Encyclopédie anarchiste/Infraction - Insoumis

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Collectif
Texte établi par Sébastien Faure, sous la direction de, La Librairie internationale (tome 2p. 1019-1029).


INFRACTION n. f. (du latin in, dans ; frangere, briser). Transgression, contravention, violation d’une loi, d’un ordre, d’un traité, etc. : ils ont fait une infraction au contrat. Les révolutionnaires sont en état d’infraction permanente vis-à-vis de l’ordre établi.

Infraction du ban : action d’une personne condamnée au bannissement, qui revient dans le pays, dans les lieux d’où elle est bannie.

L’infraction est une expression générique sous laquelle on comprend toutes les actions qui troublent les conventions sociales : infraction au droit des gens.

L’infraction des lois, des privilèges. Infraction punissable.

L’article 1er du Code pénal déclare que les infractions punies par la loi de peines criminelles sont des crimes ; les infractions punies de peines correctionnelles, des délits ; celles qui sont punies de peines de simple police, des contraventions. Les jugements de ces diverses infractions sont attribués à des tribunaux différents.


INGÉNIEUX adj. (du latin ingenium, esprit inventif). Plein d’esprit d’invention et d’adresse : homme ingénieux. Fertile en ressources variées et adroites, en ruses, en stratagèmes : c’est par des mensonges, parfois ingénieux, que les politiciens se hissent au pouvoir. « La civilité est un commerce continuel de mensonges ingénieux » (Fléchier).

Se dit également des choses qui marquent de l’adresse, de l’esprit, de la sagacité dans celui qui en est l’auteur : pièce, machine fort ingénieuse ; cette invention est bien ingénieuse. Qui met de l’application et de l’adresse à faire quelque chose : être ingénieux à faire le bien… On le prend quelquefois dans un sens défavorable : « Le cœur est ingénieux pour se tourmenter » (Fénelon). Ingénieux à trouver des fautes. Dans le style, ce qui est ingénieux marque un esprit fin, délié, subtil, mais plus superficiel que profond, un esprit qui saisit ce qu’il y a de plus agréable dans le rapport des objets, et qui sait donner du tour, de la grâce à tout ce qui est dit. Ce qui est ingénieux ne caractérise pas le grand homme, le grand orateur, le grand poète, l’homme de génie, mais davantage l’homme habile et averti, l’intelligence adroite et souple. « Les choses ingénieuses déparent les grandes choses… » a dit un philosophe.


INGÉRENCE n. f. Action de s’ingérer, immixtion. S’introduire, s’entremettre. Se mêler de quelque chose qui ne vous regarde pas et sans en être requis. Se dit aussi en médecine et signifie introduire par la bouche dans l’estomac : il faut ingérer le contrepoison de gré ou de force.

L’État s’ingère dans notre vie. Il nous considère comme sa chose et se mêle de nos actions les plus intimes. Depuis notre naissance jusqu’à notre mort, il ne nous perd pas des yeux, il nous suit pas à pas. La liberté individuelle ne peut exister dans de telles conditions. Elle n’existera que lorsque l’État sera détruit et, avec lui, le régime capitaliste et les fiches répugnantes qui ont pour objet d’obliger les travailleurs à accepter des conditions de travail draconiennes ou à mourir de faim eux et leur famille.


INHUMAIN, INHUMANITÉ adj. et subst. Inhumain a le sens tristement banal et cruel, d’impitoyable, et caractérise un être porté aux actes méchants et excessifs. Souvent les hommes sont ainsi inhumains collectivement. « Des nations avaient la coutume inhumaine d’immoler des enfants à leurs dieux ». Chez les Ammonites et les Moabites, Moloch était la divinité avide pour l’apaisement de laquelle on brûlait, dans un buste grotesque et symbolique, les enfants offerts en holocauste. D’ailleurs, ainsi que le rappelle Voltaire : « Il n’y a guère de peuple dont la religion n’ait été inhumaine et sanglante… ». L’inhumanité est un vice qui, outre l’absence de sentiment, comporte l’inintelligence des rapports entre toutes les portions du corps social et tend aux satisfactions fermées et unilatérales. Être porté à faire le malheur d’autrui, ne point compatir à ses peines, lui causer de la douleur sans nécessité, jouir même de sa souffrance sont des déformations, des altérations de la normale humaine. Socialement, l’inhumanité est aussi un acte de barbarie en même temps que l’imprévoyance de probables réciprocités : c’est la voie ouverte aux vengeances et aux représailles où les faiblesses et les cruautés humaines se répètent et se prolongent.

Le mot « humain » s’attache aux attributs de l’homme et, « inhumain », au manque de ces attributs. Bien qu’on dise souvent : « Que voulez-vous ? C’est humain », dans le sens de : « Les hommes sont malheureusement ainsi faits », c’est ordinairement avec plus de vanité… humaine qu’on emploie ce mot, comme synonyme de sensible, compatissant. Bref, humain caractérise tantôt l’homme, tantôt ce qu’il y a de meilleur en lui.

Cette dernière acception est d’ailleurs assez vague. Humain devrait dire « partisan des hommes », de l’humanité, mais il est presque toujours usité dans un sens plus restreint, ce qui a provoqué la création du néologisme mystique « humaniste » et l’emploi courant du terme humanitaire pour marquer un intérêt qui s’attache à l’humanité. On est « humain » dans sa famille, sans étendre ce sentiment à la famille voisine ; on peut se sentir lié à un pays, s’y montrer humain, et s’insoucier totalement de ce qui se passe chez un peuple voisin ; d’aucuns se sentent plutôt solidaires d’un clan politique ou religieux : l’individu peut donc être « humain » dans un sens, et « inhumain » dans un autre, et ceci explique la divergence des jugements émis sur des fanatiques ou des extrémistes notoires.

Il arrive pourtant qu’une individualité exceptionnelle, unissant une vaste culture à une grande sensibilité, étende le cercle de sa solidarité morale à l’humanité entière, et, de ce fait, souffre moralement des tortures de ses frères les plus lointains. Parle-t-on de la destruction d’une ville, du massacre de ses habitants : vous vous informez avec intérêt du nombre des victimes, du montant des dégâts. Pour vous, ce récit se ramène à des chiffres qui frappent plus ou moins l’imagination ; l’humain intégral, lui, en est atteint dans sa chair, il en éprouve une réelle souffrance : tel nous apparaît — image véritable ou résultat d’une trompeuse perspective ? — la grande figure d’un Romain Rolland.

Mais le monde présente, hélas, trop de famines collectives, trop de barbarie décrite avec force détails par d’amers et talentueux écrivains : chaque jour, l’individu véritablement humain doit faire son plein pour en agoniser pendant un siècle ! Cultiver ou provoquer cette sorte d’extrémisme chez les individus, surtout chez les jeunes, est chose bien dangereuse, cet état psychologique étant intolérable et menant à de regrettables réactions. Car se rendre trop exactement compte de l’énormité de la douleur universelle, c’est être à deux pas de se déclarer impuissant à y remédier, de trouver ridicules et vains les efforts des gens de bonne volonté ; c’est subir une tentation constante d’accepter le tout en bloc, comme une fatalité, sans chercher à réagir ; cela mène trop souvent à détruire en soi la fibre sensible, le caractère « humain » qui fait souffrir à la vue du malheur du prochain. Bref, trop d’humanité peut aboutir à l’extrahumain plein de pessimisme… et d’inaction !

Nombre de militants naguère enthousiastes, aujourd’hui « assagis » ou dégoûtés, nous fournissent des exemples de cette évolution… Les rancœurs qu’éprouve immanquablement tout homme généreux et sensible finissent aussi, parfois, par accumuler dans certains cœurs une sourde rancune contre les hommes ; misanthropes, ils en arrivent même à considérer les malheurs humains comme d’équitables punitions appliquées par une sorte de justice immanente des choses ; incapables de prendre philosophiquement une attitude extrahumaine et snobisme aidant, c’est contre l’humanité qu’ils semblent prendre position… De tels malheureux, une fois au pouvoir, se complaisent dans d’infernales répressions de sanglantes dictatures : haine et mépris du genre humain qui les a trop déçus, perversion causée par l’excès de souffrance morale…

Si le sens moral — « l’élément bonté » des psychologues — peut se trouver ainsi altéré, perverti et même détruit par les circonstances, il peut être aussi, chez certains individus, faussé constitutionnellement, donc avant qu’on puisse pour eux parler de responsabilité. L’hérédité tuberculeuse, alcoolique ou syphilitique détermine même parfois une sorte de « mort morale » complète. Cet état psychologique empêche de sentir si une action est belle ou laide, et le mort moral juge des turpitudes humaines aussi indifféremment que s’il s’agissait d’une quelconque culture de microbes. Un individu de ce genre est dangereux, car n’admettant aucun des postulats des consciences ordinaires, la moindre influence, un simple caprice peut l’entraîner à commettre sans aucun remords, les actions les plus monstrueuses… L’histoire, les journaux nous fournissent de nombreux exemples d’individus de ce genre, exemples impressionnants quand il s’agit de personnages puissants et cultivés, tels Néron incendiant Rome, ou Napoléon jetant sa garde dans un ravin, exemples répugnants quand il est question de déséquilibrés ignorants et traqués par d’honnêtes gens plus ignorants encore, — mais infiniment tristes toujours. C’est aussi un cas de mort morale que dépeint André Gide dans son roman L’Immoraliste, roman qui eut d’ailleurs prêté à moins de malentendus sous le titre de L’Amoral.



L’inhumanité, qu’elle soit totale ou partielle, héréditaire ou provoquée par les circonstances, est donc une infirmité, le résultat de l’aberration ou de l’absence morbide du sens moral. Si l’être inhumain est libéré des atteintes de la compassion, il souffre de ne pas être « chez lui » parmi les autres hommes ; il ne connaît ni la bienveillance, ni la sympathie agissante qui, de gré ou de force enrégimente la plupart des gens normaux pour les batailles humaines qui font le charme et l’intérêt de leur vie… Quant aux tyrans, ces inhumains doublés de potentats, laissons-leur, tout en collaborant énergiquement à les empêcher de nuire, ce que Victor Hugo leur accorda dans un moment de noble inspiration : la « Pitié suprême ». — L. Wastiaux.


INHUMATION n. f. Nous estimons nécessaire d’appeler l’attention sur les souffrances effroyables (les constatations sont là, périodiques) endurées par les enterrés vivants. Le public ne se rend pas assez compte de la légèreté avec laquelle familles et médecins concluent à la cessation de la vie chez un malade ou un moribond et de la fréquence et des risques terribles des inhumations prématurées. Combien de gens réveillés dans l’horrible prison d’un cercueil ont vécu les affres indescriptibles d’une seconde mort que nul appel, dans la nuit sans écho de la tombe, ne peut écarter. Des exemples saisissants ont été cités, les dangers dénoncés en termes pressants. Des savants se sont émus, ont apporté des précisions. L’anatomiste Jacques Winslow, les docteurs Louis, J.-J. Bruhier (lequel cite 81 cas d’inhumations précipitées), le docteur Mure (préconisateur des moyens que nous allons signaler), etc., ont publié des statistiques, des notes, des études. A Orléans, Poitiers, Toulouse, Cologne, etc., en Bohême dernièrement, des faits poignants sont venus, à intervalles divers, souligner les thèses émises sur la précarité des vérifications ultimes. Rares ceux que l’on a pu sauver, nombreux les malheureux dont les traits convulsés, les ongles arrachés, les membres arcboutés témoignaient d’une lutte atroce et stérile…

L’intensité désorganisatrice de la vie moderne, l’abus des stupéfiants dont certains anesthésiques, les « suspensions » hypnotiques, la multiplicité des troubles hystériques et des crises pathologiques issues d’hypertensions nerveuses, ont rendu plus aigu un péril inquiétant déjà et fait rechercher des mesures propres à le réduire. L’Allemagne a ouvert le chemin des précautions pratiques : en certaines villes — dont Berlin — on a créé des « maisons mortuaires » où les corps sont déposés jusqu’à évidence de la décomposition putride. Cette décomposition, qui apparaît d’abord sur le ventre en traces verdâtres à l’endroit des viscères, est, ne l’oublions pas, jusqu’ici le seul signe admissible de la mort. Les manifestations respiratoires peuvent être imperceptibles et l’auscultation cardiaque — si délicate encore et, pratiquement, insuffisamment sûre — est incapable parfois de déceler la persistance du rythme vital affaibli. En deux ans, dans une des villes où fonctionne un service d’examen mortuaire, dix personnes ont été rappelées à la vie grâce au séjour dans les chambres d’exposition. La possibilité d’une seule erreur impose d’ailleurs le recours à des moyens propres à sauvegarder cette antichambre prudente du tombeau, et nous devons en vulgariser l’idée, en stimuler les édifications. Et quand la science — une science toujours relative et sujette à caution : on a vu, par exemple, les prémices de la décomposition accompagner certains cas de catalepsie — conclut enfin au « permis d’inhumer », seule l’incinération, la dispersion du four crématoire, nous est garante que nous ne connaîtrons pas, entre les quatre planches d’un lit souterrain, une agonie horrifiée d’épouvante. — L.


INHUMER v. a. (du latin in, et humus, terre). Enterrer. Ne se dit qu’en parlant des corps humains : inhumer les morts. L’inhumation est l’action d’inhumer.

Législation : Aucune inhumation ne peut être faite sans une autorisation, sur papier libre et sans frais, de l’officier de l’état civil, lequel ne doit la délivrer qu’après s’être transporté auprès de la personne décédée, pour s’assurer du décès. Dans certains cas prévus par les règlements de police, ou en cas d’urgence reconnue par l’autorité municipale, l’inhumation peut avoir lieu avant l’expiration du délai fixé par la loi (Code civ. 77). Toute infraction à ces prescriptions est punie d’une amende de 16 à 50 francs et d’un emprisonnement de six jours à deux mois (Code pén. 358 ; Arr. 4 thermidor an XIII). Lorsque le cadavre présente des signes de mort violente, ou que des circonstances donnent lieu à des soupçons, l’inhumation ne peut être faite qu’après qu’un officier de police, assisté d’un docteur en médecine, a dressé procès-verbal de l’état du cadavre ainsi que des renseignements qu’il a pu recueillir (Code civ. 81). Toute personne décédée doit être inhumée dans le cimetière de la commune où le décès a eu lieu ; elle peut cependant être enterrée sur sa propriété, pourvu que ladite propriété soit à 35 mètres au moins de l’enceinte des villes et bourgs (Décret du 23 prairial an XII). Un corps ne peut être transféré hors de la commune où il se trouve sans que le maire ou le commissaire de police ait dressé un procès-verbal constatant l’état du corps et du cercueil ; ce procès-verbal doit accompagner le corps et être remis, lors de l’arrivée, au maire de la commune dans laquelle l’inhumation aura lieu. Le transport doit être autorisé par le sous-préfet, par le préfet, ou par le ministre de l’Intérieur, suivant que ce transport s’effectue dans les limites de l’arrondissement, dans celles du département ou d’un département dans un autre. Chaque inhumation doit avoir lieu dans une fosse séparée.

Celui qui a violé une sépulture est puni d’un emprisonnement de trois mois à un an et d’une amende de 16 francs à 200 francs. (Code pén. 360). En conséquence, aucune exhumation ne peut être faite sans une autorisation du maire, et sans qu’il en soit dressé procès-verbal ; à moins que cette exhumation ne soit ordonnée par un juge d’instruction ou par l’autorité administrative.

Le décret du 28 prairial an XII avait attribué le monopole des inhumations aux fabriques des églises et aux consistoires ; la loi du 28 décembre 1904 a conféré aux communes le service extérieur des pompes funèbres et laissé au clergé le seul droit de fournir les objets destinés aux funérailles dans les édifices religieux et à la décoration intérieure ou extérieure de ces édifices.


INIMITIÉ n. f. (du latin in, non ; amicitia, amitié). Sentiment de malveillance, de haine, antipathie, aversion, rancune. Inimitié grande, ancienne, vieille, profonde, enracinée, irréconciliable, vindicative, héréditaire. « Les inimitiés sont très dangereuses chez un peuple libre » (Montesquieu).

Inimitié s’oppose à rancune, en ce sens qu’inimitié exprime ordinairement un sentiment ennemi déclaré, et rancune un mauvais vouloir dissimulé. L’inimitié n’exclut pas la dignité, la noblesse ; la rancune renferme la faiblesse, la lâcheté, la bassesse.


INITIATION n. f. (du latin initiatio). Action d’initier ou d’être initié. Cérémonie par laquelle on était initié à la connaissance, à la participation de certains mystères dans les religions anciennes et les sociétés secrètes. Par extension, introduction, premières connaissances : initiation artistique, initiation littéraire.

Dans l’antiquité, l’initiation était la cérémonie par laquelle un candidat était admis aux mystères de tel ou tel culte, ce qui lui donnait le droit d’assister et de participer aux honneurs rendus à la divinité qui était l’objet de ce culte. Toutes les religions ont eu leurs mystères et, conséquemment, leurs initiés. C’est par l’initiation que se recrutait le sacerdoce antique, et plus le sens ésotérique d’un culte était mystérieux, plus les épreuves jugées nécessaires pour être initié étaient longues et difficiles. Le secret était toujours imposé aux initiés. Il y avait, dans l’initiation, plusieurs degrés par lesquels on arrivait à la contemplation des saints mystères. Le christianisme a eu aussi ses initiés. Au Moyen-âge, les adeptes de la magie se recrutèrent par l’initiation, qui fut pour eux une mesure de sûreté.

Les associations créées dans un but mystique ne sont point les seules qui aient pratiqué l’initiation. La pratiquaient aussi les écoles de philosophie, ainsi que les sociétés ayant pour but une œuvre politique ou sociale : la franc-maçonnerie, par exemple.


INITIATIVE n. f. (du latin initiare, supin initiatium : commencer). Action de celui qui, de lui-même et le premier, entame quelque affaire, affronte quelque réalisation. Elle peut être d’ordre purement intellectuel : avoir de quelque chose la première idée constitue une initiative. On appelle initiative la faculté correspondante, la tendance qui prédispose à de tels gestes (esprit d’initiative). L’initiative est un des attributs, une des affirmations les plus précieux de la personnalité. C’est l’extériorisation volontaire, et déjà agissante, de la conception, et elle révèle l’originalité imaginative. L’initiative a ses manifestations esthétiques ; conséquence ou essor, son exercice est, pour l’art, un stimulant. L’initiative atteste, traduit l’activité propre de l’individu en dehors des injonctions et des imitations, hors des chemins battus de l’effort. Elle est une garantie de l’indépendance, et son jeu multiplié enrichit l’apport social…

L’éducation autoritaire, la canalisation des coutumes et des opinions, l’asservissement matériel et moral de l’existence, la régularité des occupations mécaniques opèrent à travers la vie la réduction de l’initiative. Dans l’économie moderne et l’industrialisme, le machinisme qui réduit l’homme au rôle de rouage docile, a tué cette part d’initiative qui marquait, hier encore, la production de l’artisanat… Pas d’individualité complète cependant sans élans créateurs, sans ébauches personnelles, sans initiative. L’anarchisme ne peut pactiser avec les forces et les institutions qui étouffent l’initiative, et il lutte pour réaliser — au bénéfice de l’enfance d’abord, de l’homme ensuite — une atmosphère et des conditions qui en favorisent la naissance et le développement.


INJURE n. f. (du latin in, à l’opposé de, contraire, et jus, droit). Dans son acception la plus large, s’applique à tout ce qui est contre la justice et, dans une acception moins étendue, signifie outrage de faits ou de paroles.

Particulièrement, reproche qui n’est pas fondé ; parole qui, sans motif légitime, blesse la réputation, l’honneur, attaque le crédit ; calomnie, insulte, invective, propos offensant, outrageant, nuisible ; terme de mépris. Injure grande, grave, cruelle, infâme. Proférer des injures. Souffrir des injures. Pardonner des injures. « Les injures les plus sensibles, dit-on, sont les railleries » (Voltaire). « Les injures n’atteignent que ceux qui ne s’élèvent pas au-dessus d’elles » (Boiste). « On oublie plus facilement l’injure qu’on a reçue que l’injure qu’on a faite » (Dr  Thouvenel).

En parlant des choses, le tort, le dommage que le temps par sa durée, le temps et l’air par leur intempérie, leurs variations, sont susceptibles de causer : l’église métropolitaine de Paris, Notre-Dame, a beaucoup souffert des injures de l’air et du temps. Le monolithe de la place de la Concorde, l’Obélisque, a résisté aux injures des siècles.

Les injures graves commises par l’un des époux envers l’autre peuvent donner lieu à une demande en séparation de corps (Code civ. 231, 306) et à une instance de divorce. Elles résultent de paroles, d’écrits ou d’actes ; leur gravité est appréciée par les tribunaux, et elle dépend des circonstances, de l’effet produit et de la condition des époux, plutôt que des actes eux-mêmes.

Les injures publiques et celles adressées par la voie de la presse se nomment diffamation (voir ce mot). Les injures graves commises envers un donateur ou un testateur autorisent la demande en révocation des donations entre vifs ou des dispositions testamentaires. Une injure grave, faite par un légataire à la mémoire de son bienfaiteur, est aussi l’une des causes qui permettent aux intéressés de réclamer la révocation du legs ; mais la demande doit être intentée dans l’année, à compter du jour où le fait a été commis. (Code civ. 955, 1046, 1047).

La loi distingue deux sortes d’injures : l’injure simple et l’injure qualifiée ou publique. La première est celle qui ne fait allusion à aucun vice déterminé et qui n’a pas été proférée dans un lieu public. Ainsi, les termes grossiers que la colère, l’ivresse, la mauvaise éducation peuvent inspirer à un individu ne, constituent qu’une injure simple. Dans ce cas, l’injure se poursuit devant les tribunaux de simple police, et elle est punie d’une amende de 1 à 5 francs. Lorsque l’injure est qualifiée, c’est-à-dire lorsqu’elle contient l’imputation d’un vice déterminé, elle donne lieu à une poursuite devant un tribunal correctionnel, et entraîne une amende de 16 à 500 francs. Dans le cas où l’injure atteint les grands corps de l’État, les magistrats, les fonctionnaires publics, elle prend le nom d’outrage, et reçoit celui d’offense, s’il s’agit du chef du gouvernement.


INJUSTICE n. f. (du latin injustitia). Manque de justice, d’équité. Abhorrer l’injustice. Se dit aussi d’un acte d’injustice : il a fait une grande injustice. « Il n’y a pas de petites réformes, il n’y a pas de petites économies, il n’y a pas de petites injustices. » (Proudhon). « Une injustice qu’on voit et qu’on tait, on la commet soi-même. » (J.-J. Rousseau). « Une injustice faite à un seul est une menace faite à tous. » (Boiste). « Toutes les injustices ont été mises en loi. » (Lanjuin).

Ant. : Justice. Équité. (Voir ces mots).


INNÉITÉ s. f. Caractère de ce qui est inné. Employé quelquefois en physiologie, le mot innéité appartient surtout à la psychologie ou, si l’on préfère, à l’histoire de la psychologie. En physiologie, l’innéité s’oppose à l’hérédité et désigne l’ensemble des dispositions individuelles qui ne viennent pas des ascendants. En psychologie, l’école cartésienne a soutenu l’innéité, c’est-à-dire le caractère inné, antérieur à toute expérience, de certaines idées et de certains principes.

Descartes distingue trois sortes d’idées : les idées adventices sont toutes celles qui nous sont données par les sens ; les idées factices (la Chimère, les centaures, etc.) utilisent uniquement des éléments empruntés aux idées adventices et aux idées innées ; ces dernières, que Descartes appelle plus souvent primitives ou naturelles, sont nées avec nous, sont, avant toute expérience, inhérentes à l’entendement. Elles sont trop nombreuses pour que Descartes tente d’en donner un catalogue complet. Il indique de façon un peu étonnante le caractère à quoi on les distingue : « Toutes celles qui n’enveloppent aucune affirmation ni négation sont innées. » Les exemples qu’il en donne ne sont pas moins surprenants : « Comme celles de Dieu, de l’esprit, du corps, du triangle. » On rendrait injustement ridicule la thèse de Descartes, si on ne s’empressait de remarquer que ce qui est inné n’est pas précisément pour lui l’idée mais seulement « la faculté de la produire ». Il explique à un correspondant : « Je n’ai jamais jugé ni écrit que l’esprit ait besoin d’idées naturelles qui soient différentes de la faculté qu’il a de penser, mais reconnaissant qu’il y a certaines pensées qui ne procédaient ni des objets du dehors, ni de la détermination de ma volonté, mais seulement de la faculté que j’ai de penser, je les ai nommées naturelles, mais je l’ai dit au même sens que nous disons que la générosité ou quelque maladie est naturelle dans une famille. »

Locke réfute la théorie, mais prend le mot inné dans un sens plus étroit que Descartes. Il montre que toute nos connaissances dérivent de l’expérience. Cette doctrine, opposée à celle de l’innéité, est souvent nommée la théorie de la table rase, mots absurdes qui francisent, au lieu de la traduire, la formule scolastique, table rase ; cette métaphore, empruntée aux usages antiques, compare l’entendement du nouveau-né à une tablette lisse, sans aucun caractère gravé d’avance.

Les théories de Descartes et de Locke n’ont plus guère qu’un intérêt historique. Et même peut-être la forme que donne Leibniz à son retour modéré vers la doctrine de l’innéité. Locke répétait après les scolastiques : « Il n’y a rien dans l’intelligence qui ne vienne des sens. » A quoi Leibniz exige qu’on fasse cette addition : « Si ce n’est l’intelligence elle-même. » Nihil est in intellectu quod non prius fuerit in sensu… nisi ipse intellectus.

La critique de Kant transpose et renouvelle le problème. Kant distingue, dans la connaissance, la matière, qui vient des sens, et la forme que notre esprit impose à cette matière. Nous ne pouvons rien connaître que dans l’espace et dans le temps, ce qui ne prouve pas que l’espace et le temps soient des réalités extérieures à nous, objectives, mais, au contraire, qu’ils sont des formes imposées par notre sensibilité à tout ce qui l’intéresse. De même, c’est notre entendement, c’est notre unité quelle qu’elle soit, ce sont les nécessités de notre pensée qui établissent une liaison entre les phénomènes.

Mais les empiriques récents, tout en admettant, contre leurs précurseurs Locke et Condillac, une sorte d’innéité individuelle et que l’expérience ne se verse pas aujourd’hui dans un vase sans forme, s’efforcent d’expliquer comme acquises par l’évolution et l’hérédité les formes mêmes de notre esprit.

Ici, comme en beaucoup d’autres domaines, le terrain du combat se déplace, mais la lutte me semble toujours se livrer entre ce que je nommerais volontiers le passivisme et l’activisme. Le passivisme a une apparence plus scientifique, puisqu’il tente d’expliquer complètement l’objet de son étude, d’en faire uniquement un produit, de le ramener tout entier à d’autres objets. Un certain activisme, pourvu qu’il reste modéré, me parait plus philosophique. Chaque objet a son individualité. Et, si je prétends expliquer toutes choses par d’autres choses, quelles seront finalement les autres choses expliqueuses ?… Trop poussée, toute explication finit par tomber dans les ténèbres métaphysiques et dans l’abîme de quelque antinomie.

Ce n’est pas une raison de s’arrêter paresseusement. C’est peut-être une raison de ne jamais affirmer dogmatiquement dès que nous dépassons les faits connus. Tout problème concernant les origines est, au vrai, insoluble. Les solutions qu’on en propose sont des rêves utiles à transformer nos inquiétudes en sourires. Mais dès qu’ils cessent de sourire, les voici plus inquiétants et plus noirs que le silence ; et la lourdeur dogmatique est un écrasement de cauchemar. — Han Ryner.


INNOCENCE n. f. (du latin innocentia). Nous ne nous étendrons pas ici sur les aspects multiples (moral, social, pénal, etc.) du problème de la responsabilité qui seront, à ce dernier mot, l’objet d’un examen spécial. Nous ne discuterons donc pas maintenant la valeur du terme innocence opposé à celui de culpabilité. Nous envisagerons seulement les autres acceptions de ce mot.

L’innocence est proprement l’innocuité, la propriété de ce qui ne nuit point, une absence de malfaisance. Des choses, on dira : un remède innocent (pour inoffensif). Des occupations seront innocentes (simples, naïves). Parce qu’ils sont, en principe du moins, dépourvus de malice ou de conséquence, un badinage, des manèges, des jeux sont appelés innocents. Mais l’innocence est, chez les êtres vivants, un état neutre et une manière d’être naturelle (elle est d’ailleurs, dans l’espèce humaine, primaire et provisoire). Elle est aussi une qualité faite de faiblesse ou d’ignorance : l’innocence de l’agneau, de l’enfant. Il lui manque cette potentialité volontaire qui donne aux actes un relief moral et en constitue le gage futur, en détermine la ligne. C’est la limpidité sans effort d’une eau qui ne connaît la lutte contre les courants perturbateurs, c’est cette passivité qui faisait dire à Cousin : « La vertu vaut mieux que l’innocence… ».

Avant les premiers contacts de l’amour et sous la sujétion obscure de sa loi, la jeune fille ignorante demeure parée de la pureté convenue de l’innocence. Aux entreprises du mâle, elle n’oppose, hors des avertissements de l’éducation, que la peur instinctive de sa chair. Mais cette virginité physique, dont les religions ont fait un culte et proscrit comme un crime l’abandon (sauf sous le signe de certaines « adaptations » sociales), et dont les mœurs ont ensuite anormalement prolongé l’état, s’accompagne souvent, dans des résistances contre-nature, compliquées d’une initiation vicieuse, d’une atmosphère de perversion qui a ses répercussions physiologiques et ses déformations mentales. La sainteté qui, sous prétexte de morale, revêt la feinte d’un manteau d’innocence, ne fait ainsi qu’ajouter au fardeau des hypocrisies humaines. Et « la pudeur a sa fausseté où le baiser avait son innocence », comme disait Mirabeau. Il n’y a pas d’innocence qui puisse voisiner avec l’arrière-pensée : la franchise est son essentiel attribut…

En théologie, l’innocence a l’ampleur et la puissance d’un symbole. C’est la pureté de l’âme que n’a point souillé le péché. « Adam fut créé dans l’état d’innocence ». De cette inclination au mal dont nous apportons la tare originelle, le baptême est le bain sacré de rachat… L’histoire religieuse appelle Innocents (et l’Église catholique consacre à leur mémoire un jour spécial) les enfants juifs dont, selon Mathieu, le roi Hérode ordonna le massacre dans le dessein d’atteindre Jésus… Treize « princes de l’Église » ont porté la tiare sous le nom d’ « Innocent »…

Les arts représentatifs ont personnifié diversement l’Innocence. Ici un jeune homme est traîné par la calomnie devant le tribunal du despote (Apelles, Raphaël, etc.). Là, à trois enfants nus un génie apporte un agneau (Rubens). Ailleurs une jeune fille serre dans ses bras un agneau (Dulci, Greuze). Peinture, statuaire ont pris fréquemment l’innocence pour thème allégorique : l’Innocence défendue par l’Ange Gardien (Le Dominiquin) ; l’Amour séduisant l’Innocence (Basio) ; l’Innocence émue par l’Amour (Beguin) ; l’Innocence pleurant un serpent mort (Ramey) ; l’Innocence, statue de Dagand et bas-relief de David d’Angers, etc. — L.


INNOVATION n. f. (latin innovatio). L’innovation est l’action d’innover, d’introduire des changements à un état antérieur. Il se fait des innovations en politique, en littérature, en médecine, etc. De sorte qu’il y a innovation quand on introduit dans le domaine des arts et des sciences diverses un mouvement d’idées qui fait changer, en quelque sorte, la nature de certains faits… Les lois, si elles étaient l’expression de la science et de la justice, constitueraient des innovations sérieuses et profitables à la collectivité. Il n’en est malheureusement pas ainsi.

Actuellement il se produit des innovations multiples, surtout en mécanique et dans les méthodes de production. Dans leurs applications, ces innovations sont, la plupart du temps, indifférentes au bien général et envisagent à peine leurs répercussions sociales. Elles poursuivent avant tout, dans un cadre spécial et limité à quelques personnes, la réalisation d’avantages particuliers. Et la collectivité — passive, abdicatrice et singulièrement débonnaire — ne fait qu’assurer aux initiateurs et à leurs soutiens financiers, le libre jeu de leur tentative et l’affermissement conséquent d’une situation privilégiée. Car, des crises économiques qui souvent en résultent, ce sont les masses qui supportent le contrecoup. Et les travailleurs, dont les innovations devraient soulager l’effort et améliorer la condition en sont d’ordinaire les victimes…

En définitive, les innovations et le progrès ne profitent qu’à une minorité bien réduite de producteurs-consommateurs alors que la collectivité, dans son ensemble, devrait en profiter pareillement. C’est « l’ordre » actuel qui le veut ainsi. — E. S.

INNOVATION. Introduction de quelque nouveauté dans le gouvernement, dans les lois, dans un acte, dans une croyance, dans les mœurs, une science, un usage, etc., etc. : c’est une innovation en politique, en législation, en médecine, en littérature.

« Si pour ordinaire, ceux qui gouvernent laissent aller les choses comme elles allaient avant eux, il arrive quelquefois qu’ils font des innovations pour le plaisir d’en faire. » (La Bruyère).

Le gouvernement bolchevique de la Russie a introduit quelques innovations. Les unes sont heureuses, par exemple en ce qui concerne la femme et surtout l’enfant. Les autres sont détestables, tel est le capitalisme d’État.


INOPÉRANT (ANTE) adj. Qui ne produit rien, vague, qui n’est pas précisé. Question inopérante.

La peine de mort, qui souille l’humanité, est inopérante. La prison, l’exil, les exécutions n’ont jamais empêché une idée de faire son chemin. Autant de mesures inopérantes.


INQUISITION n. f. (du latin inquisitio). Enquête, investigation. « Faire une inquisition du jour et du vrai temps de la mort d’une personne » (Patru). Mais surtout « recherche, perquisition rigoureuse mêlée d’arbitraire » (Larousse).

Sous ce vocable, on désigne les tribunaux établis par l’Église au Moyen-âge et dans les temps modernes, pour la recherche et le châtiment des hérétiques… C’est une théorie aussi vieille que les religions, la nécessité de tuer les hérétiques ; et si le protestantisme, quoique venu fort tard, n’a pas échappé à la règle générale, l’Église catholique, elle, a bien continué la série des ignobles patriarches de la Sainte-Bible. D’ailleurs, on conçoit difficilement comment, il en eût été autrement, jusqu’à ce jour.

L’évolution de l’humanité est terriblement lente et s’étage sur un nombre considérable de siècles. Ignorantes, les premières sociétés ne pouvaient baser leurs contrats sociaux, ne pouvaient asseoir leur ordre social, que sur la force ou la religion. Si dans les tribus, le guerrier fut la Loi, l’État ; dans les groupements de tribus, agricoles, le prêtre fut le législateur, et cela se conçoit fatalement. La force, n’est point d’une constance suffisante chez le même individu, ou la même famille, pour assurer au pouvoir la pérennité, la durée nécessaire à l’ordre. Le fort d’aujourd’hui est le faible de demain. Et malheur aux faibles ! En outre, le muscle du puissant guerrier ne résout aucunement les problèmes qui se posent nécessairement à l’esprit humain en éveil.

« Il fait alors appel au prêtre, ou le prêtre s’impose. Et celui-ci, qui sait qu’il ne serait pas obéi, s’il prescrivait une règle en son nom, affirme :

1° Qu’il existe un être anthropomorphe, appelé Dieu ;

2° Que cet être a révélé une règle des actions et l’a nommé, lui, législateur, interprète infaillible de cette règle ;

3° Que Dieu a créé l’âme immortelle ;

4o  Enfin, que l’homme sera récompensé ou puni dans une vie future, suivant qu’il aura ou non conformé ses actions à la règle révélée.

Il est évident qu’il ne suffit pas au législateur de se borner à affirmer les propositions énoncées plus haut ; il faut de plus qu’il en empêche l’examen. Tant qu’il réussit — dans l’ignorance — à comprimer l’examen, l’ordre, par la foi ou le despotisme, existe. Or, parmi les principaux moyens de comprimer l’examen, les uns sont relatifs à la richesse matérielle, les autres à la richesse intellectuelle ou aux développements de l’intelligence, et les derniers enfin aux communications entre des despotismes ou révélations limitrophes.

Les premiers moyens de durée du despotisme sont :

1o  L’esclavage, et le pouvoir de disposer de la vie de l’homme, érigés en droit ; 2o  L’aliénation du sol à des individus, et sa transmission par hérédité.

Les seconds moyens despotiques sont :

1o  Le monopole des développements de l’intelligence, dont le résultat est le maintien des masses dans l’ignorance ; 2o  L’inquisition pour la foi, tendant à subordonner l’instruction à l’éducation.

Parmi les troisièmes moyens, on trouve ;

1o  L’établissement des douanes, destinées entre autres choses à gêner autant que possible les communications entre les peuples voisins ; 2o  L’exaltation des passions, sous les noms de fanatismes religieux et de patriotisme, au profit de chaque despote, rendant ennemis les différents peuples, et même les diverses fractions d’une même circonscription.

Ces dernières mesures ont pour but principal d’empêcher les révélations de s’examiner et de se détruire réciproquement. « Quel ébranlement pour les consciences, dit E. Renan, le jour où l’on vient à reconnaître qu’à côté du dogme que l’on croyait unique, il en est d’autres qui prétendent aussi venir du ciel ».

Tous les moyens mis en usage par le despotisme pour prolonger son existence, ont pour but et pour effet, en définitive, d’empêcher l’examen du droit. « Quand la populace se mêle de raisonner, dit Voltaire, tout est perdu ». Proudhon fait aussi cette observation relativement à la nécessité de comprimer l’examen ; « La première chose, remarque-t-il, à laquelle doive travailler la communauté, aussi bien que la religion, c’est d’étouffer la controverse, avec laquelle aucune institution n’est sûre et définitive ».

Mais il y a deux espèces d’examens : l’un individuel, intérieur, silencieux ; l’autre se manifestant à l’extérieur, soit verbalement, soit scripturalement. La première espèce d’examen peut-être plus ou moins empêchée : par une éducation imposée, faisant accepter que l’examen du droit, par conséquent de l’anthropomorphisme, est un crime ; par la monopolisation des développements de l’intelligence, qui laisse dans l’ignorance les masses exploitées par les minorités ; et par l’aliénation du sol, qui donne naissance au paupérisme, en obligeant ces mêmes masses à un travail continuel pour pouvoir subsister… La nécessité de l’existence du paupérisme pour le maintien de l’ordre a été parfaitement reconnue par M. Guizot : « Le travail, dit-il, est une garantie efficace contre la disposition révolutionnaire des classes pauvres. La nécessité incessante du travail est le côté admirable de notre société. Le travail est un frein ».

La seconde espèce d’examen, qui se manifeste à l’extérieur, est facilement empêchée par une inquisition. Mais une inquisition nécessite des inquisiteurs. Ces inquisiteurs se considèrent comme au-dessus de l’inquisition. Ils examinent. Ils se communiquent même les résultats de leur examen, ne fût-ce que pour connaître ce qui peut saper le droit, ce qui peut détruire l’inquisition, ce qui peut soustraire au joug les masses qu’ils exploitent. » (A. de Potter). Le sacerdoce tout entier ne tarde pas à connaître les résultats de cet examen et dès lors, la révélation en son ensemble est en péril.

Tant que le nombre des individus : philosophes, savants, clercs, sociologues, n’est pas très élevé, il est facile à l’inquisition d’intervenir sans former de tribunaux. Mais vient un jour où le nombre des libre-examinateurs, ou libre-penseurs, est tellement considérable que leurs théories vont se glisser dans le peuple et le dresser contre le dogme. L’Église est placée devant l’alternative ou de disparaître ou de sévir rudement. Le pouvoir royal, de droit divin, qui tire sa puissance son autorité, de la croyance des foules au dogme religieux, est menacé en même temps. L’Église catholique se trouva, au xiiie siècle, devant un nombre tel d’individus émettant des opinions contraires à l’orthodoxie, qu’elle en fut épouvantée. Et elle écrivit dans l’histoire pendant 300 ans, les pages les plus sombres, où nous pouvons lire l’inouï martyre de la conscience humaine se dégageant lentement du servage et de l’ignorance.

Aujourd’hui, d’adroits jésuites nous présentent l’Inquisition comme l’institution la plus humaine et la plus juste. Pendant ces siècles de mort intellectuelle de censure impitoyable, l’Église brûlait tout écrit qui aurait pu transmettre aux générations de l’avenir l’écho de ces barbares turpitudes. Et cependant, malgré ce bâillon, les chroniques qui ont échappé à l’Index, nous disent ce que la douce Église fit couler de larmes et de sang.

Les archives de l’Inquisition ont été en partie visitées, et l’histoire a pu établir, en assemblant tous ces matériaux, les crimes de l’Inquisition. Le Concile de Vérone (1184) décréta l’établissement d’une juridiction spéciale destinée il poursuivre les hérétiques. Ce décret est le germe de l’Inquisition. Les doctrines hétérodoxes faisant de grands progrès dans le Midi de la France, Innocent III confia, (1203) à deux moines de l’abbaye de Cîteaux, les frères Guy et Reynier, le soin de poursuivre les hérétiques de cette région. Mais sans appui des autorités locales, ils durent renoncer à leur mission.

L’année suivante (1204), le pape nomma grand inquisiteur pour le Languedoc son légat : Pierre de Castelnau, autre moine de Cîteaux. Ses premières affaires lui furent funestes, il fut assassiné en 1208. En ce moment, zélé et énergique, celui qui devait être saint Dominique, prêchait dans le Languedoc. Innocent le désigna pour le remplacement de de Castelnau. Dominique est le véritable fondateur de l’Inquisition. Il créa un ordre religieux : les Dominicains, dont la mission fut de fournir des magistrats disposés à favoriser les intentions de l’Église contre les hérétiques. Cet ordre fut approuvé en 1216 par Honorius III.

De 1200 à 1500, sans interruption, se déroule la longue série des ordonnances papales sur l’Inquisition et généralement sur tout ce qui se rattache à la marche à suivre contre l’hérésie : ces ordonnances augmentent de l’une à l’autre en dureté et en cruauté. C’est une législation essentiellement inspirée par un même esprit. Chaque pape qui monte sur le trône confirme les dispositions de ses prédécesseurs et ajoute un étage à l’édifice qu’ils ont commencé. Chacun des mots de cette législation court à un seul et même but : l’extirpation absolue de toute déviation de la foi… La lutte contre les hérétiques fut d’abord menée militairement. Le comte de Montfort prit d’assaut la ville de Béziers et sous les hospices de Sainte-Madeleine, en fit massacrer tous les habitants. À Laval, en une seule fois, on brûla 400 Albigeois.

Le Concile de Latran (1215) et Toulouse (1229), firent de l’Inquisition un tribunal permanent. Des légats du pape, en 1229, poussèrent Louis IX (véritable captation, puisque saint Louis n’avait alors que 14 ans) à rendre cette loi cruelle qui ordonnait de brûler tous ceux qui s’écarteraient de la foi. L’empereur Frédéric II, occupé à écraser les Guelfes en Italie, à une époque où tout dépendait pour lui de la bonne volonté des papes qui le pressaient et le menaçaient, signa, pour les apaiser, les lois barbares de 1224, 1238 et 1239. Ces lois prononçaient contre les hérétiques la peine du feu et la confiscation des biens, les privaient de toute protection légale, et condamnaient leurs amis ou protecteurs aux châtiments les plus sévères. Innocent IV confirma à plusieurs reprises ces lois terribles. Ses successeurs l’imitèrent ; ils donnèrent à ces lois une nouvelle vigueur, réclamèrent leur entière exécution, en alléguant que Frédéric II, ce grand ennemi de l’Église, au temps où il les avait rendues, obéissait au Saint-Siège.

Un vice-légat du pape, Pierre de Collemedio, fut le premier qui promulgua les lois de saint Louis dans le Languedoc. C’était encore un légat du pape — le cardinal saint Angelo — qui, cette même année, introduisit l’inquisition dans un synode en entrant à Toulouse à la tête d’une armée (Vaissette : Histoire générale du Languedoc, III, 382, Paris 1737). C’était en qualité de délégués du pape, que les inquisiteurs Conrad de Marburg et le dominicain Dorso, exercèrent leur rage en Allemagne pendant les années 1231 et suivantes ; au même temps Robert, dit le Bougre, travaillait en France. En 1233, Grégoire IX conféra les fonctions d’inquisiteurs aux Dominicains, d’une manière permanente, mais toujours pour les exercer au nom du pape et armés de ses pleins pouvoirs. L’Inquisition fut successivement établie en Languedoc, en Provence, en Lombardie en 1224, en Catalogne (1232), en Aragon (1233), dans la Romagne (1252), la Toscane (1258), à Venise (1289), où, à partir de 1554, elle devint une institution politique. « Au commencement, dans le Milanais, les hérétiques n’étaient point soumis à la peine de mort, parce que le pape n’était pas assez respecté de l’empereur Frédéric qui possédait cet État ; mais peu de temps après, on brûla les hérétiques à Milan, comme dans les autres endroits de l’Italie, et quelques milliers d’hérétiques s’étant répandus dans le Crémasque, petit pays enclavé dans le Milanais, les frères Dominicains en firent brûler la plus grande partie et arrêtèrent par le feu les ravages de cette « peste ». » (Paramo : Histoire de l’Inquisition).

L’Inquisition s’est toujours de plus en plus éloignée, dans le cours de son développement, de tout principe de justice. Innocent IV (1243-54) s’est tout particulièrement complu à augmenter encore les pouvoirs des inquisiteurs. Il ordonna d’appliquer la torture, ce qu’approuvèrent Alexandre IV, Clément IV, Calixte III. À ce moment il suffisait d’un simple soupçon pour provoquer l’application de la torture et l’on considérait comme une grâce d’être enfermé à perpétuité entre quatre murs étroits, au pain et à l’eau. C’était l’époque où l’on faisait un devoir de conscience au fils de dénoncer son propre père, et de le livrer aux douleurs de la torture, au cachot éternel ou aux flammes du bûcher… Alors, on taisait à l’accusé les noms des témoins ; on lui refusait en outre tout moyen légal de se défendre ; il était impossible d’en appeler à un autre tribunal, ou à une juridiction supérieure, et l’on n’accordait pas davantage le choix ni l’assistance d’un jurisconsulte. Qu’un juriste eût osé se permettre de défendre un accusé, et il eût été immédiatement frappé d’excommunication. Deux témoins suffisaient pour amener la condamnation d’un homme, et le témoignage de n’importe quel individu était valable.

Il était interdit à l’inquisiteur d’user de douceur ou de ménagement : la torture, sous sa forme la plus horrible, était le moyen ordinaire d’obtenir des aveux. Aucune rétractation ne pouvait sauver l’accusé, et l’assurance que sa foi était en tout conforme à celle de ses juges ne le servait point, davantage. On lui accordait la confession, l’absolution et la communion ; c’est-à-dire donc, qu’au forum du sacrement, on croyait à l’affirmation qu’il donnait de son repentir et du changement de ses pensées, mais, en même temps, si c’était un récidiviste, on lui déclarait que, juridiquement on ne le croyait pas, et, par conséquent il lui fallait mourir… Enfin, pour combler la mesure, on dépouillait sa famille innocente de tous ses biens, en vertu d’une confiscation légale : la moitié de sa fortune passait entre les mains des inquisiteurs, l’autre moitié était expédiée à Rome à la Chambre du pape. Innocent III dit qu’on ne devait laisser aux fils de l’hérétique que la vie, et ceci encore par miséricorde. Les enfants étaient également déclarés incapables d’exercer des fonctions civiles ou de recevoir une dignité quelconque.

Mais nulle part l’Inquisition ne fit de ravages comme en Espagne. En 1473, Sixte IV rendit l’inquisition d’Espagne indépendante. Il nomma pour ce pays un inquisiteur général, sorte de souverain délégué, et qui était chargé de nommer des inquisiteurs particuliers. Voici comment s’exprime Michelet, au sujet de l’inquisition d’Espagne : « On n’avait rien vu de pareil depuis les Albigeois. Par la ruine et la faim, par la catastrophe d’une fuite subite, pleine de misères et de naufrages, périrent en dix années presque un million de Juifs, presque autant de Maures. L’Inquisition emplit l’Espagne de sa royauté. Elle dressa aux portes de Séville son échafaud de pierre, dont chaque coin portait un prophète, statues de plâtre creux où l’on brûlait des hommes : on entendait les hurlements, on sentait la graisse brûlée, on voyait la fumée, la suie de chair humaine, mais on ne voyait pas la face horrible et les convulsions du patient. Sur ce seul échafaud d’une seule ville, en une seule année 1481, il est constaté qu’on brûla deux mille créatures humaines, hommes ou femmes, riches ou pauvres, tout un peuple voué aux flammes. Quatorze tribunaux semblables fonctionnaient dans le royaume. Pendant ces premières années surtout, de 1480 à 1498, sous l’inquisiteur général Torquemada, l’Espagne entière fuma comme un bûcher.

« Exécrable spectacle !, et moins encore que celui des délations. Presque toujours c’était un débiteur qui, bien sûr du secret, venait de nuit porter contre son créancier l’accusation qui servait de prétexte… Tout le monde y gagnait, l’accusateur, le tribunal, le fisc. L’appétit leur venant, ils imaginèrent, en 1492, la mesure inouïe de la spoliation d’un peuple. Huit cent mille Juifs apprirent, le 31 mars, qu’ils sortiraient d’Espagne le 31 juillet. Ils avaient quatre mois pour vendre leurs biens, opération immense, impossible ; et c’est sur cette impossibilité que l’on comptait ; ils donnèrent tout pour rien, une maison pour un âne, une vigne pour un morceau de toile. Le peu d’or qu’ils purent emporter, on le leur arrachait sur le chemin ; ils l’avalaient alors ; mais, dans plusieurs pays où ils cherchèrent asile, on les égorgeait, pour trouver l’or dans leurs entrailles.

« Ils s’enfuirent en Afrique, en Portugal, en Italie, la plupart sans, ressources, mourant de faim… Des maladies effroyables éclatèrent dans cette tourbe infortunée et gagnèrent l’Europe. L’Italie vit avec horreur 20.000 Juifs mourir devant Gênes… Une aridité effroyable s’empara du pays. En chassant les Maures et les Juifs, l’Espagne avait tué l’agriculture, le commerce, la plupart des arts. Eux partis, elle continua l’œuvre de mort sur elle-même, tuant en soi la vie morale, l’activité d’esprit. » (Histoire de France, Flammarion, édit.).

Sous la poussée douloureuse et hardie de l’esprit de libre-examen, l’Inquisition dût éteindre un à un ses bûchers. En France, elle fonctionna cependant — au ralenti — jusqu’en 1772, où la Dubarry fit chasser le dernier inquisiteur : André Dulort. En Espagne, un décret de Napoléon l’abolit, le 4 novembre 1808. Mais elle fut rétablie en 1814 par Ferdinand VII. Un dernier autodafé eut lieu à Valencia en 1823, mais l’Inquisition jugea et condamna encore jusque vers 1860.

On ne peut s’étonner que des crimes semblables aient pu se commettre sous le giron de l’Église. On peut être assuré que la théorie est aussi vieille que la religion, et que l’Église catholique est encore à l’affût d’un relâchement des libre-penseurs pour ériger à nouveau ses bûchers… L’assassinat de Francisco Ferrer n’est pas si éloigné de nous, et d’ailleurs il nous suffira de jeter un regard sur l’histoire de l’Église et son enseignement actuel, pour nous convaincre que tant qu’il restera un prêtre sur terre, la pensée libre est sous la menace directe de la persécution.

Voici ce que dit l’Ancien Testament (Deutér. XIII) : « Quand ton frère, ton enfant, ta femme bien-aimée ou ton intime ami voudra te séduire en te disant en secret : allons et servons d’autres dieux que tu n’as pas connus, ni toi, ni tes pères ! — N’aie point de complaisance pour lui et ne l’écoute pas. Que ton Œil aussi ne l’épargne point. Ne sois nullement touché de compassion pour lui. Ne le cache pas. Et tu ne manqueras point de le faire mourir. Ta main sera la première sur lui pour le tuer et ensuite la main de tout le peuple. Tu l’assommeras de pierres et il mourra parce qu’il a cherché à t’éloigner de l’Éternel, ton Dieu. »

Voici comment s’exprime saint Thomas, un des pères les plus importants de l’Église, surnommé d’ailleurs : « l’Ange de l’École ». Sa parole fait autorité. Sa Somme Théologique est étudiée dans tous les séminaires : « On peut sans injustice, pour obéir à Dieu, ôter la vie à un homme, qu’il soit coupable ou innocent. On peut, pour obéir à Dieu, pratiquer le vol et l’adultère » (Somme, première et deuxième parties, quest. 94, arb. V). « Il convient d’effacer du monde par la mort, et non seulement la mort de l’excommunication, mais la mort vraie, l’hérétique obstiné. » (Somme, deuxième partie, arb. III, quest. XI).

Et saint Alphonse de Liguori : « Est-il permis de tuer un innocent ? Oui, si Dieu nous y autorise, car toute vie appartient au Seigneur. » (Théol., t. II, p. 243).

Pie IX, dans le Syllabus, quest. 24, condamne cette proposition : « L’Église n’a pas le droit d’employer la force ; elle n’a aucun pouvoir direct ou indirect ». La Théologie, du P. Vincent, est en usage dans les séminaires. Nous trouvons à la page 403 : « L’Église a reçu de Dieu le pouvoir de réprimer ceux qui s’écartent de la vérité, non seulement par des peines spirituelles, mais encore par des peines corporelles, et ces peines sont : la prison, la flagellation, la mutilation et la mort. »

Enfin, dans son ouvrage De la stabilité et du progrès du dogme, 1910, le R. P. Lépicier, prof. de théologie au Collège Saint-Urbain (coll. des nobles, à Rome), consulteur de la Congrég. des sacrements ; cons. de la congrég. de la propagande ; membre de la commission biblique ; membre de la commission de révision du droit canonique, et qui a obtenu pour son ouvrage tous visas et approbations papales, s’exprime ainsi : « Si les hérétiques professent publiquement leur hérésie et excitent les autres par leur exemple et par leurs raisons à embrasser les mêmes erreurs, personne ne peut douter qu’ils ne méritent d’être séparés de l’Église par l’excommunication et d’être enlevés par la mort du milieu des vivants ; en effet, un homme mauvais est pire qu’une bête féroce et nuit davantage, comme dit Aristote ; or comme il faut tuer une bête sauvage, ainsi il faut tuer les hérétiques (page 194). L’Église prononce par elle-même la peine de mort mais elle charge le bras séculier de l’appliquer. Souvent l’Église a livré des coupables aux magistrats civils pour que ceux-ci les punissent du dernier supplice ; en menaçant de ses censures les magistrats afin qu’ils ne manquassent pas à leur devoir d’appliquer cette peine. » (p. 195). Quant à ce qui concerne le fait, cela « dépend complètement des circonstances » (p. 208).

Cela dépend complètement des circonstances ; c’est-à-dire : si je pouvais, je le ferais… On voit par ces citations que l’Église n’a pas renoncé à son rêve de domination absolue — fût-ce sur des cadavres ! — A. Lapeyre.


INSATIABLE (si-a-ble). Qui ne peut être rassasié, assouvi. « Il y a deux faims qui ne s’assouvissent jamais : celle de la science et celle de la richesse. » (Maxime orientale).

L’insatiable, au sens littéral du mot, le « grand mangeur », ne semble plus jouir de la considération d’autrefois. L’histoire nous raconte, en effet, que les grandes réjouissances, même chez les plus « cultivés » des monarques, n’allaient jamais sans repas gargantuesques, et que leurs majestés elles-mêmes tiraient un naïf orgueil de l’énorme quantités de victuailles qu’elles engouffraient, tandis que, sous les tables, des affamés privilégiés attendaient un os. La race des gloutons est certes loin d’être éteinte, mais du moins a-t-elle perdu beaucoup de son prestige.

La mode est plutôt aux insatiables de gloire et de richesses. Passons les massacreurs : ils sont jugés, et l’histoire démontre qu’ils ne sont rassasiés de gloire qu’aux lendemains des catastrophes ; ils prononcent alors hypocritement un quelconque : « J’ai trop aimé la guerre… », et l’indulgente postérité n’a plus qu’à passer l’éponge…

Quant aux financiers, on sait que c’est leur insatiabilité qui nous valut la guerre d’hier, qui nous vaut celle d’aujourd’hui, qui nous vaudra celle de demain. Mais qu’y pouvons-nous ? Qui serait assez puissant pour mettre un frein à leurs appétits ? « Le peuple, direz-vous, si… » Certainement, si…, mais laissons les hypothèses : pour l’heure présente, les financiers n’en règnent pas moins partout, dans les partis politiques comme dans les temples de toutes confessions.

Les besoins réels d’un homme sont pourtant minimes, et les richesses accumulées par les maniaques de l’or sont tout à fait disproportionnées. La fortune n’est enviable qu’en tant qu’elle permet d’assouvir nos besoins, elle n’est qu’un moyen d’échange…, mais c’est en vain que les sages auront clamé pendant des siècles que le bonheur ne réside pas dans la possession, mais dans la jouissance : tournant le dos au but, nos ventrus insatiables poursuivent frénétiquement le moyen ! Pauvres gens, en somme, mais… pauvres nous !


INSENSIBILITÉ n. f. C’est l’absence de sensibilité, le manque de la faculté d’éprouver des sensations physiques ou psychologiques : insensibilité à la douleur, au charme de la nature. On taxe aussi d’insensibilité les animaux à organisation rudimentaire, dont les faibles réactions prennent alors le nom d’irritabilité.

Nous avons distingué l’insensibilité physique de l’insensibilité psychologique : remarquons tout de suite que l’une et l’autre sont des anomalies, et que la première entraîne la deuxième, les sens étant à la source même de la connaissance.

L’insensibilité physique totale, voisine de la mort, ne se rencontre que dans des cas assez rares de léthargie ; il peut y avoir néanmoins une très grande différence de degré de sensibilité d’un individu à l’autre. En général, on admet que l’homme ressent plus intensément les sensations physiques que la femme, et on attribue ce fait à la puissance plus grande de son système nerveux. Mais ce qu’il importe surtout d’envisager ici, vu le silence quasi-général que le public bien-pensant observe sur cette question, c’est l’insensibilité amoureuse, le manque de sensualité.

Il est courant de dire qu’elle est plus fréquente chez la femme que chez l’homme, mais il n’est pas si facile de le prouver. Ce qui ne fait aucun doute, c’est que le mâle se montre plus brutal dans ses rapports sexuels, et que beaucoup d’hommes, une fois satisfaits, ne se soucient plus guère de ce que peut ressentir leur compagne. Et que celle-ci se dégoûte, répugne aux rapprochements, à qui en est alors la faute ? Combien d’hommes passent des heures passionnées à attendre le résultat des courses, qui trouveraient grossier et inconvenant de s’attacher à la physiologie d’une personne chère, dont l’équilibre sexuel est pourtant nécessaire à l’entretien et à l’harmonie de leur amour !

Voici quelques citations extraites de l’opuscule Lorulot, de Morale et éducation sexuelles (éditions du Fauconnier), qui apporteront l’avis d’une personnalité compétente en la matière :

« Il y a évidemment des femmes froides « par tempérament ». Mais elles sont beaucoup moins nombreuses qu’on ne le croit, et elles constituent, osons l’écrire, un cas pathologique. »

« La femme est sacrifiée. Sa sexualité est méconnue, étouffée, abolie. A un tel point qu’un grand nombre de femmes ont fini par trouver normale leur situation affreuse d’être retranchées de la volupté et privées de la plus grande source de joie où il soit donné à l’humanité de puiser. »

Combien de femmes, hélas, profèrent cette phrase blasphématoire : « Pour le plaisir que nous y trouvons, nous, les femmes, à l’amour ! » Suprême injure à la vie.

« Les « laides » si disgraciées soient-elles, ne sont pas forcément « froides ». J’opinerai même à croire le contraire. Quel feu couve parfois à l’intérieur de ces corps dédaignés ! Et que de bonheur perdu ! — pour elles, les laides, et pour l’homme aussi…

« Disons, au contraire, que dix-neuf femmes sur vingt (la vingtième est une anormale ou une malade) ne vivent que pour l’amour et n’aspirent qu’à l’amour. Toute leur sensibilité (si raffinée) et toutes leurs facultés sont dirigées vers l’amour. C’est la faute à notre conception dégénérée de la vie, à nos servitudes étriquées, si la femme, devenue inapte, trop souvent, à remplir son rôle magnifique d’amante, devient un être amorphe, insensible et douloureux. »

Et l’auteur remarque :

« 1° Pour parler à la sexualité de la femme, la science des caresses est indispensable ;

« 2° Pour donner à la femme le maximum de satisfaction que sa psychologie réclame, il faut étudier sa périodicité amoureuse et les lois de ses désirs. »

Ceci explique l’exclamation d’Armand : « Pourquoi n’y a-t-il pas des cours de volupté amoureuse ?… » (E. Armand : L’Initiation individualiste, p. 252).

On est donc mal venu de parler de l’insensibilité de la femme, tant que goujaterie, brutalité, ignorance et hypocrisie seront la règle commune dans les rapports sexuels.

L’insensibilité psychologique revêt des formes variées, aussi variées que les causes qui peuvent la produire. L’insensibilité morale — c’est-à-dire l’inaptitude à sentir l’esthétique de certains actes, d’où indifférence en matières de mœurs — peut rompre totalement les attaches entre l’humanité et l’individu inhumain (Voir ce dernier mot). Le degré d’insensibilité peut être aussi une « question de nerfs », comme dit H. de Montherlant : on craint de voir abattre un cheval ou mettre à mort un taureau, mais on écrase insouciamment des insectes qui sont de véritables merveilles…

Insensibilité va souvent de pair avec ignorance. Nombre d’enfants — « cet âge est sans pitié » — se complaisent dans des actes de cruauté, — défaut de jugement plutôt que de sensibilité — car il faut comprendre pour éprouver de la pitié. D’autres cas d’insensibilité par défaut de jugement sont présentés par certaines peuplades primitives, qui ont fait de la torture un art considéré, ainsi que par les individus sous l’empire du fanatisme ou d’un enthousiasme irraisonné.

Il est d’ailleurs regrettable que des éducateurs inconscients semblent s’ingénier à fausser ou à détruire la sensibilité de leurs enfants. Ils l’apitoient jusqu’aux larmes sur le triste sort d’une poupée de carton…, mais bientôt, l’enfant comprendra, et sensibilité deviendra pour lui synonyme de duperie. Pour résumer cette question de l’insensibilité dans l’éducation, dont l’exposé mériterait un volume, insistons sur deux points : 1° Il faut respecter chez l’enfant la sensibilité existante et organiser son éducation en conséquence ; 2° Il faut affiner et développer le peu de sensibilité dont jouissent certains sujets déficients sous ce rapport.

La société ne se conduit d’ailleurs pas mieux envers l’adulte que les parents de tantôt envers l’enfant. A tout instant, on a l’occasion de dire et d’entendre dire : « On ne m’y prendra plus », expression du regret d’avoir donné dans le panneau « bonté », que d’aucuns manient vraiment avec une adresse extrême. La société tend à opérer de la sorte, en faveur des moins sensibles, une sélection à rebours dont les lynchages, les exécutions froidement concertées d’idéalistes politiques en Amérique peuvent déjà nous faire entrevoir les résultats.

La sensibilité peut aussi être usée par l’habitude. Un spectacle habituel cesse de toucher ; on s’endurcit à sa propre misère et à celle des siens. Les anciens ne souffraient guère de l’affreuse situation des esclaves, et les détruisaient comme du simple bétail. Ceux-ci, de leur côté, semblent avoir accepté leur sort avec assez de résignation. Les calamités publiques, les famines, les massacres, peuvent même amener un état d’insensibilité général, détruire tout ressort chez un peuple entier, même pour plusieurs générations : ce qui explique que les peuples les plus maltraités ne soient pas les plus prompts à la révolte.

Bien souvent, l’insensibilité, plus apparente que réelle, est voulue et employée comme une arme dans la lutte pour la vie : comme toutes les armes, elle vaut alors selon l’usage qu’on sait en faire. Des femmes cachent le plaisir qu’elles prennent aux rapports sentimentaux ou sexuels, soit par désir de faire croire à un sacrifice de leur part, soit par honte de s’adonner à la luxure : préjugés assez compréhensibles dans une société imprégnée de ce christianisme qui fit du renoncement une vertu, qui maudit la vie sous toutes ses formes. Les mêmes influences poussent des malheureux tout à fait fanatisés à rechercher la douleur, à laquelle ils s’accoutument d’ailleurs et qui peut les entraîner à d’étranges perversions, afin d’en faire offrande au Dieu de bonté !

Les philosophes, les Stoïciens surtout (voir les Maximes d’Epictète), recommandent aussi l’insensibilité comme moyen d’échapper aux influences du milieu, de garder en toutes circonstances une volonté libre et un calme inaltérable, — serait-ce dans un corps torturé. Cette attitude a une sorte de beauté haute qui ne peut manquer de gagner de tous temps de nombreux suffrages : dommage pourtant qu’elle serve si souvent de nos jours à bien des dandys, qui prennent le masque de l’impassibilité pour se dispenser d’ouvrir les yeux sur les malheurs… d’autrui !

Quoi qu’il en soit, on ne peut que conclure, avec le Dr  H.-M. Fay, que « être peu émotif est plutôt une force qu’une faiblesse », et que « nous aurions sans doute grand tort d’en faire un état pathologique ». Avec réserves toutefois, car cet état « aggrave les constitutions perverse, mythomaniaque et paranoïaque quand elle leur est associée ». Il faut en outre prendre garde que l’insensibilité voulue ne devienne, comme nous l’avons dit plus haut, ordinaire par l’accoutumance, et que l’homme cuirassé ne devienne pétrifié, car c’est la sensibilité qui fait la richesse de l’individualité, et l’incapacité de souffrir entraîne l’incapacité de jouir. — L. W.


INSIGNE n. m. (lat. insigne, de insignis, remarquable). Marque distinctive. Ne se dit qu’en parlant des personnes ou des grades, des dignités, etc., et s’emploie le plus souvent au pluriel. Les insignes de la royauté.

Antiquité romaine : Nom particulier peint sur la poupe de chaque vaisseau, comme Scylla, le Centaure, etc.

Suivant les pays, suivant les temps, les insignes de l’autorité diffèrent. Après avoir été la marque du pontificat, le diadème et la couronne sont devenus dès la plus haute antiquité les insignes de la royauté. Le manteau teint de pourpre, chez les anciens et chez nous, doublé d’hermine, et tour à tour parsemé d’étoiles, d’abeilles ou de fleurs de lis, est encore un insigne du pouvoir des rois. Le costume des membres du clergé, de l’université, des corps savants et de certaines administrations, de même que l’uniforme de l’armée, sont des insignes de professions. Les chanoines ont pour insignes l’aumusse. La robe, insigne général de la magistrature et de l’université, dénote, suivant qu’elle est noire ou rouge, les simples juges et les modestes professeurs. L’officier municipal, le commissaire de police, etc., ont pour insigne l’écharpe tricolore.

La main est l’insigne de la justice, la hache celui de la juridiction suprême, et la masse celui de l’Université.

Les insignes ne signifient rien par eux-mêmes ; ils ne disent que ce que d’un commun accord on veut bien leur faire dire : ils ne sont compris que des initiés.

Si vous n’êtes pas au courant des usages que signifie pour vous la pourpre des souverains, la barrette des cardinaux, les galons des sergents, la chasuble du prêtre ?


INSINUATION n. f. (lat. insinuatio, de insinuare : insinuer). Action d’insinuer, d’introduire doucement et adroitement quelque chose. L’insinuation de la sonde dans une plaie. Manière subtile de faire accepter ses pensées, ses désirs. Chose que l’on fait entendre sans l’exprimer formellement : les insinuations agissent sur les faibles.

— Adresse dans le style, dans le langage, par laquelle on insinue quelque chose. Acte de pénétrer en quelque sorte dans le sein, dans l’âme d’une personne.

— Dans l’art oratoire : forme douce, habile et pénétrante, discours qui, par une sorte de dissimulation et de détour, se glisse adroitement dans les esprits, et dont l’orateur fait usage surtout en abordant un sujet qui doit éveiller la susceptibilité et la répugnance de l’auditoire. Au lieu de marcher droit à son but, l’orateur cherche à l’atteindre par des moyens indirects : il détourne d’abord l’attention sur des objets et des idées en possession de la faveur de ceux qui l’écoutent ; puis, détruisant les préventions par des rapports habilement ménagés, par des transitions et des nuances heureuses, il ramène les esprits mieux disposés, et les force à considérer, à accueillir même ce qui semblait devoir les révolter.

— Histoire ecclésiastique. Nomination d’un clerc dans le personnel d’une paroisse.

— Droit canon. Sorte de déclaration de noms et surnoms, que les gradués étaient tenus de faire chaque année, à leurs collecteurs, sous peine de perdre leur droit pour l’année courante.

— Se disait pour l’enregistrement des actes, qui leur donnait un caractère d’authenticité. L’insinuation d’un acte de donation, d’un testament.


INSOCIABILITÉ n. f. (du préf. in et de sociabilité). Caractère de celui qui est insociable. Un homme insociable, c’est-à-dire avec qui on ne peut vivre, incommode, fâcheux, difficile à fréquenter.

Phys. : Corps insociables. Corps qui ne peuvent se lier, se mêler, ni s’accorder.

Ant. : Sociabilité, sociable (Voir ces mots).


INSOUMIS, INSOUMISSION Selon la formule classique, être insoumis, c’est « manquer de soumission, ne point obéir ». De par l’étymologie, même, les anarchistes sont des désobéisseurs, ce qui ne veut pas dire que tous les insoumis soient des anarchistes. Les individualistes anarchistes sont, par définition, des insoumis, ils se refusent à accomplir les services que, profitant de la puissance qu’il détient, l’État exige d’eux, et lorsqu’ils obtempèrent aux injonctions de l’État, ce n’est jamais que sous l’empire d’une menace, en ne prenant pas au sérieux leur acquiescement superficiel.

Il y a donc une différence entre l’insoumis par entêtement, le non-obéisseur par opiniâtreté, irréfléchi, qui ne raisonna pas son geste, et l’individualiste anarchiste prêt à passer toutes sortes de contrats, à condition qu’il puisse en discuter les termes, en examiner les clauses à la lueur de son avantage ou de son intérêt. Un des représentants les plus autorisés de la tendance tuckérienne de l’individualisme anarchiste a pu écrire : « Le gouvernement d’un groupement, d’une association volontaire quelconque n’est pas un gouvernement politique, car il ne cherche pas à exiger l’obéissance de tous, mais simplement réglemente les actes de ceux qui désirent être réglementés ; une forme semblable de gouvernement n’est pas opposée aux principes anarchistes. » (Stephen T. Byington : What is Anarchism ? ).

En effet, une association anarchiste peut s’administrer comme elle l’entend, et c’est son affaire. Elle cesse d’être anarchiste quand elle veut soumettre à cette administration ceux qui ne veulent pas s’y conformer et retenir malgré eux ceux qui ne veulent plus y obéir. Elle cesse également d’être anarchiste quand elle proclame que ne sont pas ou plus anarchistes ceux qui se refusent, hors de cette association, à être réglementés par les principes selon lesquels elle fonctionne. Dans ces deux cas, elle agit ou parle en archiste.

Cette digression terminée, qui nierait qu’en l’insoumis instinctif, il n’y ait, à l’état latent, un insoumis raisonné : le but de la propagande anarchiste est justement de le faire se révéler consciemment à lui-même.

On appelle plus particulièrement insoumission la situation dans laquelle se mettent les recrues qui ne répondent pas à l’appel qui leur est adressé de rejoindre leur corps. On rencontre parmi les anarchistes un certain nombre d’insoumis. Il y a plusieurs raisons à leur attitude. Plus encore que dans la vie civile — où ils sont cependant bien comprimés — l’affirmation et le déterminisme individuels sont, dans l’état militaire, restreints et réprimés, pour ne pas dire réduits à néant. Du fait qu’elle exige de l’individu qu’il obéisse sans savoir et sans demander pourquoi, celui-ci se trouve dans une position humiliante de subordination vis-à-vis de l’autorité militaire. En temps de guerre la situation est pire, l’unité humaine n’est plus qu’une unité amorphe, inconsistante, dont disposent, comme d’un colis, d’autres hommes, obéissant eux-mêmes à des ordres qu’ils ne peuvent discuter.

Ce motif pourrait suffire. Il en est d’autres qui poussent l’anarchiste à l’insoumission. Il sait que la force armée est le principal soutien de l’État dans son rôle de protecteur des monopoles et des privilèges monétaires, fonciers, industriels, commerciaux. Il sait que l’absence de cet état mettrait en péril l’existence de l’édifice politique et économique de nos sociétés contemporaines. Il se refuse à être le complice de l’État, l’exécuteur des hautes et basses œuvres des systèmes d’oppression qu’il protège, le pilier du contrat social unilatéral… Certains insoumis se placent à un autre point de vue : humanitaire ou religieux. Ceux-là ne veulent pas apprendre le métier de tueur d’hommes, par raisonnement sentimental ; ceux-ci entendent ne point désobéir au commandement biblique : « Tu ne tueras point ». Il semble que ces derniers soient considérés par les gouvernants, d’un meilleur œil que les autres insoumis.

L’insoumission est passible de peines plus ou moins élevées selon les pays. Un mois à un an en temps de paix, deux ans à cinq ans en temps de guerre avec, dans ce dernier cas, envoi dans une compagnie disciplinaire. Durant tout le temps que dure la guerre, le nom de l’insoumis est affiché dans les communes du canton dont fait partie la sienne. Ceci pour la France. Quoi qu’il en soit, la situation de l’insoumis est pénible ; s’il reste dans le territoire qui l’a vu naître, force lui est de recourir à la ressource fort précaire de vivre sous un nom d’emprunt, avec les papiers d’une personne ayant accompli son service militaire. S’il s’expatrie, il ne pourra rentrer dans son pays d’origine que si une amnistie l’y autorise. En temps de guerre, que la contrée où il ait pris refuge soit alliée à la sienne son ennemie, ou demeure dans la neutralité, rien ne le garantit contre un refoulement ou une expulsion, ou même un enrôlement forcé dans l’armée du territoire qui l’abrite. En temps de paix, sa situation n’est guère meilleure, et la tendance actuelle est qu’elle soit de moins en moins certaine, surtout aux États-Unis et en Europe.

Ces dernières lignes pour montrer qu’on ne saurait nier à l’insoumis un évident courage, qu’il soit instinctif ou raisonné, qu’il habite en Hollande, en Suisse, en Russie, en Yougoslavie, en Bulgarie ou sous les cieux de la France. — E. Armand.