En canot de papier, de Québec au golfe du Mexique/CHAPITRE QUATRIÈME

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CHAPITRE QUATRIÈME

DES LACS GEORGE ET CHAMPLAIN AU FLEUVE DE L’HUDSON


La découverte du lac George par le Père Jogues. — Voyage à pied. — L’ermite des Narrows. — Les Pères Pauîistes. — Canal du lac Champlain à Albany. — Bodfish retourne au New-Jersey. — La petite flotte au port.


PL. III

Dans le dernier chapitre, j’ai donné, d’après une autorité qui paraît être des plus compétentes, le nom de queue du lac à la partie sud du Champlain. En parlant du lac George, une autre autorité nous apprend que « les Indiens l’appelaient, pour la couleur de ses eaux, Horicon (eau argentée) ; ils lui donnaient aussi le nom de Canderi-Oit ou « la queue du lac », parce qu’il est en communication avec le lac Champlain ». Cooper, dans le Dernier des Mohicans, s’explique ainsi sur l’opportunité de cette dénomination : « Pour moi, le nom français du lac était trop compliqué, celui des Américains trop commun, et enfin le nom indien était beaucoup trop difficile à prononcer pour être employé familièrement dans une œuvre d’imagination. » Par suite, il l’appela Horicon. L’histoire nous donne les détails qui suivent relativement à la découverte du lac. Remontant le Saint-Laurent avec une flottille de douze canots pour aller voir ses alliés les Hurons, le Père Jogues et ses deux confrères, donnés par la mission, René Goupil et Guillaume Couture, plus un autre Français, furent faits prisonniers à l’extrémité ouest du lac Saint-Pierre par une bande d’Iroquois qui étaient en expédition de maraudage sur les bords de la rivière Mohawk, près du lieu où s’élève aujourd’hui la ville de Troy. Pendant la panique causée par une attaque soudaine des Iroquois, la portion non convertie des trente-six Hurons, alliés des Français, se sauva dans les bois, tandis que les convertis défendirent les blancs pendant un certain temps. Malheureusement, un renfort survenu à l’ennemi obligea ces derniers aussi à prendre la fuite, en laissant les Français et quelques-uns des Hurons entre les mains des sauvages. Cela se passait le 22 août 1642.

Suivant Francis Parkman, l’auteur des Jésuites dans l’Amérique du Nord, les sauvages mirent à la torture Jogues et ses compagnons après les avoir entièrement dépouillés de leurs vêtements, puis ils leur arrachèrent les ongles avec les dents et leur mordirent les doigts avec la fureur de bêtes sauvages. Les soixante-dix Iroquois revinrent dans le sud, en suivant le Richelieu, les lacs Champlain et George, en route pour les villages Mohawk. Rencontrant une troupe de deux cents hommes de leur tribu, sur une des îles du Champlain, les Indiens se formèrent en deux lignes parallèles entre lesquelles les prisonniers furent forcés de courir, au risque de leur vie, tandis que les sauvages les frappaient avec des massues et des branches d’épine. Le Père Jogues tomba d’épuisement et fut soumis au supplice du feu. À la nuit, les jeunes gens recommencèrent à tourmenter les pauvres prisonniers, en rouvrant leurs blessures et en leur arrachant la barbe et les cheveux. Le lendemain de cette nuit de tortures, les Indiens et leurs captifs mutilés arrivèrent au promontoire de Ticonderoga, au pied duquel coulaient les eaux limpides qui forment le réservoir du « George. Là, les sauvages faisaient un portage à travers les forêts vierges, emportant sur leurs dos canots et cargaisons, quand tout à coup se déroulèrent sous leurs yeux les eaux bleues d’un beau lac que M. Parkman décrit ainsi : « Comme une belle naïade du désert, le lac dormait entre les montagnes qui le protégeaient et respiraient la sinistre poésie de la guerre sur leurs cimes et dans leurs forêts. Alors, tout était solitude. Le bruit du canon, le son des trompettes, le sifflement mortel des balles n’avait pas jusqu’alors éveillé leurs échos. »

Les canots furent remis bientôt à l’eau, et la flottille sauvage glissa encore une fois sur le lac, tantôt à l’ombre des montagnes, tantôt sur les grandes nappes d’eau, tantôt sur les chenaux tortueux des passes entourées d’îlots où l’air tiède était imprégné des émanations des sapins et des cèdres, jusqu’à ce qu’ils arrivassent près de cette côte tragique où, dans le siècle suivant, les paysans de la Nouvelle-Angleterre battirent les soldats de Dieskau, où Montcalm établit ses batteries, où la croix rouge flotta si longtemps au milieu de la fumée du canon, où, à la fin, une nuit d’été fut une longue suite de carnages, où un nom honoré fut entaché d’un souvenir de sang.

Les Indiens débarquèrent dans le voisinage du futur fort William-Henry, et après avoir abandonné leurs canots, ils se remirent en route avec leurs prisonniers pour se rendre au village le plus rapproché des Mohawks.

Le Père Jogues demeura chez ceux qui l’avaient fait captif jusqu’à l’automne de 1643, époque à laquelle il s’échappa sur un navire appartenant à l’établissement hollandais de Rensselaerswick (Albany), où les Iroquois étaient venus pour trafiquer avec les habitants. Il arriva au collège des Jésuites de Rennes, en France, le 5 janvier 1644, réduit à la plus grande détresse. Il y fut cordialement reçu et traité avec les plus affectueuses attentions. Lorsqu’il fut présenté à la reine Anne d’Autriche, elle qui portait une couronne crut que c’était un honneur même pour la Reine de baiser les mains mutilées du martyr. Les lois de l’Église catholique romaine interdisent au prêtre difforme ou mutilé de dire la messe ; devant le Seigneur il doit toujours être un homme sain de corps et d’esprit. Le Père Jogues, malgré tout, désirait retourner à sa tâche évangélique ; aussi le pape, par une dispense spéciale, lui rendit la permission de dire la messe. Au printemps de 1644, il revint sur les bords du Saint-Laurent pour fonder une nouvelle mission, qui devait s’appeler la mission des martyrs. Son supérieur de Montréal lui donna l’ordre d’aller dans le pays des Mohawks. Le Père Jogues partit en compagnie du sieur Bourdon, ingénieur du gouvernement, et de six Indiens ; ils suivirent le cours des rivières le Richelieu et le Champlain, que les sauvages appelaient la grande porte du pays. La petite troupe s’arrêta, le jour de la Fête-Dieu, à l’extrémité nord du lac George, ce qui lui fit donner, sous l’influence de l’esprit catholique du missionnaire jésuite, le nom de « lac du Saint-Sacrement », qu’il a conservé pendant toute la durée du siècle. Le 18 octobre 1646, le tomahawk[1] des sauvages mit fin à la vie du Père Jogues, qui, après avoir souffert maintes tortures et de barbares insultes, mourut au milieu d’eux, poursuivant son œuvre chrétienne pour leur salut.

Le droit de donner son nom à un nouveau lac ou à une nouvelle rivière qu’on vient de découvrir est incontestable. Un missionnaire de la croix avait pénétré dans une solitude inexplorée, et il avait trouvé le plus beau joyau de la partie basse des Adirondacks, inconnue jusque-là à l’homme civilisé. Sous l’impression de cet ouvrage sublime du Créateur, le prêtre martyr lui donna le nom de lac du Saint-Sacrement.

Cent ans plus tard, des troupes de soldats arrivérent, vomissant d’épouvantables blasphèmes et maudissant leurs ennemis. Quel respect pouvaient-ils avoir pour les droits des explorateurs ou des missionnaires ? Aussi le général Johnson, un Irlandais ambitieux, rejeta-t-il le nom chrétien que portait le lac. Il le remplaça par le nom anglais de George, qu’il ne faut pas confondre avec saint Georges, le patron de l’Angleterre, dont l’histoire dit qu’il était originaire de la Cappadoce ou de la Cilicie, qu’il s’éleva de rien, par la courtisanerie vis-à-vis des grands, à la situation de fournisseur des vivres, et qu’il fut mis à mort pour ses prévarications avec deux de ses officiers, en l’année 361 de notre ère.

En choisissant le nom d’un roi sensuel, George IV d’Angleterre, le général Johnson ne songeait qu’à ses intérêts personnels de courtisan. Pendant plus d’un siècle, le lac George avait été la grande voie de communication entre le Canada et le fleuve Hudson. Ses eaux étaient si estimées qu’on s’en servait toujours dans les églises catholiques romaines du Canada pour les baptêmes et autres cérémonies religieuses. Ce lac était très-souvent occupé par des armées, et, à son extrémité sud, les forts George et Henry rappellent les souvenirs historiques les plus intéressants.

Le romancier Cooper a fait du lac George le théâtre de plusieurs de ses romans. Pour les jeunes générations américaines qui le visitent chaque année, c’est un véritable Eldorado. L’air même y est imprégné d’amour, et quand ces touristes de vingt ans glissent dans de légers esquifs sur des eaux transparentes, ils ajoutent au pittoresque du paysage ce complément toujours nécessaire, quelle que soit la beauté de la nature : la présence de l’homme. Je crois même que le paradis terrestre ne devait pas être parfait jusqu’au moment où se dessina, au milieu des bosquets, l’ombre de nos premiers parents. Promontoires hardis, fraîches retraites, rocs couverts de mousse et contre lesquels les vagues viennent expirer doucement, diraient, s’ils pouvaient parler, comme le Ruisseau de Tennyson : Go on for ever. La nature semble avoir créé le lac George dans un de ses jours les plus heureux. Le lac a trente-quatre milles de long, et sa largeur varie d’un à quatre milles. Sa plus grande profondeur est à peu près la même que celle du Champlain. Comme tous les lacs américains où il est de mode d’aller prendre des bains, il possède, lui aussi, ses trois cent soixante-cinq îles.

Débarqué du Mayeta, je suivis, dans une route côtoyant la montagne, un sentier étroit qui me conduisit au milieu d’une forêt. Dans un vallon désert habitait un certain Levy Smith qui me conduisit à travers les bois jusqu’à Hague ; je dînai à l’hôtel et repris ma route par la côte jusqu’à la pointe Sabbath Day. À quatre heures du soir, le bateau à vapeur qui fait le service de Ticonderoga me ramenait à l’extrémité sud du lac.

Dans cette direction, de hautes montagnes ferment le lac, et l’on est forcé d’avancer dans les « Narrows », au milieu de beaucoup de charmantes îles. Sur l’une d’elles M. J. Henri Hill, artiste ermite, a fixé sa modeste demeure, où il travaille depuis le matin jusqu’au soir, hiver comme été. Trois chèvres et un écureuil lui tiennent seuls compagnie dans ce lieu solitaire.

Par un hiver des plus froids, lorsque la glace sur les lacs avait deux pieds d’épaisseur, et que les forêts portaient un manteau de neige, le frère de M. Hill, ingénieur civil, vint aussi dans ces régions glacées. Les deux frères étudièrent les « Narrows » et dressèrent une carte de cette partie du lac George avec ses îles parfaitement dessinées ; la carte, terminée et gravée, est entourée d’une bordure artistique qui représente les objets les plus intéressants de la localité.

Il était tard, lorsque le bateau à vapeur me débarqua à Crosbyside, sur la rive orientale, et j’allai me reposer à l’ombre des bosquets, d’où l’on jouit d’une des plus charmantes vues du lac. Le lendemain, de bonne heure, je m’installais chez M. Lockhart, cultivateur gai, excentrique, et parent du gendre de Walter Scott. La petite habitation de M. Lockhart est à un demi-mille au nord de Crosbyside et près de la haute colline dont M. Charles O’Conor, avocat distingué de New-York, a fait présent aux Pères Paulistes qui ont leur principal établissement dans la cinquante-neuvième rue de cette grande ville. C’est là que les membres du nouvel ordre viennent passer leurs vacances d’été avec leurs élèves.

Les Paulistes sont d’énergiques travailleurs, qui entretiennent des missions au Minnesota, en Californie et dans d’autres contrées des États-Unis. Ils semblent sentir vivement la vérité exprimée dans ce passage de l’Inspiration de la nature, livre écrit par le Père Hecker : « L’existence n’est pas un rêve, mais une réalité solennelle. La vie ne nous a pas été donnée pour être gaspillée en misérables sophismes, mais pour être employée à une sérieuse recherche de la vérité. »

M. Lockhart m’offrit gracieusement de me conduire au monastère de Sainte-Marie, situé sur le lac. Après avoir suivi ensemble le sentier de la montagne pendant un quart de mille, nous entrions sur les terres ombragées du monastère. Le Père supérieur, le Rév. Hewit, nous accueillit avec beaucoup de bonté, et me présenta à plusieurs autres Pères, parmi lesquels je trouvai des Paulistes qui revenaient tout récemment d’une excursion aux îles Harbor, propriété de l’ordre. On m’a dit que le nombre des membres de cet établissement religieux s’élevait à trente environ, et que tous, excepté quatre, étaient des protestants convertis. La valeur des immeubles qu’ils possèdent dans la ville de New-York est d’un demi-million de dollars, et leurs écoles du dimanche reçoivent quinze cents élèves. Je fis entre autres la connaissance du Père D…, qui a abandonné sa position de professeur de l’art de la guerre à l’Académie militaire de West-Point, pour devenir un serviteur de son Maître et prêcher l’Évangile de paix au genre humain. À une petite distance de moi, j’aperçus deux jeunes prêtres qui causaient très-amicalement ; peu d’années auparavant, ils avaient combattu dans des camps opposés pendant la guerre civile qui eut pour résultat de consolider la Grande République. J’y vis aussi un astronome mathématicien de Cambridge, qui venait d’un des observatoires du gouvernement ; il avait jeté le froc aux orties et me donna beaucoup d’informations précieuses sur la hauteur des montagnes qui bordent le lac Saint-George. Il les avait étudiées et exactement mesurées :

Finch, entre Buck et Spruce 
1 595 pieds.
Cat-Head, près de Bolton 
1 640
Prospect-Mountain 
1 740
Spruce 
1 820
Buck, côte est, au sud des Narrows 
2 005 pieds.
Bear, entre Buck et Black 
2 200
Black, le roi du lac George 
2 320

C’est grâce à la courtoisie de ce savant distingué que je peux publier le résultat de ses travaux. D’après une autre autorité, je trouve que le lac Champlain est de quatre-vingt-treize pieds au-dessus du niveau de l’océan Atlantique, et que le lac George a deux cent quarante pieds de plus que le Champlain ou trois cent trente-trois pieds au-dessus du niveau de la mer.

Le son des cloches vint interrompre cette intéressante conversation. Partout aussitôt s’établit un profond silence, et les prêtres, la tête découverte et agenouillés, se signaient dévotement en récitant une prière. Je me sentis très-attiré vers l’un de ces jeunes frères aux traits fins et délicats. Nous nous rapprochâmes pour causer ; je m’aperçus bientôt qu’il était très-instruit sur tout ce qui concerne le canotage ; il aimait le lac, me disait-il, et n’était jamais plus heureux que lorsqu’il naviguait sur le miroir de sa surface, sauf, toutefois, lorsqu’il remplissait ses devoirs parmi les pauvres du neuvième district de New-York. Fils d’un général distingué, il avait hérité des rares talents de son père, et il les consacrait au service de son Sauveur. Son christianisme était si libéral, ses aspirations si nobles, ses sympathies si chaleureuses, qu’il m’inspira un très-grand intérêt. « Quand vous reviendrez ici l’été prochain, me disait-il d’un ton calme, pour y construire un cottage, laissez-moi vous faire le plan de la remise de vos bateaux. » Hélas ! lorsqu’après avoir terminé mon voyage au golfe du Mexique, je retournai sur les rives du lac George, je ne trouvai plus personne pour m’aider, car le jeune missionnaire pauliste avait rendu son âme à Dieu, et le Père Rosencranz avait reçu sa récompense.

Quand j’eus rejoint mon compagnon David Bodfish, il se plaignit amèrement à moi de la communauté de White Hall, parce que quelques bateliers peu honnêtes s’étaient approprié sa provision de pipes et de tabac pour les deux ou trois jours qui nous restaient à faire jusqu’à Albany. « La valeur de 60 cents (3 francs) de pipes neuves et de tabac, dit David d’un ton fâché, c’est une grosse perte, et un Bodfish n’a jamais été bon à rien sans son tabac. J’ai toujours eu l’habitude de boire des spiritueux pour tenir mes esprits éveillés ; mais dans ces derniers temps j’ai eu recours au tabac, car les spiritueux d’aujourd’hui ne valent pas ceux d’autrefois, lorsque j’étais jeune et que je travaillais dans le vieux Hawkin-Swamp. »

Voyager sur un canal, après avoir fait d’agréables excursions sur les lacs George et Champlain, c’est véritablement très-monotone ; mais pour suivre les cours d’eau, il était nécessaire au Mayeta de traverser le canal Champlain (soixante-quatre milles) et le canal Érié (six milles) depuis White Hall jusqu’à Albany sur le fleuve Hudson, distance totale soixante-dix milles.

Il n’y eut rien de suffisamment intéressant dans le passage du canal qui mérite d’être rappelé, sauf l’effondrement d’une écluse, près Troy, où un bateau fut emporté dans le tourbillon ; il s’ensuivit que cet accident me retint un jour de plus sur les bords du canal. Le quatrième jour, le Mayeta avait fini son service en arrivant à Albany, où, après un voyage de quatre cents milles, l’expérience m’avait appris que je pouvais voyager plus vite, avec un bateau plus léger, plus commodément et plus économiquement, sans avoir de compagnon

Le mois d’août venait de commencer, et le délai que pourrait exiger la construction d’un nouveau bateau, fait spécialement pour un voyage de deux mille milles, n’était pas du temps absolument perdu. En attendant quelques semaines, on donnait à la malaria le temps de disparaître devant les gelées de l’automne, sur les rivières du New-Jersey, du Delaware et du Maryland, et même encore un peu plus loin dans le sud.

David retourna chez lui, au New-Jersey, le plus heureux des hommes, avec toute l’importance qui appartient à un grand voyageur. Pour ma part, j’avais contribué à lui donner le goût du merveilleux en lui lisant le soir, dans nos campements solitaires, le charmant livre de Jules Verne : le Voyage au centre de la terre. Il était ravi de toutes ces étonnantes fictions qu’il préférait toujours à la vérité. Un jour, sa crédulité fut tellement excitée qu’il s’écria : « Comment font ces hommes pour apprendre à si bien mentir ? Est-ce un don de nature ou la conséquence de l’éducation ?

Depuis, j’ai su que lorsque M. Bodfish arriva dans les régions de bois de pins du New-Jersey, il raconta ses aventures « dans les pays étrangers », c’est ainsi qu’il désignait le Canada, et que dans son récit il entremêlait les événements de la campagne du Mayeta avec les fantaisies du Voyage au centre de la terre ; si bien que pour ses voisins le Saint-Laurent était devenu un lieu d’effroi et de mystère, tandis que les personnes les plus instruites parmi celles que Bodfish honorait de sa conversation, étaient fermement convaincues que le Mayeta n’a jamais existé tel qu’il était dépeint par l’imagination féconde de David Bodfish.

Le récit des aventures de M. Bodfish, racontées par lui-même, représente plusieurs millions de milles parcourus en canot. Il avait pénétré dans les régions de glace du Labrador, il avait daigné visiter le pôle nord, qui n’était, suivant lui, qu’une branche de bois de pitch-pine, élevée par les hydrographes pour gemmer les pins du pôle nord. Il accusait vivement les équipages des baleiniers d’avoir mutilé ce noble morceau de l’administration pour en faire du bois à brûler. Heureusement pour M. Bodfish les deux tiers de ses auditeurs n’avaient pas une idée très-exacte du pôle nord ; quelques-uns d’entre eux ignoraient même complètement son existence, si bien qu’ils acceptaient la partie fantastique et rejetaient la partie vraie de ses histoires.

Le Mayeta fut renvoyé au lac Saint-George pour n’en plus sortir. Deux ans après, son successeur, le canot de papier, un des plus heureux produits de M. Waters, de Troy, était tranquillement amarré auprès du Mayeta, et bientôt j’ajoutai à cette petite flotte un bateau de cèdre, un duck-boat, qui m’avait transporté dans un second voyage jusqu’à la grande mer du Sud, Ici, mouillés tranquillement sous les hautes falaises, bercés par les eaux charmantes du lac George, reposent ces amis fidèles ; ils m’ont porté sur une distance de cinq mille milles, en passant sur des rivières calmes et sur des mers houleuses : ils ont partagé mes dangers, et maintenant ils partagent mes loisirs.


Au repos.
  1. Tomahawk, casse-tête des sauvages.