En canot de papier, de Québec au golfe du Mexique/CHAPITRE TROISIÈME

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CHAPITRE TROISIÈME

DU SAINT-LAURENT À TICONDEROGA, LAC CHAMPLAIN


Le Richelieu. — Scènes acadiennes. — Saint-Ours. — Saint-Antoine. — Saint-Marc. — Belœil. — Canal Chambly. — Saint-Johns. — Lac Champlain. — Le canal maritime. — Le camp de Bodfish. — La carte d’Adirondack. — Un canot en toile. — Dimensions du lac Champlain. — Le port de Kent. — Arrivée à Ticonderoga.


Québec a été fondé par Champlain le 3 juillet 1680. L’année suivante, il fit sa première expédition dans l’Iroquois ; escorté d’indiens, Algonquins et Montagnais, ses alliés, il remonta la rivière, à laquelle fut donné plus tard le nom du cardinal de Richelieu, premier ministre de Louis XIII. Cette rivière, d’un longueur d’environ quatre-vingts milles, réunit le lac découvert par Champlain au Saint-Laurent, à cent quarante milles en amont de Québec et quarante milles en aval de Montréal. Les eaux des lacs George et Champlain s’écoulent vers le nord, et elles sont portées au Saint-Laurent par le Richelieu. Après avoir quitté Sorel, cette dernière rivière traverse des terres cultivées, et l’on trouve sur ses rives les petites villes de Saint-Ours, Saint-Roch, Saint-Antoine, Saint-Marc, Belœil, Chambly et Saint-Johns. De petits bateaux à vapeur, dits remorqueurs, et des trains de bois passent du Saint-Laurent au lac Champlain (qui est presque complètement dans les États-Unis), en suivant le Richelieu jusqu’à Chambly ; là il est nécessaire de prendre, pour éviter les rapides et les hauts-fonds, le canal latéral qui mène, en douze heures, à Saint-Jean, où est la douane du Canada. Dans cette ville de sept mille habitants, il se publie un journal qui a pour titre : la Gazette de Sorel, Quelques géographes appellent sans autorité la rivière qui passe dans la ville la rivière de Sorel ou de Saint-Jean ; cette double dénomination vient de ce que Sorel est la ville la plus rapprochée de l’embouchure, et que Saint-Jean est situé près de la source de la rivière. Une machine hydraulique américaine fournit aux habitants de Sorel l’eau de la rivière moyennant la consommation d’une tonne de charbon par jour (mille kilogrammes).

Le lundi matin, à dix heures, nous reprenons notre route sur le Richelieu, dont le courant ne pouvait se comparer à celui des grands fleuves que nous avions laissés derrière nous. La largeur moyenne du Richelieu est presque d’un quart de mille ; ses bords verdoyants sont embellis par de pittoresques touffes d’arbres et de jolies maisons de fermes.

C’est un sol riche et pastoral, abondamment couvert de beaux troupeaux ; il me rappelait la région acadienne du Grand-Ré, que j’avais visitée au commencement de la saison. Ici, comme là, je voyais des scènes champêtres charmantes et une végétation luxuriante ; mais, sur le Richelieu, il y avait encore des paysans acadiens, tandis qu’il ne s’en trouvait plus sur la terre de la Belle-Évangeline. Aujourd’hui, ce sont les habitants de la Nouvelle-Angleterre qui possèdent ces vieilles fermes désertées par les colons.

Notre voyage était fréquemment interrompu par de lourdes averses qui nous renvoyaient sous l’abri de notre panneau. Les mêmes grandes églises, avec leurs doubles clochers de pierre et leur toit de zinc, brillant comme de l’argent au soleil, signalent ici, comme sur les hautes falaises du Saint-Laurent, l’emplacement des villages. Nous ramons ensuite pendant douze milles et nous arrivons à Saint-Ours, où nous passons la nuit, après avoir un peu erré dans les rues agréables et ombragées de ce village. Le lendemain, les garçons et les petites filles viennent nous dire adieu en agitant leurs mouchoirs et nous souhaitant « bon voyage ». À deux milles plus loin, nous trouvons un barrage de trois pieds de haut, construit pour donner de la profondeur à l’eau qui coule sur un bas-fond. Nous le franchissons par une écluse, en compagnie de radeaux chargés de troncs de pin à destination de New-York. Le gardien de l’écluse nous avertit qu’un droit de péage de vingt-cinq cents[1] nous sera réclamé au bassin du Chambly. Nous arrivons à Saint-Denis (six milles), où se montrent les mêmes apparences d’aisance et de richesse. Les femmes lavaient leur linge dans de grands chaudrons en fer sur le bord de la rivière ; nous entendions le bruit des rouets venant de l’intérieur des fermes ; dans des jardins bien cultivés, on voyait des ruches pleines de miel ; et ailleurs, des granges au toit de chaume avaient leurs portes toutes grandes ouvertes, comme pour attendre la rentrée de la moisson. Par intervalle, le long de la route, sur les collines verdoyantes, s’élevaient des croix de bois peintes en blanc, car cette population, comme les Acadiens des temps jadis, est toujours très-religieuse. Au cours de l’eau descendaient des radeaux de pins portant une voile carrée, mais qui ne peuvent faire bonne route que vent arrière.

Nous passons Saint-Antoine et Saint-Marc ; le pic isolé de Saint-Hilaire se montre à une hauteur de douze cents pieds sur la rive droite du Richelieu, vis-à-vis la ville de Belœil. À un mille plus, loin, le Grand-Trunk railway traverse la rivière d’un bord à l’autre, et c’est là que nous passons la nuit. Des vents violents et des grains de pluie fréquents arrêtent notre marche. Avant d’entrer dans le canal, nous séjournons au bassin Chambly jusqu’au 16 juillet au soir. Cette localité est un lieu balnéaire fréquenté par les habitants de Montréal, qui y viennent aussi pour jouir du plaisir de la pêche, qu’on dit être très-abondante en cet endroit.

À Saint-Ours se trouve la première des huit écluses que nous avions à franchir ; le Mayeta se hissa de soixante-quinze pieds et un pouce jusqu’au plan du canal, au moyen de ces écluses longues chacune de cent dix pieds et larges de vingt-deux. Comme à l’ordinaire, les gardiens étaient polis et nous souhaitaient « bon voyage ». Le canal a été construit trente-quatre ans avant, ma visite. À dix heures du soir, n’ayant plus d’écluses à passer, nous campons dans une petite anse creusée sur la berge du canal. Le lendemain, à trois heures et demie du matin, nous reprenions notre marche, et le trajet de douze milles que nous avions à faire pour nous rendre à Saint-Jean ne fut qu’un charmant exercice ; avant midi, nous arrivions sans encombre à la douane de la Confédération canadienne.

Nous nous retrouvions sur le Richelieu, ayant encore vingt-trois milles entre nous et la frontière qui sépare le Canada des États-Unis. Le courant était très-faible ; à la brune, nous passons près d’un vieux fort en ruine, situé sur l’île aux Noirs. Nous sommes là dans des régions habitées par de grosses grenouilles (rana ocellata) ; nous y passons la nuit au milieu des mugissements lamentables de ces chanteurs. Le samedi suivant, de bonne heure, nous nous dirigeons vers les États-Unis, éloignés de six milles encore de notre campement. Le Richelieu s’élargit, et nous entrons dans le lac Champlain, en passant devant le fort Montgomery, qui est à un millier de pieds environ de la frontière des États-Unis et du Canada. La construction de ce fort, commencée peu de temps après 1812, fut suspendue en 1818, quand on s’aperçut qu’il était placé sur le territoire du Canada. En conséquence, on lui avait donné le nom de fort Blunder[2]. Par le traité Webster de 1842, l’Angleterre a cédé le terrain aux États-Unis, et l’achèvement du fort a coûté plus d’un demi-million de dollars (2 500 000 francs). À la Pointe-Rouse, qui est située sur la côte occidentale du lac Champlain, à environ un mille et demi au sud de son confluent avec le Richelieu, le Mayeta fut inspecté par des douaniers des États-Unis, qui, n’ayant découvert aucune contrebande, lui laissèrent la liberté de continuer sa route. À l’extrémité nord de la Pointe-Rouse se trouve la station commune au chemin de fer d’Ogdensburg et à celui du Champlain et du Saint-Laurent. Le chemin de fer de la ligne Vermont-Central se soude avec les deux autres par un pont de deux mille deux cents pieds de longueur qui traverse le lac.

Partis de la Pointe-Rouse, nous trouvons bientôt une autre pointe très pittoresque qui s’avance dans le lac au-dessus de la station de Chazy, lieu ombragé par un bouquet d’arbres, où nous amarrons le Mayeta. Le métier de charpentier avait rendu Bodfish capable de construire un wigwam[3] avec des perches et des couvertures imperméables, où nous restons tranquillement jusqu’au lundi matin. M. Trombly, le propriétaire du lieu, nous avait invités à dîner le dimanche, et il nous montra les échantillons d’une tonne de sucre d’érable extraite d’un millier d’arbres.

Le lundi 22 juillet, nous mettons le cap au sud ; nous suivons la côte occidentale du lac Champlain, qui marque la limite orientale de la grande solitude d’Adirondack. Plusieurs des ruisseaux tributaires du lac prennent leur source dans cette région, qui est de plus en plus visitée par les artistes, les chasseurs, les pêcheurs et les touristes, à mesure que l’on connaît mieux les beautés de ce pays. Les études géodésiques du désert septentrional de l’État de New-York, connu sous le nom de canton d’Adirondack, finiront, sous l’énergique influence de M. Verplanck-Colvin, par embrasser une superficie de presque cinq mille milles carrés. Dans son rapport, il dit éloquemment : « Le désert d’Adirondack peut être considéré comme la merveille de l’État de New-York ; c’est un grand parc naturel, une immense et silencieuse forêt, magnifiquement coupée par des myriades de lacs entre lesquels des montagnes de mille formes se développent comme une mer aux flots de granit. Au nord-est, les montagnes couvrent quelques centaines de milles carrés. Des pics sauvages et sans arbres s’élèvent au-dessus de la cime des bois et apparaissent, pressés les uns contre les autres, en dressant leurs crêtes rocheuses au milieu des nuages glacés. Les bêtes sauvages peuvent promener leurs regards du haut des flancs verdoyants des collines sur des bois qui s’étendent au delà de la vue, — plus loin que la ligne de l’horizon bleu et nébuleux. Le voyageur en canot considère les lacs qu’il rencontre dans ces montagnes et dans ces forêts comme une réalité renversée par la réflexion ; tantôt étonnantes dans leur grandeur et leur solennité profondes, et tantôt superbes lorsque de magnifiques teintes nacrées viennent les recouvrir de leurs splendeurs. Ici, — le bruit qui fait tressaillir le chasseur — les voix sauvages des chiens acharnés à la poursuite d’un cerf timide éveillent les échos de la solitude ; le cri lugubre du hibou pendant la nuit, et le silence qui envahit presque entièrement la forêt qui se tait peu à peu, ont aussi pour l’amant de la nature des charmes particuliers.

C’est cette région de lacs et de montagnes, dont l’aspect est si bien rendu par les illustrations qui ont pour titre : le Cœur des Adirondacks, que nos compatriotes désirent conserver toujours comme un parc public, non-seulement pour leur agrément personnel et celui de leurs descendants, mais aussi pour de puissantes raisons d’économie politique. Faire d’Adirondack une forêt de l’État est d’une nécessité pressante pour avoir les réservoirs d’eau nécessaires à la navigation intérieure ; pour la régularisation des crues du printemps par la conservation des forêts qui abritent les neiges épaisses de l’hiver ; enfin, parce qu’elle serait notre seule source comme approvisionnement de bois de construction, dans le cas où le Canada et les marchés de l’Ouest seraient ruinés par le feu ou par d’autres causes. Au nombre de ces pics glacés, sources de nos plus importants cours d’eau, j’ai ajouté par le calcul une douzaine de montagnes de quatre mille pieds de haut, qui étaient restées sans nom ou qui n’étaient que vaguement connues par les noms que leur ont donnés les chasseurs et les trappeurs. Il faut remarquer que mes calculs hypsométriques confirment absolument ma découverte d’une autre montagne de cinq mille pieds d’altitude dans les monts Haystack. Peut-être trouvera-t-on quelque intérêt à savoir qu’entre les monts Marcy et Washington et les montagnes blanches du New-Hampshire il y a une différence de huit cents pieds. Les monts Marcy, Mac Intyre et Haystack doivent être cités comme les principaux de l’État de New-York. »

Les quatre pics les plus élevés sont :

Mont Marcy 
5 402 65 pieds.
Haystack 
5 006 73
Mac Intyre 
5 201 80
Skyliglit 
4 977 76

Cette digression, que le lecteur ordinaire voudra bien pardonner, m’a empêché de satisfaire la curiosité de quelques-uns de mes amis les canotiers. Je vais donc extraire du rapport de M. Colvin sur la géodésie de l’Adirondack la description de son singulier canot, un des plus légers qu’on ait jamais construits, car il ne pèse guère plus que le fusil à deux coups d’un chasseur.

M. Colvin ajoute : « J’avais aussi construit un canot de toile de ma propre invention pour l’intérieur du désert, surtout pour les lacs des montagnes dont nous devions lever la carte et qui étaient inaccessibles aux bateaux ordinaires. Sa longueur était de douze pieds, et pour sa membrure il ne fallait pas plus de bois qu’on en pouvait abattre en trente minutes dans le premier taillis venu. L’avant était fait de feuilles de cuivre minces, rivées et disposées de manière à recevoir la quille et la proue. Le canot terminé, on le rendait imperméable avec une couche de caoutchouc, dissoute dans de l’huile de naphte. » M. Colvin nous apprend, par son rapport, combien ce bateau a admirablement répondu aux fins pour lesquelles il avait été construit. « Le 12 septembre fut consacré à un travail de nivellement et de topographie sur le lac Ampersand, lac solitaire enfermé dans les montagnes et rarement visité. N’ayant trouvé aucun bateau sur ses eaux et forcés par la nécessité, nous dûmes essayer, pour compléter notre travail géodésique, de nous servir de notre canot portatif ; je l’avais déjà plusieurs fois expérimenté comme tente et comme lit. Après avoir coupé des baguettes de bois vert pour en faire les membrures, les avoir garnies de notre toile et avoir renforcé celle-ci par d’autres branches qui formaient les plats-bords, il ne fallut pas grand’peine pour nous procurer des avirons rustiques, mais suffisants pour nos besoins. Le bateau se trouva construit en un instant, et il flotta bientôt, léger comme un bouchon. Les guides, qui n’avaient pas voulu croire que le petit sac qu’ils portaient le matin deviendrait un bateau, restèrent en extase. Bientôt nous glissâmes dans notre canot, du poids de dix livres, sur les eaux d’Ampersand. Pour les guides, c’était quelque chose d’extraordinaire ; ils ne pouvaient pas s’empêcher de rire en voyant qu’il était bien réellement sur l’eau, et ils montraient du doigt avec étonnement les vagues que l’on apercevait à travers la toile du canot et qui glissaient sur ses flancs. Je pus donc, grâce à mon sextant, à mes compas prismatiques et à mon canot, réussir à dresser une excellente carte. Puis nous parvînmes presque à nous emparer d’un cerf qui avait pris l’eau dans le lac, poursuivi par un chien qui chassait pour son propre compte. Ayant perdu la piste, le chien arrive au bord du lac, et comme nous désirions le remettre sur la voie, nous nous dirigeons de son côté ; il saute dans le canot avec un air de satisfaction telle qu’on pouvait croire qu’il n’avait jamais voyagé autrement. Dès qu’il a retrouvé la piste, il fait résonner les échos de la montagne de ses aboiements, et reprend la poursuite du cerf dans la forêt sauvage. Nous continuons notre manœuvre et cherchons une issue pour débarquer, quand nous nous trouvons en face d’une grande panthère qui, évidemment, nous surveillait, mais qui s’enfuit à notre approche.

« Notre bagage fut bientôt paqueté, et la carcasse du bateau ayant été démontée et abandonnée, nous roulâmes notre toile pour l’arrimer au fond du havre-sac. Le même jour, à midi, nous retrouvâmes de nouveau le navigable Cold-Brook. En une heure et demie, nous avions remis en place nos couvertures imperméables, emprunté deux avirons à un vieux cèdre, dîné et rechargé le bateau ; tout étant terminé, nous glissons agréablement sur l’eau jusqu’à la rivière Saranac. Le bateau avait trois hommes à bord, les bagages entassés au centre, et encore une fois le fameux chien, qui, assis, la tête haute à l’avant, semblait se considérer comme faisant partie de l’équipage ; le tout, pesant un tiers de tonne, mettait à une sévère épreuve les branches vertes qui formaient la carcasse du canot.

« Remontant le Saranac, nous nous trouvons sur le lac du même nom, long de quelques milles seulement. Quoique battus par le vent et les vagues, les flancs de toile du bateau répondent avec élasticité à l’effort des lames, et nous avancions tranquillement quand, tout à coup, le vent soufflant frais, des vagues à crêtes blanches embarquèrent de l’eau dans le canot. Grâce à l’assistance de nos guides, nous arrivons sur la côte, le soir, à l’abri du vent, et nous débarquons chez Martin. »

Les géographes, les guides et les historiens, en parlant du lac Champlain, lui donnent souvent une longueur de cent quarante à cent cinquante milles. Ces distances ne sont pas exactes. Le canal Champlain, qui réunit la rivière de ce nom à l’Hudson, a soixante-quatre milles de long ; il finit près de l’embouchure du canal Érié, non loin de Troy, à Junction-Lock. De Junction-Lock à Albany, par le canal, la distance est de six milles.

De la frontière des États-Unis au sud, il y a une distance de sept milles jusqu’à l’île La Mothe ; cette île a cinq milles et demi de long et trois quarts de mille de large, avec un feu à son extrémité nord. De Montibay, État de New-York, à Saint-Albans (Vermont), la distance est de treize milles. À deux milles au sud de cette île est le phare de la pointe Roche. Ensuite, on rencontre successivement Treadwell, Cumberland et son phare. À l’ouest de Cumberland et à l’embouchure de la rivière le Saranac, est situé Plattsburg, ville de cinq mille habitants. C’est près de là que le commodore Macdonough a eu à combattre la flotte anglaise en 1814. Ces eaux, devenues historiques, ont été les témoins de beaucoup de combats sanglants entre les Anglais, les Français et les Indiens.

Le village de Port-Kent est près de l’embouchure de la rivière Ausable, qui prend sa source dans le nord d’Adirondack. À quelques milles du lac Champlain est une merveille de la nature, l’Ausable Chasm, de deux milles de long environ. La rivière s’est creusé dans des grès de Postdam un canal qui a une profondeur de deux cents pieds dans certains endroits ; elle est resserrée entre des murailles de rochers et réduite quelquefois à une largeur de dix pieds seulement, d’où elle s’élance, sous forme de chutes et de rapides, dans le lac Champlain. On dit qu’on peut comparer ces lieux pittoresques à la célèbre gorge du Triant, en Suisse.

L’île de Schuyler, sur laquelle nous avions passé la dernière nuit, est à peu près à la même latitude que Burlington. De Port-Douglas, à l’ouest, jusqu’à Burlington, sur la côte orientale du Champlain, la distance est de presque dix milles. Nous déjeunons avant l’aube, et nous passons de bonne heure à la pointe Ligonier. À un mille et demi est le groupe des petites îles qu’on appelle les îles des Quatre-Frères. Plus nous avançons vers le sud, plus le lac devient étroit, jusqu’à ce que nous ayons passé les forges de Port-Henri et le promontoire élevé de Crown, sur lequel sont les ruines du fort français Frédéric, construit en 1731 ; il a une largeur de deux milles seulement.

À huit heures du soir, nous jetons l’ancre à Ticonderoga, non loin de l’embouchure du lac Georges. Il y a par la route de terre quatre milles environ entre les deux lacs. Le ruisseau qui les unit peut être remonté jusqu’à deux milles seulement de la forge, le reste du parcours étant rempli de rapides.

Aujourd’hui (1867), un chemin de fer réunit les lacs Georges et Champlain, et il fournit un portage facile. Les ruines du fort Ticonderoga sont tout près de la station. En allant toujours vers le sud, le lac devient si étroit qu’on peut le prendre pour une rivière. À son extrémité méridionale (vingt-quatre milles de Ticonderoga), est la ville de White-Hall, où le canal Champlain et Hudson se réunit au lac Champlain. Sa ressemblance avec un ruisseau avait suggéré aux Indiens l’idée de l’appeler Tisinondrosa, « la queue du lac », et ce nom est devenu Ticonderoga pour les personnes qui sont étrangères à la langue des sauvages.

Le mercredi nous amena un temps magnifique. À trois milles de la station de Patterson, à la queue du lac, je quittai le Mayeta pour explorer à pied les rives du lac George, en promettant à Bodfish de le rejoindre à White-Hall, quand mon excursion serait terminée.

  1. Un cent = cinq centimes.
  2. Blunder, sottise.
  3. Hutte indienne.