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Encyclopédie anarchiste/Famille - Fantome

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Collectif
Texte établi par Sébastien Faure, sous la direction de, La Librairie internationale (tome 2p. 779-787).


FAMILLE Le développement de la famille et celui de la société sont en raison inverse l’un de l’autre. Chez les peuples peu civilisés où la société est faible, la famille est un petit état régi despotiquement par le Pater Familias. Elle est alors très nombreuse : comprenant, outre le couple et les enfants, les ascendants, les collatéraux, les clients et les esclaves.

Dans la famille antique, l’individu trouve tout ce qui est nécessaire à sa vie matérielle et morale. Elle a sa religion, le culte des ancêtres qui continuent dans la mort à protéger leurs descendants. On les honore en entretenant le « foyer » ou feu sacré, symbole de la vie éternelle.

L’industrie est familiale, tout se fait dans la maison ; non seulement on y cuit les aliments, on y ravaude les vêtements, mais on y file et tisse la toile et la laine avec lesquelles on confectionnera les habits et le linge.

L’autorité du père est absolue ; les enfants, même devenus adultes, lui obéissent. La société ne les considère pas comme responsables des délits commis par eux, même hors de la maison ; c’est le père qui est leur juge, un juge qui a le droit de prononcer et d’exécuter des sentences de mort.

La femme, fille ou épouse, n’a pas de personnalité ; elle doit obéir toute sa vie, car elle ne deviendra jamais chef de famille. Son principal honneur est d’avoir procréé des garçons. Vieillie, elle exerce une certaine autorité ménagère sur ses filles et ses brus ; mais elle n’a pas d’existence sociale. Derrière les murs sans fenêtres des maisons romaines ou musulmanes, les hommes peuvent la torturer et la tuer, sans avoir de comptes à rendre à personne.

Ces mœurs, avec des variantes dans les détails, sont celles des grands États barbares. On les retrouve aussi bien dans la Rome antique que dans la Chine moderne.

La famille romaine s’est perpétuée chez nous à travers le Moyen-Age jusqu’à l’époque actuelle, mais en se désagrégeant peu à peu.

Au Moyen-Age, la puissance du mari et du père est encore très grande. Les enfants ne tutoient pas leurs parents, et il semble bien que, vis-à-vis d’eux, le respect ait le pas sur l’affection. Dans les pièces de Molière, les fils, encore moins les filles, n’osent enfreindre la volonté du père pour se marier avec le conjoint de leur choix. C’est par la ruse et les stratagèmes que l’on parvient à triompher de l’opposition paternelle ; l’enfant n’ose pas imposer directement sa volonté.

Tout près de la grande Révolution, Mirabeau est encore, durant toute sa jeunesse, emprisonné par ordre de son père, sous les griefs de prodigalité et de mœurs dissolues.

La grande Révolution, aurore de la vie moderne, a précipité la désagrégation de la famille. La suppression du droit d’aînesse, c’est-à-dire le renversement de la monarchie familiale, a séparé les enfants, transformant le petit État en une pluralité de groupes d’importance beaucoup moindre. La notion de l’individu et de ses droits, développée par les philosophes durant tout le dix-huitième siècle, a sapé à petits coups la puissance paternelle.

Après le fils, c’est l’épouse qui, elle aussi, a voulu s’affranchir. Timidement, mais avec persévérance, les idées du droit de la femme à l’existence personnelle se sont affermis durant tout le cours du dix-neuvième siècle. Malgré les oppositions de l’Église, le divorce a eu raison de l’indissolubilité du mariage. L’idée de la recherche du bonheur s’est répandue peu à peu dans les mentalités de toutes les classes de la société.

Les esprits rétrogrades ne tarissent pas en éloges de l’institution de la famille et envisagent sa désagrégation comme le pire cataclysme. Membres des classes dirigeantes, ils n’envisagent qu’elles et considèrent le peuple comme un vil bétail de travail dont il n’y a pas à tenir compte. C’est, en effet, dans la bourgeoisie que la famille a conservé le plus de force ; c’est là qu’elle est, à beaucoup d’égards, salutaire à l’individu.

Le ciment qui retient unis les parents bourgeois est l’argent. Tant que le père est vivant, il dispose du capital. Il ne peut plus, il est vrai, comme le père de Mirabeau, obtenir une lettre de cachet contre son fils révolté, mais il peut lui couper les vivres ; cette considération suffit pour maintenir les enfants, sinon dans le respect, du moins dans ses marques extérieures. Le père dispose en outre d’un capital corollaire de l’autre : son influence sociale. La plupart du temps l’avenir de son fils dépend de lui ; le fils est donc plein de considération pour un père qui peut, à sa volonté, faire de lui un homme riche et puissant, ou un déclassé, condamné à la gêne, si ce n’est à la misère.

L’héritage et les espérances qu’il fait naître retient dans l’union les membres de la famille. C’est dans l’espoir d’en hériter que l’on fait de temps à autre une visite à la vieille tante revêche et ennuyeuse ; c’est pour ne pas être frustré que l’on joue la comédie de la tendresse aux vieux parents, dont on souhaite, au fond du cœur, la mort rapide.

Des sociologues ont dit que la famille moderne n’était plus qu’un groupe d’affection. Elle l’est parfois, en effet, mais souvent aussi les parents, bien loin de s’aimer, se haïssent, et la cohabitation forcée ne fait qu’augmenter la haine qui va parfois jusqu’au crime. Mais le plus souvent le groupe subsiste parce que l’intérêt matériel de chacun des parents dépend de sa prospérité. Tel qui, en famille, peut se permettre une vie luxueuse serait condamné à la médiocrité s’il devait vivre, seul avec son avoir particulier. Il supporte donc le père dont l’autorité le révolte, la sœur dont il méprise les idées et les goûts, la femme dont il est las depuis longtemps et la bonne éducation, en adoucissant les heurts, rend la vie acceptable.

Dans les classes pauvres, le ciment de l’intérêt n’existant plus, la famille se réduit au couple et aux petits enfants. Dès que le jeune homme et même la jeune fille sont en état de gagner leur vie, le joug familial leur pèse et ils s’en vont fonder, avec ou sans mariage, un autre foyer. Les vieux parents sont une charge que l’on n’assume pas volontiers ; souvent les frères et les sœurs se perdent de vue définitivement.

La famille, comme tous les groupements, est bienfaisante à bien des, égards. D’abord, dans l’organisation sociale actuelle elle est indispensable au jeune enfant. L’adulte peut y trouver une protection contre la misère, des soins dans ses maladies, une affection qui l’aide à vivre.

Mais comme tout ce qui protège, la famille opprime. La vieille conception de l’autorité maritale pèse encore sur la femme du vingtième siècle. Seul l’homme a le droit de se choisir sa vie et de la vivre à sa guise. La femme, dès qu’elle commet la faute de se marier, perd son indépendance.

Une triste vie de devoirs ennuyeux s’impose à elle. Elle se doit d’abord à son mari, son devoir est de lui plaire et, pour ce faire, elle doit masquer sa tristesse, dissimuler sa mauvaise humeur, taire même ses maladies pour paraître une compagne agréable. En Angleterre, jusqu’à ces derniers temps, dans la petite bourgeoisie, la femme se mettait tous les soirs en toilette décolletée pour attendre son mari retour du bureau ou de l’usine.

Quelque effort qu’elle fasse, il arrive que l’homme est mécontent parce qu’il est las d’elle au point de vue sexuel. Aussi les femmes habiles emploient-elles toutes espèces d’artifices pour combattre cette satiété ; elles tentent d’être plusieurs femmes en une seule. Honteux esclavage !

La maternité enchaîne la femme à ses enfants. Une croyance généralement admise veut que les enfants ne peuvent être laissés seuls et que la mère ne doit pas les quitter. La venue du premier enfant a donc pour effet de confiner la femme au logis. Plus de sorties, plus de spectacles, plus de visites ; toute la jeunesse est sacrifiée.

La grande bourgeoise, bien qu’on l’en blâme pour la forme, s’affranchit de la servitude maternelle. Elle a des nourrices, des bonnes d’enfants et des institutrices qui, moyennant salaire, la déchargent der ses devoirs. Elle peut ainsi aller dans le monde et se créer, selon sa conception une vie heureuse ; mais dans les classes moyennes, plus encore dans les classes pauvres, la maternité est un fardeau écrasant ; c’est une des raisons pour lesquelles on la réduit le plus possible.

Dans les grandes villes, un ménage d’employés, de professeurs ou de commerçants, ne sait que faire de ses enfants. Il n’a qu’un petit appartement, quand encore il n’est pas contraint d’habiter en meublé. La bonne, rare et chère, est hors de ses moyens. Dehors toute la journée pour contribuer aux gains du ménage, la femme n’a pas le temps d’élever les enfants. Aussi est-elle heureuse quand elle a une parente à la campagne à qui les confier.

La petite fonctionnaire qui est mère court de son bureau à son logis, toujours inquiète au sujet de l’enfant laissé seul pendant quelques heures. Pour être un peu chez elle, elle abuse des congés de maladies qui lui sont payés dans la plupart des administrations. C’est une façon, il est vrai, de mettre les enfants à la charge de l’État, mais on pourrait trouver mieux, tant dans l’intérêt de l’enfant que dans celui de la mère. L’ouvrière, plus insouciante, laisse son bébé à la charge d’une grande sœur de cinq à six ans. Lorsque l’enfant peut marcher, il traîne dans les escaliers, les cours, les rues et dans la promiscuité des autres il donne et prend la vermine, les maladies et les mauvais exemples.

L’enfant de la paysanne s’élève tout seul, comme un petit animal ; il grouille dans la cour pèle-mêle avec la volaille, le porc, au milieu du purin ; les maladies infantiles le déciment.

Les réactionnaires n’ignorent pas ces faits, mais ils s’en réjouissent ; plus les prolétaires sont incultivés, plus il est facile de les avoir à bon marché. Pour le principe traditionaliste, ils déclarent que le sort de l’enfant serait meilleur si la femme restait à la maison. Paroles vaines : les femmes mariées ne demandent pas à aller à l’atelier et à l’usine ; elles y vont contraintes par la nécessité. La femme, en travaillant au dehors, apporte l’aisance à la maison ; ses qualités de ménagère ne sauraient presque jamais équivaloir à un salaire ou à un traitement normal.

Les préjugés relatifs à la famille et à ses devoirs sont encore très forts. L’idéologie du clan antique pèse sur la famille en ruines de l’époque actuelle ; elle pèse particulièrement sur la femme, millénaire esclave.

Lorsqu’on voulut adapter à la scène française la Nora d’Ibsen, aucune artiste ne voulut être Nora. Elles acceptaient volontiers des rôles de fourbes, de voleuses, d’empoisonneuses, mais personne ne voulait être Nora qui abandonne son mari et ses enfants pour reconquérir sa liberté.

La famille est mauvaise pour les enfants. Les auteurs qui prétendent le contraire ont toujours devant les yeux les classes riches ; ils oublient systématiquement que les ouvriers et les paysans forment la grande majorité de la population (sur le sort de l’enfant du peuple, Jehan Rietus : Les soliloques du pauvre.) L’amour maternel est un luxe ; la femme qui peine du matin au soir, qui est battue par un mari ivrogne et brutal, qui se demande où elle prendra l’argent du loyer, comment s’acheter des chaussures, par quel artifice de langage elle trouvera du crédit chez l’épicier auquel elle doit déjà de l’argent, n’a ni le loisir, ni la volonté de couvrir de caresses sa progéniture. Brutalisée, elle est brutale elle-même ; ses enfants lui sont plus une charge qu’un élément de bonheur. Insouciante, elle les laisse sans soins lorsque la maladie n’est pas aiguë ; les petits grandissent avec les tares de leur hérédité et de leur mauvais élevage.

L’éducation morale de la famille populaire ne vaut pas mieux que son élevage matériel. L’enfant a le spectacle de son père qui, rentré ivre, démolit le mobilier, bat sa mère et lui-même. Il entend les reproches, les injures, les gros mots de ses parents ; leurs batailles dans l’escalier avec les voisins et le concierge. L’école primaire corrige dans une certaine mesure le milieu familial ; c’est pourquoi certains ont pensé à garder les enfants à l’école le plus d’heures possible, de sorte qu’ils puissent ne rentrer chez leurs parents que pour y dormir. Déjà des infirmières scolaires suppléent la mère, conduisent au médecin l’enfant malade, le débarrassent de ses parasites par un nettoyage approprié.

Mais la famille garde quand même son influence, l’enfant voit en elle la réalité, alors que récole lui apparaît comme quelque chose d’artificiel qui n’est pas la vie.

Chez les paysans, l’enfant est avant tout un objet de rapport. Sans la pression de l’État, ils ne leur feraient donner aucune instruction, et ils échappent, autant qu’Ils le peuvent, à l’obligation scolaire. Le bébé croupit dans la malpropreté. Dès qu’il a quatre ans, on l’utilise pour la garde des bêtes. Mal nourri, battu, peu ou pas soigné dans ses maladies, il continuera, s’il échappe aux mille causes de mort, la primitivité de ses pères et mères ; à la campagne, le progrès est un vain mot.

Dans toutes les classes, la famille transmet les préjugés. La plupart des gens réfléchissent très peu ; ils se contentent de répéter ce qu’ils ont entendu dire. De là l’importance du milieu où s’est passée notre enfance. Si l’évolution idéologique est si lente, cela tient à ce que l’institution familiale transmet les idées de génération en génération. Un village d’Auvergne ou de Bretagne ne diffère pas beaucoup de ce qu’il était au Moyen-Age ; sans les chemins de fer qui amènent des étrangers, il n’en différerait pas du tout. En dépit des connaissances de l’hygiène acquises depuis longtemps, les gens continuent d’être sales et d’en mourir. On peut vivre comme les parents ont vécu, et pour faire adopter l’amélioration la plus élémentaire, on a les plus grandes difficultés (opposition des campagnes à l’heure nouvelle).

La bourgeoisie, surtout la grande, a moins de préjugés. Sa culture, son oisiveté, ses voyages, lui permettent une vue plus large que celle du paysan confiné dans son village ou de l’ouvrier des villes, borné à sa maison et à son quartier. Souvent même les classes dirigeantes se piquent de favoriser le progrès, surtout le progrès matériel (automobilisme, aviation). Mais lorsqu’il s’agit des idées, la famille et la tradition pèsent lourdement sur les esprits. Alors que les classes pauvres en France s’affranchissent de la religion, les classes riches continuent à fréquenter les églises. Il y a beaucoup d’intérêt réactionnaire dans l’attachement des bourgeois à un culte périmé ; mais, quand même, la bourgeoisie a encore des croyants, surtout parmi les femmes, tenues plus étroitement que les hommes par le lien familial.

La famille rétrécit la vie. Elle condamne à la cohabitation des gens dont les idées, les goûts sont parfois très différents et qui se détestent. Au lieu d’être une source de bonheur, elle est souvent un enfer auquel la solitude est bien préférable. Pour se rendre compte de la vérité de nos assertions, on n’a qu’à se rappeler les disputes, les injures, les railleries blessantes échangées, parfois tout le long du jour, entre époux, entre parents.

Ah ! si vous saviez comme on pleure !
De vivre seul et sans foyer.

On pleure, il est vrai, dans le célibat, mais on pleure davantage lorsqu’on se sent rivé à des gens pour lesquels on n’a que de la haine.

Que de personnes, nées pour briller au point de vue intellectuel ont été maintenues dans la médiocrité par leur famille ! L’homme supérieur, plus encore la femme, détonne dans son milieu familial. Les parents ne comprenant la vie que dans les routines qu’ils ont suivies, sont bouleversées lorsqu’un des leurs, véritable merle blanc, prétend donner à son existence une orientation différente. Et le plus souvent, le jeune homme, surtout la jeune fille, renonce à son idéal pour vivre selon la tradition.

La famille précipite les effets de l’âge sur la torpeur mentale. Grands travailleurs dans leur jeunesse, des penseurs cessent très tôt d’avoir des idées nouvelles parce qu’ils ont dû livrer contre leurs proches un combat de tous les instants. À la fin, c’est la médiocrité familiale qui l’emporte, le sujet d’élite est vaincu.

La famille est naturelle, elle est fondée sur l’acte sexuel et on en retrouve les rudiments chez les animaux.

En se développant lui-même, l’homme la développe. De l’union temporaire qui maintient ensemble le mâle, la femelle et les jeunes, il fait le clan, petite société organisée.

Mais, le développement humain allant plus loin, l’importance du groupe familial décroît parce que, peu à peu, la société le remplace. La religion se dégage du spiritisme ancestral pour devenir une cosmogonie et une morale que professent des milliers d’individus. Du foyer, le culte passe dans la temple.

L’industrie, de familiale, devient sociale aussi. La ménagère qui savait tout faire tant bien que mal, cède le pas à l’artisan spécialisé qui fait beaucoup mieux, et l’artisan lui-même cède le pas à la grande industrie qui, grâce au machinisme, fait encore mieux et surtout beaucoup plus vite.

L’école, spécialiste de l’instruction, enlève les enfants aux parents.

La société commence à prendre à sa charge le vieillard pauvre, elle soigne le malade dans ses hôpitaux. Il est de toute évidence qu’elle supplante peu à peu la famille dans la protection de l’individu.

Rousseau et ses disciples ont tort lorsqu’ils veulent ramener l’humanité à la nature comme à la source de tout bien. Le progrès nous éloigne de la nature ; peut-être grâce à lui aura-t-on une vie deux fois plus longue, avec des organes pris aux jeunes animaux et mis à la place de nos organes usés par l’âge. La famille animale et sexuelle, comme tout ce qui est naturel, devra donc disparaître pour laisser la place à la Famille cérébrale.

La plupart des maux dont nous souffrons du fait de la famille tiennent à notre développement intellectuel. La femme sauvage et barbare, quoique très malheureuse (malheureux comme une femme) supporte son terrible esclavage. Sans doute elle trouve naturel de porter de lourds fardeaux, alors que son seigneur et maître ne porte que ses arcs et ses flèches.

Le paysan trouve sans doute naturel les gros mots et les coups échangés entre parents pour des questions d’intérêt. Après s’être injuriés et frappés, les parents se réconcilient ; c’est la vie.

Dans les classes cultivées, la famille fait souffrir davantage. Les repas, la fonction sexuelle même ne constituent plus la chose capitale de la vie. Le cerveau est devenu prédominant ; c’est par lui que nous vivons, c’est par lui que nous sommes heureux ou malheureux.

Un sociologue contemporain Lapie ; La femme dans la famille, a comparé la famille à un hôtel. Nous nous plaignons peu de l’hôtel parce que nous ne lui demandons pas la nourriture de l’âme ; en revanche nous la demandons à la famille ; c’est pourquoi nous souffrons lorsque cette famille n’est plus qu’un hôtel banal.

La société qui instruit l’enfant dans ses écoles qui le soigne dans ses hôpitaux, fera un pas de plus et le prendra entièrement à sa charge.

Les études de puériculture que l’on fait faire aux petites filles dans les écoles sont à peu près illusoires. La mère pauvre n’aura pas le moyen de les mettre en application, car il lui faudrait de la place, de l’argent et du temps, ce qui précisément lui manque.

Au lieu de vulgariser l’esprit des petites filles en leur faisant entrevoir un avenir irrévocable de servantes laveuses de couches, mieux vaudrait leur donner une culture intellectuelle sérieuse et créer pour les nourrissons des pouponnières, où des infirmières les élèveraient beaucoup mieux que les mères.

Des pouponnières les enfants passeraient dans les internats où ils seraient instruits.

L’internat n’est pas obligatoirement une salle d’école aux murs tristes. On peut les édifier à la campagne et y mettre de grands jardins, alterner les heures de sport et de jeu avec les heures d’étude. Malgré tout ce qu’on a pu dire de l’internat, ce sont les internes qui travaillent le mieux ; chaque fois que l’on a voulu des études sérieuses et fortes (Polytechnique, Normale) c’est le régime de l’internat qui a été jugé le plus adéquat.

L’inconvénient de l’internat est que l’enfant est un peu livré à lui-même. On pourrait pallier dans une certaine mesure ce mal en instituant à la fin de la journée une heure de conversation familière entre le professeur, le répétiteur et les élèves. Ces entretiens, sans programme arrêté d’avance, rouleraient sur les événements de la journée. L’élève pourrait confier au maître ses préoccupations, ses soucis. Le maître servirait d’arbitre impartial dans les différends survenus entre élèves ; de bons effets moraux se dégageraient de ces entretiens.

Somme toute, il faudrait former les maîtres à traiter leurs élèves non comme des numéros, mais comme des personnes humaines.

Déchargée de l’élevage de ses enfants, la femme sera libre. Aujourd’hui une femme ne peut vivre sa vie qu’à la condition de renoncer à l’amour, et surtout à la maternité.

Au lieu d’être la femelle penchée sur sa couvée comme une mère chatte, la femme sera un être pensant, artisan indépendant de son bonheur.

L’homme sera affranchi aussi, car la plupart du temps, la famille, loin de le réjouir, lui pèse. Seul le devoir social des enfants à élever le force à faire acte de présence au logis familial. Dans les classes riches, il rompt la monotonie du foyer en en ayant plusieurs ; dans les classes pauvres, il déserte le logement pour le marchand de vins où il peut converser avec des camarades qui le comprennent.

La suppression de la famille agrandira le rôle de l’amitié. La famille actuelle proscrit l’ami comme un Étranger. Le groupe d’amis formera une véritable Famille cérébrale, bien autrement intéressante que la famille sexuelle.

La famille cérébrale pourrait vivre en commun en habitant par exemple la même maison. L’escalier ne présenterait plus le spectacle de ses portes fermées et hostiles. Des portes ouvertes viendraient les éclats de voix, les rires joyeux des locataires réunis par des goûts communs, des études identiques, un même idéal.

Les échecs répétés des colonies anarchistes montrent qu’il est très difficile aux hommes de vivre les uns avec les autres. Cela est pour beaucoup le fait de la mauvaise éducation, des instincts combatifs qui nous portent à voir dans tout être humain un ennemi à humilier, à vaincre et à asservir.

Les bourgeois, grâce à la politesse, s’entendent beaucoup mieux ; aujourd’hui, dans les maisons riches, on vend les appartements ; la maison tout entière forme une sorte de coopérative du logement et, en général, elle marche très bien.

Mais tout n’est pas à adopter, il s’en faut, dans la civilité puérile et honnête. La galanterie qui est pour la femme une insulte déguisée, doit disparaître ; le décolletage, qui fait des salons de véritables marchés de chair féminine esclave. Tout le code des visites, bonnes seulement à vaincre l’ennui d’une vie désœuvrée. Mais la société future devra avoir son code de politesse. Il ne faudra pas se borner, comme l’ont fait les bolcheviks, à supprimer la politesse, comme une niaiserie bourgeoise. Il faut réagir contre le mauvais naturel de l’homme et donner au moins une bonté artificielle à ceux qui n’en ont pas de réelle.

La politesse deviendra l’art de vivre en société ; il est tout entier à créer.

Ne pas vouloir imposer partout son moi, considérer que le voisin a aussi une personnalité et qu’il faut en tenir compte. Il faut apprendre à s’intéresser à autrui, sinon par une charité évangélique illusoire, du moins par curiosité intellectuelle. Ne pas vouloir toujours dominer ; ne pas faire des conversations des batailles dans lesquelles il faut qu’il y ait un vainqueur et un vaincu. Le vainqueur, en discussion, est loin d’être toujours celui qui a raison ; c’est, d’ordinaire le plus habile et le plus tenace.

De même que la guerre matérielle les détruit, la guerre intellectuelle désunit les hommes. On doit, dans les discussions, rechercher à s’instruire et non à triompher puérilement d’un interlocuteur dont on se fait un ennemi.

C’est l’instinct de l’antagonisme qui rend la vie commune insupportable. Chacun veut montrer que lui seul a toutes les supériorités et toutes les vertus. Les femmes, plus fines que les hommes, excellent dans cette guerre de langue qui a pour effet de transformer en enfer tout groupe humain, familial ou amical. La plus jeune fait entendre à la plus âgée qu’elle est déjà vieille et ne saurait prétendre à rien ; la belle ‒ou qui se croit telle ‒fait comprendre à sa meilleure amie qu’elle aurait tort de prétendre à la beauté. Chacune, à l’entendre, est un ange de bonté, une fleur de générosité ; le reste du monde est égoïste et mauvais. Et ces flèches de Parthe sont toujours enrobées dans des mots dorés, de telle sorte que l’adversaire puisse difficilement frapper à son tour.

Les bolchevistes, nous l’avons dit, ont supprimé la politesse comme un préjugé bourgeois, mais ils ont eu le tort de ne pas la remplacer. Leur prétendue franchise est désastreuse dans les relations. L’égoïsme et la volonté de puissance, que la politesse, si imparfaite soit-elle, enrayait un peu, s’étalent sans frein ; ce qui fait qu’un bourgeois sec, froid, mais poli, est plus supportable qu’un « camarade » qui croit devoir se faire vôtre juge et vous jeter à la figure tout le mal qu’il pense de vous.

La Famille cérébrale aura une cuisine commune. La ménagère qui passe tant d’heures à faire son marché, à préparer les repas, à laver la vaisselle, ressemble au petit artisan du Moyen Age. Pour diminuer sa peine on a inventé récemment des machines coûteuses à blanchir le linge, à laver la vaisselle ; mais, pour faire fonctionner ces machines, il faut encore beaucoup de travail. La grande industrie doit pénétrer dans la cuis me comme dans l’atelier. Les repas seront une occasion de réunion entre les locataires d’une même maison ; chacun parlera de ce qu’il a vu dans la journée ; le repas, au lieu de se passer morne et triste entre trois ou quatre personnes boudeuses, aura tous les attraits des banquets qui réunissent de temps à autre les membres d’une même association.

Les travaux ménagers sont devenus périmés. Les femmes du peuple ne veulent plus de la profession de bonne à tout faire, ce qui met les classes moyennes dans un grand embarras. Cette pénurie de bonnes se fait sentir beaucoup plus fortement encore aux États-Unis, où les bourgeois en viennent à se passer de meubles pour ne pas avoir à nettoyer.

De même que la cuisine, le ménage doit donc être industrialisé. La famille cérébrale, habitant une maison entière, pourra avoir un personnel assurant la propreté et qui serait pourvu des engins mécaniques nécessaires (nettoyage électrique). Ces nettoyeurs et nettoyeuses, traités en employés, avec la journée de six heures, n’auraient plus rien de commun avec ces demi-esclaves que sont les domestiques.

L’enfant est aujourd’hui la principale raison d’être du mariage. Lorsque la société se chargera de lui, on pourra supprimer cette formalité. Vu d’une civilisation plus haute, le cérémonial actuel du mariage avec la robe blanche, la fleur d’oranger symbolisant la virginité, apparaîtra suranné et ridicule.

L’acte sexuel étant considéré comme une fonction physiologique ni plus noble, ni plus honteuse qu’une autre, on ne s’occupera plus des relations amoureuses entre individus. La femme pourra avoir un amant sans déchoir, comme l’homme aujourd’hui a une maîtresse. Cela n’empêchera pas les liaisons durables, il pourra même y en avoir qui dureront toute la vie, et elles seront d’autant plus heureuses que rien ne les contraindra.

Mme Kollontai qui, en Russie, s’est occupée d’élaborer un nouveau Code des mœurs, fait une obligation de l’acte sexuel. Ce n’est pas de ce côté qu’il faut aller, à mon avis ; le but de la vie est le bonheur et le bonheur est avant tout la liberté. C’est d’ailleurs la tendance des partis d’extrême-gauche d’exalter la sexualité, sans doute par réaction contre la religion qui en fait un péché.

L’acte sexuel reste un acte animal, dans une civilisation supérieure ; il n’a donc pas plus à être exalté que l’acte de manger ou de boire. Il participera de l’intimité et, tout en étant licite, il sera bon de le cacher sous un voile de pudeur.

La cellule sociale de l’avenir sera non la famille, mais l’individu. Le nom même de cellule est impropre, car il implique la dépendance. Plus l’humanité sera éclairée, plus elle aura le respect de la personnalité individuelle. Elle comprendra que l’individu n’est pas fait pour la société, mais au contraire la société pour le bonheur de l’individu. ‒ Doctoresse Pelletier.

FAMILLE (du latin familia). Ce mot sert à désigner, d’une façon générale, tout groupement de personnes ou de choses ayant une même origine, ou présentant, pour le moins, des caractères d’analogie, ou de solidarité, en conformité avec ceux qui sont ordinairement le résultat d’une commune origine. Grammaticalement parlant, une famille de mots représente l’ensemble des mots possédant la même racine, tels les mots : société, sociétaire, social, sociologie, etc… Les animaux, les végétaux et les minéraux sont classés par familles, par les naturalistes, en raison des ressemblances qu’ils présentent avec tel ou tel type bien nettement déterminé. Le chat est, par exemple, l’animal type correspondant à la famille des félidés. Dans la société humaine, on dit communément de catégories sociales qui ont des intérêts ou des mœurs identiques, qu’elles constituent une grande famille. Ainsi l’ensemble des travailleurs manuels, sans distinction de sexe ni de nationalité, constitue « la grande famille ouvrière. ». Dans l’antiquité romaine et au Moyen-Age, étaient compris dans la famille tous les serviteurs dépendant d’un seul maître et vivant dans sa maison.

À notre époque, le mot famille est surtout usité dans le sens d’association de personnes unies par les liens de la parenté. La famille actuelle est ordinairement composée du père, de la mère, des enfants, des petits-enfants et des grands-parents, c’est-à-dire d’une lignée directe, à laquelle s’ajoutent, en second plan, les collatéraux : oncles, cousins, etc…

Dans les groupements à caractère primitif, comme chez les indigènes de la Polynésie, où le partage des moyens de subsistance offerts par la nature est de règle, la plupart de ces distinctions comptent peu. D’abord, en raison du régime de la polygamie, sinon de la promiscuité sexuelle, d’après lequel la progéniture peut être issue d’un même père et de mères diverses, ou réciproquement. Ensuite, parce que tout ce qui n’est point étroitement associé par le désir, en vue de la procréation, ou par l’instinct des géniteurs, en vue de la protection de l’enfance en bas-âge, tend à se confondre pour autrui avec le reste de la tribu. Il est probable que les premiers hommes ne vécurent point autrement, et que les hordes qui les réunissaient étaient, à l’exemple des troupeaux, de plus en plus rares, vivant à l’état sauvage, dans la brousse équatoriale, ou les prairies américaines.

L’importance donnée au mariage et à la parenté, même très éloignée, est en rapport étroit avec le développement de la propriété individuelle, laquelle comporte le partage des biens, à l’occasion des héritages, et reporte, s’il le faut, sur de vagues alliés, en l’absence de notoires consanguins, ce qui eût dû être le lot d’une directe et légitime descendance. Ne pouvant compter sur l’ensemble de la société pour assurer sa subsistance et celle de ses enfants, la femme est nécessairement portée à rechercher, dans le contrat légal avec un homme capable de pourvoir à son entretien, des garanties de sécurité que les liaisons de hasard ne lui confèrent pas. L’homme, de son côté, veille sur son épouse avec un soin d’autant plus jaloux que les enfants qu’elle pourrait avoir avec d’autres galants seraient pour son budget, pendant des années, une lourde charge. Quant aux parents, ils ne peuvent se désintéresser totalement de la conduite de leurs filles dès l’instant que, conservées vierges jusqu’aux épousailles, et bien casées, elles peuvent devenir pour eux une source de beaux revenus, ou que, jetant par-dessus les moulins leurs bonnets, elles risquent de rester au foyer paternel de coûteux laissés-pour compte, avec sur les bras des « bâtards » dont, à part l’Assistance, ou quelque brave cœur, personne ne voudrait.

La constitution de la famille actuelle n’est donc pas seulement une question de préjugés. Elle est liée à une situation économique, dont les exigences sont beaucoup trop graves pour que l’on puisse songer à modifier très sensiblement les mœurs familiales, tant que cette situation économique n’aura point été elle-même soumise à de profondes modifications, grâce à des assurances sociales mutuelles, que seule peut garantir l’exploitation, par la collectivité tout entière, des moyens de production et de consommation. Ce retour vers le communisme primitif, quoique avec des formes considérablement différentes, ne nous ramènerait point forcément à la promiscuité brutale, et aux habitudes de rapt, du troupeau contemporain de la pierre polie. L’être humain s’est, depuis cette époque, affiné suffisamment par le culte de la science et des arts, et les préoccupations intellectuelles de tout genre, pour s’être rendu apte à de plus courtoises et poétiques relations.

La famille, qui représente un petit état dans l’État, est ordinairement à l’image de la société dont elle est une partie constitutive. Le père y fait fonction de souverain. Despotique jadis, jusqu’à conférer le privilège de disposer de ses enfants et même d’avoir sur eux droit de vie et de mort, son rôle est devenu plus modeste, à mesure que la femme prenait dans la vie publique une importance plus grande, et que la jeunesse s’émancipait au souffle des conceptions démocratiques et révolutionnaires.

Quand auront disparu les contraintes d’ordre économique et juridique qui liaient les uns aux autres, souvent bien malgré eux, des êtres d’aspirations incompatibles, il est probable que les humains se réuniront en raison de leurs sympathies intellectuelles et sentimentales, beaucoup plus qu’en vertu d’autres motifs, et qu’ils vivront librement par groupes où la consanguinité sera d’une importance secondaire. ‒ Jean Marestan.

FAMILLE. Dans son beau livre La Femme et le Socialisme, le grand sociologue allemand, Auguste Bebel fait dater l’amour des Croisades. Je n’ai jamais compris au Juste ce qu’il a voulu insinuer par là. Élisée Reclus, par contre, écrit dans son œuvre monumentale, L’Homme et la Terre, que les Égyptiens des premiers âges avaient parfaitement compris le langage de l’amour.

J’estime, quant à moi, que l’amour est la flamme vivifiante de l’Univers illimité et éternel, qui, d’après Goethe, serait « Kern und Schaale, aller mit Einemmale », c’est-à-dire cause et effet à la fois et que, dans le cosmos incréé, l’amour, force d’attraction, aurait encore le plus de droit de proclamer : le but de l’existence c’est moi, geste créateur de vie et de conscience !

Dans « Nouvelles de nulle part », le poète anglais William Morris conclut que l’homme du xixe siècle hait la vie et redoute la mort, tandis que l’homme affranchi de l’avenir aimera la vie et saura faire face à la mort. Je crois qu’il en sera également ainsi de ce coin du ciel, volé par la religion qu’est l’amour, trait d’union entre le passé et l’avenir, lorsque Éros se sera enfin dégagé de la gangue des souillures et des préjugés spiritualistes. Alors, jalousies et meurtres passionnels disparaîtront et, dépouillé de l’égoïsme morbide qui l’annihile et du péché originel qui le dégrade, son auréole lumineuse éclipsera jusqu’à la mort elle-même dans son rayonnement de douce et bienfaisante volupté…

Tous les socialistes conscients, communistes relevant de l’idée anarchiste ou de la méthode marxiste et convaincus, comme Montaigne, que le geste de l’amour, qui crée la vie est aussi respectable que la pensée qui véhicule l’humanité vers plus de bien-être et de conscience, pensent, avec Victor Hugo, qu’il faut briser les barreaux de la cage familiale pour mettre en liberté l’Amour.

Certes, à moins d’être insensé ou fou, il ne viendra jamais à l’esprit d’une personne équilibrée de vouloir séparer les parents et les enfants, si leur vie commune est basée sur l’affection mutuelle.

Mais, neuf fois sur dix, pour ne pas dire quatre-vingt-dix-neuf fois sur cent, il n’en est pas ainsi. La femme, qui doit obéissance à son mari (§§ 213, 214, 215 du Code Civil) est sa subordonnée ; les enfants qui, à tout âge (§ 371 du Code Civil) doivent honneur et respect aux parents, sont leurs sujets, et notre famille hiérarchisée constitue l’embryon de la monarchie.

Dans la Rome antique, grande et odieuse, filles et garçons pouvaient, avec le consentement de leur famille, se marier dès 12 et 14 ans, mais il fallait à tout âge, pour contracter « les justes noces », le consentement du chef de famille, du grand-père, et s’il était décédé, du père.

En France, à Abbeville, en 1610, Jeanne Duret fut condamnée à être fouettée publiquement par « trois dimanches de suite », sur le marché en face de l’église, pour s’être laissé épouser clandestinement, elle, fille du peuple, par un jeune chevalier qui fut quitte pour un an de prison.

Sous nos quarante rois qui, en mille ans ont fait, d’après Maurras, l’unité française, l’homme ne pouvait se marier contre la volonté de ses parents qu’à 30 ans, et après trois sommations respectueuses, et cela sous peine d’exhérédation pour lui et huit années de galères pour le prêtre qui aurait béni son union.

Par le décret du 16 août 1790, la Grande Révolution française supprima tout consentement des parents pour se marier à partir de 21 ans pour les deux sexes, et la Convention, de glorieuse mémoire, fixa l’âge minimum pour se marier à 13 ans pour les filles et à 15 ans pour les garçons.

Bonaparte, assassin de la République et fléau de l’Europe, exigea par le Code qui porte son nom maudit, 21 ans pour la femme et 25 ans pour l’homme, afin de pouvoir se marier contre la volonté des ascendants, et encore fallait-il, depuis cet âge jusqu’à 25 ans pour la femme et 30 pour l’homme, faire trois sommations respectueuses, réduites à une pendant toute la vie après 25 ans pour la première et 30 pour le second.

La loi du 21 juin 1907 autorise tous les français, hommes et femmes, à se marier à 21 ans contre la volonté de leurs parents, et, après 25 ans, sans qu’on soit obligé d’avertir ses ascendants de ses projets matrimoniaux.

Tous les pays de l’Europe et de l’Amérique ainsi que la Chine et le Japon nous ont précédé dans cette voie, et partout aujourd’hui on peut se marier à 21 ans contre la volonté de la famille. En Russie, la majorité matrimoniale, politique et économique a été fixée à 18 ans, et aux états de New-York, New-Jersey, Pensylvania, Kentucky, Louisiana, Virginia, Floride, Maryland, Rhode Island, Tennessee, Colorado, Idaho, Maine, et Mississippi de l’Amérique du Nord, les mineurs de 18 et même de 16 ans peuvent se marier sans aucune autorisation préalable. Dans ces pays où l’âge minimum pour contracter mariage est de 12 ans pour les filles et de 14 ans pour les garçons, il y a, à l’heure qu’il est, 667.000 personnes qui ont été mariées à cet âge.

Au point de vue sexuel, la famille est généralement une honte, une torture, une horreur.

En enseignant aux enfants que le geste de la vie est impur et criminel, la famille, par la contrainte sexuelle qu’elle impose, propage l’onanisme qui fait des êtres sans volonté, des déviés et des crétins. Les pratiques lesbiennes et la pédérastie sont aussi, pour la plus grande part, dues à la chasteté exigée par notre infâme morale spiritualiste.

La famille, qui veut et doit être un bon placement de père de famille, est l’ennemi de l’amour. Elle contrarie cette sélection naturelle, la mésalliance heureuse, et est la cause première qui pousse la jeune fille dans la voie de la prostitution… un bon et honnête père de famille devant se faire un cas de conscience de répudier sa fille quand elle s’est « déshonorée », en se donnant hors du mariage, librement, sans calcul, au « premier venu » qui a su lui plaire.

La polygamie et la monogamie sont toutes les deux des chaînes forgées par le régime de la propriété, et nullement conformes à la nature humaine. La première, privilège des hommes riches, n’a jamais existé qu’à l’état d’exception malfaisante, et cela pour la bonne raison qu’il naît sur terre environ autant d’individus d’un sexe que de l’autre. La seconde est aussi tyrannique pour l’homme que pour la femme, le désir inavoué mais général de la plupart des êtres humains étant pour que les rapports sexuels, fondés sur l’amour ou la sympathie mutuelle, puissent être aussi libres, variables et multiples que les rapports intellectuels ou moraux entre les individus. L’incompatibilité absolue de la monogamie avec la physiologie résulte, du reste, de ce seul fait, que la plupart des adolescents aiment des femmes plus âgées qu’eux, que les hommes de vingt à trente ans convolent avec des femmes de leur âge et qu’après quarante ans, les hommes recherchent les jeunes filles.

Par surcroît de malheur dans notre société d’antagonisme économique et d’hypocrisie sexuelle, la prostitution est une nécessité de fer, parce que soupape de sûreté de la famille et de sa responsabilité artificielle.

Le prolétariat d’amour est aussi indispensable à la sécurité de l’honnêteté bourgeoise que la misère de l’ouvrier à l’opulence du capitaliste.

Le mariage n’est pas une solution.

D’essence indissoluble, il est une association qui engage non seulement les intérêts matériels, mais encore les personnes mêmes des associés, et devient souvent ainsi la plus odieuse des prostitutions, la prostitution patentée par l’État et bénie par l’Église.

Irrésiliable à la seule volonté d’un des contractants, le mariage est purement et simplement un esclavage.

Il est le pire des esclavages, car il dispose de l’avenir après avoir enchaîné le présent et projeté son ombre funeste jusque sur ce qu’il y a de plus beau et de plus grand : les unions librement amoureuses.

L’institution du mariage est aussi nuisible à l’intérêt des parents qu’à celui des enfants.

En violant les lois de la sélection naturelle, elle attente à la liberté et à la dignité de l’homme et de la femme. En faisant de la paternité conventionnelle, au lieu de la maternité certaine, le pivot du groupe affectif, elle crée, artificiellement, trois catégories d’enfants, inégaux en droits, selon qu’ils naissent légitimes, naturels ou adultérins.

Seuls les enfants légitimes héritent de leur père et jouissent, comme tels, de tous les avantages que leur famille peut leur procurer.

La situation des enfants illégitimes, c’est-à-dire des enfants nés d’un homme et d’une femme non mariés entre eux et non mariés en dehors, se règle d’après celle de leur mère, et est généralement déplorable.

Le père d’un enfant naturel n’est pas tenu par la loi de pourvoir à ses besoins, à moins d’une recherche de paternité hérissée d’obstacles. S’il reconnaît ses enfants naturels et à condition qu’ils ne soient en concurrence avec aucun enfant légitime, les enfants dits « naturels » ont les mêmes droits que les enfants légitimes. Dans le cas contraire, ils n’ont plus droit qu’à la moitié de ce qu’ils auraient eu s’ils étaient légitimes. Sous l’Empire, ils n’avaient droit qu’au tiers.

Cette criante injustice qui frappe les enfants naturels n’est nullement accidentelle. L’infériorité sociale que le Code leur assigne est étroitement liée au maintien du mariage. En disqualifiant les enfants nés en dehors du mariage, la société a voulu garantir l’existence de cette institution néfaste. Le châtiment qu’elle inflige aux enfants issus de l’union libre est par conséquent une mauvaise action voulue, un crime social prémédité.

Quant aux enfants adultérins, la situation qui leur est faite par le mariage, se retourne, dans sa souveraine injustice, aussi bien contre l’enfant que contre le mari.

Que le mari soit en état de prouver ‒ ce qui ne saurait être qu’extrêmement rare ‒ que l’enfant de son épouse n’est pas de lui, la loi lui donne le droit de ne pas le reconnaître. Dans ce cas, il est, sans doute, dispensé de l’obligation de subvenir aux besoins de l’enfant de sa femme légitime, mais l’enfant qui ne devrait pas être rendu responsable des actions de sa mère, est un paria. Si, au contraire, le mari reconnaît l’enfant adultérin de sa femme, l’injustice ne frappe plus l’enfant, mais le mari.

Pour sortir de ce labyrinthe d’iniquités et réaliser l’égalité de l’homme et de la femme, ainsi que l’égalité de tous les enfants, il n’y a qu’un moyen : Socialiser l’Éducation et faire de la mère le pivot de la famille, ou mieux du groupe affectif.

La famille décline. Le nombre des unions libres et des enfants naturels augmente, et nous constatons que partout la société et la famille sont dans des rapports inverses, et que cette dernière est appelée à diminuer en raison de la marche ascendante de l’humanité.

Les enfants étant élevés par et pour la famille, c’est le passé qui empiète sur l’avenir et lui dicte la loi.

Les familles n’ont, en outre généralement, ni les loisirs ni les capacités pour être de bonnes éducatrices, elles sont, relativement aux enfants, des groupements passagers, tandis que la société, elle, est éternelle et peut trouver dans son sein des femmes et des hommes de vocation et d’aptitudes nécessaires pour l’éducation rationnelle.

En attendant que la société communiste libertaire (mise en commun de toutes les richesses sociales et organisation de la production sur la base de l’équivalence des travaux) ait intégralement émancipé la femme, libéré l’homme et sauvegardé l’enfance, nous demandons :

1° L’abrogation de tous les articles du Code établissant l’infériorité de la femme vis-à-vis de l’homme. Abolition de cet esclavage dégradant : la police des mœurs ;

2° La mise à la charge de la société de l’éducation et de l’instruction de tous les enfants ;

3° L’égalité absolue pour tous les enfants, quelle qu’en soit la provenance ;

4° La suppression totale du consentement des parents pour se marier, ainsi que l’abaissement, pour les deux sexes, de la majorité à dix-huit ans ;

5° L’assimilation de l’union libre au mariage ;

6° Le divorce par consentement mutuel et sur la volonté d’un seul. ‒ Frédéric Stackelberg.


FAMINE n. f. (du latin fames, faim). Manque absolu de nourriture dans une contrée, un pays ou une ville. « La cause la plus générale de la famine, dit le Larousse, est l’insuffisance de récoltes alimentaires. » Explication simpliste et complètement fausse de ce fléau qui, de nos jours encore, décime des populations entières.

La famine a pour causes directes ou la raréfaction des produits alimentaires provoquée par la spéculation de quelques affameurs, ou encore la mauvaise et arbitraire organisation économique du régime capitaliste en ce qui concerne la répartition de la richesse sociale et des produits de consommation indispensables à la vie de l’homme. La misère, qui est une des conséquences du capitalisme, est également une des causes de famine.

Si l’intérêt ne jouait pas un rôle primordial dans l’alimentation de la population, la famine disparaîtrait avec rapidité de la surface du globe, car la terre est capable de fournir suffisamment de nourriture pour subvenir aux besoins de tous ses habitants.

Malheureusement, les possesseurs de la richesse sociale s’inquiètent peu de la misère et du dénuement de leurs contemporains ; pour eux, l’exploitation de la terre et de ceux qui la travaillent n’est pas considérée comme une nécessité sociale, mais comme un moyen propre à leur assurer tous les privilèges et toutes les jouissances. Or, la famine puise sa source dans le parasitisme social. Il n’est pas d’exemple plus frappant de la culpabilité des possédants, en ce qui concerne la famine, que celui de l’Irlande que ce fléau a dépeuplée. Et pourtant, l’Irlande n’est pas un pays éloigné, inaccessible. Sa terre est riche, fertile, susceptible de nourrir la population ; mais cette terre a été accaparée par les grands seigneurs anglais, et de vastes étendues furent transformées en terrains de chasse. Pendant ce temps, aujourd’hui encore, l’Irlandais crève de faim. Si la famine ne règne plus dans ce pays, du moins la population se trouve dans un perpétuel état de pauvreté qui ne lui permet pas de se sustenter normalement.

Dans les pays occidentaux, la famine, c’est-à-dire le manque absolu de nourriture n’existe plus, car le capital n’a pas intérêt à ce que le travailleur meure littéralement de faim. Il a compris que pour arracher à l’individu le maximum de production, il était indispensable de lui assurer un minimum de nourriture, et puis, il faut dire que le progrès, les chemins de fer, la navigation ont largement contribué à écarter cette calamité. Mais dans les pays orientaux, la famine subsiste, et il n’est pas une année où elle ne fait un nombre incalculable de victimes. Une des famines contemporaines des plus meurtrières fut celle qui sévit aux Indes en 1900, et qui toucha plus de 50 millions d’Hindous. Le gouvernement indien ne put en secourir quotidiennement que 3 millions environ. La mortalité fut terrifiante, et cela se conçoit, puisque le septième de la population était touché par le fléau. Les causes de cette famine, affirme-t-on, furent les mauvaises récoltes des provinces centrales et occidentales. Cela est bien possible, mais ce qui est inadmissible, c’est qu’aucun remède n’ait pu être apporté pour soulager le mal. La famine n’est pas un malaise, une épidémie qu’on ne peut soigner : on sait ce qu’il faut pour la guérir et, si les affamés ne sont pas secourus, seul le capitalisme est responsable de cette atrocité.

Comment ! Alors qu’en certaines contrées du monde les récoltes sont d’une abondance telle qu’on ne sait pas quoi en faire, en d’autres pays, des humains meurent littéralement de faim sans qu’il soit possible de faire quoi que ce soit pour mettre un terme à une situation aussi inhumaine ? Quelque chose est possible, mais non en régime capitaliste. Et, en effet, lorsque la famine s’abat sur une contrée quelconque, le premier soin serait d’orienter sur cette partie du monde la surproduction d’une contrée plus favorisée, sans être arrêté par de misérables questions d’argent. C’est toujours cette odieuse monnaie, ce bas intérêt qui dresse des barrières et empêche l’individu de voler au secours de son semblable. Des hommes ont faim, là-bas, au centre de l’Asie ou au centre de l’Afrique ; l’Amérique regorge de vivres. Quoi de plus simple, semble-t-il, de déplacer cette abondance au profit des déshérités et des malheureux ? Mais celui qui possède ne donne pas pour rien ce qu’il possède. Il ne le donne qu’en échange de monnaies bien sonnantes, et alors la vie des affamés est subordonnée à leur puissance d’argent. C’est normal et c’est juste en régime capitaliste ; en un mot, c’est criminel.

Lorsqu’au lendemain de la guerre et de la Révolution, le peuple russe fut acculé à la plus noire misère, lors que la famine couchait des millions de femmes et d’enfants, dans le Sud-Amérique on brûlait du blé. Les frais de transport étaient trop élevés pour transporter ce blé dans la Russie affamée et, d’autre part, la Russie n’avait pas d’argent pour le payer. N’est-ce pas terrible, surtout lorsque l’on sait que dans une certaine mesure, cette famine fut provoquée par le capitalisme occidental, qui voulait, par la faim, étouffer le foyer d’incendie qui s’était allumé à l’Est ?

La famine, on ne le répètera jamais assez, est un mal social qui découle du capitalisme, et le capitalisme ne fait rien pour en éloigner les horreurs. Seule une transformation totale de l’organisation économique peut mettre fin à une calamité indigne d’un monde civilisé. Il n’y a pas lieu de se réjouir outre mesure, si la famine a à peu près disparu de ce que l’on appelle les pays civilisés. La disette subsiste en plus d’une contrée de l’Europe, et ils sont nombreux ceux qui, chaque jour, ne mangent pas à leur faim. Si elle est moins brutale que la famine, la disette n’est pas moins meurtrière. C’est un mal lent qui fait également de nombreuses victimes, et qui détruit des générations. Bien souvent, la rareté des vivres est voulue par les spéculateurs avides, et il n’est pas inutile de rappeler l’odieux monopole des blés, désigné sous le nom de « pacte de famine » qui, de 1765 à 1789, désola la France. Le pacte de famine avait pour but d’acheter à vil prix tous les blés en période d’abondance, de les exporter, ou même de les détruire afin de provoquer la hausse durant les années médiocres. La Révolution a passé ; 48 a succédé à 93, et 71 à 48. La grande guerre du droit et de la civilisation devait ouvrir une ère de progrès et de liberté, et aujourd’hui, en France, un nouveau pacte de famine a été signé par tous les grands mercantis, maîtres absolus de la République.

Le peuple a faim, le peuple a faim partout, parce qu’il plaît aux magnats de la finance, aux rois de l’or de raréfier les produits de première nécessité, afin de provoquer la hausse. Ce n’est pas la famine, mais c’est la disette. Le peuple commence à s’habituer à ne pas manger à sa suffisance. Huit ans après la grande guerre, plus d’un million de chômeurs en Angleterre se nourrissent imparfaitement. En Autriche, en Roumanie, en Russie, en Bulgarie, on manque de pain, et en France, l’année 1927 s’ouvre lourde de menaces. Et pourtant, la terre est là qui ne demande qu’à être fécondée et à nourrir l’humanité. Mais la terre appartient à ceux qui l’ont volée, et les outils sont la propriété d’une bande de malfaiteurs. Et c’est pour cela que le peuple a faim, qu’il aura faim demain, qu’il aura faim toujours, s’il ne veut pas comprendre que tout est subordonné à sa volonté et à son courage, et qu’il ne cessera de souffrir des affres et des horreurs de la famine que lorsqu’il arrachera à son exploiteur la terre et la machine.


FANTASMAGORIE n. f. (du grec phantasma, fantôme et agoreuein, parler). Art qui consiste à faire apparaître dans l’obscurité, des figures lumineuses à l’aide d’illusions d’optique. Ce qu’il y a de plus curieux, c’est qu’il existe des individus qui croient encore à la fantasmagorie et à l’apparition des fantômes. Il est vrai que l’on fait croire tant de choses au peuple qu’il n’y a pas lieu de s’étonner de sa crédulité.

Les politiciens, mieux peut-être que tous les illusionnistes qui s’exhibent sur les scènes des théâtres et des music-hall, sont passé maîtres dans l’art de la fantasmagorie. Les extravagances qu’ils débitent à leurs électeurs nous rempliraient d’admiration, si nous n’étions pas obligés de faire les frais de toute la comédie. Car c’est une véritable comédie à laquelle le peuple se laisse prendre, même lorsque le politicien opère en plein jour et en pleine lumière. Sous sa parole tout se transforme, les choses les plus infâmes, les plus ignobles deviennent des merveilles, et l’électeur, plongé comme en un rêve, aperçoit le paradis qu’il n’atteindra hélas jamais en réalité. Et puis tout s’estompe ; le charlatan a terminé sa séance. Le peuple est gros jean comme devant. Ce n’était qu’une illusion. Et il retournera cependant se nourrir de cette illusion malfaisante, car le peuple aime la fantasmagorie, il adore les fantômes et c’est ce qui fait son malheur.


FANTASTIQUE adjectif (du grec phantastikos). Qui n’existe que dans l’imagination ; qui est créé par la fantaisie. Un récit fantastique ; un conte fantastique, un voyage fantastique, un pays fantastique. La réalité brutale de la vie est tellement laide que l’homme se laisse facilement entraîner dans le fantastique et le surnaturel. Tant qu’il n’abandonne pas la proie pour l’ombre, ce n’est que demi mal ; mais bien souvent il se laisse accaparer par le fabuleux auquel il sacrifie la réalité. Alors, il devient une victime de son imagination ; Et cela est d’autant plus dangereux qu’autour de l’individu évolue toujours une nuée de charlatans prêts à exploiter sa crédulité. N’est-il pas fantastique d’avoir fait croire à des millions d’hommes, en 1914, qu’ils allaient se faire tuer pour le bien de l’humanité, et n’est-il pas plus fantastique encore qu’après cet immonde carnage on ose encore non seulement parler de guerre, mais préparer une nouvelle boucherie ? N’est-il pas fantastique que le peuple, qui est le nombre, qui a la force et la puissance, se laisse exploiter par une minorité de fainéants et de parasites ? Qu’attend-il pour se libérer de tous ses oppresseurs ? Des messies, des revenants, des fées ? Ceci existe dans la littérature fantastique, dans les contes pour les petits enfants, mais si l’homme veut vivre, il faut qu’il lutte, ce n’est qu’à ce prix qu’il achètera sa liberté.


FANTOCHE n. m. (de l’italien fantoccio, poupée). Un fantoche est une petite marionnette articulée que l’on meut à l’aide de fils. Il existe des théâtres de fantoches, et c’est une réjouissance pour la vue que d’assister an spectacle de ces petits personnages sans vie, mais qui, selon les capacités de l’artiste qui les anime, prennent des poses et des attitudes des plus comiques.

Ce qui est moins comique, cependant, c’est de penser que le monde ressemble beaucoup à ces théâtres de marionnettes, et que la grande majorité des individus sont des fantoches dont tous les membres sont attachés à des ficelles que tirent une poignée d’opérateurs.

N’est-ce pas un fantoche, c’est-à-dire une poupée, ce militaire qui tourne à droite ou à gauche, marche ou s’arrête, avance ou recule, selon le bon plaisir de son officier ? Un fantoche ce travailleur, qui produit ou qui chôme à la guise de son patron ? Un fantoche l’électeur qui se laisse conduire par son député ? Des fantoches en un mot tous les suppôts de la société bourgeoise, tous les fervents du suffrage universel, qui abandonnent leur volonté pour n’être plus que des mannequins à la merci de leurs dirigeants ? Le plus terrible, c’est qu’ils entraînent avec eux ceux que révolte un tel état de choses, et qui veulent rester des hommes dans un monde de fantoches. Combien de révolutions faudra-t-il faire pour mettre un peu d’esprit dans le crâne de toutes ces marionnettes ?


FANTÔME n. m. (du grec phantasma, apparition). Apparition fantastique, spectre. Certaines gens sont convaincues que les morts viennent de nuit rôder à l’entour ou à l’intérieur des habitations, et apparaissent aux vivants vêtus généralement de longs voiles blancs. Est-il besoin de dire que le fantôme est un personnage fictif et ne peut être le produit que d’une imagination maladive ?…

Les histoires des maisons hantées, visitées par des revenants, ne devraient plus, en notre siècle de science, être accueillies que par un sourire de mépris ou de pitié ; mais le préjugé de la mort est si profondément ancré dans le cerveau de l’individu, l’homme traîne avec lui un si lourd fardeau d’éducation faussée par la religion, qu’il ne s’est pas encore libéré de toutes les croyances ancestrales ; et chaque fois qu’un charlatan quelconque ou un pauvre d’esprit prétend avoir reçu la visite de fantômes, une foule d’imbéciles accueillent comme vérité indiscutable ces élucubrations.

Heureusement, à mesure que l’homme approfondit ses connaissances et étend son savoir, ces apparitions deviennent moins fréquentes et elles disparaîtront bientôt totalement, lorsque l’image de la science aura remplacé celles de l’Église et de la religion.