Encyclopédie anarchiste/Jésus - Jeûne
JÉSUS n. pr. (de l’hébreu Jehosuah ou Jeschouang, sauveur). Jésus, toi dont une mère bien aimée m’apprit à balbutier le nom lorsque j’étais enfant, toi que, dans mon inquiète adolescence, j’invoquais comme le consolateur suprême de l’orphelin sans appui, Jésus, qui ne put fournir à mon esprit la lumière dont il avait soif, ni à mon cœur l’amour sans borne dont il éprouvait le besoin, Jésus pourquoi n’es-tu qu’un dieu de plâtre, dont le manteau abrite aujourd’hui les gredins dorés ou les exploiteurs hypocrites. Et j’ai consumé de longues nuits à lire les Évangiles où tes actes et tes paroles étaient rapportés ; et mes yeux se sont usés à déchiffrer les écrits de l’âge apostolique où devrait subsister un peu de ton esprit. Rien, rien ; plus j’ai voulu voir, plus il m’apparut que tu n’étais qu’un vain mirage, l’inconsistante création de cerveaux hallucinés. D’imaginaires romans, tels sont les Évangiles approuvés par l’Église ; la Vie de Jésus d’un Renan n’est elle-même qu’une pieuse légende sans base historique sérieuse. Son Jésus resté naïf et débordant d’amour, adversaire des riches et des officiels, victime des machinations ourdies par les puissants, nous est sympathique à souhait ; seulement les progrès de l’exégèse démontrent qu’il s’agit là d’un rêve, d’un doux et beau rêve, éclos dans la pensée des premiers chrétiens et repris, à toute époque, par des croyants naïfs ou des poètes plus soucieux d’harmonie que de réalité. L’amoncellement des mythes, l’abus du merveilleux et de l’allégorie ont rendu insaisissable le Jésus de l’histoire, en admettant qu’il ait existé. Dès le début du christianisme (voir religions), les docètes nièrent sa réalité historique ; nul parmi ses contemporains ne le mentionne ; et les récits évangéliques constituent un tel ramassis de légendes, inventées de toute pièce, qu’il est impossible de dégager les faits réels que l’un ou l’autre pourrait envelopper. L’historien Josèphe qui nous renseigne sur la Palestine à l’époque du procurateur Ponce Pilate, mentionne Jean-Baptiste mais ignore totalement Jésus ; la critique a définitivement établi le caractère apocryphe du passage concernant ce dernier : il s’agit là d’une interpolation d’origine chrétienne et assez tardive. Juste de Tibériade qui écrivit sur la Judée, vers 70 de notre ère, ne disait pas un mot du Christ ; rien non plus le concernant chez Philon, son contemporain ; ce qu’on trouve dans le Talmuld ferait croire qu’il existait des disciples de Jésus un siècle avant l’ère chrétienne. Peut-être Suétone y fait-il une allusion lorsqu’il déclare que les juifs de Rome, en l’an 52, se révoltaient à l’instigation de Christ ; Tacite en parle clairement à propos de la persécution de Néron ; mais Tacite, comme Suétone, ne pouvait connaître que le Christ de la légende.
Les Évangiles nous renseignent sur les traditions des Églises primitives et sur les essais d’explication tentés au sein des communautés chrétiennes ; aucun ne fut écrit par un témoin oculaire. Marc, que l’on s’accorde à reconnaître comme le plus ancien et dont on a voulu faire le secrétaire de l’apôtre Pierre, utilise déjà les grandes épîtres de Paul aux Galates, aux Romains, aux Philippiens, aux Thessaloniciens ; la rédaction de son Évangile n’est pas antérieure à la persécution de Domitien et se place aux alentours de l’an 100. L’auteur de l’Évangile selon Mathieu a certainement utilisé Marc, c’est dire qu’il ne fut pas l’un des douze apôtres ; Luc, soi-disant compagnon de Paul, déclare lui-même qu’il s’inspire d’écrits répandus, à son époque, dans les églises : écrits, nous en avons la preuve, parmi lesquels il ne faut point compter les textes actuels de Marc et de Mathieu. Quant au quatrième Évangile, celui du pseudo-Jean, c’est l’œuvre tardive d’un juif mystique qui connaît Philon d’Alexandrie : « Les récits de Jean ne sont pas de l’histoire, affirme Loisy, mais une contemplation mystique de l’Évangile ; ses discours sont des méditations théologiques sur le mystère du salut. »
Et il déclare ailleurs : « On fausse entièrement le caractère des plus anciens témoignages concernant l’origine des Évangiles, quand on les allègue comme certains, précis, traditionnels et historiques : ils sont, au contraire, hypothétiques, vagues, légendaires, tendancieux ; ils laissent voir que, dans le temps où l’on se préoccupa d’opposer les Évangiles de l’Église au débordement des hérésies gnostiques, on n’avait sur leur provenance que les renseignements les plus indécis. » Nul écrivain chrétien de la première moitié du iie siècle ne cite les Évangiles, Papias excepté qui, vers 120, signale un récit de Marc et un recueil, maintenant perdu, de discours du Christ. Les extraits des Mémoires des Apôtres, donnés par Justin vers 150, proviennent d’Évangiles apocryphes (on sait qu’ils furent nombreux), d’écrits qui ne subsistent plus, parfois d’Évangiles qui se rapprochent des nôtres sans jamais avoir un texte rigoureusement semblable à celui d’aujourd’hui. Renan avait fait de Jésus un homme exemplaire, tout en le dépouillant de son auréole divine ; Loisy, Guignebert, etc., ont montré que le Jésus de la légende ne saurait être identifié au Jésus de l’histoire, obscur juif dont on ne peut rien affirmer avec certitude. Poussant plus loin, Couchoud et d’autres ne voient en Jésus qu’un mythe sans fondement historique, une création idéale et mystique de la conscience des premiers chrétiens. Cette thèse rappelle celle de Dupuis qui, dans la légende de Jésus, découvrait une fable solaire. Les fêtes de la religion du Christ, écrivait-il, sont « liées essentiellement aux principales époques du mouvement annuel de l’astre du jour ; d’où nous conclurons que si Christ a été un homme, c’est un homme qui ressemble fort bien au soleil personnifié, que ses mystères ont tous les caractères de ceux des adorateurs du soleil, ou plutôt, pour parler sans détour, que la religion chrétienne, dans sa légende comme dans ses mystères, a pour but unique le culte de la lumière éternelle rendue sensible à l’homme par le soleil. » Pour Couchoud, Jésus n’est pas un dieu solaire, mais un dieu mystique ; c’est dans l’âme de ses premiers adorateurs que s’élabora sa divine figure, et sa tragique idylle fut une création de leur imagination.
A mon avis, la merveilleuse histoire du Christ résulte des réflexions accumulées de très nombreux croyants, nourris des textes bibliques où se trouve annoncé le Messie. L’Évangile emprunte ses matériaux à l’Ancien Testament ; il est sorti d’un florilège de textes messianiques : prophéties, récits allégoriques, histoire des personnages préfiguratifs du Sauveur. Marc raconte que Jean-Baptiste prépara la voie à l’Oint de Jahvé, « selon ce qui est écrit » par les prophètes ; il fait dire par Jésus aux pharisiens : « Isaïe a bien prophétisé sur vous ainsi qu’il est écrit : Ce peuple m’honore des lèvres mais leur cœur est loin de moi » ; et aux apôtres : « Vous succomberez tous, car il est écrit : Je frapperai le berger et les brebis seront dispersées » ; et aux envoyés du Sanhédrin : « Vous êtes venus après moi comme après un brigand, avec des épées et des bâtons… C’est afin que les Écritures soient accomplies ». En l’absence même de citations, et pour des épisodes d’une importance capitale, Marc s’inspire de l’Ancien Testament ; son Évangile n’est qu’un décalque de la Bible, il exploite constamment de vieux thèmes messianiques et transpose sous une forme historique les oracles anciens. Même remarque concernant les trois autres Évangiles ; la biographie de Jésus y semble tirée de textes messianiques, parfois très mal compris. Mathieu déclare que le fils de Joseph vint habiter Nazareth « afin que s’accomplisse ce qui avait été annoncé par les prophètes : Il sera appelé nazaréen ». Or, de l’avis de tous les philologues « nazaréen » ne peut venir de Nazareth ; et la phrase citée par l’évangéliste ne se lit, sous cette forme, dans aucun prophète. Nazaréen dérive sans doute du mot hébreu « nazir » employé, dans la Bible, pour désigner un homme consacré à Dieu. Aussi les exégètes, incapables de trouver une base historique aux légendes évangéliques, en sont-ils venus à considérer les épîtres de Paul, antérieures certainement aux Évangiles, comme la meilleure preuve de l’existence réelle de Jésus. Mais le témoignage de Paul lui-même devait s’écrouler après une étude plus attentive. Si Paul avait vu, en chair et en os, celui qui fut le centre de ses pensées, la raison d’être de son apostolat, il n’aurait pas manqué d’en parler, d’y faire allusion du moins, tant pareille rencontre eut été, pour lui, inoubliable. Il eut rapporté, ne fût-ce qu’en passant, quelques détails de cette scène vécue, quelque écho lointain des paroles du Maître qui continuaient de résonner en son cœur. Or jamais l’apôtre ne parle de Jésus comme témoin ; tout prouve au contraire qu’il ne l’a point connu « selon la chair » et que sa conversion consista seulement dans le passage du messianisme matériel des rabbins au messianisme moral de la primitive Église. Mais, dira-t-on, Paul a rencontré Pierre, Jean, Jacques, qui avaient vu et entendu le Christ. Seulement il apparaît aujourd’hui que Marc et les évangélistes qui l’ont suivi s’inspirent des écrits pauliniens lorsqu’ils accordent tant d’importance à ces trois personnages. Et Paul ne fournit aucun détail permettant d’affirmer qu’ils furent les compagnons de Jésus pendant sa vie terrestre. Bien plus il déclare nettement qu’il n’a demandé à personne de renseignements historiques sur le Christ : « Je vous déclare, frères, que l’Évangile qui a été annoncé par moi n’est pas selon un homme. Car ce n’est pas d’un homme que moi je l’ai reçu, ni que je l’ai appris, mais par révélation de Jésus-Christ… Quand il plut à celui qui m’avait distingué dès le sein de ma mère, et qui m’a appelé par sa grâce, de révéler son Fils en moi… aussitôt je ne consultai point la chair et le sang, et je ne montai point à Jérusalem, vers ceux qui étaient apôtres avant moi. » Pareil dédain du témoignage de ses devanciers résulte de ce qu’ils n’en savent pas plus que lui sur la vie et les propos du Maître ; leurs informations sont de même ordre que la sienne, c’est en esprit seulement qu’ils ont vu le Sauveur. Aussi, en toutes ses épîtres, Jésus reste-t-il fuyant, impalpable, sans individualité, pareil aux figures de rêve qui appartiennent au monde idéal de la foi. C’est dans les textes de l’Ancien Testament, relatifs à la grande promesse, que Paul apprit à le connaître ; il est né dans son esprit de la fusion des oracles messianiques groupés en recueils depuis longtemps. Quant aux visions, invoquées par les fondateurs du christianisme, elles ne sauraient être rien de plus, aux yeux du savant actuel, qu’une manifestation de l’état d’âme des croyants. Ces remarques demeurent intégralement vraies si l’on admet avec Couchoud (et pour ma part je ne suis pas éloigné de le croire), que l’édition de Marcion est la plus ancienne et la meilleure des œuvres de Paul. On sait que Marcion eût, le premier, l’idée d’établir un canon ou recueil des écrits inspirés de la Nouvelle Loi, vers le milieu du second siècle ; mais il rejetait entièrement la Bible juive, œuvre du diable à son avis. Outre quelques références très nettes à l’Ancien Testament, l’édition marcioniste contient de nombreuses citations implicites des antiques prophéties. Manifestement les affirmations de Paul concernant Jésus se fondent, non sur une tradition certaine mais sur la seule Écriture ; encore plusieurs ont-elles subi des altérations ou résultent-elles d’interpolations ultérieures.
Une longue incubation fut nécessaire avant que la conscience chrétienne conçut Jésus comme un dieu véritable le fils et l’égal de Jahvé. Les juifs attendaient un roi idéal, un sauveur, le Messie ; pour les premiers judéo-chrétiens Jésus, qu’ils élevaient d’instinct au-dessus de la commune humanité, devint bientôt un très grand prophète et même le Messie ; ils n’allèrent pas jusqu’à le déclarer dieu. Marc, Mathieu, Luc, ne le considèrent point comme tel ; dans leurs trois Évangiles, appelés synoptiques parce que l’ordre de leurs récits se ressemblent et qu’on peut les imprimer sur trois colonnes, Jésus annonce seulement l’avènement prochain du royaume de Dieu. Mathieu rapporte qu’il défendit à ses disciples de l’appeler Christ ; et ses contemporains ne l’accusèrent point de s’être déclaré l’égal de Jahvé : l’expression « fils de dieu » étant synonyme, dans la Bible, de saint et de prophète. « C’est seulement dans l’Évangile de Jean, écrit Loisy, que les discours et les miracles du Christ tendent à prouver sa mission surnaturelle, son origine céleste et sa divinité. » Or on sait combien postérieur aux autres ce quatrième Évangile, dont l’auteur, un asiate inconnu, exprime les idées de communautés encore peu nombreuses. La condamnation des doctrines ariennes au Concile de Nicée, en 325, marqua le triomphe de la croyance en la divinité du Christ. Mais rien de définitif sur notre globe ; la religion n’échappe point à la loi commune, et l’exégèse biblique, dont l’oratorien Richard Simon peut être considéré comme l’un des principaux promoteurs au xviie siècle, devait, après bien des recherches et de nombreuses étapes, aboutir à considérer Jésus comme un personnage légendaire ou même comme une création mythique n’ayant jamais eu d’existence hors de l’esprit halluciné des premiers chrétiens. — L. Barbedetie.
Ouvrages a consulter. — Revue de l’Histoire des religions (essentielle pour connaître les progrès de l’exégèse). — Strauss : Vie de Jésus (traduit de l’allemand). — Renan : Vie de Jésus, etc. Abbé Loisy : nombreux ouvrages : Autour d’un petit livre ; Le quatrième Évangile ; Les Évangiles synoptiques, etc. Guignebert : Manuel d’histoire ancienne du christianisme, etc. Harnack : ouvrages allemands. — Alfaric : Études de la Revue de l’Histoire des religions. — Couchoud : Id. (sa thèse sur la non-existence de Jésus aura fortement contribué, quoi qu’on en pense, au renouvellement des études exégétiques). — Han Ryner : Le cinquième Évangile. — H. Barbusse : Jésus. — Malvert : Science et religions ; Jésus-Christ a-t-il existé ? — Ch. Virolleaud : La Légende du Christ. — Emilio Bossi : Jésus-Christ n’a jamais existé. — De Renesse : Jésus, ses apôtres, ses disciples. — Stefanoni : Jésus (Dictionnaire philosophique) ; Histoire critique de la superstition. — Ernest Havet : Le christianisme et ses origines. — César Cantu : Histoire universelle. — Binet-Sanglé : La folie de Jésus. — Stéphane Servant : étude de la Revue intellectuelle (juin 1908). — J. Salvador : Jésus-Christ et sa doctrine. — Aug. Dide : La fin des religions. — B. Rogatcheff : L’Idole et sa morale. — H. Loriaux : L’Autorité des Évangiles. — Dupuis : Origine des cultes. — Paulus : Vie de Jésus. — A. Peyrat : Histoire élémentaire et critique de Jésus. — Rabbinowicz : Le Rôle de Jésus et des Apôtres. — A. Réville : Histoire du dogme de la divinité de Jésus-Christ. — — J. Soury : Jésus et les Évangiles. — L. Martin : Essai sur la vie de Jésus. — P. de Règla : Jésus de Nazareth, etc.
JEU n. m. (du latin jocus). Ce mot est pris dans un nombre considérable d’acceptions. Le dictionnaire Littré en donne jusqu’à trente ; encore n’est-il pas bien certain qu’il n’en omette aucune. Je me fais un jeu de les reproduire ici : 1° Action de se livrer à un divertissement, à une récréation. — 2° Action de se jouer. — 3° Jeu de mots. — 4° Les Jeux, divinités. — 5° Amusement soumis à des règles et auquel il s’agit de se divertir sans aucun enjeu. — 6° Amusement soumis à des règles et auquel on hasarde ordinairement de l’argent. — 7° Académie des jeux ou jeux publics. — 8° Les règles d’après lesquelles il faut jouer. — 9° Assemblage des cartes qui, données à chacun des joueurs, lui servent à jouer le coup. — 10° Ce qui sert à jouer à certains jeux ; jeux de cartes, de dés, etc. — 11° Jeu de contremarques. — 12° Ce que l’on risque au jeu. — 13° Jeu de Bourse. — 14° Nom des divisions de la partie au jeu de hasard. — 15° Lieu où l’on joue à certains jeux : jeu de boules. — 16° Courses, luttes, etc. — 17° Les jeux de prix. — 18° Jeux floraux. — 19° Les jeux de la scène. — 20° Le maniement des hautes armes. — 21° La façon de faire des armes. — 22° Manière de jouer d’un instrument de musique. — 23° Manière dont un comédien remplit ses rôles. — 24° Différentes expressions que prend la physionomie. — 25° Le jeu de la lumière. — 26° Aisance de mouvement. — 27° Action d’un ressort. — 28° Jeu d’eau ; jeu de voiles. — 29° Jeu d’orgue ; espèce de soubassement. — 30° Jeu de bief.
Ces jeux sont trop pour que nous nous arrêtions à chacun d’eux. N’en commentons que quelques-uns. Il est dans la nature humaine de chercher à se récréer. Se divertir est un besoin et lorsqu’on a consacré au travail les forces physiques ou les énergies intellectuelles dont on dispose, il est agréable et utile de s’arrêter où commence le surmenage et même la simple fatigue et de demander au jeu le délassement nécessaire. J’ai constaté que les enfants qui, à l’étude, sont les plus attentionnés sont ceux qui, au cours des récréations, se livrent aux jeux avec le plus d’entrain. J’ai remarqué aussi que les adultes qui travaillent prennent aux divertissements plus de plaisir que les oisifs. Les jeux qui ne comportent aucun enjeu ne se jouent guère qu’en famille ou entre amis intimes. Ceux qui se jouent entre personnes plus ou moins étrangères les unes aux autres entraînent presque toujours des chances de gain et des risques de perte. Il y a même des jeux qui seraient sans attrait et totalement délaissés, s’ils n’étaient pas l’occasion de gagner ou de perdre de l’argent. Pour tout dire, nul ne s’aviserait de les trouver intéressants s’ils n’étaient intéressés.
Les champs de courses, les casinos, les cercles qui sont fréquentés par des centaines de milliers de personnes verraient tomber à presque rien leur clientèle, si l’appât du gain disparaissait. Pendant l’année 1927, le montant des paris engagés sur les champs de courses s’est élevé, en France, à la somme énorme de trois milliards sept cent mille francs. Ce chiffre ne représente que les paris enregistrés et contrôlés par le Pari Mutuel. Les paris engagés par ailleurs plus ou moins clandestinement ont certainement, au dire des personnes les mieux renseignées, atteint, sinon dépassé cette somme ; en sorte que, additionnées, ces deux sommes forment le joli total de sept milliards et demi.
Dans certains cercles et casinos, on voit, au cours d’une seule nuit, s’édifier ou s’effondrer de véritables fortunes. Tous les journaux ont raconté que, au Casino de Deauville, le fameux Citroën, le capitaine d’industrie bien connu, trop connu même par le rendement qu’il exige des trente mille travailleurs qu’il occupe et les faibles salaires qu’il leur consent, a gagné un jour trois millions et en a perdu huit la nuit suivante. Il aurait tout aussi bien pu laisser sur le tapis vert une somme double : ses ouvriers ne sont-ils pas trop flattés et heureux de combler les différences de ce casse-cou ?
Et pourtant ces sommes déjà quasi fabuleuses ne sont rien auprès de celles que la spéculation engage sur les marchés de la Bourse : bourse des valeurs ou du commerce. Incalculable est chaque jour le montant de ces spéculations. D’une part, l’enjeu ne saurait être limité au gré du joueur qui, spéculant sur la hausse ou sur la baisse, ne peut pas plus prévoir où s’arrêtera celle-ci que celle-là. Sans doute, il peut donner à son agent de change, à son coulissier ou à sa banque l’ordre de vendre à tel prix ou d’acheter à tel autre prix. Mais dans la pratique, le gros spéculateur une fois engagé ne se retire pas et garde la position qu’il a prise en Bourse jusqu’à ce qu’il ait totalement épuisé ses disponibilités et son crédit. D’autre part, il n’est pas tenu « d’éclairer », c’est-à-dire de représenter la valeur totale en titres ou en espèces de ce qu’il expose à la hausse ou à la baisse. Par le jeu de « la couverture » et le crédit qui lui est ouvert, il peut, avec des ressources disponibles relativement faibles et un crédit limité, risquer des sommes très importantes et qu’il n’est pas en mesure de payer. Il y a bien, pour l’arrêter dans cette course infernale, la menace d’être « exécuté en Bourse » ; mais cette crainte ne fait pas reculer le joueur quand il est entraîné sur la pente qui le conduit à la ruine. Jusqu’au dernier moment, il escompte un retour de la fortune, une chance, un miracle qui opérera le redressement désiré. Et puis, le joueur à la Bourse (valeurs ou marchandises) n’a pas sous les yeux toutes les cartes qui décideront de la partie engagée ; il n’est pas enfermé dans le salon plus ou moins exigu du Cercle ou du Casino ; il ne peut pas suivre exactement son jeu. Le champ de sa spéculation est le plus souvent mondial. Son sort se joue simultanément sur tous les grands marchés du monde : Paris, Londres, Berlin, New York, Chicago, etc., etc. Chaque jour s’effectuent, sur l’ensemble de ce marché gigantesque, des différences qui portent sur des milliards et, quand la Bourse est agitée, quand certains équilibres se rompent, quand la panique affole la spéculation, quand celle-ci se trouve momentanément désaxée, ces différences se chiffrent par centaines de milliards.
Le jeu est une des maladies qui sévissent le plus cruellement sur notre société prise de la fièvre de l’or. La guerre maudite de 1914-1918 a bouleversé la table des valeurs. Notre génération jongle avec les millions ; l’exemple vient de haut. Il vient des États qui, les uns gorgés de richesses, les autres perdus de dettes, cherchent : ceux-ci à rétablir l’équilibre financier et la puissance économique qui leur font défaut, ceux-là à s’enrichir toujours davantage des dépouilles des nations moins bien outillées pour cette lutte implacable, moins féroce, moins sauvage que la guerre par les armes, mais tout aussi atroce et désastreuse pour les nations qui se battent à armes inégales et sont appelées tôt ou tard à succomber.
La passion du jeu est de celles qui dévorent ceux qui en sont la proie. « Qui a bu boira ; qui a joué jouera », dit le vieux dicton. C’est une règle à laquelle échappent peu de ces malheureux qui ont contracté la redoutable habitude de boire et de jouer. Pour s’éloigner de l’ivresse et du jeu, il faut une force de volonté peu commune. La passion du jeu, comme l’ivresse, lorsqu’elles sont invétérées, mènent à l’absence de toute dignité, éloignent des distractions saines et des divertissements qui stimulent le corps et l’esprit ; elles font perdre le goût du travail ; elles conduisent à l’abrutissement et à la démence.
Aux époques de pire décadence, les jeux ont toujours été perfidement exploités par les maîtres du jour, dans le but de soustraire aux regards des esclaves le spectacle de leurs débordements.
Les jeux ont servi à prévenir la révolte des parias, en faisant diversion à leur détresse. Panem et circenses : du pain et des jeux ! Tel fut, aux heures les plus douloureuses de l’histoire, le programme des gouvernants. Du pain, certes ; car, comme le dit le chansonnier humanitaire du siècle dernier, Pierre Dupont :
On n’arrête pas le murmure
D’un peuple quand il dit : « j’ai faim ! »
Car c’est le cri de la Nature :
Il faut du pain ! Il faut du pain !
Donc, du pain, du pain sec, du pain dur et, pour que le peuple le trouve moins sec et moins dur, pour qu’il s’en contente : des jeux !
L’application de ce programme a toujours conduit à leur perte les régimes qui ont tenté de l’imposer aux mécontents et de le faire durer. C’est ce programme, destiné à jeter sur les plaies hideuses de notre siècle le manteau des réjouissances et des fêtes, du bruit et des illuminations, des parades et des pavoisements, c’est ce programme que les maîtres d’aujourd’hui s’essayent à imposer à leurs sujets.
Reste à savoir s’ils s’en montreront satisfaits longtemps encore. Si les enseignements de l’Histoire ont quelque valeur, il n’en sera pas ainsi. — Sébastien Faure.
JEU (Education). I. Jeu et Travail. — Il peut paraître superflu de définir le jeu et de montrer ce qui le distingue du travail. Si, cependant, on lit attentivement les discussions pour ou contre l’emploi du jeu dans l’enseignement et l’éducation, on ne tarde pas à constater qu’il est plus difficile et plus utile qu’il ne semble de caractériser le jeu.
Récemment, un inspecteur d’académie écrivait : « Liberté et spontanéité, voilà les caractéristiques du jeu... Par là, le jeu s’oppose nettement au travail qui suppose une activité méthodiquement réglée. Dans le jeu, c’est le désir spontané de l’élève qui détermine la forme de l’activité ; dans le travail, c’est la volonté réfléchie du maître. » Il suffit de sortir de l’école, ou même de pénétrer dans une école dont le maître se soucie vraiment de l’éducation des enfants, pour constater l’erreur d’une telle distinction. Il y a des travaux entièrement libres et spontanés.
Ch. Delon, qui n’était pas un pédagogue pédant, constatait déjà, aux fêtes pédagogiques de Cempuis, en 1893, la difficulté de distinguer le jeu du travail.
« D’ailleurs, disait-il, je demande à approfondir cette opposition, très exagérée, je crois, dans l’imagination de beaucoup d’instituteurs, entre jeu et travail. Quand il s’agit de jeunes enfants, surtout, il me semble que la différence n’est pas bien grande ; et plus on va au fond des choses, plus l’antithèse tend à s’amoindrir, à se nuancer…
« Le jeu est un mode d’activité ; le travail aussi : activité cérébrale ou activité physique, souvent l’une et l’autre à la fois. Le jeu dépense des forces absolument comme le travail. Et la question d’attrait, quoi qu’on en dise, est ici tout à fait étrangère à l’essence même des choses ; on peut s’ennuyer beaucoup à un jeu ; on peut s’entraîner, se passionner, s’amuser même, je maintiens le mot, à un travail. Le jeu peut amener la fatigue, le travail être un délassement : cela dépend de tout, de la nature de l’occupation, du moment, des dispositions de la personne, de la somme d’effort employée. — Quelle est donc la différence ? Je vois ceci, qui est surtout sensible quand il s’agit d’une opération tout au moins partiellement manuelle : le travail est ce qui donne lieu à un produit utile ; le jeu, ce qui ne laisse rien de réellement utilisable. Le jeu, pédagogiquement considéré, n’est pas inutile, loin de là : mais son utilité est en lui-même, non pas dans un produit ; il est, utile au suprême degré, comme gymnastique du corps ou de l’esprit, en tant que mode d’activité. Le travail peut offrir le même avantage et, en outre, laisse un effet postérieurement réemployable. Un enfant fait, dans la classe Frœbelienne, une petite broderie sur du papier ; cela ne sert à rien… C’est un jeu. Une fillette ourle un coin de mouchoir ; c’est un produit utile ; voilà un travail. — Mais que l’objet façonné soit plus tard utilisé ou non, qu’est-ce que cela fait, au fond des choses ? Qu’est-ce que cela change, pour l’enfant, au moment où il agit ? En quoi cela modifie-t-il les conditions de son effort de son activité ? En rien. Et, d’ailleurs, au point de vue où nous nous plaçons, est-ce que le travail des enfants, des petits enfants surtout, peut avoir une valeur d’utilité bien réelle ? Est-ce que ce minimum d’utilité entre pour beaucoup dans l’intention qui nous guide quand nous occupons nos élèves d’une certaine façon ? Non sans doute. Le but, la valeur de cet emploi de l’activité est dans l’activité elle-même et dans ses réactions sur l’organisme et sur l’intelligence ; le but est d’éducation ; la signification de cette chose est pédagogique, en un mot, non pas économique.
De cette considération, toute extérieure de l’utilité du produit, résulte pour l’adulte, et dans une certaine proportion pour l’élève déjà avancé, une différence pratique très prononcée, souvent une véritable opposition, je l’avoue, entre le jeu et le travail. Le travail a généralement pour but l’utilité de son produit ; alors on sacrifie à ce but toutes autres considérations de l’accomplissement. On supporte la fatigue, l’assiduité, l’ennui d’une action ou excessive, ou trop monotone, ou trop prolongée en faveur du but à atteindre, de sa nécessité. La limite dans laquelle l’activité même est un plaisir est vite dépassée. Alors le travail cesse d’être attrayant ; il devient, en effet, une fatigue ou un ennui, en un mot une peine. Dans le jeu, au contraire, comme il n’y a pas de considération d’utilité, dès que l’action cesse d’être agréable, dès qu’elle devient pénible, on peut toujours cesser, et l’on cesse en effet. Mais, je le répète, ces distinctions n’ont rien à faire avec nos petits élèves et leurs occupations ; comme nous n’entendons pas profiter d’aucun produit, et comme il nous est interdit par la saine doctrine de l’éducation d’exiger d’eux des efforts dans la mesure excessive qui les rend pénibles, il n’y a pas de travail pour eux : tout est jeu. Ou plutôt encore laissez-moi confondre ces deux idées dans un mot qui exprime ce qu’elles ont d’essentiellement commun : exercice. Tout, en effet, est exercice, parmi les occupations de la journée enfantine ; exercice du corps ou exercice de l’intelligence ; exercice, c’est-à-dire activité de pensée en vue du développement qu’elle provoque. » (Ch. Delon).
Claparède, de son côté, fait observer que dans le jeu il y a intérêt pour l’activité et que si le jeu a un autre but, ce but est fictif et n’a pas « d’autre raison d’être que de soutenir l’activité même et lui fournir la stimulation nécessaire : ce n’est pas pour atteindre le but qu’on accomplit l’acte, c’est au contraire pour avoir l’occasion d’accomplir l’acte qu’on se donne le but ; celui-ci n’est qu’un prétexte à déployer son activité. » (Psychologie de l’Enfant, p. 450).
Il n’y a pas cependant opposition aussi tranchée entre le travail et le jeu. « On dit, écrit Dewez, que dans l’acte ludique, l’intérêt réside dans l’acte en lui-même ; dans le travail au contraire, cet intérêt réside dans le produit ou le résultat auquel aboutit cet acte. C’est pourquoi, dans le premier cas, elle est vraiment libre, tandis que dans le deuxième elle est liée au but à atteindre. Quand on établit la différence d’une façon aussi tranchante, on établit presque toujours une séparation erronée, artificielle entre le processus et ses conséquences, entre l’activité et son résultat. La véritable distinction consiste dans le fait qu’il y a, d’une part un intérêt pour l’activité elle-même et, d’autre part, un intérêt pour le résultat extérieur de cette activité, mais que l’intérêt dans un cas porte sur l’activité telle qu’elle se manifeste d’un moment à l’autre, et dans l’autre sur l’activité qui tend vers un but, un résultat et, par suite de cela, est reliée dans ses étapes successives par un fil de continuité. Dans les deux cas, il y a intérêt portant sur l’activité « pour elle-même ». Mais dans l’un, l’activité qui provoque l’intérêt est plus ou moins variable suivant le hasard des circonstances, du caprice, de l’ordre ; dans l’autre, elle est soutenue parce qu’on a conscience qu’elle mène vers une fin, qu’elle aboutit à un résultat. »
En résumé, comme le fait remarquer Claparède, on ne saurait tracer entre le jeu et le travail une frontière absolue, on passe de l’un à l’autre par une gradation insensible. « Il est, écrit J. Deschamps, impossible pour un adulte de distinguer d’une façon absolue le jeu du travail chez l’enfant. Ce dernier seul est capable de le faire. Il tranche la question suivant son âge, ses aptitudes, ses goûts et ses tendances naturelles. Tel exercice considéré comme un jeu par un élève est mis au rang de travail par l’autre, et vice-versa. »
Conséquences pédagogiques. — Si l’on tient compte de la nature de l’enfant et de la nature du jeu, on est obligé de reconnaître que l’activité naturelle au jeune enfant est le jeu et non le travail.
Or, par suite d’une distinction tranchée entre le jeu et le travail, certains pédagogues préconisent une différenciation, non moins tranchée, entre les jardins d’enfants, les classes enfantines, les écoles maternelles et l’école primaire.
Alors que l’enfant qui évolue passe à la suite d’une série de transitions insensibles, du jeu le plus facile au travail le plus difficile, l’école opère un saut brusque du jeu au travail.
Certes, jusqu’à cinq ans environ, l’évolution naturelle de l’enfant est ordinairement respectée parce qu’il n’est pas possible de faire autrement, mais après on introduit le travail corvée, imposé du dehors, qui ne convient pas plus aux enfants qu’aux adultes.
Il s’agit donc d’opérer une transition dans l’éducation de l’enfant qui l’amène petit à petit du jeu au travail. D’abord il convient d’introduire assez tôt dans les écoles pour tout petits des activités ayant un but mais se présentant néanmoins sous forme de jeu. Nous entendons par là des exercices qui intéressent l’enfant par l’activité que celui-ci doit déployer et qui, en plus de cette valeur de développement, ont aussi une valeur instructive. Ensuite il s’agit de motiver les travaux, les activités des enfants plus âgés de telle façon que ceux-ci conçoivent clairement les buts et les conséquences de leurs actes. Contrairement à ce que pensent certains pédagogues, cette conception de l’éducation et de l’enseignement n’aurait pas pour conséquence de supprimer l’effort mais de le rendre plus intense et plus fructueux en l’obtenant volontaire et joyeux.
II. À quoi sert le jeu ? — Avant de répondre à cette question il convient de faire remarquer que bon nombre de psychologues se sont placés à un point de vue finaliste et fonctionnel. Rappelons que pour le psychologue qui se place à ce point de vue, les phénomènes psychologiques doivent être interprétés dynamiquement comme des fonctions utiles à la vie, des efforts pour réaliser une fin utile à l’individu. Cette conception finaliste admet l’existence de lois psychologiques téléologiques, c’est-à-dire des lois de nature différente des autres lois naturelles. Tandis que les lois physiques placent la cause avant l’effet, les lois téléologiques placent l’effet avant la cause. Suivant les lois physiques, ce qui se passe en un instant donné est déterminé par ce qui s’est passé auparavant ; d’après les lois téléologiques au contraire, ce qui se passe maintenant est déterminé par ce qui se passera dans un avenir plus ou moins éloigné.
Il est vrai que certains psychologues s’efforcent de conserver les lois téléologiques en admettant qu’elles ne sont qu’une apparence : le passé, l’hérédité ont permis l’adaptation des organismes et ont mis leur empreinte sur le déroulement des processus actuels. Or, même à ce point de vue on doit reconnaître que l’adaptation n’est pas parfaite. « Qu’il y ait, dit Georges Bohn, dans les organismes, des organes inutiles, des substances inutiles, voire nuisibles, cela n’est plus douteux. » « À tout instant, dit le même auteur, des milliers et des milliers d’êtres périssent, faute d’un agencement convenable de leurs organes et de leurs fonctions. À tout instant et à tout point de l’organisme, un travail se fait, se défait, se refait ; il y a un gaspillage formidable d’énergie… on ne peut évidemment pas nier une adaptation fonctionnelle individuelle, mais la forme, mais la fonction traduisent-elles une tendance vers un but déterminé ?… Si l’adaptation au milieu était une propriété essentielle des êtres vivants, on n’assisterait pas, aux diverses époques de l’histoire de la Terre, à d’effroyables hécatombes d’espèces animales et végétales. Le nombre des formes qui subsistent est infiniment petit par rapport à celui des formes qui ont vécu, et le nombre des formes qui ont vécu est lui-même infiniment petit par rapport au nombre des ébauches manquées. »
En résumé, le point de vue téléologique, finaliste, semble bien condamné par la science : le moins qu’on en puisse dire c’est qu’il est extra-scientifique et métaphysique. Du finalisme qui cherche son explication dans l’adaptation et l’hérédité, on passe, par des transitions insensibles, à l’idée des harmonies providentielles de la nature, puis à celle d’un Dieu tout-puissant.
Même dans les milieux révolutionnaires on ne se rend pas toujours suffisamment compte du danger d’un langage finaliste. Tel éducateur profondément irréligieux ne se doute pas qu’en disant, par exemple, à ses élèves : « certaines plantes ont des couleurs brillantes pour attirer les insectes qui assurent leur fécondation », il tient un langage finaliste, non scientifique, car la science permet seulement de dire : « certaines plantes ont des couleurs brillantes et attirent les insectes qui assurent leur fécondation. » Or tenir le langage finaliste que nous avons signalé appuie l’explication religieuse : Dieu a donné aux plantes des couleurs brillantes, etc.
L’explication même du mot « finalité » dans cette Encyclopédie pourrait provoquer une équivoque regrettable, parce que profitable à l’idée religieuse. L’homme qui agit en vue de la réalisation d’un but généreux, d’un idéal, est bien déterminé, en apparence, par une fin, mais cette fin a été déterminée, choisie par lui, antérieurement à l’activité qu’il déploie pour l’atteindre, autrement dit la cause réelle de son activité est antérieure à l’activité elle-même, il n’y a pas finalité.
Cette digression, que nous avons faite à propos de la finalité, n’avait pas seulement pour but de mettre en garde contre une doctrine chère à tous les esprits religieux. Nous avons voulu montrer qu’en se plaçant à un point de vue finaliste et fonctionnel on oublie qu’il peut y avoir chez les individus des fonctions, des activités inutiles, voire nuisibles. Il n’est pas prouvé qu’en éducation il faille suivre toujours la nature. Il est fort possible que le jeu ne serve parfois à rien du tout ou soit même nuisible. On ne saurait, par exemple, justifier par le finalisme certains jeux brutaux ou grossiers ni même les jeux de hasard. L’éducateur ne doit, par suite, pas tolérer de tels jeux favorables au développement d’instincts primitifs que l’éducation a pour but de faire disparaître.
Après avoir observé que le jeu était parfois inutile, ou même nuisible, nous pouvons reconnaître que, dans la plupart des cas, il est réellement utile et chercher : A quoi sert le jeu ?
Il constitue d’abord un délassement. Cependant il faut observer que le jeune enfant joue dès son réveil, alors qu’il n’est pas fatigué, et qu’il peut se fatiguer au jeu comme au travail, bien que la fatigue se produise moins vite dans le jeu.
Il sert parfois à dépenser un superflu d’énergie, mais l’enfant convalescent n’attend pas d’avoir des forces en excès pour se mettre au jeu.
Le psychologue américain Stanley Hall a expliqué le jeu par une théorie de l’atavisme. L’individu reproduisant en raccourci l’évolution de l’espèce, le jeu serait la reproduction passagère d’activités des générations passées. Il est vrai que les jeux de l’enfant « évoluent au cours de l’enfance à peu près de la même façon qu’ont évolué les activités similaires au cours de l’évolution de l’humanité », mais les tout jeunes enfants se livrent aussi à des jeux qui reproduisent des activités modernes. Dans ce cas il y a de leur part imitation et imagination, — fiction comme le dit Claparède.
Karl Groos, après avoir étudié les jeux des enfants et des animaux, a conclu que le jeu était un exercice de préparation à la vie de l’adulte. De la théorie de Karl Groos il faut rapprocher celle de Carr qui voit dans le jeu un stimulant de la croissance des organes et aussi un entretien, un renforcement des habitudes nouvellement acquises. Carr et Groos admettent aussi que le jeu a une action cathartique, c’est-à-dire purgative ; le jeu ne supprimerait pas les tendances nuisibles, il les canaliserait, les dériverait de telle façon qu’elles deviennent inoffensives. Ainsi l’instinct combatif qui place des adversaires l’un contre l’autre peut être dérivé par une lutte parallèle qui ne met pas directement les adversaires aux prises (concours de vitesse, de saut, de natation, de lancement du disque, etc.) ; ou encore par une lutte contre un adversaire fictif, contre une difficulté (ascension dans les montagnes, etc.). « Les tendances sexuelles, écrit Claparède, donnent lieu à un certain nombre de jeux, comme la danse, le flirt, etc., dont la fonction cathartique est évidente, surtout au moment de la puberté ; en donnant issue, d’une façon innocente, aux exigences du plus violent des instincts, ces jeux sont comme une soupape de sûreté ; ils évitent aux jeunes gens des catastrophes, tout en leur faisant acquérir la connaissance du sexe opposé, connaissance assurément utile, puisqu’elle guidera plus tard le choix d’un époux et d’une épouse. » On ne peut lire ceci sans songer à la lutte du catholicisme contre la danse.
Clarapède et quelques autres auteurs pensent enfin que le jeu est une dérivation par fiction des activités que l’individu ne peut exercer dans la réalité.
On peut ajouter encore que le jeu agit parfois comme divertissant, comme agent de transmission des idées et de développement social.
III. — Evolution et formes du jeu. — Le jeu suit l’évolution des intérêts de l’enfant. « A mesure qu’il aspire à une nouvelle acquisition, il cherche à la réaliser dans ses jeux, la perfectionne ainsi, puis l’abandonne lorsqu’elle est fixée et n’offre plus pour lui d’attraits nouveaux. » (Vermeylen).
Les jeux sensoriels qui apparaissent les premiers, consistent dans le plaisir qu’ont les enfants à éprouver des sensations et à se les donner eux-mêmes. Les crécelles, les musiques, les jeux bruyants plaisent, pour cette raison, aux tout petits ; plus tard on retrouve encore, mais plus rarement, de tels jeux.
Les jeux moteurs prédominent de 1 à 5 ans, l’enfant aime le mouvement pour lui-même. La course, le saut, le lancer des pierres, etc., ne sont pas les seuls jeux moteurs, il faut y ajouter l’exercice des organes vocaux : phrases difficiles à prononcer vite, par exemple : « Chasseurs, sachez chasser sans chien », etc. L’enfant plus âgé a aussi, mais dans une plus faible mesure, ces jeux moteurs : balle, tonneau, sports, etc.
Les jeux moteurs qui sont des mouvements de décharge, développent la coordination des mouvements, leur rapidité ou leur force.
Les jeux intellectuels. — Parmi ces jeux il faut faire une place à part aux jeux d’imagination qui deviennent prépondérants vers trois ans. « C’est à ce moment que la petite fille s’intéresse à sa poupée et la considère comme son enfant, que le petit garçon joue au cheval avec un simple bâton, ou au soldat avec un bonnet de papier. » (Vermeylen). Plus tard, l’enfant imagine des scènes plus impressionnantes à la suite des histoires qu’on lui a racontées ou qu’il a lues, il dramatise les contes ou les récits historiques. M. Meynell fait observer que « les enfants aiment les contes de fées, non parce qu’ils les croient vrais, mais parce qu’ils les savent faux et que leur excellent bon sens ne peut s’y laisser prendre. Ils sont ravis de laisser ce bon sens de côté pendant qu’ils font semblant…, mais c’est qu’en faisant semblant ils jouent la comédie, et plus la comédie est évidente, plus ils l’aiment. » Cependant, lors des jeux d’imagination, si au début l’enfant a conscience qu’il va « faire semblant » ou « faire comme si », dès « que l’action est engagée, chacun des acteurs, possédé par l’idée, oublie qu’il joue un rôle ; il s’incarne dans le personnage qu’il représente, et un moment arrive où il croit à l’illusion, où il métamorphose si bien les choses qui l’entourent et sa propre personnalité que la réalité disparaît pour lui devant la fiction. » (Jonckheere).
Depuis longtemps on a observé que, comme les peuples primitifs, l’enfant est animiste, il anime les choses : une poupée devient une petite fille, un manche à balai un cheval, et les jouets perfectionnés qui ne se prêtent pas à l’occasion d’imaginations diverses, qui ne peuvent figurer tour à tour des objets ou des êtres bien différents, sont bien vite délaissés pour des jouets plus modestes où l’enfant a plus à inventer et qui se prêtent mieux à sa fantaisie.
Les jeux intellectuels proprement dits « sont les jeux qui font intervenir la comparaison et la recognition, comme le loto et les dominos, le raisonnement, comme les jeux de dame, d’échec ou de bac ; la réflexion, comme les devinettes, les rébus, les jeux de patience. » (Vermeylen). Ces jeux sont prépondérants vers 10 à 12 ans, mais l’intérêt pour eux perdure ou renaît souvent, en se spécialisant, chez les adultes.
Il y a aussi des jeux affectifs où l’on prend plaisir à faire naître des émotions même désagréables : se donner des coups, se faire peur, faire des farces.
Certains jeux exercent la volonté : jeux de statue, de pigeon vole, réprimer l’envie de rire, ne pas fermer les yeux à l’approche brusque de la main, etc.
Il est également des jeux qui exercent des fonctions spéciales : jeux de lutte, de chasse, d’imitation, familiaux, sociaux, etc.
En se plaçant à un autre point de vue il est possible de diviser les jeux en : jeux individuels et en jeux collectifs.
Le jeune enfant est presque toujours individualiste dans ses jeux ; l’association de l’individualisme de l’enfant avec les premières tendances sociales l’amène à faire sa compagnie d’objets que son imagination anime.
Les rondes enfantines, les chansons mimées ne sont qu’une ébauche des jeux collectifs. Jusqu’à 6 ou 7 ans environ, les enfants préfèrent jouer seuls et même, s’ils jouent de compagnie, ils ne s’efforcent pas de s’adapter à leurs compagnons, ils ne coopèrent véritablement pas, leur jeu n’a pas de fonction sociale.
Plus tard, lors des jeux de colin-maillard, de barres, etc., il y a encore bien moins affinité sociale que groupement d’enfants autour d’une personnalité, d’un meneur, d’un chef de groupe qui s’entoure de faibles, d’inférieurs, de timides sur lesquels son ascendant est complet et qui exécutent ses volontés sans vouloir les contrecarrer.
Ce n’est que vers la puberté que les jeux sociaux deviennent prépondérants. C’est alors que l’adolescent développe ses tendances personnelles et ses goûts collectifs ; qu’il essaie, tout à la fois, de s’adapter à son milieu et d’adapter ce milieu à lui-même.
Lorsqu’un enfant vit trop exclusivement avec des adultes il risque ou d’être trop cajolé, c’est-à-dire soumis au régime de sa fantaisie, ou traité avec un excès de sévérité. Dans tous les cas la personnalité de l’enfant est imparfaitement formée. S’il joue presque uniquement avec des enfants plus jeunes, le danger est le même : habitué à voir les volontés des petits se plier sous la sienne il n’exerce pas sa propre volonté, il devient un tyran par ses désirs, un faible en réalité ; nul régime n’est plus propre à former des impulsifs, aux accès de colère subits, entêtés et tyranniques dans des moments de crise, mais faibles le reste du temps.
L’idéal est évidemment que les enfants aient l’occasion fréquente de jouer avec des enfants de même âge. Dans ce cas du heurt des volontés naît un renforcement des personnalités. Il y a à ceci cependant quelques conditions : l’enfant doit avoir la possibilité de choisir entre divers groupes, sans cela il risque trop de devenir dépendant d’un chef de groupe. Il est désirable même que l’enfant change assez souvent de groupe. Le travail et le jeu en commun ont, en effet, pour résultat de tendre à l’uniformisation des personnalités, et le progrès humain, qui tend vers le développement des personnalités, ne se produit, à cet égard, que parce que les individus gardent la liberté d’adhésion à leurs groupements et, en fait, adhèrent à de multiples groupements : syndicalistes, politiques, coopérateurs, etc.
IV. — Rôle des éducateurs (parents et maîtres). — On ne se rend pas assez compte de l’importance des loisirs pour les enfants et les adolescents. Surtout pour les adolescents qui doivent passer des examens ou des concours il y a un abus évidemment. Presque toute leur vie est réglée — pas par eux — jour par jour, heure par heure. Croit-on que c’est ainsi qu’on les préparera à la vie ! Est-ce ainsi que l’on pense pouvoir développer leur initiative et leur personnalité.
Les loisirs sont nécessaires aux enfants et aux adolescents. « Nos enfants travaillent trop, trop et mal, écrit le Dr Boigey. Ils ne sont pas à leur place dans les écoles. Ils doivent y être immobiles, silencieux et attentifs : l’état de leurs organes le leur interdit. Les appareils du mouvement et de la voix ont besoin de fonctionner pour se développer. Les jeunes cerveaux sont incapables d’une attention soutenue. L’enfant ne reste tranquille que quand il est malade ou sur le point de le devenir. »
Il ne faut pas seulement des loisirs pour le meilleur état de la santé physique qui, ne l’oublions pas, influe sur la santé intellectuelle et morale, il en faut encore parce que les acquisitions de mémoire durables, la formation de l’esprit exigent du temps et du repos. Il en faut enfin pour permettre à l’enfant de jouer. Nous avons, dans les pages qui précèdent, montré l’utilité du jeu. Au risque de redire quelques idées que nous avons déjà exprimées nous croyons bon de citer encore ceci : « Le jeu est, au contraire, merveilleusement éducateur. On s’en persuade aisément, en passant en revue les jeux habituels des enfants. Peut-on, par exemple, jouer à pigeon-vole sans apprendre à faire attention, sans acquérir le contrôle du réflexe qui vous incite à lever le doigt quand il faut le laisser immobile ? Et Colin-maillard ? n’y doit-on pas faire preuve d’esprit d’observation et de déduction ? Et cache-cache ? que de prudence il faut y montrer, d’attention aussi et de décision rapide pour courir de sa cachette au but pendant le court moment où on a des chances de ne pas être vu…
…Et quelle source féconde d’observations pour l’ami des enfants, ces jeux divers, s’il s’y mêle en camarade. Les jeunes âmes s’épandent sans rien dissimuler d’elles-mêmes, tout à la joie de s’épanouir en pleine liberté. On ne connaît réellement un enfant que lorsqu’on s’est mêlé à ses jeux. Il faut, bien entendu, n’être plus pour lui le sage Mentor, mais l’ami qui prend autant de plaisir que lui-même. C’est une impression qu’on lui donne facilement, à condition que les petits êtres vous intéressent profondément et qu’on les aime. » (G. Lambert).
L’éducateur qui se rend compte de la nature et du rôle du jeu doit tout d’abord ne pas intervenir hors de propos dans les jeux des enfants.
« La mère, écrivent Demoor et Jonckheere, critique avec sévérité l’enthousiaste petite qui rassemble avec attention, peine et joie, une gerbe de fleurs au cours de la promenade et maintenant la jette, à la fin de la journée, au moment du retour. L’enfant a eu le plaisir de répondre à un désir et un besoin, et le jeu lui a procuré toutes les excitations réellement efficaces ; son mobile n’était pas de posséder des fleurs, mais de les cueillir, de les grouper et de créer du beau !… Mais le bouquet est devenu pesant et n’intervient plus dans aucun jeu ; il est une gêne, et c’est pourquoi il est abandonné. Et la mère est dans l’erreur quand elle gourmande.
« L’adulte ne raisonne pas toujours ; il se trompe souvent. Exemple : Un bambin frappe sur la table parce que le bruit l’intéresse ; le père lui crie brusquement : « Assez ! » Le petit recommence encore une ou deux fois le mouvement condamné et puis s’arrête, tandis qu’une réprimande sérieuse l’atteint… d’ailleurs injustement. Chacun des stades du jeu constitue, en effet, un excitant qui éveille le réflexe fatal, et quand l’ordre de finir fut formulé, une excitation avait déjà surgi et la riposte devait nécessairement survenir. Les jeux des adultes, eux aussi, se terminent progressivement, ce qui prouve que leurs phases successives, régulièrement enchaînées, s’éveillent l’une l’autre, se commandent et s’ordonnent.
« Malheureusement ce principe fondamental est fréquemment oublié en éducation. Lorsque la voix impérative du maître se fait entendre l’enfant ne peut inhiber aussitôt son expansion physique et son entrain intellectuel ; il continue quelque temps encore ses réactions, non par désobéissance, mais par fatalité organique. Que de fois pourtant n’est-il pas puni alors ! La punition est injuste et énervante ; elle démontre que celui qui l’inflige ignore une loi importante de la vie psychique dont la signification est essentielle à d’autres points de vue encore. » (La science de l’éducation).
Reconnaître l’utilité du jeu, profiter du jeu pour étudier l’enfant, ne pas intervenir d’une façon nuisible pendant ou à l’issue des jeux, ne suffisent pas. Il est des moments où les enfants ne savent pas à quoi jouer, le désir de jeu est bien là mais il y a manque d’intérêt envers les jeux habituels. C’est alors que, le plus souvent, les petits imaginent de faire quelque sottise. Le bon éducateur doit, en ces moments de satiété, proposer des jeux, non pas les imposer, car les jeux que l’on impose ne sont plus de véritables jeux mais des exercices ennuyeux pour l’enfant. Le jeu est un exercice de la liberté et de l’initiative et l’éducateur doit faire preuve d’habileté dans les propositions qu’il peut faire aux enfants. « Il y aurait, dit G. Lambert, toute une éducation de l’éducateur à faire, pour qu’il discerne et choisisse ce qui peut plaire aux enfants, s’il intervient, comme il le doit, dans l’occupation de leurs loisirs. Ce sera son art de savoir choisir… et aussi, nous le répétons, de savoir donner aux enfants l’impression qu’ils ont choisi eux-mêmes. Respecter les aspirations, ne rien imposer, mais suggérer… tout le rôle de l’éducateur, en cela comme pour le reste, tient en ces mots. »
Stimuler au jeu ce n’est pas seulement faire connaître certains jeux ou même jouer avec les enfants, c’est encore fournir à ceux-ci les moyens de jouer. Les familles aisées ou riches peuvent malheureusement seules réserver une chambre de jeu à leurs enfants, où ceux-ci s’amuseront dans la plus entière liberté. Presque tous les parents, par contre, peuvent donner quelques jouets à leurs enfants. Évidemment tous ne peuvent pas acheter des jouets chers, perfectionnés, par exemple des poupées qui marchent, parlent, ferment les yeux, etc. Heureusement, il ne faut pas trop le regretter, de tels jouets ne sont pas ceux qui intéressent le plus les enfants et qui contribuent le plus utilement à leur développement. Une belle poupée articulée dira tout au plus quelques mots, toujours les mêmes. Faite d’un torchon et informe la poupée d’une pauvre fillette tient au contraire les conversations les plus variées ; sa propriétaire, qui sera sa maman, sa grande sœur, une amie, etc., etc., au gré de sa fantaisie, lui prête toutes les répliques qu’elle peut imaginer. Le meilleur jouet n’est ni le plus cher, ni le plus partait ; c’est celui qui stimule le mieux, celui qui laisse le plus de place à l’imagination et à l’initiative de l’enfant. « Une vieille charrette, dit Marcelle Tinayre, est tour à tour locomotive, automobile et chariot. La poupée change de sexe, d’âge, de caractère et de costume, au gré de la petite maman. Du sable, des cailloux, des débris de bois, sont de précieux trésors. L’univers tient dans un carré de jardin, l’océan dans une rigole, la forêt dans un rameau. Le jouet toujours nouveau, toujours divers, que l’enfant peut manier, transformer, perfectionner à sa guise, le jouet le moins coûteux, le plus simple, est presque toujours le plus aimé. »
L’intérêt pour les diverses sortes de jouets suit l’évolution du jeu chez l’enfant : d’abord jeux improvisés, jeux bruyants (le hochet, par exemple, dont l’origine est fort lointaine et que l’on fabriquait au Moyen-Âge, avec des dents de loup ou du corail pour chasser les mauvais esprits) ; plus tard, l’intérêt pour les jouets varie suivant les sexes : les fillettes préfèrent des poupées, des ménages ; les garçons des jouets qui permettent de faire du bruit ou qui exigent une certaine activité motrice ; ce n’est que tardivement que les jouets intellectuels sont préférés.
Il est un jouet que nous avons omis de signaler dans les pages qui précèdent et qui a pourtant une importance éducatrice trop négligée : le collectionnisme. Tout jeune, mais surtout entre 8 à 10 ans, l’enfant bourre ses poches d’objets les plus hétéroclites : galets, coquillages, morceaux de verre, ficelles, etc. Généralement les mamans se désolent, défendent, punissent, jettent au loin ou détruisent tous ces trésors enfantins. Évidemment, les mamans ont alors souvent à se plaindre des poches percées, mais le collectionnisme enfantin sert inconsciemment à l’enfant qui acquiert ainsi une foule de notions : le petit observe, compare, classe les objets. L’art de l’éducation ne consiste pas à ordonner, défendre et punir, mais à tirer parti des activités et des intérêts de l’enfant en les guidant vers la voie la plus utile à son développement ; il consiste aussi à stimuler au besoin ces activités et à fournir des aliments choisis aux intérêts utiles. Mieux vaut fournir au petit collectionneur une vieille boîte qui lui permettra de ménager ses poches tout en donnant satisfaction à son intérêt.
Cet intérêt utile disparaît bien souvent parce que la famille met perpétuellement obstacle à sa satisfaction et que l’école actuelle n’en sait pas tirer parti. L’école fournit à l’enfant des classifications d’adultes toutes faites, qui ne parlent ni à l’esprit ni au cœur des petits et qui, de plus, ne l’exercent ni à observer ni à réfléchir. Mieux vaudrait, pour la formation de l’enfant, que celui-ci se soit exercé à classer les objets qu’il a collectionné et qui l’intéressent, que d’apprendre des classifications zoologiques ou botaniques qui n’ont d’utilité que pour les savants en leur permettant d’alléger le travail de leur mémoire et de résumer, commodément, des connaissances qu’ils ont dû acquérir, en partie du moins, à la suite de travaux personnels, d’observations personnelles.
Il est juste cependant de reconnaître que le jeu est de plus en plus employé à l’école comme moyen éducatif. Ceci est surtout vrai des classes pour tout petits, classes enfantines et écoles maternelles, dont les maîtresses font de plus en plus usage des jeux éducatifs.
Tout d’abord Hard, puis Seguin créèrent de tels jeux pour les anormaux mentaux. Plus tard, Frœbel imagina des jeux, que nous trouvons aujourd’hui trop abstraits, pour les tout petits. Les jeux de Frœbel, qui étaient surtout des jeux sensori-moteurs, furent introduits à Cempuis, mais Robin et Delon ne se bornèrent pas à cette introduction, ils imaginèrent encore des jeux d’écriture, de lecture, de sténographie, de grammaire, de calcul, etc. Enfin ils combinèrent « pour certains moments, sinon de pur loisir, du moins de moindre tension, à la classe ou hors de la classe, toutes sortes de jeux d’esprit, qui ont un fond d’enseignement utile et une forme de récréation agréable ». Nous ne pouvons songer à reproduire ici l’exposé de tous les jeux imaginés à Cempuis, mais nous pouvons citer la belle page pédagogique dans laquelle Delon justifie l’emploi des jeux éducatifs.
Il est, dit-il, deux sortes de mobiles qui font agir l’enfant lorsqu’il se livre à une occupation quelconque, jeu ou travail : « les mobiles intérieurs à l’action elle-même, et les mobiles extérieurs. Les premiers peuvent se résumer par un seul mot : l’attrait, le plaisir de l’action, la satisfaction donnée au besoin de mouvement physique ou intellectuel, au besoin d’expansion et de vie, et dans lequel il faut comprendre aussi l’entraînement, l’imitation réciproque, l’excitation du mouvement collectif. Parmi les mobiles extérieurs j’énumérerai : le plaisir moral de satisfaire les maîtres et les parents, le besoin légitime d’approbation, l’émulation, la vanité ; puis l’espérance et la crainte, l’espérance de la récompense promise, la crainte de la punition ; enfin le sentiment du devoir, la sagesse d’une utilité comprise : mobiles de valeur bien différents au point de vue moral, les uns bons, les autres mauvais… Quelque puissant que devienne parfois, à un moment donné, tel de ces mobiles, ils ont, en général, peu d’action sur les jeunes enfants, j’entends d’action soutenue, durable. L’enfant a bientôt fait de les perdre de vue, justement parce qu’ils sont extérieurs, en dehors de la chose, et que la chose présente domine et efface, par la préoccupation qu’elle impose, ce qui n’est pas elle-même. Il n’y a point, en ce qui concerne les jeunes enfants surtout, de moyen de contrainte efficace, à l’égard du travail intellectuel. L’attention ne se laisse pas contraindre ; elle se gagne. Je puis forcer mon petit élève d’être là, même de se tenir tranquille, peut-être d’avoir l’air d’écouter, mais non pas le forcer de comprendre. Si ce que je lui dis ne l’intéresse pas, il pensera à tout autre chose.
« Ceci bien compris, il me semble que la question est tranchée. Les exercices, — qu’on les appelle jeux ou travaux, il n’importe, — les exercices qui peuvent être réellement fructueux pour le développement des jeunes enfants sont ceux dans lesquels il est soutenu par l’attrait de la chose même, si vous préférez, en d’autres termes, ceux qu’il aime. Or, pour que l’enfant aime une occupation, il faut qu’elle soit en conformité avec sa nature : mouvementée, parce qu’il est remuant, variée, parce qu’il est mobile, mettant en action les sens, parce qu’il est sensitif. Il faut que l’activité n’aboutisse pas à la fatigue, par l’intensité ni par la continuité de l’effort. Généralement l’enfant préfère les exercices d’activité physique ; et cela est légitime, parce que le développement physique, à cet âge, est en avance sur le développement intellectuel, et que le mouvement est pour lui un besoin impérieux. Mais l’exercice de l’activité intellectuelle peut avoir aussi beaucoup d’attrait pour lui, selon les formes et les circonstances. Voyez, par exemple, un groupe d’enfants écoutant un joli conte, ou bien un de nos petits Frœbeliens dans l’entraînement de son travail, dessin ou broderie, ou construction : il jouit de ses combinaisons, de son effort même, et ne sent pas la fatigue.
« C’est cette activité attrayante que l’enfant appellera jeu. L’acceptez-vous ainsi ? Nous dirons que l’enseignement et l’éducation des enfants, surtout des jeunes enfants, doit se faire par les jeux. Ce sera répéter, sous une autre forme, que les moyens d’attrait sont seuls puissants, à cet âge, et que les exercices devront s’adapter à la nature de l’enfant, à ses tendances, à ses besoins physiologiques et psychologiques.
« Remarquez enfin ceci : le plaisir que l’enfant peut trouver dans un exercice ou l’ennui qu’il y peut sentir sont choses beaucoup plus de forme que de fond. La même idée diversement revêtue sera rebutante et rejetée, ou agréable et accueillie avec empressement. La notion, sèchement formulée, sera indifférente pour l’enfant, qui n’en sent pas la valeur d’utilité, n’étant pas accessible à des considérations de cet ordre ; montrez-la sous une figure qui corresponde aux goûts du petit élève, elle plaira, il s’en emparera avec plaisir, se l’assimilera pour toujours. L’exercice aura la forme du jeu, l’intention et la valeur du travail.
« Sans doute, et j’en reviens à l’objection que j’avais présentée en commençant, sans doute il faut que l’enfant, graduellement, en arrive à recevoir l’enseignement sous une forme plus sérieuse, plus austère ; il doit s’habituer à l’effort, même pénible parfois, sous la pression des motifs de raison, de morale, de sentiment : mais tout cela est pour plus tard, et on n’y arrivera que lentement. Le mobile d’attrait n’aura pas perdu sa valeur ni son rôle prépondérant ; mais le jeune élève, son intelligence se développant, arrivera à trouver l’intérêt dans la connaissance elle-même et dans l’acquisition de la notion, dans la curiosité satisfaite, dans le fond, non plus seulement dans la forme. Alors la plupart du moins des exercices n’auront plus cet aspect de jeu qui serait hors de saison, et ils n’en auront pas moins cette puissance d’excitation qui soutient et récompense l’effort. Mais, je le répète encore, c’est l’affaire des années et des lents progrès. Donc avec les petits, nul scrupule d’austérité déplacée : la forme de jeu est celle que doivent revêtir les exercices, quel que soit le sérieux du fonds. »
Depuis, Jean Wintsch et ses collaborateurs, à l’École Ferrer, à Lausanne, se sont inspirés des travaux de Robin et de Delon.
Une pédagogue italienne, Mme Montessori, s’est inspirée de Seguin pour créer un matériel de jeux éducatifs. Beaucoup de bruit a été fait autour de la « Pédagogie scientifique » de Mme Montessori. Des pédagogues révolutionnaires, trop enclins à admirer ce qui est nouveau ou le paraît, ont loué cette pédagogie. La grande presse elle-même, y compris l’Humanité, a chanté les louanges des procédés de Mme Montessori. Certes, cette pédagogue a eu le grand mérite de défendre la liberté de l’enfant, mais il faut bien dire que Mme Montessori — dont la méthode fut d’abord appliquée dans un couvent — a de la liberté une conception religieuse qui n’est pas la nôtre. D’abord, Mme Montessori a décidé que les enfants devaient apprendre ce qui est indiqué dans les programmes officiels. Mme Montessori n’a nullement cherché ce qui pouvait intéresser intrinsèquement les enfants aux divers âges, ni ce qui pouvait le plus favoriser leur développement. Le matériel imaginé par Mme Montessori pour les exercices sensoriels est trop abstrait et ne présente pas assez d’intérêt à l’enfant. Mme Montessori enseigne trop tôt la lecture, l’écriture, le calcul, en se servant de procédés qui ne tiennent pas suffisamment compte des données actuelles de la psychologie. Certes l’enfant jouit d’une certaine liberté dans les écoles Montessori : il peut choisir entre de multiples jeux éducatifs, mais nulle possibilité pour lui de faire ce choix en dehors des limites que lui impose le matériel.
Imaginez un enfant placé dans une salle à manger, face à un beau jardin ; un éducateur vient, met à sa portée des confitures, du fromage, du beurre, des poires qui ne sont pas mûres, de la viande, du pain, des gâteaux, et lui dit : « Choisis, tu es libre de manger tout ce que tu voudras. » Hé non ! L’enfant n’est pas libre, il aperçoit dans le jardin des groseilles bien rouges, bien mûres c’est certain, et qui le tentent. Nous ne reprochons pas à cet éducateur de ne pas avoir mis à la portée de l’enfant tout ce qui pourrait plaire à ce dernier : raisins verts, etc., puisque tout ce qui plaît à l’enfant, qu’il s’agisse d’aliments ou d’activités, n’est pas utile à son développement et peut même y être nuisible.
L’art de l’éducateur consiste pour une partie à éviter que l’enfant ne se trouve placé en face d’occasions défavorables : il ne faut pas lui fournir l’occasion de manger des aliments malsains, ni de faire des bêtises. Il consiste aussi à fournir à l’enfant des occasions utiles. Or, tout comme l’éducateur dont nous parlons, — qui, en fait, permet à l’enfant de manger des poires pas mûres mais lui interdit de bonnes groseilles, — Mme Montessori n’a pas su choisir les occasions, elle les a fixées en tenant compte des programmes officiels et de ses conceptions personnelles, mais non d’après les intérêts utiles des enfants.
Sans autant de réclame, les pédagogues de Bruxelles qui s’inspirent de la méthode Decroly : J. Deschamps, Mlle Monchamp, L. Dalhem, ont fait faire de grands progrès à l’emploi des jeux éducatifs. On en peut dire autant de ceux ou de celles qui participent à la vie de l’Institut Jean-Jacques Rousseau, à Genève : A. Descœudres, E. Duvillard, M. Audemars et L. Lafendel. Il serait juste d’ajouter à ces noms un bon nombre d’institutrices modestes, de France et d’ailleurs.
Actuellement, on s’efforce d’utiliser de moins en moins le matériel abstrait, de réduire les frais occasionnés par l’achat de matériels coûteux, en utilisant des produits naturels : pierres, plantes, etc., des déchets ou des objets hors de service : petits morceaux d’étoffe, etc. (que l’on ne cloue pas, comme il a été imprimé par erreur page 688, mais que l’on classe d’après leur couleur, etc.).
On s’efforce d’offrir aux enfants des jeux éducatifs qui ne soient pas des amusettes et présentent un but utile.
Malheureusement ces efforts méritoires ne s’étendent qu’exceptionnellement aux enfants de plus de six ans, le travail reste une corvée, on ne réussit pas à allier la joie du jeu au sérieux du travail.
Les causes en sont multiples. D’abord les programmes d’enseignement surchargés, les examens qui obligent à acquérir un savoir hâtif mal assimilé, parce que trop abondant, parce que ne répondant pas aux intérêts des enfants et incapable de faire naître aucun intérêt. Ensuite un mauvais groupement des matières du programme et un horaire mal conçu. Enfin des maîtres mal préparés, pour la plupart, à la rénovation de l’enseignement qui pourrait résulter de l’emploi des jeux éducatifs, des méthodes actives et de la libération progressive de l’enfant. Nous disons : pour la plupart, car il est des exceptions, et lorsque l’on lit les revues scolaires on constate bien souvent que les maîtres primaires donnent assez souvent un exemple d’initiative à leurs chefs. Ceci est d’autant plus méritoire que l’emploi des jeux éducatifs, des méthodes libérales, nécessite un matériel qu’ils doivent souvent confectionner eux-mêmes, ce qui ne va pas toujours sans surmenage.
Cependant, de plus en plus, les maîtres s’efforcent de motiver l’étude aux yeux de l’enfant, parfois des erreurs sont commises. C’est le cas lorsque le jeu imaginé accapare tout l’intérêt au détriment de la connaissance à acquérir, certains problèmes amusants présentent cet inconvénient, il en est de même des expériences dites de science amusante qui amusent les enfants mais ne leur enseignent pas la science et ne forment pas leur esprit d’une manière scientifique.
N’oublions pas qu’il faut moins instruire l’enfant que lui fournir l’occasion de s’instruire, moins lui donner des jouets, éducatifs ou non, que l’occasion de jouer. Ce qui importe c’est de l’amener, petit à petit, de l’activité désordonnée et sans but, qui est le jeu, à l’activité librement choisie et joyeuse mais ayant un but précis, fixé d’avance, auquel l’activité est subordonnée, qui est le travail. — E. Delaunay.
JEÛNE n. m. (lat. jejunium, de jejunus, vide). Ce mot s’applique à toute abstinence d’aliment, et même, par extension, d’une catégorie d’aliments. On peut en étendre l’acception à toute autre abstinence ou privation : ne pas pouvoir lire est un véritable jeûne pour l’esprit. Privé de tout divertissement, le détenu, et surtout le prisonnier condamné au régime de l’isolement, subit le jeûne de toute récréation. Le jeûne est volontaire ou imposé, consenti ou subi. On peut le qualifier de volontaire ou consenti, lorsqu’il est une pratique religieuse, un acte de dévotion qui consiste à s’abstenir d’aliments par mortification et pour se conformer aux enseignements de la religion. Il peut être également volontaire — comme on le verra plus loin — par mesure d’hygiène et dans un dessein d’équilibre physique… Jusqu’à nos jours, le jeûne religieux fut de beaucoup le plus important. « On trouve, en effet, le jeûne à l’état de loi religieuse chez tous les peuples de l’antiquité qui attribuaient à sa pratique une vertu spéciale. Les prêtres égyptiens, pour se prémunir contre le danger de l’intempérance, s’abstenaient de chair, d’œufs, de lait et de vin ; ils ne mangeaient que du riz et des légumes préparés avec de l’huile. Les Phéniciens, les Assyriens avaient aussi leurs jeûnes sacrés. Chez les Perses, les mages de la classe la plus savante ne mangeaient que des légumes et de la farine. Chez les Indiens, les gymnosophistes, les brahmanes ordinairement ne se nourrissaient qu’avec les fruits des arbres qui croissaient sur les bords du Gange ou avec du riz et de la farine apprêtée. En Crète, les prêtres de Jupiter s’abstenaient de la chair, du lait et de tout ce qui était préparé au feu. Chez les Grecs, les prêtres de Cérès s’abstenaient de chair et de fruits. Chez les Romains, Numa observait dès jeûnes périodiques. Il y avait aussi à Rome des jeûnes réglés en l’honneur de Jupiter. Les Chinois ont aussi observé dans tous les temps divers jeûnes pour préserver leur pays des stérilités, des inondations, des tremblements de terre et autres malheurs. Dans plusieurs contrées, les prêtres des idoles n’offraient de sacrifices qu’après s’y être préparés par la continence et par le jeûne. En général, les païens jeûnaient avant de consulter les idoles. La veille du sacrifice que l’on offrait à Cérès, personne ne mangeait qu’après le coucher du soleil. Ceux qui voulaient être initiés aux mystères d’Isis s’abstenaient pendant dix jours de chair et de vin… L’obligation du jeûne est à chaque instant enseignée dans l’Ancien Testament, de même dans le Nouveau. Tous les prophètes jeûnèrent avant d’entreprendre une mission. L’Évangile raconte que le Christ jeûna pendant quarante jours et quarante nuits dans le désert, pour se tenir à l’abri des tentations. Cet exemple devint une loi pour les apôtres, leurs disciples et pour les Pères de l’Eglise. Les anachorètes abusèrent tellement du jeûne qu’ils arrivèrent la plupart du temps à rester sous le coup de leurs hallucinations (car le jeûne excessif, surtout dans l’état d’exaltation mystique, arrive à produire l’hallucination) et à prendre leurs délires pour des visions ou des révélations. » (Lachâtre).
Les mahométans ont le jeûne du Ramazan (ou Ramadan) qui est, selon les années, de vingt-neuf ou de trente jours. Ils s’abstiennent de toute nourriture, solide ou liquide, du lever au coucher du soleil. Ils y sont tous soumis, quels que soient d’ailleurs leurs âges, leur sexe et leur rang ; mais par contre, ils mangent pendant la nuit. Les malades sont obligés de jeûner après leur rétablissement. Dans l’Église grecque, le jeûne est prescrit le mercredi et le samedi de chaque semaine et s’observe également 40 jours avant Noël, 40 jours avant Pâques, de la fête de la Trinité à la saint Pierre et du 1er au 16 août. Le jeûne enjoint par l’Église catholique consiste dans l’abstinence de certains aliments, dans la diminution de sa nourriture ordinaire, et dans la privation de toute nourriture pendant certaine mesure de temps ; il n’est obligatoire que pour ceux qui ont vingt et un ans accomplis. Dans l’Église catholique, les jours de jeûne sont les quarante jours du carême (sauf les dimanches), les Quatre-Temps et les Vigiles, et les veilles de certaines fêtes. Il est également ordonné d’observer le jeûne eucharistique : abstention de tout aliment, à partir de minuit, avant réception de l’eucharistie. Le prêtre ne doit dire la messe que s’il est, lui aussi, en règle avec cette prescription. Les Protestants, en général, ont rejeté les jeûnes établis par l’Église romaine. Calvin, cependant, reconnaît, dans ses Institutions, que l’Église a le droit d’établir des jeûnes. Et un nombre important de sectes protestantes — tels les Anglicans, les protestants d’Amérique, etc. — admettent et pratiquent le jeûne… Chez les Juifs, la loi de Moïse ne prescrivait qu’un jour de jeûne, celui de la fête des Expiations, le dixième jour du septième mois (Lévit. XXIII, 27). Plus tard, les Juifs établirent les quatre jeûnes nationaux (quatrième, cinquième, septième, dixième mois) en souvenir des principaux événements du siège de Jérusalem et le jeûne de Purim, pour rappeler le danger couru par leur nation sous Assuérus…
Le jeûne est imposé en certains cas de maladie. Il est volontairement pratiqué par ceux qui en font un métier et qu’on peut appeler les professionnels du jeûne. On s’est demandé quelle est la durée de survie que peut atteindre une personne pratiquant le jeûne total, absolu, qu’ils se soumettent volontairement à ce régime d’abstention ou qu’ils le subissent accidentellement (famine, naufrage, ensevelissement ou maladie). Les jeûneurs peuvent résister un temps plus ou moins long, suivant la quantité de leurs réserves nutritives (glucose, glycogène), temps que l’on évalue à une moyenne de 20 à 25 jours. Mais certains jeûneurs célèbres ont dépassé largement ce chiffre : Succi, 30 jours ; Tanner, 40 jours ; Merlatti, 50 jours, sont revenus progressivement à l’alimentation normale après leur expérience.
D’autres, fermement décidés à faire la Grève de la Faim (voir le mot Faim), tel, il y a quelques années, le maire de Cork (Irlande), Mac Sweaney, reculèrent jusqu’à 74 jours l’issue fatale.
Le jeûne devient involontaire, forcé, subi, quand il résulte des conditions d’existence imposées par les lois économiques qui réduisent une partie de la population à la misère ou à une alimentation notoirement insuffisante. Le Dr Bertillon déclare que, rien qu’en France, chaque année, plus de cent mille personnes adultes meurent de la faim et de ses conséquences. Dans ce chiffre déjà horriblement impressionnant ne sont pas compris les enfants en bas âge dont on sait que la mortalité atteint une proportion très élevée. Au surplus, le Dr Bertillon (il ne s’agit pas de l’anthropomètre, mais d’un de ses homonymes) ne parle que des victimes d’une misère noire, avérée, telle qu’elle ne peut échapper à la connaissance du voisinage. Mais que de familles ouvrières et paysannes succombent lentement aux privations de chaque jour, ruinant à la longue les constitutions les plus robustes, les atteignant peu à peu dans leurs forces vives, les usant d’année en année, faisant, dès l’âge de 40, 45 et 50 ans, des vieillards et des infirmes ! Qui décrira jamais avec le luxe de détails et la richesse de coloris nécessaires les jours atroces de jeûnes et les nuits d’angoisse affamée que connaissent les sans-travail ou les travailleurs condamnés à un salaire de famine ?
Quand on songe que, par le monde, il y a des millions d’hommes, de femmes, de vieillards et d’enfants qui, par le péché originel des temps modernes : la pauvreté, sont, quoi qu’ils fassent, voués, du berceau à la tombe, aux privations de toute nature, au jeûne partiel qui tue plus lentement mais aussi implacablement que le jeûne complet, se peut-il que les consciences droites ne soient pas torturées ? Et lorsqu’on constate que d’immenses richesses sont sottement et bassement dévorées, chaque jour, en orgies, gaspillages et spéculations, se peut-il que l’idée ne vienne pas à tous ceux qui possèdent un cœur accessible à la commisération de s’indigner et de tout faire pour mettre un terme à un état de choses indigne de la civilisation ?
Sans doute, les « gavés » frôlent ces détresses sans les apercevoir. Aussi, est-ce un devoir de les leur faire connaître, dût-on se répéter inlassablement.
Les religions et la philanthropie se bornent à conseiller aux classes riches l’exercice de la charité. Celle-ci s’avère de plus en plus insuffisante : ceux qui ont besoin d’être secourus sont trop. Les gouvernements créent et multiplient les œuvres d’assistance ; ces œuvres sont impuissantes à enrayer le mal qui ronge les jeûneurs par force. Tout au plus est-il permis d’assimiler ces œuvres à une soupape de sûreté, destinée à prévenir l’éclatement de la machine trop chargée de vapeurs comprimées.
Le remède est ailleurs. Il consiste à assurer à tous la possibilité de s’alimenter convenablement. Pour cela, il faut que nul ne puisse jouir du superflu, aussi longtemps qu’un seul restera privé du nécessaire. Pour qu’il en soit ainsi, il faut que l’appropriation du sol, du sous-sol, de tous les instruments de production cesse d’être privée et devienne commune. Il faut que disparaissent les classes : l’une riche et l’autre pauvre. Si doux qu’en puisse être l’espoir aux adversaires de toute violence, il est sage de renoncer à l’idée que cette œuvre de transformation sociale en étendue et en profondeur sortira de la collaboration de ces deux classes. Les privilégiés n’arriveront jamais à reconnaître collectivement que leurs privilèges sont iniques : imbus de leur supériorité en intelligence, en activité, en compétence, séculairement attachés aux prérogatives qui sont le fait de leur situation sociale, jamais ils ne consentiront à y renoncer bénévolement. Il faudra donc : ou bien que les déshérités se résignent perpétuellement à jeûner autour de la table abondamment servie où s’empiffrent les fortunés ; ou bien que, se refusant à suivre plus longtemps les conseils de résignation et de patience qui leur sont, depuis des siècles, prodigués, ils exigent — ventre affamé n’a pas d’oreille — et de haute lutte conquièrent, au banquet de la vie, la place à laquelle ils ont droit. — S. F.
JEÛNE (thérapeutique). — Dès la plus haute antiquité, on l’a vu, les religions ont adapté à leurs institutions les pratiques du jeûne. A la base des abstinences rituelliques régnait un souci d’hygiène préventive et la préoccupation de relever un état sanitaire endémiquement compromis.
Nous savons que la prédominance de l’animalité, persistante chez l’homme moderne malgré des siècles d’évolution, s’affirmait chez nos ancêtres avec brutalité. Et nous avons appris combien la propension à la gourmandise et les excès qu’elle engendre (et les facilités intellectuelles les ont favorisé au sein de notre espèce plus qu’elles n’ont contribué à les refouler), joints à l’inobservance des règles de la plus élémentaire propreté, réduisent dans de notables proportions la résistance physiologique aux maladies. Il est donc logique de penser qu’aux époques reculées où s’ébauchèrent ces grands principes d’hygiène (pour ne parler que de ceux-là), ils étaient le résultat d’observations exactes de la part de ceux qui, prêtres ou docteurs, avaient mission de veiller sur la santé publique.
Il semble bien cependant que le jeûne – conseillé au peuple ou enjoint en commandements intransgressibles — fut appelé par eux uniquement à cause de ses vertus préventives. Par son application périodique plus ou moins prolongée, il concourait vigoureusement à la régénération physique de la race qu’une alimentation exagérée ou vicieuse risquait de compromettre. Il soumettait les organismes saturés de poisons d’origine alimentaire à une salutaire désintoxication. Mais la découverte du jeûne comme agent curatif et d’application thérapeutique est, à notre connaissance, relativement récente.
L’impuissance de la médecine en face de certains phénomènes pathologiques orienta vers d’autres voies les recherches de quelques hygiénistes, plus avisés et en même temps mécontents des piètres résultats obtenus par les procédés à la fois officiels et surannés employés jusqu’alors. La science médicale s’était contentée de combattre la maladie dans ses manifestations multiples sans en rechercher les causes véritables. Et une savante pharmacopée, aussi coûteuse qu’inopérante, s’est lentement constituée sans pour cela résoudre ce problème de premier plan.
Nul ne contestera, cependant, que la santé réalise l’état normal, tandis que la maladie n’est qu’une anomalie. Tout ce qui contribue à fausser ou détruire cet équilibre qu’est la santé doit donc être impitoyablement radié des habitudes humaines. Or, la gourmandise, cette mauvaise conseillère, qui conduit l’homme à d’irrémédiables abus, est parmi les premiers responsables des déchéances physiques qui affligent l’humanité.
Chez le primitif, l’alimentation était beaucoup plus simple et, partant, plus saine que celle de l’homme civilisé. L’art culinaire s’est perfectionné non seulement en dehors mais à l’encontre de l’hygiène. Tout ce qui contribue à satisfaire le palais fut et est l’objet de recherches ingénieuses de tous les gourmets. Nous en sommes arrivés à manger non plus pour satisfaire un besoin mais avec le souci des seules jouissances de la déglutition et dans le mépris souverain de leurs conséquences. Cet état d’esprit s’est malheureusement généralisé grâce à la démocratisation d’aliments et breuvages anti-physiologiques. Et c’est la raison pour laquelle la santé qui, autrefois, était pour ainsi dire l’apanage du peuple des villes et des campagnes, a atteint le degré de précarité que nous lui connaissons.
Il faut cependant nous pénétrer de cette idée aujourd’hui suffisamment démontrée, à savoir que nous vivons, non de ce que nous mangeons, mais de ce que nous digérons. Si nous introduisons dans notre estomac des aliments de composition déplorable, indigestes au surplus et souvent en quantité exagérée, l’élaboration en devient laborieuse. Toute une série de phénomènes anormaux en résultent qui se traduisent par une perturbation dans la nutrition. L’assimilation et la désassimilation se trouvent faussées, donnent naissance à des déchets toxiques redoutables. À la longue, ceux-ci finissent par encombrer l’organisme qui devient impuissant à les éliminer. Cet empoisonnement aux récidives régulières altère la composition cellulaire ainsi que les liquides immergents. Et il ne tarde pas, chez les sujets prédisposés, à provoquer une rupture d’équilibre. Et voilà la maladie déclanchée.
Quiconque, en bonnes conditions physiologiques, résisterait à l’action des infiniment petits, devient d’une fragilité étonnante. L’arthritisme s’installe alors en maître, couvant traîtreusement toute la gamme pathologique, et devient l’état chronique et… normal. Et c’est alors qu’apparaissent, selon les circonstances, les prédispositions et les résistances individuelles : tuberculose, cancer, dyspepsie, grippe anodine ou infectieuse, appendicite, rhumatismes, etc., etc.
Nous l’avons dit plus haut, la Médecine s’avère désarmée devant le mal. Les poisons qu’elle administre sous forme de potions vont encore l’aggraver et lorsque l’organisme aura épuisé ses moyens de réactions dans la lutte qu’il soutient contre les toxiques conjugués, associés à l’action microbienne, ce sera la mort, inéluctablement.
Le principal remède, lorsqu’il en est temps encore, le plus simple en tout cas et le moins onéreux, et à la portée de toutes les bonnes volontés : c’est le jeûne que nos pères pratiquaient annuellement. De ces redoutables résidus toxiques dont nous nous sommes saturés pendant des années, quelques jours, quelques semaines de diète hydrique absolue vont nous en débarrasser. Mais voilà, il faut vouloir !
Cette conception du jeûne comme traitement préventif ou curatif de certaines maladies ne peut manquer d’éveiller dans l’esprit du public l’idée d’une prompte mort par inanition. Une démonstration s’impose donc.
Nous l’avons déjà dit : Tout aliment ou fraction d’aliment, non digéré, n’est pas assimilé. Quelles que soient donc la qualité ou la quantité absorbées, si aucune partie n’est incorporée aux tissus organiques, le résultat apparaît le même que dans l’abstention. On peut dire sans paradoxe qu’il est pire : les organes de la digestion, sollicités par la présence de la masse alimentaire, gaspillent en pure perte une énergie qui aurait contribué au rétablissement de la santé fort altérée, et les nouveaux poisons qui naissent d’une pénible élaboration viennent encore alourdir l’effort des réactions défensives. Donc, pour la portion en excès, l’apport est non seulement superflu, il est nuisible. C’est ce qui explique pourquoi, dans certains cas de maladies aiguës ou chroniques, malgré les tentatives de suralimentation l’amaigrissement survient sans qu’aucun traitement puisse l’enrayer. Au contraire, le résultat inverse est maintes fois obtenu chez des sujets atteints d’affections morbides, par la suppression de un ou plusieurs repas quotidiens. L’alimentation restante suffisant pour rétablir leur santé compromise et accroître en même temps leur poids et leur vigueur.
Le docteur Edward Hooker Dewey (de Pennsylvanie) fut un des premiers préconisateurs et apôtres du jeûne thérapeutique. Il obtint des cures merveilleuses par son application méthodique et multipliée. D’abord, comme tous ses collègues, il croyait fermement que tout malade devait s’alimenter pendant la période de traitement. Il pensait que l’abstinence totale, en provoquant un affaiblissement progressif de l’organisme, livrait davantage le sujet aux ravages du mal. Et il tenait pour un axiome le bénéfice de la « surcharge alimentaire », et la recommandait… Le hasard voulut qu’il eût à donner ses soins à une personne alitée de longue date des suites d’une maladie grave. L’acuité de cette affection devint telle qu’à un moment donné — et ce, malgré les objurgations pressantes du praticien — la malheureuse fut dans l’impossibilité d’absorber la plus légère nourriture ni la moindre potion… Pendant de longues semaines, la patiente, sous l’œil anxieux du médecin qui redoutait une issue fatale, ne prit absolument rien jusqu’au jour où, la maladie ayant évolué vers la guérison, l’appétit revint enfin. À la faveur de l’incapacité organique provisoire qui l’avait mise à l’abri d’ingestions intempestives, les cellules intéressées avaient pu accomplir leur besogne de défense et triompher de l’affection rebelle à laquelle une alimentation obstinée ne faisait qu’ajouter de pernicieux éléments.
Ce fut pour le docteur Dewey comme une révélation. De nombreuses expériences identiques le conduisirent alors à l’édification de sa remarquable théorie du traitement par le jeûne qui, par son application généralisée, est susceptible de régénérer des milliers d’incurables. La seule observation du système — préconisé par lui — des deux repas quotidiens suffit à réduire, dans bien des cas, des affections qui, jusqu’alors, étaient demeurées rebelles à tous autres traitements.
En France, le docteur Guelpa était parvenu à des résultats aussi saisissants par l’adoption du jeûne médical, simple ou combiné. Il réussit à vaincre une anémie pernicieuse. Cette anémie, arrivée à son ultime degré, s’était montrée réfractaire à toutes les méthodes courantes basées, pour la plupart, sur le principe de la suralimentation. De nombreux médecins avaient mis en œuvre toute leur science sans autre résultat qu’une aggravation répétée de la maladie. Or, malgré le degré d’affaiblissement de l’intéressée, alitée de longue date et incapable de tout effort, le docteur Guelpa prescrivit la diète absolue. Pendant trois semaines consécutives, pas un gramme de substance alimentaire ne pénétra dans l’appareil digestif de la moribonde. Et grâce à l’auto-désintoxication du sujet, tous les symptômes pathologiques s’atténuèrent. Accroissement des globules rouges (attesté par une analyse du sang), modification du teint qui de jaune redevint. rose, disparition de l’irritation nerveuse et de l’insomnie, etc., etc., constituèrent l’amélioration immédiate et tangible qui précéda la guérison et ramena à la normale celle qu’une médecine routinière et mal avisée entraînait à une mort certaine.
Un autre cas typique (entre cent autres) et qui peut faire tache dans les annales médicales, fut entrepris par le docteur Guelpa. C’est celui d’un homme terriblement maltraité par le diabète. Cet individu, hospitalisé à l’Hôtel-Dieu, élaborait, d’après ce savant, chaque jour cinq cents grammes de sucre et évacuait cinq à six litres d’urine. Une énorme tumeur consécutive à l’affection générale (inopérable dans ce cas, comme chacun sait), ornait l’un de ses genoux. Tous les traitements spécifiques en honneur avaient lamentablement échoué. Une issue fatale semblait seule devoir délivrer ce malheureux.
Le docteur Guelpa lui imposa quatre jours de diète absolue. Pendant les quatre jours qui suivirent, il lui permit une alimentation légère et spéciale. Puis le cycle de ce système alterné se poursuivit jusqu’à guérison complète du malade. La tumeur se résorba contre toute attente pendant le processus de cette extraordinaire régénération, résultat. d’une audacieuse et intelligente conception médicale.
Dans son livre Le Jeûne qui guérit, le docteur Dewey cite maintes autres cures sensationnelles obtenues par ce traitement. Affections chroniques ou aiguës, bénignes ou graves sont justiciables de son application rationnelle et circonstanciée.
Si les unes sont réductibles par la suppression de un ou plusieurs repas quotidiens, d’autres exigent une application du jeûne hydrique absolu qui atteignit, dans certains cas opiniâtres que cite cet innovateur, une durée de deux mois.
Le jeûne n’a pas eu, d’ailleurs, qu’une application thérapeutique. Le docteur Tanner eut recours à ce procédé pour démontrer que l’on pouvait vivre longtemps en négligeant de s’alimenter. Au cours de l’une de ses nombreuses expériences démonstratives, il demeura 40 jours sans absorber de nourriture liquide ou solide, hormis de l’eau pure. D’autres jeûneurs professionnels (dont l’italien Succi) multiplièrent ces épreuves dans de nombreuses exhibitions publiques qui eurent, au début, certain retentissement.
Dans la lutte qui dresse, parfois en soubresauts violents, l’Irlande contre l’Angleterre, de nombreux Sinn-Feiners adoptèrent le jeûne comme moyen de protestation contre un internement qu’ils jugeaient arbitraire. Certains d’entre eux refusèrent, paraît-il, toute nourriture pendant plus de trois mois, sans que mort s’en suive. L’un d’eux, le Maire de Cork, expira au bout de 74 jours de jeûne absolu.
Les animaux, plus raisonnables que l’homme (s’il m’est permis d’employer cette expression) s’abstiennent de toute nourriture au cours de la maladie qui les frappe, ou lorsqu’ils sont victimes d’accidents. Ceux qui, vivant à l’état sauvage, n’ont pas chaque jour la pâture assurée, font ainsi des jeûnes salutaires.
Lorsque la mort survient par inanition, la perte du poids s’établit ainsi :
Graisse · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · 97 %
Muscles · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · 30 %
Foie · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · 56 %
Rate · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · 63 %
Sang · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · 17 %
Centre nerveux · · · · · · · · · · · · · · · · · · 0 %
Ainsi donc, jusqu’à la mort, le cerveau reste intact. Il épuise les réserves de l’organisme sans subir aucune réduction ni altération. Ceci pour répondre à l’objection qui laisserait croire que la privation de nourriture expose celui qui s’y soumet aux risques de troubles nerveux et mentaux. C’est vraisemblablement le contraire qui se produirait, des aliénés et des hystériques ayant été sérieusement amendés par l’observance fortuite du jeûne.
Nous conclurons donc que, tant que l’humanité n’aura pas assez de discernement ni assez de volonté pour adopter et poursuivre une alimentation rationnelle et qu’elle s’obstinera dans les errements qui conduisent aux crises néfastes les individus imprudents, le jeûne demeurera la méthode la plus sûre et la plus efficace pour lutter préventivement et curativement contre les maladies. — J. Méline.