Dombey et fils (Dickens)/I/08

La bibliothèque libre.
Traduction par Mme  Bressant.
Librairie Hachette et Cie (1p. 98-121).


CHAPITRE VIII.

Paul continue à grandir et à se développer ; son caractère.


Sous les yeux attentifs et vigilants du temps (major bien autrement sévère), les nuits de Paul changèrent peu à peu. Elles ne furent plus aussi obscures ; des rêves de plus en plus distincts les agitèrent ; une foule d’objets et d’impressions vinrent animer son repos. Ce fut ainsi qu’il passa de la première enfance à la seconde, et devint un Dombey jasant, marchant et regardant.

Depuis la disgrâce et le bannissement de Richard, l’administration de la chambre des enfants avait été confiée à une commission, comme il arrive quelquefois à un ministère public, quand on n’a pas encore trouvé l’Atlas aux larges épaules qui doit en porter le faix. Les membres de la commission, comme de juste, furent Mme  Chick et miss Tox, et toutes deux remplirent leur emploi avec un tel zèle, que le major Bagstock put s’apercevoir chaque jour davantage de son abandon, et que M. Chick, privé de la douce surveillance de sa femme, se jeta à corps perdu dans le tourbillon des plaisirs. Il dînait dans les clubs, dans les cafés ; deux ou trois fois il avait senti le tabac ; il allait seul au théâtre ; bref, comme Mme  Chick le lui dit un jour, il brisait tous les liens de la société et violait toutes les lois de la morale.

Cependant, en dépit de ses premières promesses, tant de soins et de vigilance ne pouvaient faire de Paul un enfant robuste. Déjà naturellement délicat, il s’affaiblit et dépérit après le renvoi de sa nourrice ; pendant longtemps même, il sembla n’attendre qu’une occasion pour leur glisser entre les doigts, et pour aller rejoindre sa défunte mère. Ce dangereux passage, dans la vie d’un enfant, cette étape du steeple-chase qui l’entraîne vers l’âge viril, fut pourtant surmonté ; mais il fut difficile à franchir, et marqué dans sa course par une foule d’obstacles. Chaque dent qui perçait était un casse-cou ; chaque petit bouton de rougeole était un mur inexpugnable ; il était abattu par la moindre atteinte de coqueluche, ballotté, anéanti par toute une conjuration de petits malaises, qui se pressaient sur les pas l’un de l’autre sans interruption, comme pour l’empêcher de se remettre. Les aphtes le saisissaient à la gorge et ne voulaient plus lâcher leur proie, et la variole, malgré son nom doux et engageant, devenait pour lui d’une férocité inquiétante.

Le froid de son baptême avait glacé peut-être quelque partie sensible de son être, et ce n’est pas à l’ombre de son père qu’il pouvait se réchauffer. Ce qui est bien certain, c’est qu’à partir du jour de son baptême, il fut toujours maladif, et Mme  Wickam ne manquait pas de répéter souvent qu’elle n’avait vu de sa vie un pauvre petit martyr comme celui-là.

Mme  Wickam était la femme d’un garçon de café, ce qui revenait à être veuve. On l’avait jugée très-convenable pour le service de M. Dombey, car elle semblait n’avoir ni amis, ni connaissances, et partant on n’avait à craindre ni les visites, ni les sorties. Aussi fut-elle prise comme bonne d’enfant deux jours après le malheureux sevrage de Paul. Mme  Wickam était une femme douce et blonde ; ses sourcils étaient toujours levés, sa tête toujours baissée ; toujours prête à se plaindre, se faire plaindre ou plaindre le prochain ; elle avait reçu de la nature un talent surprenant pour envisager les choses toujours sous leur plus mauvais côté, sous leur jour le plus sombre, et c’était dans l’exercice de ce talent qu’elle trouvait sa plus grande consolation.

Il est presque inutile de dire que jamais l’esprit majestueux de M. Dombey ne s’abaissa jusqu’à daigner remarquer cette particularité. Au reste, il eût été bien étonnant qu’il en eût eu connaissance, quand personne dans la maison, pas même Mme  Chick, pas même miss Tox, n’avait jamais osé lui faire entendre dans aucune circonstance qu’on pût avoir quelque inquiétude sur la santé de Paul. M. Dombey s’était dit qu’un enfant ne pouvait éviter certaines petites maladies, qui sont inséparables de son âge, et que, plus tôt elles se déclareraient, plus tôt il en serait quitte. S’il avait pu les lui épargner à prix d’argent, ou lui trouver un remplaçant, comme pour le service militaire, quand on a attrapé un mauvais numéro, il l’aurait fait certainement sans marchander, mais il y avait là impossibilité ; et M. Dombey, du haut de son orgueil, s’était simplement demandé quelquefois quelle pouvait être en cela l’intention de la nature ; puis il se consolait à chaque maladie, en pensant que son fils avait franchi sur la route une nouvelle borne qui le rapprochait d’autant plus du terme du voyage. Le sentiment qui le dominait, et qui devenait plus fort et plus violent à mesure que Paul grandissait, était l’impatience : L’impatience d’arriver à ce jour où ses vues d’importance et de grandeur seraient réalisées d’une manière triomphante par son association avec son fils.

Quelques philosophes prétendent que l’amour-propre se trouve toujours au fond de l’amour le plus vif et des affections les plus sincères. Le petit Paul, au moment même de sa naissance, était devenu pour M. Dombey une partie de sa propre grandeur, ou, ce qui revient au même, une partie de la grandeur de la maison Dombey et fils. Aussi sa tendresse paternelle ressemblait-elle à ces grandes réputations dont souvent l’édifice magnifique repose sur des fondements peu solides. Cependant il aimait son fils de tout l’amour dont il était capable. S’il y avait dans son cœur glacé un petit coin de chaleur, c’était là qu’habitait son fils ; si une image pouvait se graver dans ce bronze, c’était celle de son fils, non pas celle de son fils enfant ou adolescent, mais celle de son fils devenu homme, de Paul devenu le fils de la maison de commerce. Aussi M. Dombey avait-il hâte d’aller en avant et de passer rapidement par-dessus tous les petits incidents de sa vie. Malgré sa tendresse pour son fils, il se tourmentait peu de tout ce qui lui arrivait, ou même n’y songeait pas. On eût dit que la vie de l’enfant était enchantée et qu’il deviendrait, malgré tous les obstacles, l’homme de ses rêves, l’homme pour lequel il formait sans cesse de nouveaux plans, de nouveaux projets, comme s’il eût été maître de l’avenir.

Paul parvint ainsi à l’âge de cinq ans. C’était un joli petit garçon ; mais il y avait dans sa petite figure quelque chose de trop avancé et de trop réfléchi pour son âge ; aussi Mme  Wickam remuait-elle souvent la tête d’un air significatif en poussant de profonds soupirs. Il promettait d’être impérieux plus tard, et semblait aussi pénétré qu’on pouvait le désirer, du sentiment de son importance ; il comprenait déjà combien choses et gens étaient au-dessous de lui. Il était quelquefois assez enfant, assez gai, et tout disposé à s’amuser ; mais quelquefois aussi, il avait un air singulier, tout vieillot, tout pensif, quand il s’asseyait pour rêver dans son petit fauteuil nain. Il ressemblait alors à ces êtres fantastiques qu’un seul coup de baguette a transformés, d’enfants qu’ils étaient, en petits vieux de cent cinquante ou deux cents ans.

Souvent, dans sa chambre, il était pris de ces accès de mélancolie rêveuse ; quelquefois il y tombait tout à coup, en s’écriant qu’il était fatigué, interrompant ses jeux avec Florence, ou laissant là miss Tox, qui faisait le dada pour l’amuser. Mais c’était surtout après le dîner, quand on avait descendu son petit fauteuil dans la chambre de son père, qu’assis près de lui devant le feu, il s’abandonnait à ses rêveries. C’étaient bien alors les deux êtres les plus étranges que jamais eût éclairés la flamme du foyer. M. Dombey, si roide et si grave, regardant fixement le feu ; sa petite miniature avec sa vieille, vieille petite figure, les yeux fixés sur le charbon ardent, dans l’attitude sérieuse et réfléchie d’un sage ; M. Dombey, l’esprit toujours occupé des choses d’ici-bas, formait mille projets, mille plans pour l’avenir ; sa petite miniature, transportée Dieu sait dans quel monde imaginaire, s’égarait dans des pensées à peine ébauchées, dans les songes les plus fugitifs ! M. Dombey, roide d’empois et d’arrogance, l’enfant roide aussi, mais par héritage et par imitation involontaire. Quelle ressemblance et pourtant quel prodigieux contraste !

Un soir qu’ils étaient restés tous deux silencieux pendant assez longtemps, et que M. Dombey s’était assuré plusieurs fois que l’enfant ne dormait pas, en voyant la flamme briller comme une topaze dans ses yeux, le petit Paul rompit tout à coup le silence et dit :

« Papa, qu’est-ce que l’argent ? »

Cette question, faite à l’improviste, avait tant de rapport avec les pensées de M. Dombey qu’il resta interdit.

« Ce que c’est que l’argent, Paul, répondit-il, l’argent ?.

— Oui, dit l’enfant posant ses mains sur les deux bras de son petit fauteuil et levant sa petite figure vieillotte vers M. Dombey, qu’est-ce que l’argent ? »

M. Dombey était embarrassé. Il aurait voulu lui donner une définition comprenant les termes agent monétaire, monnaie, billets, lingots, taux de l’escompte, prix des valeurs métalliques sur la place et le reste ; mais, après avoir jeté un coup d’œil sur le petit fauteuil, et voyant combien il était bas, il répondit simplement : C’est de l’or, de l’argent, du cuivre ; des guinées, des schellings, des sous. Vous connaissez tout cela ?

— Oui, répondit Paul. Ce n’est pas cela que je veux dire, papa. Je veux savoir ce que c’est que l’argent, après tout ? »

Dieu ! comme sa figure était vieille, quand il la tourna encore vers son père !

« Ce que c’est que l’argent, après tout ? dit M. Dombey tout surpris, en reculant un peu son siège pour mieux voir cet orgueilleux atome qui osait faire une telle question.

— Je veux savoir, papa, ce qu’il peut faire ? » reprit Paul en croisant ses bras, à peine assez longs pour se croiser, et portant ses regards du feu à son père, de son père au feu, pour les arrêter enfin sur M. Dombey.

Celui-ci rapprocha son fauteuil de l’enfant, et lui dit, en lui donnant une petite tape sur la joue : « Vous l’apprendrez en grandissant, mon petit homme. L’argent peut tout, Paul ; » et il prit une des mains de l’enfant qu’il frappa légèrement dans la sienne.

Mais Paul la dégagea le plus vite possible ; et, la passant et repassant doucement sur le bras de son fauteuil, on eût dit que son intelligence était dans la paume de sa main, et qu’il voulait ainsi l’aiguiser ; il regarda encore le feu comme pour lui demander un conseil ou une réplique, et répéta après un moment de silence :

« Il peut tout, papa ?

— Oui, tout… ou presque tout, dit M. Dombey.

Tout, veut dire chaque chose, n’est-il pas vrai, papa ? demanda l’enfant sans remarquer ou sans comprendre la restriction de son père.

— Certainement, dit M. Dombey ; ce seul mot comprend toutes choses.

— Pourquoi donc l’argent n’a-t-il pas sauvé maman ? reprit l’enfant ; il est donc bien cruel, dites ?

— Cruel ! dit M. Dombey arrangeant sa cravate, et voulant repousser cette pensée. Non, non. Une bonne chose ne peut être cruelle.

— Si c’est une bonne chose, qui peut tout faire, dit le petit garçon tout pensif, en reportant ses yeux vers le feu, c’est bien étonnant qu’il n’ait pas sauvé maman ! »

Cette fois, il n’interrogeait plus son père. Peut-être, avec l’intelligence naturelle aux enfants, s’était-il aperçu que cette question l’embarrassait ; mais il avait répété tout haut sa pensée, comme si elle lui eût été depuis longtemps familière et qu’elle l’eût souvent troublé. Puis il appuya son menton sur sa main et se mit à réfléchir en demandant au feu une réponse.

M. Dombey revint peu à peu de sa surprise, pour ne pas dire de sa terreur ; car c’était la première fois que l’enfant lui parlait de sa mère, et pourtant ils avaient déjà passé ainsi ensemble bien des soirées. Il expliqua alors à l’enfant comment l’argent, malgré toute sa puissance vivifiante (qu’il faut bien se garder de mépriser), ne peut cependant conserver la vie aux personnes qui doivent mourir. « Car, malheureusement, lui dit-il, nous devons tous mourir, même dans la Cité, où l’on est plus riche que partout ailleurs. Mais l’argent nous procure les grands honneurs. Il nous fait craindre, respecter, courtiser, admirer, et nous rend puissants et illustres aux yeux du monde entier. Souvent même, il peut nous sauver l’existence pendant de longues années. C’est grâce à ma fortune que votre maman a été souvent soignée par M. Pilkins, qui, bien souvent aussi, a pris soin de vous. C’est grâce à ma fortune que j’ai pu appeler auprès de votre maman le célèbre docteur Parker, que vous n’avez jamais connu. Enfin, Paul, l’argent peut faire tout ce qu’il est possible de faire. Et M. Dombey, développant ce thème, chercha à l’inculquer plus fortement dans l’esprit de son fils, qui l’écoutait attentivement et paraissait comprendre la majeure partie de ce qu’il lui disait.

« La fortune ne peut pas me rendre fort et bien portant, n’est-ce pas, papa ? Demanda Paul après un moment de silence, en frottant l’une contre l’autre ses pauvres petites mains.

— Mais vous êtes fort et bien portant, il me semble, » répondit M. Dombey.

Oh ! qui aurait pu dire l’âge de l’enfant quand il leva vers son père sa figure moitié triste, moitié railleuse !

« Vous êtes aussi fort, aussi bien portant que tous les enfants de votre âge, je crois, répéta M. Dombey.

— Florence est plus âgée que moi, mais je ne suis pas aussi fort et aussi bien portant que Florence, je le sais bien, répondit l’enfant ; je suis sûr que Florence, quand elle n’était pas plus grande que moi, pouvait jouer bien plus longtemps de suite que moi, sans se fatiguer. Je suis si fatigué quelquefois ! dit le petit Paul en se chauffant les mains et regardant attentivement à travers les barres de la grille, comme s’il eût découvert là derrière quelque marionnette fantastique, et mes os me font tant souffrir (Wickam dit que ce sont mes os), que je ne peux rien faire !

— Mais c’est le soir, dit M. Dombey en s’approchant tout près de son fils et posant doucement sa main sur son épaule. Il est bon que les enfants soient fatigués le soir, ils n’en dorment que mieux.

— Oh ! ce n’est pas le soir, papa, répondit l’enfant, c’est pendant le jour ; Florence me prend alors sur ses genoux et me chante des chansons. Mais, la nuit, je fais des rêves si drôles ! si drôles ! »

Et il continua à penser à ses rêves, tout en chauffant ses mains comme un bon petit vieux, ou comme un jeune farfadet. M. Dombey était surpris, mal à son aise et incapable de poursuivre la conversation. Il regarda seulement son fils à la clarté du feu, et laissa sa main posée sur son épaule, comme si une attraction magnétique l’y eût retenue. Une fois, de son autre main, il tourna vers lui la figure pensive de l’enfant ; mais la figure retourna bientôt vers le feu, quand il la laissa libre, et resta ainsi absorbée dans la contemplation de la flamme vacillante jusqu’au moment où la bonne vint le chercher pour le coucher.

« Il faut que Florence vienne me chercher, dit Paul.

— Comment ! vous ne voulez pas venir avec votre pauvre Wickam, monsieur Paul ? demanda la bonne en affectant un air tout désolé.

— Non, je ne veux pas, » répondit Paul, et il prit dans son petit fauteuil l’attitude du maître de la maison.

Mme  Wickam se retira, recommandant à Dieu le pauvre innocent, et Florence parut bientôt à sa place. Paul se leva vivement et sans hésiter, et sa physionomie, en souhaitant le bonsoir à son père, avait pris une expression si gaie, si jeune, si enfant, en comparaison de ce qu’elle était, que M. Dombey, tout en se sentant rassuré par ce changement, ne put s’empêcher d’en être surpris et frappé.

Quand ils eurent quitté la chambre tous les deux, il crut entendre une douce voix qui chantait. Se rappelant ce que lui avait dit Paul des chansons de sa sœur, il eut la curiosité d’ouvrir la porte pour écouter et les regarder. Florence avait pris l’enfant dans ses bras et montait péniblement le grand escalier, large et vide ; la tête de Paul était appuyée sur l’épaule et un de ses bras pendait négligemment autour du cou de sa sœur.

Ils s’en allaient ainsi montant avec peine, Florence chantant et Paul quelquefois joignant à sa chanson un accompagnement débile. M. Dombey les vit arriver à la dernière marche de l’escalier, non sans s’être arrêtés plus d’une fois en route ; puis il les perdit de vue ; mais il resta immobile à la même place, les cherchant encore du regard, tant qu’enfin les faibles rayons de la lune, glissant tristement à travers les vitres obscurcies, vinrent lui rappeler qu’il était temps de rentrer chez lui.

Le lendemain, au dîner, Mme  Chick et miss Tox furent convoquées pour tenir conseil, et, quand la nappe fut retirée, M. Dombey ouvrit la séance. Il demanda qu’on voulût bien lui dire, sans commentaire et sans arrière-pensée, si Paul n’avait pas quelque chose et ce que M. Pilkins pensait de son état.

« Car cet enfant, dit M. Dombey, est loin d’être aussi fort que j’aurais pu le souhaiter.

— Avec votre tact habituel, mon cher Paul, répondit Mme  Chick, vous avez touché juste. Non, le cher enfant n’est pas tout à fait aussi fort que nous l’aurions désiré. Il a vraiment trop d’esprit pour son âge. Son âme est à l’étroit dans son petit corps. Il cause, le cher petit ! dit Mme Chick en secouant la tête, c’est à n’y pas croire ! Vous rappelez-vous, Lucrèce, ce qu’il nous disait hier encore au sujet des funérailles !

— Je crains, dit M. Dombey en l’interrompant brusquement, que quelqu’un là-haut ne tienne à l’enfant des discours qui ne conviennent pas. L’autre soir il me parlait de… de ses os, dit M. Dombey en appuyant sur ce mot d’un ton irrité. Qu’est-ce qu’on peut avoir à démêler, je vous prie, avec les… avec les os de mon fils ! Paul n’est pas un squelette vivant, j’imagine ?

— Loin de là, répondit Mme Chick avec une vivacité inexprimable.

— Je l’espère, reprit M. Dombey. Que signifient aussi ses réflexions sur les funérailles ? Qui peut parler à l’enfant de funérailles ? Nous ne sommes pas, que je sache, entrepreneurs de pompes funèbres, croque-morts ni fossoyeurs ?

— Oh ! loin de là, dit Mme  Chick avec la même ardeur d’expression.

— Mais alors, qui donc lui met de telles idées en tête ? dit M. Dombey. Vraiment, hier soir, j’en ai été contrarié et blessé cruellement. Qui donc encore une fois peut lui mettre de telles idées dans la tête, Louisa ?

— Mon cher Paul, dit Mme Chick après un moment de silence, il est inutile de le demander. Franchement, je ne crois pas Wickam fort gaie, elle ne me paraît pas une de ces personnes qu’on peut appeler…

— Une fille de Momus, dit miss Tox de sa voix douce.

— C’est bien cela, dit Mme Chick. Mais Wickam est remplie de soins et d’attentions et ne cherche pas à se faire valoir. Jamais je n’ai vu une femme aussi convenable. Si le cher enfant, poursuivit Mme Chick du ton d’une personne qui parle d’une chose convenue, quand elle en parlait cependant pour la première fois, si le cher enfant a été un peu affaibli par sa dernière maladie, s’il n’est pas d’une aussi bonne santé qu’on peut le souhaiter, s’il est sujet parfois à certaines faiblesses qui puissent lui faire perdre, pour un moment, l’usage de ses… »

Mme Chick n’osa pas employer le mot membres après avoir entendu M. Dombey se récrier sur les os de son fils, et, se tournant vers miss Tox, elle attendit d’elle une heureuse inspiration. Celle-ci n’y manqua pas et souffla le mot articulations.

— De ses articulations ! répéta M. Dombey.

— Ah ! je me trompe ! Il me semble, ma chère Louisa, dit miss Tox, que le docteur avait parlé ce matin de ses jambes, n’est-ce pas ?

— Mais oui, ma bonne amie, reprit Mme  Chick d’un ton de doux reproche. Comment pouvez-vous le demander ? Vous l’avez entendu comme moi. Je disais donc que si notre cher Paul devait perdre pour un temps l’usage de ses jambes, c’est un mal qui lui serait commun avec beaucoup d’autres enfants de son âge, et que ni les soins ni les précautions ne sauraient empêcher. Il vaut mieux que vous en soyez informé plus tôt que plus tard, mon cher Paul.

— Vous savez certainement, Louisa, dit M. Dombey, que je ne mets pas en doute votre dévouement, votre intérêt pour cet enfant qui sera un jour à la tête de ma maison. M. Pilkins a vu Paul ce matin, je crois ? dit M. Dombey.

— Oui, il l’a vu ce matin, répondit sa sœur ; miss Tox et moi nous étions présentes, car nous nous faisons un devoir d’assister toujours aux visites du docteur. M. Pilkins l’examine depuis plusieurs jours ; c’est un homme que je crois fort habile. Il dit que cela ne vaut pas la peine d’en parler, et, si cela peut vous rassurer, je vous dirai que je partage son avis ; cependant aujourd’hui il a recommandé l’air de la mer. C’est, j’en suis persuadée, Paul, un bon conseil à suivre.

— L’air de la mer, répéta M. Dombey en regardant sa sœur.

— Il n’y a pas là de quoi se tourmenter, dit Mme  Chick. L’air de la mer a été ordonné de même à mon Georges et à mon Frédéric, quand ils avaient son âge. Moi-même, on me l’a ordonné plusieurs fois. Je conviens avec vous, Paul, qu’on parle souvent là-haut, devant lui, de choses sur lesquelles il vaudrait mieux ne pas égarer sa petite intelligence ; mais je ne vois pas comment on pourrait éviter cela avec un enfant aussi avancé. Si c’était un enfant ordinaire, cela ne ferait rien du tout. Je dois vous avouer notre avis à miss Tox et à moi ; une courte absence de la maison, l’air de Brighton et l’éducation physique et morale donnée par une personne aussi judicieuse que Mme  Pipchin, par exemple…

— Qu’est-ce que Mme  Pipchin, Louisa ? demanda M. Dombey tout effrayé d’entendre prononcer devant lui, d’une manière si familière, un nom qu’il ne connaissait seulement pas.

Mme  Pipchin, mon cher Paul, répondit Mme  Chick, est une femme d’un âge respectable (miss Tox connaît son histoire tout entière), qui s’est appliquée, depuis quelque temps, avec toute l’énergie de son caractère et avec le plus grand succès, à l’étude des maladies des enfants et à leur traitement, et qui a toujours eu les plus belles relations. Son mari s’est brisé le cœur en… Comment m’avez-vous raconté cela, ma chère amie ? je ne me rappelle plus les détails précis.

— En pompant l’eau des mines du Pérou, répliqua miss Tox.

— Ce n’était pas un ouvrier, comme vous pensez bien, dit Mme  Chick en regardant son frère (et vraiment cette explication était nécessaire, car miss Tox avait parlé de M. Pipchin comme s’il était mort la main sur la pompe) ; mais il avait mis toute sa fortune dans cette spéculation qui a manqué. Mme  Pipchin s’entend aux enfants d’une manière surprenante. Je l’ai entendu vanter, il y a bien longtemps, dans des réunions particulières, quand j’étais haute, comment dirais-je ?… et les yeux de Mme  Chick, cherchant une comparaison, s’égarèrent des premiers rayons de la bibliothèque jusqu’au buste de M. Pitt, qui était à peu près à dix pieds de haut.

— Peut-être me permettez-vous de dire de Mme  Pipchin, mon cher monsieur, dit miss Tox en rougissant timidement, puisqu’on s’en rapporte si positivement à mon témoignage, qu’elle mérite à tous égards les éloges que lui a donnés votre bonne sœur. Bien des dames, bien des messieurs, devenus maintenant des membres intéressants de la société, ont eu recours à ses soins. Votre humble servante, qui vous parle en ce moment, lui a été confiée autrefois. La noblesse elle-même, je le crois, ne dédaigne pas de former ses enfants dans cet établissement.

— Cette respectable dame tient donc un établissement, miss Tox ? demanda M. Dombey d’un ton assez bienveillant.

— Je ne sais pas trop si j’ai raison d’appeler cela un établissement, répondit miss Tox. Ce n’est pas, à coup sûr, une école préparatoire. Peut-être, continua miss Tox de sa voix la plus douce, rendrais-je mieux mon idée en disant que c’est une pension d’élite, destinée aux enfants du premier âge.

— Sur une échelle extrêmement restreinte et limitée, dit Mme  Chick en lançant un coup d’œil à son frère.

— Si limitée, qu’elle ne reçoit presque personne, » dit miss Tox.

Il y avait du bon là dedans. Le mari de Mme  Pipchin était mort de s’être brisé le cœur dans les mines du Pérou, c’était très-intéressant : cela sonnait bien à l’oreille. En outre, M. Dombey était presque consterné en songeant que Paul eût pu rester une heure de trop dans la maison, quand le docteur avait ordonné qu’il la quittât. C’était un temps d’arrêt, un retard sur la route que l’enfant devait suivre, et qu’il devait suivre lentement sans doute, avant d’atteindre le but. La recommandation de Mme  Chick et de miss Tox en faveur de Mme  Pipchin était d’un grand poids auprès de lui. Il savait combien elles étaient jalouses de l’autorité qui leur était dévolue sur l’enfant, et il ne lui vint pas même à l’idée qu’elles pussent désirer de partager avec d’autres une responsabilité sur laquelle il avait des idées bien arrêtées, comme il venait de le témoigner au même moment. Mourir le cœur brisé dans les mines du Pérou, faisait rêver M. Dombey. Vraiment ! c’était une manière respectable de faire la chose !

« En supposant qu’après avoir pris demain matin toutes les informations nécessaires, nous nous décidions à envoyer Paul à Brighton chez cette dame, qui est-ce qui l’accompagnerait ? demanda M. Dombey après avoir réfléchi un moment.

— Je ne pense pas que vous puissiez envoyer l’enfant nulle part sans Florence, mon cher Paul, dit Mme  Chick en hésitant un peu. Vous savez qu’il l’aime à la folie. Que voulez-vous, c’est un enfant : il a ses fantaisies ! »

M. Dombey détourna la tête, alla lentement à la bibliothèque, l’ouvrit et en rapporta un livre.

« Et personne autre, Louisa ? dit M. Dombey ; sans lever les yeux, en feuilletant le livre.

— Wickam, cela va sans dire. Wickam suffira parfaitement, dit Mme  Chick. En laissant Paul entre les mains de Mme  Pipchin, ce serait porter ombrage à cette bonne dame que d’y envoyer une autre personne. Et puis, vous ne manquerez pas d’aller le voir vous-même au moins une fois la semaine ?

— Certainement, » dit M. Dombey, et il resta assis devant la même page pendant une heure, sans en lire un seul mot.

Cette célèbre Mme  Pipchin était une vieille dame singulièrement disgraciée de la nature et d’une laideur repoussante. Elle avait le corps voûté, la figure toute marbrée, un nez de perroquet, et un œil gris si dur, qu’on aurait pu le forger sur une enclume, sans qu’il en souffrît. Il y avait au moins quarante ans que les mines du Pérou avaient causé la mort de M. Pipchin ; mais sa veuve inconsolable portait encore une robe d’alépine noire terne, épaisse, sans ornements, si sombre enfin, que le soir, le gaz laissait Mme  Pipchin dans l’obscurité, et que sa seule présence pouvait servir d’éteignoir à un nombre indéterminé de lumières. Elle était généralement réputée comme une femme d’un grand talent pour diriger les enfants, et le secret de ce talent consistait simplement à faire tout ce qui leur déplaisait, sans jamais rien faire de ce qui leur était agréable : c’était, selon elle, un moyen infaillible de leur former le caractère. Elle était si sèche, qu’on était vraiment disposé à croire qu’il y avait eu erreur dans l’emploi des machines hydrauliques du Pérou, et qu’au lieu des mines, c’était elle qu’on avait mise à sec en lui tirant tout ce qu’elle pouvait avoir d’amabilité, de douceur et de bonté.

Le château de cette ogresse, véritable bourreau des enfants, se trouvait à Brighton, dans une rue écartée et montante, dont le terrain était crayeux, pierreux et stérile ; les maisons plus minces et plus fragiles que partout ailleurs. Les petits jardins, qu’on voyait devant les façades, avaient la singulière propriété de ne produire que des soucis, quelles que fussent les graines qu’on y eût semées, et, sur toutes les portes, sans parler de bien d’autres endroits, où ils ne servaient guère d’ornements, des colimaçons restaient attachés avec la ténacité d’une ventouse. Pendant l’hiver, le vent s’engouffre dans le château, sans qu’on pût l’en chasser, et, pendant l’été on ne pouvait l’y garder. Mais il y faisait toujours un bruit, que les habitants croyaient tenir à leurs oreilles, bon gré mal gré, un grand coquillage de mer, qui bourdonnait la nuit comme le jour. L’air qu’on respirait dans la maison n’était pas des plus agréables ; dans l’embrasure de la fenêtre du petit salon, fenêtre qui ne s’ouvrait jamais, Mme  Pipchin conservait en pots une collection de boutures, qui faisaient participer tout l’établissement à leur odeur terreuse.

Quoique ce fussent des individus de choix dans leur espèce, elles cadraient toutes parfaitement avec la forme gondolée de Mme  Pipchin. Il y avait une demi-douzaine de variétés de cactus, s’enroulant autour de morceaux de latte, pour tuteurs, et semblables à des serpents à tous crins ; un autre allongeait ses grandes griffes comme un homard vert ; des plantes rampantes se faisaient remarquer par leurs feuilles visqueuses et adhérentes ; au plafond était pendu un vieux vase délabré, d’où débordait à flots, comme l’eau d’une bouilloire trop pleine, une plante, dont les longs bouts verts chatouillaient désagréablement les gens qui passaient en dessous ; on croyait sentir des pattes d’araignée, car l’habitation de Mme  Pipchin n’était pas chiche de ces insectes, quoiqu’elle fût peut-être plus prodigue encore de perce-oreilles dans la saison.

Le tarif de Mme  Pipchin était cependant très-élevé pour tous ceux qui avaient le moyen de payer, et, son humeur acariâtre ne s’adoucissant jamais en faveur de personne, on la regardait comme une femme de grande fermeté et connaissant à fond le caractère des enfants. Grâce à cette réputation, et aussi à la fin malheureuse de M. Pipchin, elle était arrivée, bon an mal an, à se procurer une honnête aisance depuis la mort de son mari. Trois jours après la conversation de Mme  Chick avec son frère, cette vieille et excellente dame eut la satisfaction de toucher de M. Dombey une somme assez ronde par avance, qu’elle ajouta à ses recettes courantes, en même temps qu’elle recevait Florence et son petit frère Paul comme pensionnaires.

Mme  Chick et miss Tox, qui les avaient amenés la veille, et qui avaient passé la nuit avec eux dans un hôtel, venaient de les quitter pour retourner à Londres. Mme  Pipchin, le dos tourné au feu, passait en revue les nouveaux venus comme un vieux recruteur. La nièce de Mme  Pipchin, bonne personne déjà d’un certain âge, esclave des volontés de sa tante, mais si maigre qu’elle n’avait que la peau sur les os, affligée en outre d’un nez tout couvert de bourgeons, était occupée à ôter au jeune Bitherstone le col tout blanc qu’on lui avait mis pour la circonstance. Miss Pankey, la seule autre pensionnaire pour le moment, qui s’était permis de renifler trois fois devant les étrangers, avait été enfermée dans le donjon (c’était une grande chambre donnant sur le derrière du château et qui était destinée aux corrections).

« Voyons, monsieur, dit Mme  Pipchin à Paul, pensez-vous que vous m’aimerez un peu ?

— Je ne vous aimerai pas du tout, répondit Paul ; je veux m’en aller. Ce n’est pas ici ma maison.

— Non, car c’est la mienne, dit Mme  Pipchin.

— Eh bien ! elle est très-laide, reprit Paul,

— Cependant, il y a ici un endroit encore bien plus vilain, dit Mme  Pipchin, c’est celui où nous enfermons les petits garçons méchants.

— Est-ce qu’il y est allé, lui ? » demanda Paul en montrant du doigt Bitherstone.

Mme  Pipchin fit un signe de tête affirmatif ; et Paul, pendant tout le reste de la soirée, ne perdit pas de vue le jeune Bitherstone ; il l’examinait de la tête aux pieds, et surveillait tous les mouvements de sa physionomie avec l’intérêt que méritait un garçon qui avait passé par de terribles et mystérieuses épreuves.

À une heure, on dîna. Le repas se composait surtout de farineux et de légumes. Miss Pankey (douce enfant aux yeux bleus, que l’on frictionnait tous les matins de façon à lui écorcher la peau) fut tirée de prison par l’ogresse elle-même, qui lui apprit que toute personne qui osait renifler devant le monde ne pouvait jamais monter au ciel. Quand cette profonde vérité lui eut été bien inculquée dans l’esprit, on la régala de riz. Puis la petite fille récita une sorte de prière habituelle dans le château, et qui se terminait par des actions de grâces à Mme  Pipchin pour son dîner. La nièce de Mme  Pipchin, Berinthia, mangea un morceau de porc froid ; mais, comme le tempérament de Mme  Pipchin réclamait quelque chose de chaud, la bonne dame se fit servir à part des côtelettes de mouton, qu’on lui apporta toutes bouillantes entre deux assiettes, et qui laissaient échapper un fumet fort agréable.

Comme il pleuvait, après le dîner, on ne put aller se promener sur la plage ; et, le tempérament de Mme  Pipchin réclamant du repos à la suite des côtelettes de mouton, les enfants sortirent avec Berry, autrement dite Bérinthia, pour aller au donjon, grande chambre qui n’avait pour toute perspective qu’un mur blanchi à la chaux et un tonneau plein d’eau, mais dont l’aspect était rendu plus affreux encore par une énorme cheminée délabrée, dans laquelle il n’y avait pas même de grille pour y faire du feu. Cependant, égayé par la société, cet endroit était encore le plus agréable ; car Berry se mêla à leurs jeux et fit le diable comme eux, jusqu’au moment où Mme  Pipchin, frappant avec colère contre le mur, comme le revenant de Cock Lane, les fit rentrer dans le silence. Ils se rangèrent alors autour de Berry, qui leur raconta tout bas des histoires jusqu’à la nuit.

Au lieu de thé, on leur servit en abondance du lait coupé, avec du pain et du beurre ; quant à Mme  Pipchin et à Berry, elles eurent un petit pot de thé noir pour elles seules, et l’on apporta à Mme  Pipchin un nombre illimité de rôties bien beurrées et toutes bouillantes comme les côtelettes. Mme  Pipchin en mangea tant, qu’elle en eut la figure et les mains toutes grasses, mais il ne parut pas que l’intérieur en fût le moins du monde adouci ; car elle conserva le même air sec, et son œil gris et dur ne changea pas d’expression.

Après le thé, Berry prit une petite boite à ouvrage, sur le couvercle de laquelle se voyait le pavillon royal, et se mit à travailler avec ardeur. Pendant ce temps-là, Mme  Pipchin arrangea ses lunettes sur son nez, ouvrit un gros livre recouvert de serge verte, et commença son petit somme ; mais, chaque fois qu’elle se réveillait en sursaut au moment où elle allait tomber le nez dans le feu, elle appliquait une bonne chiquenaude sur le nez de Bitherstone, qui se permettait aussi de sommeiller de son côté.

L’heure arriva enfin où les enfants devaient monter se coucher, et après la prière ils allèrent au lit. Comme miss Pankey avait très-peur de rester seule dans l’obscurité, Mme  Pipchin se faisait un devoir de la conduire elle-même en haut, comme un pauvre petit mouton ; et là, c’était vraiment curieux d’entendre longtemps après miss Pankey se lamenter, dans la chambre la plus sombre, et Mme  Pipchin y rentrer de temps en temps pour la tancer vertement. À neuf heures et demie environ, on apporta à Mme  Pipchin un ris de veau bien chaud, car le tempérament de la bonne dame ne lui permettait pas d’aller se coucher sans s’être mis un ris de veau sur l’estomac ; le fumet de ce plat se répandait dans toute la maison, changeant un peu le parfum ordinaire de l’habitation que Mme  Wickam appelait une odeur de bâtisse, et peu de temps après le château était plongé dans le plus profond sommeil.

Le lendemain, au déjeuner, le thé fut servi de la même manière que la veille au soir ; seulement, Mme  Pipchin eut un petit pain, au lieu de rôties, et sembla encore de plus mauvaise humeur que de coutume, quand elle l’eut fini. Pour récréation, Mme  Pipchin fit lire à Bitherstone une généalogie de la Genèse (dont le choix faisait honneur à son jugement), et le petit bonhomme déchiffra les noms avec la facilité et la légèreté d’un individu qui traîne le boulet. On emmena ensuite miss Pankey pour la frictionner, et Bitherstone pour lui faire prendre un bain d’eau de mer, dont il sortit tout bleu et tout accablé. Pendant ces opérations, Paul et Florence allèrent se promener sur la plage avec Wickam, qui était en larmes du matin au soir ; et Mme  Pipchin, sur le midi, fit faire aux enfants des lectures enfantines qui, par parenthèse, ne l’étaient guère ; car c’était le système de Mme  Pipchin de ne pas laisser l’intelligence des enfants se former et se développer comme une tendre fleur, mais de l’ouvrir de force comme une huître. La morale de ces leçons avait en général un caractère violent et saisissant. Il était rare que le héros du conte, méchant petit garçon, finit autrement que sous les dents d’un lion ou dans les griffes d’un ours.

Telle était la vie que l’on menait chez Mme  Pipchin. Le samedi, M. Dombey arrivait ; Paul et Florence allaient le voir à son hôtel et y prenaient le thé. Ils passaient la journée du dimanche tout entière avec lui, et on faisait habituellement une promenade en voiture avant le dîner. Dans ces occasions, M. Dombey semblait se multiplier, comme les assaillants de Falstaff ; au lieu de l’homme au bougran, il s’en trouvait une douzaine. La soirée du dimanche était la plus triste de toute la semaine, car Mme  Pipchin s’était fait une règle d’être toujours de très-mauvaise humeur le dimanche soir. On ramenait habituellement miss Pankey de chez une tante qui habitait Rottendean, et la pauvre enfant revenait toujours dans le plus profond désespoir. Quant à Bitherstone, dont tous les parents étaient dans l’Inde, il était condamné, entre les offices, à rester tout droit le dos contre le mur du petit salon, sans remuer bras ni jambes, et sa jeune âme en souffrait si cruellement, qu’il demanda à Florence, un dimanche soir, si elle ne pourrait pas lui indiquer le chemin pour retourner au Bengale.

Cependant on disait partout que Mme  Pipchin était une maîtresse femme pour gouverner les enfants ; et de fait les plus sauvages rentraient chez eux bien apprivoisés près quelques mois de séjour sous son toit hospitalier. On disait partout aussi que c’était beau de la part de Mme  Pipchin de s’être adonnée à ce genre de vie, d’avoir fait ainsi le sacrifice de ses goûts, d’avoir fait tête à ses malheurs avec tant de fermeté, quand M. Pipchin était mort le cœur brisé dans les mines du Pérou.

Paul, assis dans son petit fauteuil auprès du feu, ne pouvait se lasser d’examiner cette vieille dame modèle, pendant des heures entières. Il avait oublié ce que c’est que l’ennui, quand il regardait fixement Mme  Pipchin ; il ne l’aimait, ni ne la craignait ; mais, avec ses habitudes de petit vieux, elle avait pour lui un attrait grotesque. Il restait là, tantôt la regardant, tantôt chauffant ses mains, puis la regardant encore, si bien que Mme  Pipchin tout ogresse qu’elle était, en était quelquefois troublée. Elle lui demanda, un jour qu’ils étaient seuls, à quoi il pensait.

« À vous, dit Paul, sans y mettre la moindre discrétion.

— Et que pensez-vous de moi ? demanda Mme  Pipchin.

— Je pense que vous devez être bien vieille, dit Paul.

— On ne dit pas cela, mon jeune monsieur, répondit la dame. Ce n’est pas bien.

— Pourquoi cela ? demanda Paul.

— Parce que ce n’est pas poli, dit Mme  Pipchin avec aigreur.

— Ce n’est pas poli ? dit Paul.

— Non.

— Ce n’est pas poli non plus, dit Paul innocemment, de manger toutes les côtelettes de mouton et les rôties, Wickam le dit bien.

— Wickam, répliqua Mme  Pipchin en rougissant de colère, Wickam est une méchante fille, une impudente, une vraie gueuse.

— Qu’est-ce que c’est qu’une gueuse ? demanda Paul.

— Cela ne vous regarde pas, monsieur, répondit Mme  Pipchin. Rappelez-vous l’histoire de ce petit garçon qui, pour avoir fait des questions fatigantes, a été éventré par un taureau enragé.

— Si le taureau était enragé, dit Paul, comment pouvait-il savoir que l’enfant avait fait des questions ? Personne ne s’en va conter des secrets à l’oreille d’un taureau enragé. Je ne crois pas à cette histoire-là.

— Vous n’y croyez pas, monsieur ? répéta Mme  Pipchin au comble de l’étonnement.

— Non, dit Paul.

— Et vous n’y croiriez pas davantage, petit incrédule, quand même le taureau aurait été doux comme un mouton, » dit Mme  Pipchin.

Comme Paul n’avait pas considéré le sujet sous ce point de vue et qu’il n’avait pensé qu’à la folie supposée du taureau, il fut battu pour le moment. Mais il se mit à réfléchir à la question avec une intention si évidente de coller Mme  Pipchin, que la vieille dame, malgré son humeur inflexible, jugea prudent de faire retraite pour lui laisser le temps d’oublier le sujet.

Depuis ce jour, on eût dit qu’un même attrait de singularité réciproque rapprochait Mme  Pipchin du petit Paul. Elle lui faisait placer son fauteuil devant le feu du même côté qu’elle, au lieu de le laisser en face ; et il restait là, dans le coin, entre le garde-feu et Mme  Pipchin, la robe d’alépine noire faisant ombre sur sa petite figure. Il étudiait chaque trait, chaque ride de son visage, et perçait du regard son œil gris et dur, au point que Mme  Pipchin, déconcertée, le fermait quelquefois comme pour sommeiller. Mme  Pipchin avait un vieux chat noir, qui s’installait juste au beau milieu de la cheminée en faisant son ron ron, sans se gêner le moins du monde, et clignotant devant le feu jusqu’à ce que les prunelles de ses yeux ressemblassent à deux points d’admiration. On aurait pu prendre la vieille dame, sans manquer à tout le respect qu’on lui devait, pour une sorcière, et Paul et le chat pour ses deux démons familiers, quand ils étaient ainsi tous trois devant le feu. À voir leur société réunie, on eût trouvé tout simple qu’ils eussent disparu un soir par la cheminée au milieu d’un tourbillon, sans qu’on entendit plus jamais parler d’eux.

Pour ce qui est de cela, cependant, la chose n’arriva jamais. Tous les soirs, on retrouvait à leur même place le chat, Paul et Mme  Pipchin. Paul, évitant la compagnie de Bitherstone, faisait chaque soir une étude approfondie de Mme  Pipchin, puis du chat, puis du feu ; on eût dit qu’il lisait un ouvrage de nécromancie en trois volumes.

Mme  Wickam, de son côté, cherchait à s’expliquer les bizarreries du caractère de Paul, et comme elle n’avait, de la chambre qu’elle habitait, d’autre distraction que la vue des tuyaux de cheminées et que le bruit du vent, elle s’enfonçait de plus en plus dans ses idées noires ; la vie triste qu’elle menait, une vie de chien, suivant son expression énergique, lui faisait tirer des prémisses connues les conséquences les plus tristes pour le petit bonhomme.

Mme  Pipchin, par politique, avait expressément défendu à sa bonne, à sa petite gueuse, nom générique qu’elle donnait indistinctement à toutes les servantes, d’avoir le moindre rapport avec Mme  Wickam. Pour voir si elle était obéie, elle passait la majeure partie de son temps à se cacher derrière les portes et à tomber à l’improviste sur la pauvre fille, quand elle s’approchait de la chambre de Mme  Wickam. Mais Berry pouvait avoir de ce côté toutes les familiarités qu’elle voulait, pourvu que les mille soins qui l’occupaient du matin au soir n’en souffrissent pas ; aussi c’était à Berry que Mme  Wickam confiait toutes ses peines.

« Quel gentil enfant quand il dort ! dit Berry en se baissant pour regarder Paul dans son lit, un soir qu’elle avait monté le souper de Wickam.

— Ah ! soupira Wickam, c’est bien le moins.

— Mais il n’est pas laid, quand il est éveillé, observa Berry.

— Non, madame, non, non. Mais la fille de mon oncle, Betsey Jane, ne l’était pas davantage, » dit Wickam.

Berry eut l’air de chercher dans sa tête quel rapport il pouvait y avoir entre Paul Dombey et Betsey Jane, la fille de son oncle.

« La femme de mon oncle, continua Mme  Wickam, est morte tout à fait comme la mère du petit. L’enfant de mon oncle était aussi triste que M. Paul. L’enfant de mon oncle, voyez-vous, vous glaçait le sang dans les veines quelquefois !

— Comment cela ? demanda Berry.

— Oh ! je n’aurais pas voulu rester une nuit toute seule avec Betsey Jane, dit Mme  Wickam. Non, quand même on m’aurait promis d’établir Wickam à son compte le lendemain, je ne l’aurais pas fait, miss Berry ! »

Naturellement miss Berry demanda pourquoi ; mais Mme  Wickam, selon l’usage de quelques personnes de sa condition, continua sans pitié :

« Betsey Jane était bien la plus douce petite fille que j’aie jamais vue ; on n’en pouvait voir de plus douce. Betsey Jane n’échappa à aucune maladie des enfants. Elle était sujette à avoir des crampes, comme vous des boutons, miss Berry. »

Miss Berry involontairement fronça son nez.

« Mais Betsey Jane, dit Mme  Wickam en baissant la voix et en promenant autour de la chambre son regard qu’elle arrêta un moment sur le petit Paul, Betsey Jane avait été visitée dans son berceau par sa défunte mère. Dire quand et comment cela, je ne le pourrais. J’ignore aussi si la chère enfant en savait quelque chose, mais pour sûr, miss Berry… Betsey Jane avait eu un regard de sa défunte mère. Vous pouvez dire que ça n’a pas le sens commun ! Je ne m’en fâcherai pas. Je souhaite pour vous-même que vous puissiez vous mettre dans la tête que ça n’a pas le sens commun ; vous en aurez l’esprit plus tranquille dans cette maison si triste, si triste… pardonnez-moi ma franchise, qu’on se croirait dans un vrai cimetière. Pour moi, je me mine ici… Ah ! M. Paul semble agité dans son sommeil. Tapez-lui un peu dans le dos, s’il vous plaît.

— Alors vous croyez donc aussi, dit Berry en caressant tout doucement le petit dormeur, comme on le lui avait demandé, que lui aussi il a été hanté par sa mère ?

— Betsey Jane, dit Mme  Wickam de son ton le plus solennel, a été martyrisée comme cet enfant, et comme cet enfant elle avait changé aussi. Je l’ai vue mainte et mainte fois s’asseoir pensive, et rêver, rêver comme celui-ci. Je l’ai vue mainte et mainte fois vous regarder de ce même regard, si vieux, si vieux ! Je l’ai entendue mainte et mainte fois causer comme lui tout à fait. Il y a pour moi entre Betsey Jane et cet enfant une ressemblance parfaite, miss Berry.

— L’enfant de votre oncle vit-elle encore ? demanda Berry.

— Certainement, elle vit, dit Mme  Wickam d’un air triomphant (car il était évident que miss Berry s’attendait à tout le contraire), elle est même mariée à un ciseleur. Oui, oui, miss Berry, elle est vivante, elle…, » répéta Mme  Wickam en appuyant avec intention sur ce nominatif.

Comme il était clair que quelqu’un était mort, la nièce de Mme  Pipchin demanda qui ce pouvait être.

« Je ne veux pas vous effrayer, répondit Mme  Wickam en continuant son souper. Ne me le demandez pas. »

C’était le plus sûr moyen de se le faire demander une seconde fois ; aussi miss Berry renouvela-t-elle sa question, et, après un léger refus et une courte hésitation, Mme  Wickam posa son couteau sur la table, regarda encore dans tous les coins de la chambre et du côté du lit de Paul, et répondit :

« Elle a pris en affection certaines personnes. Quelquefois c’étaient les caprices les plus bizarres qui dirigeaient son choix ; quelquefois aussi ses amitiés n’avaient rien que de raisonnable, quoique un peu plus vives peut-être que ce n’est l’habitude. Berry, toutes les personnes qu’elle a aimées sont mortes !… »

La nièce de Mme  Pipchin s’attendait si peu à ce dénoûment terrible, qu’elle se laissa tomber sur le bord du lit, toute haletante, regardant Mme  Wickam avec une expression de profonde terreur.

Celle-ci indiqua mystérieusement du doigt le lit de Florence, puis, d’une manière significative, le plancher ; c’était juste en dessous que se trouvait la salle à manger dans laquelle Mme  Pipchin engloutissait habituellement ses rôties.

« Souvenez-vous de mes paroles, miss Berry, dit Mme  Wickam, et remerciez Dieu de ce que le petit Paul ne vous aime pas trop. Pour moi, je rends grâce au ciel qu’il ne m’ait pas prise en affection ; et cependant, pardonnez-moi ma franchise, on n’a jamais longtemps à vivre dans une prison comme celle-ci ! »

Soit que l’émotion de miss Berry lui eût fait taper un peu trop fort Paul dans le dos, ou qu’elle se fût arrêtée tout court dans cet exercice calmant, mais monotone, il se tourna dans son lit juste à ce moment, s’éveilla, s’assit sur son séant la tête brûlante et tout en sueur, sans doute sous l’impression de quelque mauvais rêve, et il appela Florence. La petite fille sauta en bas de son lit au premier son de sa voix, se pencha aussitôt sur son oreiller, et se mit à chanter doucement pour l’endormir. Mme  Wickam secoua la tête, quelques larmes coulèrent de ses yeux, puis elle montra à Berry les deux enfants et leva son regard vers le plafond.

« Bonsoir, miss, dit Wickam tout bas, bonsoir et bonne nuit ! Votre tante est vieille, miss Berry, et ce n’est pas la première fois que vous avez dû y songer. »

Mme  Wickam fit à Berry cet adieu si consolant avec un air de commisération profonde. Quand elle se retrouva seule avec les deux enfants, et qu’elle entendit le vent souffler tristement, elle se laissa aller à la mélancolie (plaisir facile et peu coûteux), jusqu’au moment où elle se sentit accablée par le sommeil.

Quoique la nièce de Mme  Pipchin ne s’attendît pas précisément à voir ce dragon modèle étendu sans vie sur le tapis de la cheminée, elle fut heureuse, après être descendue, de la retrouver plus maussade, plus sévère que de coutume et paraissant toute disposée à vivre encore de longues années pour le bonheur de tous ceux qui la connaissaient. Pendant la semaine suivante, on ne la vit pas davantage tomber en langueur, et les viandes qui convenaient à son tempérament continuèrent à disparaître régulièrement les unes après les autres ; et pourtant Paul l’étudiait toujours avec la même attention, et on le voyait toujours assis entre la robe noire et le garde-feu avec une constance infatigable.

Cependant, comme Paul depuis le temps de son installation chez Mme  Pipchin, n’était pas devenu plus fort, quoique sa mine fût beaucoup meilleure, on lui acheta une petite voiture, dans laquelle il pouvait se tenir à son aise, avec un alphabet et d’autres petits livres à son usage, pendant qu’on le traînait sur le bord de la mer. Un jeune garçon frais et vermeil lui avait été proposé pour traîner sa voiture ; mais, suivant son goût bizarre, il n’en avait pas voulu et avait préféré le grand-père, vieux bonhomme sec et maigre, qui ressemblait à un crabe, portait des vêtements de toile cirée, était devenu dur, coriace et nerveux à force d’être confit dans l’eau de mer, et qui sentait le varech comme la plage que la marée vient de quitter.

Il allait ainsi chaque jour sur le bord de l’Océan, traîné par cet estimable serviteur, Florence marchant près de lui et la triste Wickam fermant la marche. Quand il était arrivé sur la plage, il restait assis ou étendu dans sa petite voiture pendant des heures entières, sans pouvoir supporter près de lui d’autre enfant que Florence.

« Allez-vous-en, s’il vous plaît, disait-il à ceux qui s’approchaient pour lui tenir compagnie. Merci, je n’ai pas besoin de vous. »

Si une petite voix lui demandait par hasard à l’oreille comment il se portait :

« Très-bien, je vous remercie, répondait-il, mais vous ferez bien d’aller jouer. Allez, allez, s’il vous plaît. »

Puis voyant l’enfant s’en aller, il tournait la tête du côté de Florence et lui disait : « Nous n’avons pas besoin des autres, nous, n’est-ce pas, Florence ? Embrassez-moi. »

Wickam elle-même l’ennuyait quelquefois, et il était bien aise quand elle s’éloignait un peu pour chercher des coquillages ou des connaissances. Il aimait surtout un endroit solitaire, bien loin des flâneurs ; et, quand Florence, assise à ses côtés, travaillait, lisait tout haut, ou causait avec lui, que le vent soufflait sur son visage et que les vagues montaient jusqu’aux roues de sa petite voiture, il ne désirait rien de plus.

« Florence, dit-il un jour, où donc est l’Inde, où demeurent les parents de ce petit garçon ?

— Oh ! c’est loin, bien loin, dit Florence en levant ses yeux de dessus son ouvrage.

— Il faut des semaines pour y aller ? demanda Paul.

— Oui, mon chéri. Il faut voyager pendant bien des semaines, le jour et la nuit.

— Florence, reprit Paul après un moment de silence, si vous étiez dans l’Inde, je… je… Qu’a fait maman ? dites, je l’ai oublié.

— Maman ? Elle m’a beaucoup aimée ! répondit Florence.

— Non, non, ce n’est pas cela. Moi aussi, Florence, je vous aime beaucoup. Mais qu’a donc fait maman ?… Ah !… je sais… elle est morte. Si vous étiez dans l’Inde… je mourrais, Florence. »

Elle jeta son ouvrage de côté, pencha sa tête sur l’oreiller de son frère et le caressa. « Moi aussi, lui dit-elle, moi aussi, je mourrais, si vous étiez dans l’Inde ; mon petit frère, ne vous tourmentez pas, vous irez mieux bientôt.

— Oh ! reprit Paul, je suis bien mieux déjà ! Ce n’est pas cela que je veux dire. Je veux dire, Florence, que je mourrais de chagrin dans mon abandon ! »

Une autre fois, à la même place, il s’endormit et reposa tranquillement pendant longtemps. Tout à coup il s’éveilla, écouta, tressaillit et s’assit pour mieux écouter.

Florence lui demanda ce qu’il croyait entendre.

« Je voudrais savoir ce qu’elle dit, répondit Paul ; la mer, Florence ; la mer, que répète-t-elle toujours ainsi ?

— Mais c’est tout simplement le bruit des vagues, lui dit Florence.

— Oui, oui ; ce sont les vagues ; mais elles disent toujours quelque chose ; toujours la même chose, répondit Paul. Qu’y a-t-il donc là-bas, là-bas ?… » et il se leva tout debout et regarda ardemment l’horizon.

Florence lui dit que c’était un autre pays qu’il y avait là-bas.

« Non, non, reprit Paul, plus loin, plus loin encore !… Dites, qu’y a-t-il ?… »

Souvent depuis, il s’arrêtait court au milieu de leurs causeries, cherchait à comprendre ce que disaient toujours les vagues, et se soulevait sur son petit lit, pour regarder ce pays invisible, bien loin là-bas.