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Encyclopédie anarchiste/Enfer - Entente

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Collectif
Texte établi par Sébastien Faure, sous la direction de, La Librairie internationale (tome 2p. 690-700).


ENFER n. m. (du latin inferi, lieu bas). L’enfer est le lieu destiné aux supplices des damnés de Dieu. Nul n’ignore qu’en son infinie sagesse Dieu, maître suprême, a prévu, pour après la mort et le jugement dernier des hommes, la récompense pour les bons et le châtiment pour les méchants.

Dans sa remarquable étude sur l’Imposture Religieuse, Sébastien Faure nous dit que « l’Enfer est la négation de l’infinie Bonté » et il ajoute : « Je soutiens que l’existence de l’Enfer nie l’existence de Dieu, parce qu’elle proteste contre l’infinie Bonté » et il termine en ces termes : « Ou bien il n’y a pas d’Enfer, ou bien Dieu n’est pas infiniment bon ». Logique raisonnement que tout cela, répondra l’Église, et l’on sait que l’Église ne s’embarrasse pas de logique et de raison. Elle affirme, c’est bien plus simple ; les naïfs n’ont qu’à croire.

Certains « philosophes » placent l’enfer au centre de la terre ; d’autres dans le soleil ; d’autres prétendent qu’il n’y a pas d’enfer. Plaçons-le dans l’imagination de l’homme, nous serons, je pense, dans la vérité.

Pourquoi, diront certains, s’arrêter à de telles niaiseries, et perdre son temps à dénoncer un « Enfer » qui n’effraie plus que les enfants en bas âge, et ne sert de thème qu’à des conteurs fantastiques ? Il serait à souhaiter qu’en notre siècle de science l’influence de l’Enfer soit nulle. La réalité est, hélas, tout autre, et l’enfer exerce toujours ses ravages sur les classes ignorantes.

Il est évident qu’à mesure que l’individu évolue cérébralement, que ses connaissances s’étendent, que son intelligence se développe, l’idée de l’enfer s’estompe, se localise, se cache dans un coin de son cerveau, mais elle a tellement pénétré l’esprit humain que nous voyons cette idée réapparaître, sitôt que l’individu est menacé par un danger mortel.

La peur de la mort n’est-elle pas, en réalité, la peur de l’Enfer ? Même pour celui qui s’affirme « libre penseur », la crainte du néant n’est, en vérité, qu’une peur incomprise et inexpliquée de l’Enfer. Chez le croyant qui fait appel, lorsqu’il arrive au terme de la vie, au concours du prêtre, et réclame de lui l’absolution de ses péchés, c’est l’espérance du ciel qui le fait agir et l’on conçoit encore la terreur qui l’anime. Il croit, lui, ouvertement, franchement, à l’existence d’un lieu de supplices où il aura à payer durant une éternité ses erreurs terrestres. Il cherche à échapper aux tourments infernaux qui le menacent. Mais, comment expliquer la peur de la mort, l’épouvante qui s’empare de celui qui se dit incroyant ? Eh bien, c’est toute l’hérédité, c’est toute l’éducation faussée qui revient à la surface, c’est l’incertitude du Néant, et cette incertitude, c’est l’Enfer.

Que de cerveaux puissants ont sombré face à cette inquiétude subite qui les tenaillait à l’approche de la mort ! Et comment s’en étonner, quand on sait l’histoire des religions, de quelle façon elles ont travaillé l’esprit des hommes à travers les âges, et les traces profondes qu’elles y ont laissées ?

« L’Enfer, c’est l’horrible vision qu’on évoque devant les enfants, les vieillards et les esprits craintifs à qui, pour les épouvanter, les terroriser et les mieux assouplir aux volontés du Clergé, on décrit, avec un luxe de détails incomparables, les horribles tourments auxquels sont condamnés les réprouvés, sans qu’ils puissent seulement conserver l’espoir que leurs tortures auront une fin ; c’est le spectre qu’on installe au chevet des agonisants, à l’heure où l’approche de la mort leur enlève toute lucidité et toute résistance. » (Sébastien Faure, L’Imposture Religieuse, p. 80).

L’Enfer est une invention sublime de l’Église et toutes les religions — bien avant la religion chrétienne — s’en sont servi pour asservir les hommes ; cependant, il faut rendre à César ce qui appartient à César, et reconnaître que c’est à l’Église chrétienne que revient « l’honneur » d’avoir décrit, par la plume de ses théologiens, tous les raffinements des supplices exercés dans le lieu maudit, créé par Dieu pour punir les infidèles.

Pourtant, quelles que soient l’épouvante et la terreur exercées par l’Enfer, même à l’origine de la Chrétienté, les infidèles, en leur naïveté, estimaient qu’une éternité de douleur, c’était payer bien cher quelques péchés terrestres. Le dogme de l’Enfer eut pu en souffrir et les représentants de « Dieu » sur la terre comprirent qu’il serait utile, dans l’intérêt même de la religion et de l’Église, d’ouvrir aux pécheurs une porte de salut. C’est environ vers le troisième siècle que le purgatoire vint se placer entre le Ciel et l’Enfer. Le purgatoire est l’antichambre du Ciel et les âmes des pécheurs peuvent se purifier en ce lieu si elles ne sont pas complètement damnées. Est-il besoin d’ajouter que le Purgatoire fut une source de richesses pour l’Église et pour le Clergé, ce dernier enseignant que les offrandes pouvaient libérer les âmes qui souffraient en attendant d’être admises au Ciel parmi celles des bienheureux ?

Et dire que sur de telles fantaisies se sont bâtis des mondes ! C’est que tout est humain dans la Société et que les fondateurs de religions sont des hommes. Ce n’est pas Dieu qui a « créé » l’homme à son image ; c’est l’homme qui a « créé » Dieu à son image, et comme l’homme s’offense, il a imaginé que Dieu pouvait également être offensé. La loi humaine prétend que toute « peine » mérite « châtiment ». Le châtiment est une défense, affirme le moraliste. L’Enfer est un châtiment. Dieu a-t-il donc besoin de se défendre ? « C’est se faire de Dieu une étrange idée, dit J. M. Guyau, que de se figurer qu’il pourrait ainsi lutter matériellement avec les coupables sans perdre de sa majesté et de sa sainteté. Du moment où la « loi morale » personnifiée entreprend ainsi une lutte physique avec les coupables, elle perd précisément son caractère de loi ; elle s’abaisse jusqu’à eux, elle déchoit ; un Dieu ne peut pas lutter avec un homme ; il s’expose à être terrassé comme l’ange par Jacob. Ou Dieu, cette loi vivante, est la toute puissance, et alors nous ne pouvons pas, véritablement, l’offenser, mais il ne doit pas nous punir ; ou nous pouvons réellement l’offenser, mais alors nous pouvons quelque chose sur lui, il n’est pas la toute puissance, — il n’est pas l’ « absolu », il n’est pas Dieu » (J. M. Guyau, Esquisse d’une Morale sans obligations ni sanctions, p. 228).

« Les malheureux ne doivent-ils pas être, en tant que tels, sinon sous les autres rapports, les préférés de la bonté infinie ? » demande également Guyau. Mais non, les malheureux sont justement malheureux parce qu’ils ont cru et qu’ils croient encore en la bonté divine. À vouloir le royaume des cieux, ils gagnent l’Enfer ; l’enfer durant leur vie ; l’enfer après la mort ; les deux se tiennent.

Qu’a-t-il donc à craindre de plus terrible que son passage sur la terre, le pauvre bougre, le paria, le miséreux ? La terre n’est-elle pas pour lui une vallée de larmes et la cruauté du Dieu céleste peut-elle être plus épouvantable que celle des dieux terrestres ? « Dante n’avait rien vu » nous dit un écrivain bourgeois, Albert Londres, en décrivant les supplices endurés par les loques humaines victimes de la brutalité des chefs militaires, dans les bagnes d’Afrique.

Et c’est partout où se portent les regards, que l’Enfer nous apparaît sur cette boule ronde. L’Enfer, c’est l’usine, où le maître domine, où le travail est un esclavage qui ne nourrit pas celui qui l’accomplit ; l’enfer, c’est la caserne où l’individu ne devient qu’un numéro ; l’enfer, c’est la prison, c’est le bagne, où, pour s’être mis en marge de la loi injuste, des hommes sont enfermés durant des années et des années ; l’enfer, c’est la guerre, qui détruit toute une jeunesse virile, qui incendie villes et villages, et qui laisse derrière elle une population de veuves, d’orphelins et de criminels ; l’enfer, c’est la Société viciée, corrompue, pourrie, présidée par une poignée de parasites malfaisants : juges, ministres, députés, avocats, commerçants, financiers, industriels, prêtres et diplomates, qui vivent de la misère d’autrui et spéculent sur l’ignorance, qui est la faiblesse du peuple. Cet enfer-là, il n’est pas imaginaire. Il n’a pas germé en l’esprit d’hommes ivres d’autorité ; il est réel, palpable, matériel ; on le voit, on le touche, on le subit et on en souffre.

C’est cet enfer-là qu’il faut détruire, car il est une insulte à l’humanité et à la civilisation. Il charrie dans ses ruisseaux de boue et de sang les corps de millions et de millions d’asservis et d’exploités, qui ne sont considérés que comme une marchandise que l’on achète et que l’on vend, que l’on oppresse et que l’on tue.

Éteignons donc, par notre action, par notre lutte, par notre volonté, le feu de cet enfer. Sachons lever la tête et réduire la puissance d’un capitalisme qui est la cause primordiale de toutes les souffrances, de toutes les douleurs, de toutes les misères et de tous les supplices et, lorsque la terre sera un paradis construit par les hommes, sans craindre la mort, sans craindre l’enfer, les vieillards :

S’éteindront, béats, sous le ciel mystère,
Ayant bien vécu, loin de ses hauteurs.


ENGRAIS n. m. Dans le mot Agriculture ; nous avons donné d’amples détails sur ce qu’on appelle les engrais ; nous allons ici même compléter ces renseignements sur cette très importante question qui intéresse au plus haut point la production par le sol de toutes les denrées alimentaires dont se nourrit l’humanité, et de beaucoup de matières premières indispensables à la production industrielle, tels les textiles, les laines et les bois de toute sorte qui servent à fabriquer machines et outils. Les engrais, ce sont toutes les matières organiques ou minérales que l’expérience et la science ont montrées comme capables de fertiliser les terres, c’est-à-dire qu’une fois que ces matières, convenablement préparées, sont enfouies dans le sol ou épandues à sa surface, elles augmentent la quantité de matériaux que contient déjà ce sol qui sont en état de nourrir les divers végétaux qui le recouvrent pour leur procurer un développement normal. L’engrais le plus connu, même des temps antiques, c’est le fumier de ferme, provenant des déjections de nos divers animaux domestiques, qui se mélangent petit à petit avec les litières qui leur servent de couche. Cet engrais contient en proportions diverses les quatre principaux éléments nécessaires à la vie et au développement des plantes, à savoir : l’azote, le phosphore par l’acide phosphorique, la potasse et la chaux. Cet engrais est précieux et s’emploie pour toute sorte de cultures, soit enfoui dans le sol, soit en couverture sur les prairies, dans toutes les régions. Les soins à donner à ce fumier de ferme, à sa sortie des étables, lorsqu’on ne l’apporte pas immédiatement dans les champs, consistent à le placer en tas bien tassés, et à le tenir arrosé, soit avec du purin, soit avec de l’eau, afin de ralentir la fermentation qui se développe dans les tas qui, si elle était trop active, provoquerait l’évaporation des principes azotés. Les urines des animaux de la ferme, quelquefois recueillies à part par certains praticiens, au moyen de rigoles d’écoulement qui débouchent dans des bassins bien cimentés, constituent aussi un engrais riche ; elles sont employées comme engrais liquides, et répandues sur les terres ou les prairies. Toutes les matières provenant des déchets et détritus du règne végétal et du règne animal constituent ce qu’on appelle les engrais humifères, c’est-à-dire que lorsqu’ils sont parvenus à leur complète décomposition, ils se résolvent en cette poudre noirâtre qu’on appelle HUMUS, qui est très utile à la végétation, en ce sens que les calcaires de cet humus du fumier transforment les éléments fertilisants que nous mettons dans le sol en éléments assimilables, c’est-à-dire propres à la nutrition des végétaux en favorisant la multiplication des bons microbes. Les engrais chimiques, par exemple, ne peuvent donner leur effet complet que dans les terres qui renferment suffisamment de l’humus.

Parmi ces engrais humifères, à part le fumier de ferme, on distingue : les chiffons des tissus de laine, les poils des animaux, les plumes des volailles, les débris de corne que nous rend l’industrie du peigne ; tous ces débris constituent des engrais riches en azote organique, 15 à 16 % environ. Pour l’emploi des plumes de volaille ou autres, il est bon de les mélanger à l’avance avec du terreau ou de la terre bien pulvérisés et de les répandre sur le sol au moment de l’enfouissage ; sans cette précaution, le moindre vent les emporte. Tous ces engrais conviennent pour toutes sortes de cultures et spécialement pour la culture des choux qui demandent une dominante d’azote. Les jardiniers et tous ceux qui font des cultures maraîchères emploient très avantageusement la poudre ou les débris de corne très fins que nous vendent les fabricants de peignes. Ces engrais, enfouis dans le sol, sont très vite en état de nourrir les jeunes plantes qui n’ont qu’un temps très court à passer en terre.

Les jardiniers et maraîchers de la banlieue des villes emploient aussi avec succès le purin des fosses d’aisance en arrosages. C’est un engrais riche en tous les éléments qui entrent dans la nutrition des végétaux.

Le sang desséché et pulvérisé des animaux de boucherie constitue aussi un engrais riche avec dominante d’azote, pour toutes sortes de cultures.

La chair des animaux, lorsqu’elle est impropre à la consommation, constitue aussi un excellent engrais, que certains industriels préparent et nous revendent comme tel ; il en est de même des déchets de poissons de toute sorte qui se trouvent dans les villes où il y a de grandes pêcheries, et qu’on nous revend sous le nom de guano de poisson. Tous ces engrais contiennent en proportions diverses tous les éléments nécessaires au développement des végétaux.

Et les résidus de nos foyers, les cendres de bois, qui renferment la potasse, environ 7 % suivant les essences, en un état : le carbonate de potasse, qui est immédiatement propre à la nutrition des plantes.

Les os des animaux, après avoir été dégélatinés, renferment encore des phosphates qui nous donnent de l’acide phosphorique, et qu’on peut employer après avoir été moulus ou pulvérisés et enfouis dans le sol pour toutes sortes de cultures.

Les marcs de raisin, quand on a fait le vin, sont aussi un très bon engrais, à dominante de potasse, qui convient bien pour la culture de l’oignon ; mais comme c’est un excellent aliment pour les bestiaux, le mieux, c’est de le leur faire consommer, et ils nous le rendent ensuite dans le fumier qu’ils produisent.

À côté de ces engrais humifères, il y a l’importante série des engrais provenant du règne minéral que, par des procédés chimiques, on transforme et rend propres à la nutrition des végétaux, et que, pour cette raison, on appelle des engrais chimiques.

Les carrières de phosphates de France et les inépuisables gisements qui existent en Algérie nous fournissent des roches contenant du phosphore qui, pulvérisées ou moulues, et convenablement traitées par l’acide sulfurique, nous donnent des superphosphates dont l’acide phosphorique est soluble dans l’eau ou le citrate d’ammoniaque alcalin est à froid, et devant peu après son enfouissement dans le sol, ou son épandage à la surface des prairies, être propre à nourrir les plantes. On l’emploie pour toutes sortes de cultures ; le maïs en exige une dominante et le blé en a besoin pour pouvoir constituer des tiges assez rigides qui empêcheront la verse.

Dans certains terrains très acides, on emploie les phosphates aux mêmes usages que les superphosphates ; les puissants acides du sol ne tardent pas à rendre soluble l’acide phosphorique qu’ils renferment.

Les scories des phosphorations de la fonte renferment aussi de l’acide phosphorique et qui, finement moulues ou pulvérisées, s’emploient aux mêmes usages que les superphosphates.

Potasse. Les divers sels de potasse sont aussi contenus dans des roches qui gisent en carrières dans le sein de la terre, en certaines contrées ; l’Alsace, par exemple, en renferme des gisements excessivement importants. Parmi ces sels potassiques, on distingue : le chlorure de potassium, contenant environ 48 à 49 % de potasse ; le sulfate de potasse, qui en renferme de 44 à 45 % ; la sylvinite est aussi un bon engrais potassique qui renferme, suivant sa richesse, de 12 à 18 % de potasse. Le nitrate de potasse est un engrais chimique qui renferme à la fois de l’azote et de la potasse en quantités importantes.

Les engrais potassiques sont nécessaires à toutes les plantes ; ils font fructifier le blé, les pruniers ; et la vigne, dans un terrain qui manque de cet élément, ne donne que des récoltes dérisoires et de tout petits raisins. La potasse agit principalement sur le pigment vert des feuilles qu’on appelle la chlorophylle, et comme l’action de cette chlorophylle est d’élaborer les hydrates de carbone qui sont la fécule, le sucre, l’amidon, on peut dire que la potasse agit directement sur les fruits, blés, raisins, pommes de terre, prunes, etc., et qu’elle augmente leurs qualités. Les haricots ne fructifient abondamment que si leurs racines trouvent dans le sol une quantité suffisante d’engrais potassiques.

On remarque encore les engrais chimiques azotés, le sulfate d’ammoniaque contenant environ 20 % d’azote, le chlorhydrate d’ammoniaque qui en contient environ 23 %, la cyanamide 15 % environ.

Pour qu’une culture puisse parvenir à donner un rendement normal, il est indispensable que la fumure qu’on lui a donnée pour la nourrir et la faire développer renferme en quantités suffisantes les quatre éléments indispensables à la nutrition des végétaux ; si l’un d’eux manque ou s’y trouve en quantité insuffisante, l’échec est inévitable.

Tels sont les divers engrais dont l’emploi rationnel permet à notre agriculture d’obtenir les plus beaux rendements. Mais les agriculteurs ne doivent pas acheter isolément ces divers engrais chimiques dont ils ont besoin pour leurs cultures, s’ils ne veulent pas être volés comme sur un grand chemin ; ils doivent donner leurs commandes à leur syndicat communal ; les syndicats communaux fédérés les transmettent à un grand syndicat central, comme par exemple le grand syndicat de la Société des Agriculteurs de France, qui achète pour tous, sur un marché bien établi et sur garantie d’analyse. Ces frais d’analyse, et au besoin de procès pour faire rembourser les manquants se répartissant sur une très grande quantité de marchandises sont insignifiants, car il ne faut pas oublier que les industriels qui fabriquent les engrais ne sont pas plus scrupuleux que leurs congénères des autres industries et qu’ils volent, lorsqu’ils le peuvent, tant sur les dosages que sur la qualité des matières livrées.

Et maintenant il nous reste à expliquer, si possible, comment ces divers engrais parviennent à nourrir les végétaux et à en assurer le plus grand développement possible, c’est-à-dire à expliquer le mécanisme de la nutrition des plantes.

Nul n’ignore que l’accroissement de tous les êtres vivants, depuis leur naissance, soit végétaux, soit animaux, sans en excepter l’homme, provient de la nourriture qu’ils absorbent au cours de leur existence. Pour que ce phénomène puisse se produire, la nature a doté les uns et les autres des organes nécessaires pour pouvoir absorber tout d’abord cette nourriture et ensuite pour pouvoir la digérer et la rendre assimilable à leur organisme, ce qui en constitue le développement ; ainsi, tous les animaux, depuis le plus petit moucheron jusqu’au plus grand des quadrupèdes, ont une bouche qui leur permet d’absorber leur nourriture, solide ou liquide, et un ou plusieurs estomacs, et puis les intestins qui la digèrent, c’est-à-dire qui la rendent propre à passer dans leur sang qui, vivifié constamment par l’oxygène de l’air, au moyen de la respiration, va la déposer dans toutes les parties de leur corps et produit le phénomène de l’accroissement. Pour les végétaux, le phénomène de l’accroissement se produit d’une manière à peu près analogue ; les organes sont différents, mais la fonction est identique. L’être végétal comprend trois parties, à savoir : la tige proprement dite, ligneuse ou herbacée, se terminant supérieurement tantôt par de simples feuilles, tantôt par des branches plus ou moins ramifiées, sur lesquelles naissent les brindilles qui, à leur tour, portent les feuilles. Cette tige se termine inférieurement par les racines qui fixent la plante au sol et sur ces racines plus ou moins subdivisées naissent une infinité de petites radicelles terminées, chacune, par une petite ouverture qui remplit le rôle d’une bouche, par lesquelles la sève pénètre dans la plante, la nourrit, s’y assimile et en provoque le développement, l’accroissement.

Mais, pour que cette sève puisse nourrir la plante, et s’assimiler à son organisme pour en provoquer l’accroissement, il est indispensable qu’elle soit digérée par ce qu’on peut appeler les organes digestifs de la plante, et parvenue à un état comparable au Chyle du règne animal. Ces organes digestifs de la plante, c’est le sol lui-même dans lequel elle est fixée ; oui, le sol, c’est l’estomac qui digère les engrais, et les rend propres à nourrir les plantes de toutes sortes qui le recouvrent. Aussitôt que les divers engrais sont enfouis et mélangés au sol par un labour, ils y subissent à la fois l’action chimique des divers acides que contient ce sol, et l’influence des bons microbes qui s’y multiplient en abondance grâce à la présence d’une assez forte proportion d’humus et de calcaire, comme nous l’avons déjà dit, et l’action de l’air aidant, s’accomplit ce phénomène qu’on appelle nitrification, qui modifie la substance des engrais et la rend propre à la nutrition des plantes.

L’action que l’air atmosphérique exerce sur l’assimilation de la sève des racines par les plantes est aussi indispensable. Les feuilles sont les organes respiratoires des végétaux, et leur rôle, par l’action de l’air, assure la vigueur et le développement normal des plantes ; tout végétal privé de ses feuilles cesse de s’accroître, dépérit et meurt. Voici un exemple de l’importance de cette action de l’air sur les feuilles des plantes : on a constaté, dans la culture, que certaines plantes, pour acquérir leur développement normal n’avaient pas besoin d’engrais azotés, telles les légumineuses. Ces plantes ont la faculté d’absorber par le moyen de leurs feuilles l’azote de l’air qu’elles introduisent dans leur organisme pour en assurer le développement, et en absorbent même en excès et l’accumulent dans une infinité de petites nodosités (petits tubercules) qui recouvrent leurs racines et constituent une forte réserve de matière azotée ; ce qui a poussé les agriculteurs, pour améliorer leurs terres, à semer des légumineuses, trèfle violet, trèfle incarnat, fenugrec, vesces, etc., etc., et une fois ces plantes arrivées en pleine floraison et leur développement normal acquis, on enfouit ces légumineuses dans le sol. C’est ce qu’on appelle les engrais verts.

Pierre Naugé, dit Mauger.


ENNEMI, E n. m. (du latin inimicus). « Qui hait quelqu’un et cherche à lui faire du mal, à lui nuire ». Telle est la définition que donnent, en général, tous les dictionnaires bourgeois du mot ennemi. Définition bien incomplète à notre point de vue, puisque, bien souvent, se considèrent comme ennemis des individus qui n’ont aucune raison de se haïr, et par conséquent de se nuire.

Quelles causes profondes ont donc bien pu faire du travailleur français un « ennemi » du travailleur allemand, et réciproquement ? C’est en vain que, posant la question à un ouvrier de France, d’Allemagne ou de tout autre pays, on attendrait une réponse saine et logique. Pourquoi se haïssent-ils ; pourquoi sont-ils ennemis ? Ils l’ignorent, puisqu’ils s’ignorent eux-mêmes. C’est une fausse éducation, savamment entretenue par un chauvinisme intéressé, qui perpétue un état d’esprit aussi insensé et permet aux maîtres de spéculer sur les sentiments ridicules des populations et déchaîner à l’occasion, lorsqu’ils y trouvent un quelconque intérêt, les plus terribles catastrophes.

« Notre ennemi, c’est notre maître », a dit La Fontaine. Voilà la vérité. Et peut-être est-il notre unique ennemi, puisqu’il est la cause initiale de tous les maux dont nous souffrons.

Et notre ennemi, c’est notre maître, non pas parce que le maître a de la haine pour le serviteur. Comment pourrait-il en être ainsi, alors que le serviteur, l’esclave se laisse exploiter, opprimer, déposséder pour permettre à son maître de jouir de toutes les beautés et de tous les bienfaits de l’existence ? « Notre ennemi, c’est notre maître » car c’est lui qui nous empêche de nous élever, de nous grandir, de vivre enfin, une vie normalement humaine.

La haine est mauvaise conseillère, car elle est trop souvent aveugle. C’est la raison qui nous porte à considérer notre maître comme un ennemi et à le combattre, profondément convaincus que, tant qu’il y aura un maître, l’harmonie sociale ne peut exister.

C’est parce que le peuple ne sait pas distinguer ses véritables ennemis qu’il est malheureux ; et lorsqu’il lui arrive de reconnaître ses erreurs, de voir clair dans le jeu de ses faux amis, alors, indulgent, il pardonne. C’est ainsi que vont les sociétés.

Le mot ennemi sert également à désigner celui qui a de l’antipathie pour une chose quelconque. Être l’ennemi du bon sens ; être ennemi du travail ; un ennemi du socialisme ; un ennemi de l’autorité. Se dit aussi des choses qui sont opposées : l’eau est l’ennemie du feu.

S’emploie aussi comme adjectif. Des armées ennemies. Des peuples ennemis. Ces gouvernements faibles, peureux, ennemis de toute publicité. — (P.-L. Courier.)


ENQUÊTE n. f. (du mot enquérir). Recherches, études, réunion de témoignages destinés à élucider une question douteuse. Faire une enquête ; ouvrir une enquête ; une enquête parlementaire ; une enquête judiciaire ; une enquête administrative ; une enquête commerciale.

Quel que soit le caractère de l’enquête poursuivie, les informations utiles doivent être prises à une source certaine ; ce n’est pas ce qui se produit d’ordinaire, en ce qui concerne les enquêtes officielles. Ces dernières n’ont du reste généralement d’autre utilité que de donner au peuple une satisfaction illusoire ; elles aboutissent toujours à un fiasco.

Par exemple, à diverses reprises, en raison de la vie chère, les gouvernements qui se sont succédé ont nommé des commissions chargées d’enquêter sur les causes de l’augmentation du prix des produits. Aucune de ces commissions n’a obtenu de résultats. Faut-il en être surpris ? Non pas, puisque les enquêteurs officiels appartenaient à la catégorie d’individus directement responsables de la vie chère. Une enquête impartiale et sérieuse arriverait facilement à découvrir le repaire où se cachent les coupables. C’est ce que l’on ne veut pas. Il en est ainsi de toutes les enquêtes gouvernementales, quel que soit leur objet.

N’attendons donc rien des enquêtes officielles. Dans la mesure de nos possibilités, enquêtons nous-mêmes sur tous les objets ou sujets qui nous paraissent obscurs ; tirons les conclusions logiques de nos découvertes, et les résultats obtenus ne tarderont pas à produire les plus heureux effets.


ENRÉGIMENTER verbe. Militairement : action d’incorporer dans un régiment, de former un régiment. Enrégimenter les jeunes recrues. En France, et dans de nombreux pays où le service militaire est obligatoire, on enrégimente de force les jeunes gens ayant atteint un certain âge. C’est ce qu’on appelle le régime de l’égalité militaire. En réalité, celui qui possède la richesse ne souffre nullement de l’enrégimentation, car tout s’achète avec de l’argent et la liberté s’acquiert facilement avec la fortune. Ce n’est donc que le pauvre qui souffre péniblement de l’enrégimentation.

Être enrégimenté, c’est perdre toute personnalité et agir comme un automate, comme une machine dépourvue de pensée. Rien de surprenant à ce que la bourgeoisie enrégimente une partie de la population et la dirige à son gré et selon ses désirs, ses besoins et ses intérêts. Malheureusement, l’enrégimentation semble sortir des cadres du militarisme et déteindre sur les organisations civiles. C’est ainsi que nous voyons, sous le fallacieux prétexte de discipline dans la lutte sociale, des partis « d’avant-garde » enrégimenter les pauvres bougres ignorants du rôle qu’on leur fait jouer et qui servent de tremplin politique ou électoral à une poignée d’ambitieux et d’arrivistes.

Il ne faut pas confondre la discipline et l’enrégimentation ; ce sont deux choses bien différentes. Les anarchistes ne sont nullement les adversaires de la discipline, quoi qu’en pensent et quoi qu’en disent nos ennemis. S’ils luttent avec acharnement contre l’enrégimentation, c’est qu’un homme enrégimenté, dans un parti ou dans une armée, est contraint de suivre aveuglément toutes les directives qui lui sont, non pas suggérées, mais imposées par des chefs dont on ne discute pas les ordres.

On nous reproche, particulièrement, depuis la Révolution russe de 1917, de mener le combat contre les organisations communistes et contre la Troisième Internationale. C’est que la plupart des adhérents à l’Internationale de Moscou sont des êtres enrégimentés. Il suffit, pour s’en rendre compte, de suivre le mouvement et l’évolution des partis communistes internationaux.

La politique du gouvernement russe a changé à maintes reprises entre 1917 et 1926, et les dirigeants des P. C. ont évolué en différents sens. Mais le troupeau continue à accepter les variations de la politique et à se courber devant les chefs qui se succèdent.

Lénine, Trotski, Zinoviev, Staline, furent tour à tour chefs de cette armée de parias qui espèrent conquérir leur émancipation en s’enrégimentant. C’est là une erreur profonde ; l’émancipation ne découle pas d’une discipline aveugle et ridicule, mais de la liberté, et le « régiment » civil et militaire n’a jamais été que le repaire des serfs et des esclaves.

La discipline en pleine liberté, acceptée par des hommes conscients ? Oui ; l’enrégimentation ? Jamais, car elle est un facteur de régression sociale.


ENSEIGNEMENT n. m. Profession de celui qui enseigne ; qui donne l’instruction.

On distingue trois ordres d’enseignement : l’enseignement primaire, l’enseignement secondaire et l’enseignement supérieur.

L’enseignement primaire est régi par la loi de 1882 qui a fait la laïcisation. Obligatoire pour les enfants de six à treize ans, il est couronné par le certificat d’études primaires.

Il comporte la lecture, l’écriture, l’arithmétique, l’histoire, la géographie, les éléments des sciences physiques et naturelles, l’instruction civique, etc…

Il est destiné aux enfants des ouvriers et des paysans dont il a pour mission de former des hommes et des femmes bornés, résignés à la condition sociale inférieure qui devra être la leur.

La laïcisation a été un progrès ; l’enseignement de l’instituteur est moins déprimant que l’enseignement du congréganiste, instrument passif d’une Église asservie tout entière au capital.

Néanmoins, la culture dispensée aux enfants prolétaires par la République bourgeoise a, elle aussi, pour but de les contenir et de les empêcher de se révolter contre une condition d’esclave.

L’histoire présente aux écoliers les temps passés comme une suite de guerres. Seuls, les rois et leurs serviteurs immédiats sont dignes d’intérêt. Rien de la vie des peuples.

L’instruction civique, mélange de morale et de sociologie simplistes, donne à l’élève une conception fausse de la Société où il devra vivre. Elle lui fait adorer la patrie et les généraux. On présente à l’élève les apparences des choses et il croit que tout est parfait dans la Société présente. Pensant que la richesse est la récompense du travail et de l’économie, il met des sous dans sa tirelire.

À l’école primaire, l’enfant coudoie des enfants du peuple comme lui-même. L’instituteur est aussi du peuple dont il forme l’élite. L’écolier ignore donc qu’Il existe d’autres écoles où les enfants riches reçoivent un enseignement différent du sien. Dans ses rêves ambitieux, l’élève studieux ne voit que les brevets primaires.

Telle qu’elle est, l’école primaire est encore supérieure au milieu familial moyen de l’enfant du peuple.

Il y apprend des éléments d’hygiène, une morale de bonté ; il est stimulé à l’étude.

Rentré dans sa famille, tout cela se trouve contredit. Ses parents contestent l’utilité de l’instruction ; ils raillent l’hygiène. L’enfant voit dans la maison ouvrière la brutalité et l’alcoolisme à tous les étages.

À treize ans, il demande lui-même à quitter l’école. Ses camarades sont entrés à l’atelier et il veut faire comme eux.

Les rudiments qu’il a acquis s’oublient très vite. À vingt ans, il ne lui reste plus de l’arithmétique que l’addition. Il est incapable de coordonner ses idées pour écrire la lettre la plus simple ; aussi, écrire une lettre constitue pour lui un effort qu’il ne fait pas volontiers. De l’histoire, il n’en faut pas parler ; des conscrits ont fait de Jeanne d’Arc la femme de Napoléon Ier. Seule la lecture demeure à peu près intacte sur les ruines de la formation primaire. On a dit avec raison qu’elle permet au prolétaire d’être trompé ; mais elle lui permet aussi de s’instruire. L’ouvrier des villes qui lit quotidiennement un journal est très supérieur au moujik russe, aux ouvriers espagnols et italiens ; il comprend l’action syndicale. Mais il est encore très ignorant et cette ignorance est le plus grand obstacle à son affranchissement.

Enseignement secondaire. — De même que l’enseignement primaire vise à former des esclaves, l’enseignement secondaire forme les futures classes dirigeantes.

Réservé à la bourgeoisie, il se donne dans les lycées et collèges de l’État ainsi que dans les établissements particuliers dont beaucoup sont congréganistes.

Il n’est pas gratuit. Les bourses, il est vrai, peuvent le donner gratuitement ; mais l’enseignement n’en reste pas moins bourgeois. Très rarement l’ouvrier pense à demander une bourse de lycée pour son enfant. Les boursiers sont des fils de la petite bourgeoisie : instituteurs, fonctionnaires, etc…

L’enseignement secondaire, bien que visant à la formation des maîtres, est loin d’être parfait. Il a de la peine à se défaire du préjugé des langues mortes que les élèves apprennent pendant de longues années pour arriver à ne les savoir que très mal. Les langues vivantes ne sont que commencées ; les élèves ne sauraient, avec ce qu’on leur a appris au lycée, tenir une conversation un peu élevée dans une langue étrangère.

Le lycée enseigne aux enfants, outre les langues mortes et vivantes, l’histoire et la géographie universelles, la littérature ancienne et moderne, la composition française, les mathématiques, les sciences physiques et naturelles, la philosophie, etc…

L’histoire n’est plus, comme à la primaire, une chronologie des rois et des guerres ; l’élève apprend les mœurs et les coutumes du temps passé ; l’évolution de la civilisation.

Malheureusement, l’enseignement, donné de façon mécanique, s’adresse beaucoup à la mémoire et peu à l’intelligence.

Mais on ne s’y donne pas pour but de former les jeunes esprits ; il habitue au contraire ses élèves à prendre une haute idée d’eux-mêmes.

À la distribution des prix du Concours général, les plus hauts dignitaires de la République ne dédaignaient pas de venir couronner des lauriers scolaires les enfants des classes dirigeantes. Les lauréats, surtout les fils de grands bourgeois, ne croyaient pas alors trouver d’obstacles aux plus hautes visées d’avenir.

La moyenne des familles bourgeoises, cependant, tout en étant infiniment plus éclairées que les familles ouvrières, se désintéresse assez de la culture intellectuelle de leurs enfants.

Ce qui les pousse à les faire travailler, ce sont avant tout les sanctions de l’enseignement secondaire ; le baccalauréat, qui est exigé à l’entrée des écoles supérieures.

Entre l’enseignement secondaire et l’enseignement supérieur se placent les grandes écoles : École Normale Supérieure, École Polytechnique, École Centrale.

L’École Normale Supérieure prépare les professeurs de lycée et de facultés. Elle donne une culture très élevée dans les lettres et dans les sciences. Nombre d’hommes célèbres de la politique, de la science et de la littérature en sont sortis.

L’École Polytechnique forme des ingénieurs et des officiers d’artillerie ; c’est une école à demi-militaire ; les élèves ont un uniforme.

L’École Centrale, d’un niveau un peu inférieur, forme les ingénieurs qui seront employés dans l’industrie.

Les Grandes Écoles se recrutent par un concours d’entrée qui est très difficile. La préparation de ce concours exige un travail tellement intensif que l’élève en a ensuite, et pour la vie, le dégoût de l’étude.

Enseignement secondaire des Jeunes Filles. — Il se donne dans les lycées et collèges de jeunes filles. Son institution a été un progrès. Avant lui, les jeunes filles de la bourgeoisie étaient élevées dans des couvents où on les instruisait fort peu. Mais il restait très inférieur à l’enseignement des lycées de garçons. Comme pour l’enseignement primaire, son but était de comprimer bien plutôt que de développer les jeunes intelligences. On avait peur d’instruire les jeunes filles ; pensant, non sans quelque raison, que, une fois instruite, la femme voudrait s’affranchir.

L’enseignement secondaire des jeunes filles ne conduisait ni aux facultés, ni aux grandes écoles. Les facultés étaient d’ailleurs fermées aux femmes et les grandes écoles ne font que commencer à s’ouvrir pour elles.

L’étudiante entrait à l’Université avec un mauvais baccalauréat préparé à la hâte. Elle avait beaucoup de peine à se mettre au niveau des études, étant en but à l’hostilité des professeurs et à la haine des camarades.

Depuis peu de temps, l’enseignement des lycées de jeunes filles a été mis au niveau de celui des lycées de garçons. Nombre de jeunes filles de la bourgeoisie passent aujourd’hui le baccalauréat.

Enseignement supérieur. — Il est donné dans les Facultés : Droit, Médecine, Sciences, Lettres, etc…

Il prépare les élèves aux carrières dites libérales, ce qui fait que les facultés sont avant tout des écoles professionnelles.

Longtemps, le baccalauréat classique, avec latin et grec, a été exigé à l’entrée des facultés. Aujourd’hui, on est moins rigoureux. Un jeune homme ou une jeune fille sortis de l’école primaire peuvent, avec quelques années de travail patient, devenir étudiants dans une faculté.

Outre les facultés, il existe des écoles particulières comme le Conservatoire des Arts et Métiers, l’École des Travaux Publics qui font des cours soit le soir, soit par correspondance. Le jeune ouvrier peut, s’il le veut, atteindre, grâce à ces établissements, à une culture intellectuelle assez élevée.

L’enseignement des facultés ayant pour but la carrière se préoccupe très peu de la culture générale des élèves. Il s’adresse beaucoup à la mémoire et très peu à l’intelligence. L’élève studieux s’abrutit dans la préparation des examens ; il n’a même pas le temps de lire autre chose que ses manuels. Le professeur d’Université dans les grandes villes ne connaît pas ses élèves. L’étudiant est presque sans direction intellectuelle.

L’enseignement est tout entier à réformer.

Le Cartel des Gauches avait mis dans son programme de 1924 L’École Unique, qui devait fondre ensemble le primaire et le secondaire et supprimer l’enseignement de classe. Mais, une fois élu, le Cartel a trouvé toutes sortes d’empêchements à l’École Unique et il est probable qu’elle servira encore longtemps de tremplin électoral.

L’enseignement, dans la société future, aura pour but la culture intellectuelle de l’individu et non le désir de gagner de l’argent. La formation de l’esprit humain prendra toute l’importance qu’elle doit avoir.

Doctoresse Pelletier.

ENSEIGNEMENT. C’est l’action, l’art, la profession de fournir des connaissances en vue d’un certain but ; ces connaissances elles-mêmes.

On le divise généralement en enseignement primaire, enseignement secondaire et enseignement supérieur ; il compte en outre des écoles spéciales ou professionnelles.

L’enseignement primaire fournit les quelques connaissances nécessaires et suffisantes pour le peuple : lecture, écriture, etc… Dans la plupart des nations civilisées, il est obligatoire (de six à treize ans en France), ce qui a tenu les gouvernements de le rendre gratuit, ou payant proportionnellement aux ressources des parents. Enfin, il est généralement laïc, c’est-à-dire neutre, concernant la religion.

La bourgeoisie complète ordinairement son instruction dans les collèges ou lycées. Cet enseignement secondaire, qui se termine par le baccalauréat, sert de transition entre l’enseignement primaire et l’enseignement supérieur. Celui-ci embrasse les hautes études — lettres, sciences, langues (vivantes et mortes), philosophie, médecine, droit et théologie. En France, il se donne dans les Universités, et chaque branche d’enseignement forme une Faculté. Certains cours sont publics. Une série d’établissements scientifiques et d’enseignement supérieur relèvent directement du ministre de l’Instruction publique ; tels le Collège de France, l’École normale supérieure, l’École polytechnique, et l’Institut de France, réunion des cinq académies : Française ; des Inscriptions et Belles-Lettres ; Sciences morales et politiques ; des Sciences ; des Beaux-arts.

Chacun tend à durer, et réclame un enseignement correspondant à ses besoins. Le dévot demande à l’enseignement des exemples de piété pour édifier et fortifier l’âme ; l’artiste, les connaissances techniques indispensables pour s’adonner à l’art. L’homme du monde s’intéresse à ce qui fait briller, le « sauvage » à ce qui lui procure l’indépendance. Chacun abonde dans son sens. Suivant son intérêt ou ses opinions, il favorise plus ou moins la culture de la sensibilité, de l’intelligence ou de la volonté. De là, la tendance de toute institution à avoir un enseignement particulier, et les luttes dont l’enseignement a été et sera le théâtre. Ce fait explique aussi pourquoi chaque gouvernement n’est susceptible que d’un certain degré de rationalisme dans son enseignement, degré proportionnel à son libéralisme, et qu’il ne dépasse pas, sous peine de suicide, même quand la science et l’expérience ont démontré la nécessité d’une réforme.

L’enseignement officiel est donc foncièrement conservateur ; quant à l’enseignement privé — qualifié de « libre » — il n’est guère donné que par des sectes religieuses franchement réactionnaires. On comprend pourquoi l’enseignement est, d’une part, encombré d’un fatras inutile et désuet, et d’autre part, muet ou mensonger sur des chapitres de la plus grande actualité : on préfère la fortune à la révolution ! Il y a quelques années, en Hollande, j’eus l’occasion de causer tour à tour avec plusieurs soupirants au baccalauréat. Au sujet du socialisme, tous, de l’air supérieur de celui qui sait, me dirent à peu près la même chose : « Heu ! si chacun recevait un jour vingt florins comme sa part de la fortune générale, l’inégalité serait rétablie dès le lendemain, les uns ayant dépensé leur avoir, les autres ayant fait profiter le leur… » L’année suivante, un jeune bachelier français me dit la même chose ; à l’école primaire, j’ai entendu le même jugement de la part de mon instituteur ; cet « argument » avait fait sur la classe une grande impression, sur laquelle plusieurs élèves sont sans doute restés. Le socialisme mériterait pourtant qu’on l’examinât d’un peu plus près ! Quant à l’anarchisme, l’histoire fournit l’occasion d’exprimer l’opinion officielle à son sujet, grâce à l’assassinat du président Carnot : « Ce sont des criminels ne reconnaissant ni gouvernement ni patrie. » (Histoire de France, E. Lavisse.) Je serais pourtant curieux de savoir comment on en parle dans la République prolétarienne russe…

Pour le personnel récalcitrant, l’État dispose de mesures disciplinaires allant jusqu’à la révocation. On connaît le cas typique de l’illustre Michelet, dont les cours au Collège de France furent plusieurs fois suspendus et repris, suivant le flux et le reflux des événements politiques. C’est d’ailleurs le plus souvent avec fierté que l’instituteur se met au service de la conservation sociale. Sortant du peuple, il a le respect du bourgeois ; il est fier de raisonner comme lui, et affiche beaucoup de dédain pour l’ouvrier… Il montre volontiers patte blanche à ses supérieurs, à cause de l’avancement. Rappelé à ses origines ces dernières années par le malaise économique, il semble acquérir peu à peu une conception plus élevée de sa valeur : nous verrons ce que vaut cette évolution quand la pitance sera redevenue suffisante.

Puisque chacun conçoit l’enseignement au mieux de ses intérêts personnels ou de classe, il convient d’y regarder à deux fois avant que d’avoir recours à l’enseignement donné par ses ennemis. Les catholiques l’ont très bien compris, qui multiplient partout leurs écoles primaires, secondaires et supérieures, malgré toutes les garanties de neutralité données par l’État. C’est qu’un enseignement n’est jamais neutre ; on peut toujours interpréter les faits de manières diverses : il suffit de constater la division des savants, la contradiction de leurs théories et de leurs méthodes pour en être convaincu. Les anarchistes ont aussi effectué plusieurs tentatives sur ce terrain. L’École moderne, de Ferrer, la Ruche de Sébastien Faure, l’Avenir social de Madeleine Vernet, mais ces entreprises, bien que très intéressantes, ne sont qu’individuelles. Beaucoup de camarades croient avoir tout fait en arrachant l’enfant à l’influence du clergé : c’est un tort. La routine intéressée, la morale pestilentielle du christianisme gangrène presque autant l’enseignement de l’État : il faut en préserver nos enfants. (Voir à ce sujet l’étude substantielle de Stephen Mac Say : La Laïque contre l’Enfant.)

Je ne pense pas qu’on puisse « faire des hommes », selon l’expression courante, mais par contre, je suis certain que la négligence des parents en empêche beaucoup de le devenir. L’homme d’avant-garde devrait réfléchir à ce fait et, avant que de s’abandonner au pessimisme, se demander : « Pourquoi laissons-nous capter à la source l’avenir de notre mouvement ? » Un besoin de propagande positive semble s’affirmer depuis quelque temps chez les anarchistes : vont-ils enfin se décider à entreprendre le principal ? Vont-ils enfin créer leur enseignement ? Dans cette optimiste attente, les parents de bonne volonté chercheront, dans les revues pédagogiques, de quoi corriger et compléter l’instruction primaire de leurs enfants et — pourquoi pas ? — de quoi l’entreprendre eux-mêmes… (Voir entre autres : L’École Émancipée, à Saumur.) — L. Wastiaux.


ENSOUTANÉ n. m. (de soutane). Le mot ensoutané est un terme populaire qui sert à désigner les ecclésiastiques, parce que ceux-ci portent une soutane.

En vérité, ce mot pourrait également s’appliquer aux juges, aux avocats, etc… qui revêtent aussi une soutane lorsqu’ils sont dans l’exercice de leurs fonctions. Jadis, les professeurs et les médecins portaient aussi la soutane, mais cette habitude a disparu depuis plus de deux siècles. Il n’y a plus aujourd’hui que dans certaines cérémonies universitaires que sont évoqués ces costumes particuliers.

La soutane varie de couleur, selon le grade de l’ensoutané. Elle est noire, violette ou rouge, et le pape porte une soutane blanche. Les ensoutanés de la justice portent une robe rouge ou noire, selon qu’ils appartiennent à la magistrature assise ou debout.

Cependant il n’y a vraiment en France que les prêtres de l’église catholique qui se couvrent continuellement de ce costume ridicule. Les magistrats, les avocats, etc…, ne portent la soutane qu’à l’intérieur des édifices où ils exercent leurs fonctions et revêtent pour sortir un costume civil. Les ensoutanés, comme les militaires, comme tous ceux qui portent un uniforme qui les place en dehors de la collectivité sont des êtres nuisibles et néfastes qui vivent sans produire, sur le travail de leurs semblables. Comme tous les parasites, il faut les combattre jusqu’à ce qu’ils aient disparu de la surface du globe.


ENTENDEMENT n. m. Autrefois, le mot entendement signifiait : perception des sons. Il est aujourd’hui employé assez fréquemment comme synonyme d’ « intelligence ». L’entendement est la faculté de comprendre, de sentir, de juger. Un homme d’entendement. Avoir perdu l’entendement. Notre imagination, ni nos sens ne nous sauraient jamais assurer d’aucune chose si notre entendement n’y intervient. » (Descartes).

On appelle entendeur celui qui a de l’entendement. Mais ce mot est rarement employé, sauf dans quelques locutions proverbiales, telle : A bon entendeur, salut.

Avoir de l’entendement, c’est avoir un esprit éveillé, percevoir avec facilité les choses qui n’ont point de forme corporelle et qui sont du domaine de l’intelligence ; c’est la faculté de connaître et de concevoir.

Celui qui a de l’entendement, c’est-à-dire de l’intelligence, est un privilégié, car la lumière qui l’éclaire lui donne certaines joies qu’ignorent les pauvres d’esprit. Ces derniers ne seront heureux que « dans le royaume des cieux » ; les autres peuvent espérer conquérir le bonheur sur la terre.


ENTENTE n. m. Bon accord. Entente familiale. L’entente est l’acte qui consiste à se mettre d’accord sur un point, sur un objet, sur un sujet déterminé. L’entente peut se réaliser sur une foule de choses. Elle peut être intégrale ou partielle, mais pour être harmonieuse, c’est-à-dire utile, il est indispensable — et surtout en ce qui concerne les questions politiques ou sociales — que le but poursuivi par les groupes ou individualités figurant dans cette entente soit le même.

« L’homme fort, c’est l’homme seul » affirme un adage, considéré presque comme un axiome par certains individus. Nous avons à maintes reprises tenté de combattre cette idée, qui nous semble fausse à sa base ; c’est dire, en conséquence, qu’à notre avis « L’Union fait la force » et que pour arriver à réaliser quelque chose, l’individu doit se joindre à d’autres individus, se grouper, s’entendre avec ses semblables.

Nous sommes donc de chauds partisans de l’Entente, sans toutefois nous laisser entraîner à commettre des erreurs dont les effets sont trop souvent désastreux. De même que, chimiquement, il existe des corps qui ne peuvent se mélanger, politiquement et socialement il existe des ententes qui paraissent impossibles. Vouloir les réaliser à toute force détermine des catastrophes.

Politiquement, en France, nous avons sous les yeux, en cette année de grâce 1927, l’image de ce que peut produire une entente composée d’éléments hétérogènes, Pourtant, politiquement, l’entente est plus facile, surtout sur le terrain électoral et parlementaire, car ce n’est pas ordinairement la sincérité qui est un lourd fardeau pour un candidat à la députation.

Nous savons que, pour combattre la « réaction », personnifiée par quelques ministres appartenant au « Bloc National », une entente fut établie à la veille des élections législatives de 1924 entre les divers éléments politiques de gauche. Cette entente prit le nom de « Bloc des Gauches », et triompha. Victoire éphémère. Tiraillés par des intérêts différents, les groupes de cette entente ayant une nature et un caractère particuliers, n’arrivèrent pas, par la suite, à maintenir un accord impossible et l’entente se désagrégea. Le programme du « Bloc des Gauches » s’envola comme une fumée et la réaction revint au pouvoir, représentée par les mêmes hommes qu’auparavant.

Si nous signalons cet épisode, c’est surtout pour démontrer que si « l’union fait la force », et que l’entente entre les hommes qui désirent accomplir une œuvre est indispensable, il ne faut pas s’enchaîner aveuglément à n’importe qui et à n’importe quoi. Les politiciens de 1924 n’étaient pas des contempteurs de l’État bourgeois. Tous étaient des défenseurs du capital et pourtant les résultats obtenus furent négatifs, car leur entente reposait sur des sables mouvants. Pour être plus solide, il eût fallu que les composants fussent non seulement d’accord sur le but poursuivi mais sur les moyens primaires essentiels à employer pour atteindre ce but.

Socialement, le problème de l’entente est encore plus délicat et plus on étudie cette question, plus elle semble complexe. Il serait évidemment souhaitable que la plus franche camaraderie existât entre tous les travailleurs, entre tous les exploités et que leur unique désir fût de se libérer du patronat et de la servitude. Mais il n’en est jamais ainsi. Ne prenons pas trop nos rêves pour des réalités. L’union de toutes les forces ouvrières est difficile à réaliser, mais qu’importe, puisque nous savons que tous les grands mouvements sociaux ont été accomplis par des minorités agissantes. Hélas ! L’entente n’existe même pas au sein de ces minorités et il apparaît au contraire que chaque jour, la division s’étend, annihilant les efforts de chacun.

Quel est ce phénomène ? D’où vient qu’une entente ne puisse s’établir entre tous les travailleurs révolutionnaires, adversaires de la bourgeoisie, et ennemis du Capital ? Ainsi que le prétendait Malatesta au congrès anarchiste d’Amsterdam de 1907, le syndicalisme ne serait-il pas révolutionnaire, et l’idéologie révolutionnaire au syndicat serait-elle un facteur de division tout comme l’idéologie politique ?

Au cinquième congrès des Bourses du Travail, tenu à Tours du 9 au 12 décembre 1896, Fernand Pelloutier présenta un rapport duquel on peut extraire ces lignes : « La révolution sociale doit avoir pour objectif de supprimer la valeur d’échange, le capital qu’elle engendre, les institutions qu’elle crée. »

« Nous partons de ce principe, que l’œuvre révolutionnaire doit être de libérer les hommes, non seulement de toute autorité, mais aussi de toute institution qui n’a pas essentiellement pour but le développement de la production. Par conséquent nous ne pouvons imaginer la société future autrement que comme l’association volontaire et libre des producteurs. »

« Deux choses nous paraissent évidentes : la première c’est que la vie sociale se réduit à l’organisation de la production. Manger et penser, ce doit être là toute l’occupation humaine. »

Au septième Congrès des Bourses du Travail, tenu à Paris du 5 au 8 septembre 1900, la proposition ci-dessous, émanant de Constantine, fut adoptée à l’unanimité :

« Considérant que toute immixtion de la Fédération des Bourses du Travail dans le domaine de la politique serait un sujet de division et détournerait certainement les organisations syndicales du seul but qu’elles doivent poursuivre : l’émancipation des travailleurs par les travailleurs eux-mêmes,

« Décide :

« Qu’en aucun cas la Fédération des Bourses du Travail ne devra adhérer à un groupement politique. »

Un quart de siècle s’est écoulé depuis que fut élaboré ce bref programme révolutionnaire, la guerre a passé, détruisant une partie de l’œuvre de nos aînés et à présent l’entente semble plus improbable qu’elle ne le fut à l’origine du mouvement syndical.

C’est que les syndicalistes révolutionnaires des premiers jours commirent cette faute grave de considérer le syndicalisme comme un but, alors qu’à nos yeux il n’est qu’un moyen.

Pour que la bonne harmonie règne au sein des organisations syndicales, que l’entente se réalise entre tous les travailleurs, il faut non seulement en chasser la politique, mais aussi ne prêter au syndicalisme aucune idéologie ; quelle qu’elle soit. Le syndicalisme est tour à tour réformiste et révolutionnaire. Il est réformiste par son organisation et son « but » qui n’est toujours qu’immédiat et il est révolutionnaire par son action. Les éléments qui le composent peuvent être hétérogènes si le syndicalisme n’a pas de but politique ; c’est impossible si on lui adjoint une idée, une doctrine, une philosophie. Il devient alors un syndicalisme de secte, de parti, et l’entente est irréalisable. C’est ce qui s’est produit en France à la suite de la guerre.

À mes yeux — je sais que bon nombre d’anarchistes communistes ne partagent pas ce point de vue — le syndicalisme ne peut, dans sa forme, être que réformiste ; nous pouvons citer en exemple les grandes organisations, anglaises, allemandes ou américaines. C’est à la faveur des événements qu’il agit révolutionnairement, et non pas parce qu’il groupe un grand nombre de révolutionnaires. Pour s’opérer sur une large échelle, le recrutement syndical doit ne se réclamer de rien, sauf de la lutte en faveur de l’amélioration du travailleur. Sur ce point précis l’entente peut se faire et le syndicalisme peut grouper des hommes de toutes les tendances.

En ce qui concerne l’entente des partis politiques ou des organisations sociales et philosophiques, c’est tout-à-fait différent, et nous pensons que l’entente ne peut s’effectuer qu’après mûre réflexion.

Dans un projet d’organisation des anarchistes paru en 1926 à la Librairie Internationale, P. Archinoff, secrétaire du Groupe d’Anarchistes russes à l’étranger, écrit une préface dont nous tirons ce passage :

« Nous rejetons comme théoriquement et pratiquement inepte l’idée de créer une organisation d’après la recette de la « synthèse », c’est-à-dire, réunissant des représentants des différentes tendances à l’Anarchisme. Une telle organisation ayant incorporé des éléments théoriquement et pratiquement hétérogènes, ne serait qu’un assemblage mécanique d’individus concevant d’une façon différente toutes les questions du mouvement anarchiste, assemblage qui se désagrégerait infailliblement à la première épreuve de la vie. »

Voilà ce que l’on peut appeler une conception courageuse de l’organisation anarchiste. Nous n’avons pas ici à porter une appréciation sur le contenu de la brochure que tout Anarchiste a le devoir de lire ; mais le passage que nous citons plus haut signale un mal dont nous souffrons et qui menace de nous tuer.

L’Anarchisme est interprété de différentes façons et, à notre avis, il n’est pas suffisant de se dire et de se prétendre Anarchiste pour être un camarade avec lequel nous pouvons nous entendre et nous allier.

« Sans avoir l’outrecuidance, écrivait Jean Grave, de formuler un code de l’Anarchie, je crois cependant à la nécessité de passer en revue les divers moyens d’action ; j’y crois d’autant plus que l’idée ayant pris quelque extension, elle semble avoir perdu en profondeur et en intensité ce qu’elle a gagné en nombre, beaucoup venus à l’idée par dilettantisme, par entraînement, ne se rendent pas compte de la somme d’efforts et d’abnégation que demande une idée qui a à lutter contre tout l’état social.

« Venus avec toutes les idées fausses en politique, toute leur ignorance des causes réelles, des maux dont nous souffrons, ils ont apporté avec eux toute la pharmacopée politique et s’imaginent avoir changé d’idées, parce qu’ils ont mis une étiquette nouvelle. Cela fait que par certains côtés l’Anarchie semble vouloir dévoyer du chemin poursuivi jusqu’à présent.

« Je sais bien que ceux qui agissent ainsi prétendent que c’est par largeur de vue, déclarant que, pour eux, tout moyen est bon, pourvu qu’il nous mène au but, et que c’est faire œuvre de sectarisme, preuve d’étroitesse de vue en repoussant tel ou tel moyen.

« Seulement, à ce compte-là, il serait très facile de s’accorder un brevet de tolérance et de penseur universel, en acceptant d’incorporer dans sa philosophie, n’importe quelle idée, n’importe quelle action. Le mal est que lorsque l’on accepte tant de choses, c’est que l’on ne croit à rien ; cette philosophie peut bien vous faire tout accepter, tout excuser, mais elle ne vous mène pas à l’action contre ce qui est mauvais. » (Jean Grave, L’Anarchie, son But, ses Moyens, pp. 30, 31.)

Dussions-nous être accusés de dogmatisme, nous pensons que Jean Grave a raison et que l’entente de tous ceux qui se réclament de l’Anarchie n’est pas possible, et que, le serait-elle, elle n’est pas souhaitable.

Pour quelles raisons, nous objectera-t-on, l’entente entre tous les Anarchistes est-elle irréalisable, puisque tous les Anarchistes combattent le principe d’autorité et que tous aspirent à la liberté la plus absolue de l’individu ? Cela ne nous paraît pas suffisant. L’anarchisme, à nos yeux, n’est pas la synthèse d’aspirations philosophiques. Ce n’est pas de l’idéologie pure ; il doit reposer, à notre sens, sur un terrain matériel, c’est-à-dire un programme d’action.

« Les idées les plus abstraites, nous dit Bakounine, n’ont d’existence réelle que pour les hommes, en eux et par eux. Écrites ou imprimées dans un livre, elles ne sont rien que des signes matériels, un assemblage de lettres matérielles et visibles dessinées ou imprimées sur quelques feuilles de papier. Elles ne deviennent des idées que lorsqu’un homme quelconque, un être corporel s’il en fut, les lit, les comprend et les reproduit dans son propre esprit ; donc l’intellectualité exclusive des idées est une grande illusion ; elles sont autrement matérielles, mais tout aussi matérielles que les êtres matériels les plus grossiers. En un mot, tout ce qu’on appelle le monde spirituel, divin et humain, se réduit à l’action combinée du monde extérieur et du corps humain qui, de toutes les choses existantes sur cette terre, présente l’organisation matérielle la plus compliquée et la plus complète. » (M. Bakounine, Œuvres, Tome III, p. 346.)

Il en découle, si l’intellectualité des idées est une grande illusion, qu’une entente intellectuelle ne peut être avantageuse que si elle se traduit par des actes correspondants à ces idées. Si les actes qui découlent de cette idée ou de ces idées sont multiples, et que, en raison des déductions particulières, ils s’opposent les uns aux autres, l’entente intellectuelle peut subsister, mais l’entente matérielle, positive, se trouve détruite. L’entente intellectuelle en soi est inopérante ; à quoi bon alors être d’accord sur un principe si l’on n’a aucune faculté de matérialiser collectivement la lutte pour la défense de ce principe ?

C’est ce qui se produit pour l’Anarchisme. L’Anarchisme n’est pas la seule conception sociale sur laquelle s’échafaudent de violentes discussions. Lorsque nos adversaires politiques insinuent que nous ne savons pas ce que nous voulons, et que nous n’arrivons pas à réaliser un accord, ils oublient volontairement que tous les partis sont déchirés par des luttes intérieures, et qu’ils ne sont pas exempts de déviations et de batailles de tendances. Mais un parti a une charte, un programme et l’individu qui y adhère doit accepter cette charte ou ce programme.

Jusqu’à ce jour, ce fut la lacune du mouvement anarchiste de se refuser à élaborer un programme de base sur lequel puissent s’édifier les premières pierres d’une entente sérieuse entre les individus poursuivant le même but, et dont les divergences ne sont pas un facteur de dissociation et de désagrégation.

Quant à ce qui concerne l’entente de tous les « Anarchistes », c’est de la pure folie. Nous sommes séparés les uns des autres par des barrières beaucoup plus hautes que ne le sont les républicains de droite, des républicains de gauche. Vouloir associer nos divergences, c’est créer une atmosphère d’hostilité et de bataille au sein de notre organisation et perdre notre temps en des discussions nébuleuses, inutiles, nous empêchant de lutter efficacement contre notre puissant ennemi : le capital. Au Congrès Anarchiste de Fribourg, Élisée Reclus déclara : « Nous sommes révolutionnaires parce que nous voulons la justice… Jamais un progrès ne s’est accompli par simple évolution pacifiste et il s’est toujours fait par une évolution soudaine. Si le travail de préparation se fait avec lenteur dans les esprits, la réalisation des idées se fait brusquement. Nous sommes des Anarchistes qui n’ont personne pour maîtres et ne sont les maîtres de personne. Il n’y a de morale que dans la liberté. Mais nous sommes aussi des Communistes internationaux, car nous comprenons que la vie est impossible sans groupement social. »

Anarchistes communistes, nous ne pouvons qu’adopter les déclarations de Reclus. Non pas parce que Reclus est une idole et fut un des « maîtres » de l’Anarchisme — nous n’avons pas de maîtres — mais parce qu’elles nous paraissent logiques et répondent à notre conception de la lutte sociale. Or, quels rapports pouvons-nous entretenir avec ceux qui se refusent — à tort ou à raison — à participer à la lutte révolutionnaire, à la lutte insurrectionnelle, sous prétexte que celle-ci est inopérante, et poursuivent la culture de leur « moi », qui leur paraît seule susceptible de libérer l’individu des entraves de la Société bourgeoise ? Tel légumivore considère avoir fait sa révolution parce qu’il ne consomme que des végétaux, tel illégaliste espère combattre la Société en s’attaquant individuellement à la propriété privée, tel faux savant se prétend anarchiste parce qu’il plane au-dessus de ses semblables, dans les sphères éthérées de l’idée pure, inaccessibles aux pauvres humains — trop humains — que nous sommes. Quelle peut être l’utilité d’une alliance, d’une entente avec de tels hommes ? La « Liberté » pour nous anarchistes communistes ne peut être « individuelle ». Elle ne peut être que collective. Une révolution individuelle n’est pas une révolution, ou bien une telle conception de la révolution est essentiellement bourgeoise. La liberté individuelle puise sa source dans la liberté collective et cette liberté collective sera le produit de la révolution sociale. Aucune entente n’est possible avec quiconque se refuse d’adhérer — dans son esprit et dans sa pratique — à la participation d’un mouvement socialement révolutionnaire, provoqué par les événements et soutenu par le peuple en effervescence.

Au cours d’un discours prononcé en 1867 au Comité Central de la Ligue de la Paix et de la Liberté, Bakounine prononça ces paroles :

« Ne devons-nous pas nous organiser de manière à ce que la grande majorité de nos adhérents reste toujours fidèle aux sentiments qui nous inspirent aujourd’hui, et établir des règles d’admission telles que, lors même que le personnel de nos comités serait changé, l’esprit de la ligue ne change jamais ?

Nous ne pourrons atteindre ce but qu’en établissant et en déterminant si clairement nos principes qu’aucun des individus qui y seraient, d’une manière ou d’une autre, contraires ne puisse jamais prendre place parmi nous. »

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« Il est évident, d’un autre côté, que si nous proclamons hautement nos principes, le nombre de nos adhérents sera plus restreint ; mais ce seront du moins des adhérents sérieux, sur lesquels il nous sera permis de compter — et notre propagande sincère, intelligente et sérieuse n’empoisonnera pas — elle moralisera le public. »

Ne devons-nous pas nous inspirer des sages pensées de ce grand révolutionnaire, qui fut non seulement un idéologue profond, mais un révolutionnaire pratique ayant le sens des nécessités organiques de la lutte sociale ?

L’entente est impossible parce qu’il n’y a pas de terrain d’entente, et c’est pourquoi la brochure du groupe d’Anarchistes Russes à l’étranger (Librairie Internationale, 1926) doit être acceptée avec joie par les Anarchistes de notre temps. Ce petit ouvrage est incomplet, mais il présente un programme sur lequel peut s’établir l’entente des Anarchistes communistes révolutionnaires. C’est la première fois qu’une telle position est prise. Plus que tous autres, les Anarchistes russes ont souffert terriblement, au cours de la Révolution russe, de l’inorganisation anarchiste ; ils ont vécu des heures douloureuses, sans profit pour la noble idée qu’ils défendaient. Sur le vif, ils ont saisi, ils ont compris les causes de leur échec. Ils savent aujourd’hui que c’est une utopie de vouloir unir les dissemblables et ils demandent qu’une entente se fasse, non pas dans le domaine des idées pures, mais sur le terrain social.

Dans cette ébauche d’organisation anarchiste, nous les seconderons des faibles moyens dont nous disposons, et, unissant nos efforts aux leurs, nous espérons que se réalisera un jour l’Entente anarchiste. En laissant les livresques à leurs profondes études et nous rapprochant du peuple, attaché par la vie aux problèmes de la vie matérielle et sociale, nous travaillerons à l’évolution des hommes par la révolution sociale.

J. Chazoff.