État de Saint-Louis. Les Archives nationales renferment plusieurs actes datés de Toulouse, 12 mars 1236-37, d’Orange, 9 février 1237-38 et 14 mai 1239. Ces titres de la sénéchaussée de Toulouse portent les sceaux de Jean des Arcis, de Guillaume Béroard, évêque de Carpentras, et de Guy Fulcodi. Si les expéditions de ces actes sont contemporaines des actes eux-mêmes, Guy Fulcodi était clerc du roi dès 1236[5]. Il figure comme témoin dans un hommage rendu par Roger, comte de Foix, à Raymond, comte de Toulouse, le 28 juin 1241. Il fut employé par les comtes de Poitiers et d’Anjou dans l’accord qu’ils firent, en 1251, avec les villes d’Avignon et d’Arles Dans une consultation donnée par plusieurs légistes sur le testament de Raymond, comte de Toulouse, il prend le simple titre de jurisconsulte. Il est qualifié de clerc tout court dans une sentence arbitrale qu’il prononça, le 7 juillet 1251, sur un différend entre l’archevêque et le vicomte de Narbonne, différent où il avait été commis par la reine Blanche. En vertu d’une procuration de saint Louis, il reçut, le 15 avril 1255, avec le sénéchal de Beaucaire, la reconnaissance de Pierre, évêque de Maguelonne, pour la seigneurie de Montpellier, mais dans l’acte d’hommage Guy Fulcodi ne prend aucune qualification, tandis qu’il est nommé le premier et appelé clerc du roi dans une procédure du mois d’août 1256, concernant l’abbaye de la Grasse. Le roi l’avait désigné, avec le sénéchal de Beaucaire, pour l’examen de ce dernier litige[6].

Nous raconterons peut-être un jour la suite de la carrière de Guy Fulcodi, son trop court passage aux sièges du Puy et de Narbonne, son rôle glorieux sur le trône pontifical, son amour éclairé des lettres et des arts, la protection qu’il accorda au savant et infortuné moine Roger Bacon, l’un des précurseurs de la science moderne[7], les témoignages de sa vive sollicitude pour l’église du Puy et beaucoup d’autres traits de sa noble et longue vie. Nous nous contenterons en ce moment de relever une particularité assez curieuse de ses débuts dans les honneurs ecclésiastiques.

Guy Fulcodi était archidiacre du Puy, au dire du Gallia Christiana[8] et de Le Nain de Tillemont. Nous nous défions un peu de ce dire basé uniquement sur la foi du biographe Ciacconius[9]. La dignité d’archiprêtre se rencontre dans notre église au xiiie siècle, mais nous n’avons aucun exemple qui montre celle d’archidiacre à la même époque. Il fallait toutefois que Guy Fulcodi eût quelque lien avec notre chapitre, puisque des chanoines de Notre-Dame l’élurent pour évêque d’une voix unanime. Peut-être Ciacconius s’est-il simplement mépris sur la nature du titre conféré dans l’église anicienne à Guy Fulcodi avant son élévation à l’épiscopat.

Donc les grands chanoines choisirent Guy Fulcodi pour évêque, à la place d’Armand de Polignac, décédé le 16 ou 17 mai 1257[10]. Sur la notification du choix du chapitre, Guy n’accepta ni ne refusa. La grave querelle entre l’église du Puy et la couronne à propos de la Régale, querelle dont nous avons déjà fait le récit[11], dut entrer pour beaucoup dans ces hésitations. Confident, serviteur et presque ministre du roi, Guy Fulcodi avait une situation délicate au regard d’une église qui se trouvait en lutte avec le pouvoir royal. Aussi le nouvel élu déclina-t-il sa propre initiative : il s’en remit, sur sa conduite à tenir dans cette circonstance, à l’arbitrage d’Hugues, cardinal de Sainte-Sabine. Les chanoines envoyèrent une députation extraordinaire… sollempnes nuncios… au pape Urbain IV et le résultat de ces démarches fut que Guy Fulcodi devait gagner sa ville épiscopale. Guy accepta cette décision. C’est pourquoi le chapitre envoya à la cour trois délégués : le doyen Guy de Montlaur, Austorge de Montaigu, abbé de Séguret, et B. Malet, chanoine, pour obtenir du roi la main-levée sur les revenus de l’évêché. Le titre suivant, tiré des Archives nationales, J, 346, Régale, II, no 43, Original scellé, fournit le texte de la pétition du chapitre au roi saint Louis :


Litteræ, quibus Aniciense capitulum a Ludovico, rege Franciæ, petit ut Guidoni Fulcodii, episcopo novissime electe, regalia concedanter.

Excellentissimo domino suo, Ludovico, Dei gracia inclito regi Francorum, Aniciense capitulum sue devotionis obsequium ad regie beneplacitum voluntatis. Per latores presentium, scilicet G(uidonem), decanum nostrum, A(storgium), abbatem Secureti, B. Maleti, canonicum nostrum, vestre notum facimus majestati quod, ecclesia nostra pastoris nuper solacio destituta, discretum virum, dominum G(uidonem) Fulcodii, clericum vestrum[12], solum Deum habentes pro oculis, unanimiter nobis elegimus in pastorem, qui electionem hujusmodi, per majores de nostro corpore sibi presentatam, nec respuens protinus nec acceptans, in manu tandem et libera voluntate patris venerabilis domini H(ugonis), tituli Sancte Sabine presbyteri cardinalis, ascensum posuit et discensum. Sane processu nostro et responsione electi per nostros sollempnes nuncios summo Pontificii patefactis, ipse vicarius Jhesu Christi, de dicto vestro clerico pensatis omnibus circonstanciis, nostre dixit ecclesie piovidendum, et provisioni sic facte consensit ejus vice ac nomine predictus dominus cardinalis, juxta sibi concessam ab eodem electo consensciendi vel renuendi liberam facultatem.

Quocirca serenitati regie supplicamus humiliter et devote quatenus nostre compatientes ecclesie, que tempore jam non modico sue dampna viduitatis sustinuit, dictum electum efficaciter inducatis ut, manu vestre clementie de regalibus investitus, ad eandem accedat ecclesiam, cui jam se per alium obligavit. Valeat vestra serenitas per tempora longiora et semper in melius prosperetur. Datum Anicii, anno Domini m° cc° lvii, mense novembris[13].


Coïncidence digne de remarque : Guy Fulcodi, en passant de notre église à celle de Narbonne, faillit être remplacé, au Puy, par l’un de ses successeurs sur la chaire de saint Pierre. En 1260, nos chanoines se réunirent pour nommer un évêque à la place de Guy Fulcodi. Les voix se partagèrent entre deux candidats : Guillaume de la Roue, prieur de Souvigny, et Simon de Brie ou de Brion, trésorier de Saint-Martin de Tours. Le parti de Simon de Brion avait à sa tête le doyen Guy de Montlaur et le prévôt Guillaume de Montrevel. Un schisme véritable s’ensuivit dans le chapitre, et le diocèse n’eut pas de pasteur pendant trois années. En 1263, la question fut tranchée au profit de Guillaume de la Roue[14], mais déjà le compétiteur de ce dernier avait fait un beau et rapide chemin. Le samedi des Quatre-Temps, 23 novembre 1261, Urbain IV fit une promotion de cardinaux… viros præclaros, vita et scientia insignitos… parmi lequels se trouvaient trois ministres ou anciens ministres de saint Louis : Raoul, ex-garde des sceaux, évêque d’Evreux, depuis 1259 ; Guy Fulcodi, archevêque de Narbonne ; et Simon de Brion, garde des sceaux, depuis la retraite de l’évêque d’Evreux en 1259. Simon de Brion tint une place éminente dans le gouvernement de l’Église et fut élu pape, le 22 février 1281, sous le nom de Martin IV[15].




  1. Une copie intégrale du dernier siècle de ces Statuta se trouve aux Archives départementales.
  2. Glossarium au mot Matricularii.
  3. Le nom patronymique de Clément IV est diversement orthographié dans les ouvrages imprimés ou manuscrits. On trouve Fulcodi, Fulcodii, Fulchodii, Fulcodius, Fulcaudi en latin ; et en français : Foulques ou Foulcoy. Le nom de Foulques, en français, serait le plus rationnel, mais l’usage a fait prévaloir celui de Fulcodi.
  4. Pour la biographie de Clément IV, consulter, en dehors du Gallia Christiana, Eccl. Aniciensis, t. II. col. 717 et de nos auteurs et chroniqueurs : Gissey, Théodore, Arnaud, Mandet, Médicis ; l’excellente Vie de saint Louis, par Le Nain de Tillemont, édit. de Gaulle, Paris, 1848, passim, et spécialement t. IV, pp. 353 et suiv.
  5. Layettes du Trésor des Chartes, par Teulet, Plon, Paris, 1866, t. II, pp. 335, 371, 376, 406.
  6. Le Nain de Tillemont, t. IV, pp. 355 et suiv.
  7. Roger Bacon, sa vie et ses œuvres, par M. Emile Saisset, dans la Revue des Deux-Mondes, livraison du 15 juillet 1861, pp. 369 et suiv. ; Louis Figuier, Savants du moyen âge, Paris, Hachette, 1870, pp. 185, 186 et suiv.
  8. Gall. Christiana, Eccl. Aniciensis, t. II, col. 717.
  9. Cité par Le Nain de Tillemont, t IV, p. 355. L’ouvrage d’Alphonse Ciacconius est intitulé Vitæ et res gestæ pontificum romanorum et cardinalium ab initio nascentis ecclesiæ ad Clenentem IX, ex recognitione Aug. Oldoini. Romæ, 1677, 4 vol. in-8o. — La première édition est de Rome, 1630, 2 vol. in-fo.
  10. Le Nain de Tillemont, t. IV. p. 357, et Gall. Christiana, Eccl. Aniciensis, t. II, col. 717 et 718.
  11. Tablettes, III, 165 et suiv.
  12. Si Guy Fulcodi avait eu des fonctions dans notre église, il en serait très probablement parlé dans ce titre.
  13. Le titre porte des traces de sceau du Chapitre pendant sur une simple queue. — Le sceau ogival du Chapitre, de 63 millimètres, porte la Vierge assise avec l’enfant Jésus, couronnée, voilée et nimbée, tenant à la main droite un sceptre fleurdelisé, avec la légende circulaire : SIGILLVM S. MARIE ANICIENSIS. Le contre-sceau porte : un Agnus Dei, avec la légende SIGILLVM SECRETI. (Collection des sceaux de Douët-d’Arcq, dans les Inventaires et documents des Archives de l’Empire, Plon, Paris, 1867, no 7285).
  14. Voir sur ces dissensions électorales le Gall. Christiana, Eccl. Aniciensis, t. II, col. 718.
  15. Le Nain de Tillemont, t. IV, pp. 212 et suiv.