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Encyclopédie anarchiste/Légalité - Législation

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Collectif
Texte établi par Sébastien Faure, sous la direction de, La Librairie internationale (tome 2p. 1195-1205).


LÉGALITÉ n. f. (latin legalitas de legalis, rad. lex : loi). Ce mot désigne la qualité de ce qui est conforme aux lois, précise le caractère d’un acte d’une mesure d’une intervention de la justice ou du pouvoir. Quand les lois répressives leur apparaissent insuffisantes et ne leur fournissent plus les armes appropriées à la défense des intérêts propres aux bénéficiaires de l’État les gouvernants, toujours si prompts à invoquer la légalité qui les sert, ne se font aucun scrupule de verser dans l’illégalité et d’y puiser leurs instruments de protection et de réaction. Le halo légaliste qui flotte autour des actes publics et remplace, pour la plupart des gens, la moralité des lois naturelles, mises au point par la raison, est dispersé, à cette occasion, comme une bulle importune par les gardiens de la religion de la Loi Inconséquence dangereuse, cependant, car elle ruine peu à peu le prestige des croyances sur lesquelles s’appuie l’autorité des maîtres, désagrège l’armature regardée jusque-là comme la « justification » du régime et tend à faire apparaître comme légitimes les ripostes adverses lorsqu’elles frappent à leur tour la légalité. À travers l’assemblage du légalisme capitaliste, la mobilisation, par un Briand, des cheminots grévistes, les décrets-lois d’un Poincaré, la suspension, au préjudice des partis et des mouvements d’avant-garde, des garanties consacrées en matière de presse et de réunion sont des déchirures de coup d’État et, par la brèche, tôt ou tard, si ne s’installe à leur faveur une dictature au reste passagère, pénétrera la révolution…

Empruntons au Larousse quelques rappels historiques sur l’essence et le caractère d’une légalité honnie, à travers les âges, par tous les esprits libres et notons des jugements peu suspects de partialité : « La légalité est une formule souvent arbitraire, destinée à régler les rapports des citoyens entre eux. Elle se distingue à la fois de la loi naturelle, donnée de la conscience et du droit positif, en ce qu’au point de vue politique on n’a pas pour l’établir à discuter le droit en lui-même, mais à démontrer qu’il est formulé de telle ou telle manière dans la législation en vigueur. Dans tous les siècles la légalité a été en butte aux invectives des philosophes. Au fait, la légalité officielle a toujours été l’écho des passions, des préjugés, des intérêts et des partis. Ce sont d’ordinaire les puissants qui règlent les actes de la communauté et ils obéissent généralement à des mobiles personnels. Voltaire fait parler en ces termes le Dieu dont la légalité exprime la volonté : « J’ordonne aux nègres et aux Cafres d’aller tout nus et de manger des insectes. J’ordonne aux Samoyèdes de se nourrir de peaux de rangifères et d’en manger la chair, tout insipide qu’elle est, avec du poisson séché et puant, le tout sans sel. Les Tartares du Tibet croiront tout ce que leur dira le dalaï-lama et les Japonais croiront tout ce que leur dira le daïri. Les Arabes ne mangeront point de cochon et les Westphaliens ne se nourriront que de cochon. Je vais tirer une ligne du mont Caucase à l’Égypte et de l’Égypte au mont Atlas : tous ceux qui habiteront à l’Orient de cette ligne pourront épouser plusieurs femmes ; ceux qui seront à l’Occident n’en auront qu’une. Si, vers le golfe Adriatique, depuis Zara jusque vers les marais du Rhin et de la Meuse, ou vers le mont Jura, ou même dans l’île d’Albion, ou chez les Sarmates ou les Scandinaves, quelqu’un s’avise de vouloir rendre un seul homme despotique ou de prétendre lui-même à l’être, qu’on lui coupe le cou au plus vite, en attendant que la destinée et moi, nous en ayons autrement ordonné. Si quelqu’un a l’insolence et la démence de vouloir rétablir une grande assemblée d’hommes libres sur le Manzanares ou sur le Propontide, qu’il soit empalé ou tiré à quatre chevaux. Quiconque produira ses comptes suivant une certaine règle d’arithmétique, à Constantinople, au grand Caire, à Tafilelt, à Delhi, à Andrinople, sera sur-le-champ empalé sans forme de procès ; et quiconque osera compter suivant une autre règle à Rome, à Lisbonne, à Madrid, en Champagne, en Picardie et vers le Danube, depuis Ulm jusqu’à Belgrade, sera brûlé dévotement pendant qu’on lui chantera des miserere. Ce qui sera juste le long de la Loire sera injuste sur le bord de la Tamise ; car mes lois sont universelles, etc. » Le tableau est malheureusement exact.

« Nous avons dit plus haut que la légalité est surtout l’expression des passions et des préjugés de chaque siècle. L’intérêt de ces passions et de ces préjugés peut seul justifier cet état de choses qui paraît devoir être indéfini. Il se rapporte à l’état particulier des mœurs de chaque pays, où il est un élément de nationalité. Si toutes les nations avaient les mêmes mœurs et les mêmes lois positives, la terre ne serait qu’une vaste république. Pufendorf cherche à expliquer la dissemblance profonde de la légalité dans chaque région et dans chaque siècle : « Ce sont, dit-il, en parlant des points de vue particuliers de la législation positive, certains modes que les êtres intelligents attachent aux choses naturelles ou aux mouvements physiques, en vue de diriger ou de restreindre la liberté des actions volontaires de l’homme, pour mettre quelque ordre, quelque convenance et quelque beauté dans la vie humaine. » Ainsi, le besoin d’ordre justifie toutes les fantaisies du législateur. Autant avouer que la justice n’existe pas et que le droit n’est qu’une codification de la volonté personnelle de quiconque a le pouvoir de mener les hommes à sa guise…

« Cet auteur n’ose appeler les choses par leur nom et convenir que la légalité officielle de chaque pays et de chaque époque s’appuie sur les passions et les préjugés en vogue, en d’autres termes sur l’opinion. Il n’y a pas deux cents ans qu’à chaque déclaration de guerre le héraut en cotte de mailles et à manches pendantes proclamait publiquement qu’il était enjoint à chacun de « courre » sus à tous les sujets du prince ennemi (les injonctions d’aujourd’hui, de chaque côté des frontières, ont seulement changé de forme et de ton et modifié leur apparat : elles font, comme jadis, un devoir aux nationaux d’exterminer quiconque « a commis le crime de naître » au delà des lignes fantaisistes qui séparent des peuples qu’aucun différend ne divise). « Sous le régime féodal, la légalité se prêtait à des horreurs variées. Mais la centralisation monarchique fit de la légalité un joug peut-être encore plus lourd à porter. Quand les légistes des rois, sous prétexte de droit romain, eurent remis en vigueur le système fiscal inauguré dans l’ancien monde, l’Occident se couvrit d’officiers judiciaires chargés soi-disant de faire respecter la justice et, en réalité, de vivre aux dépens de tout le monde. Il n’y eut plus que des huissiers, des avoués, des notaires, des tribunaux ; une bureaucratie envahissante s’implanta peu à peu dans les mœurs. Le mal était déjà grand à la fin du xvie siècle, et Sully le déplore dans ses Mémoires : « Ces officiers de toute espèce, dit-il, dont le barreau et la finance abondent et dont la licence aussi bien que l’excessive quantité sont des certificats sans réplique des malheurs arrivés à un État, sont aussi les avant-coureurs de sa ruine. » Cette situation désastreuse alla empirant en France durant le xvii et le xviiie siècle. Elle fut une des causes de la Révolution française. Le xixe siècle n’est pas exempt de cette lèpre de la légalité… « La légalité nous tue, disait un ministre de la monarchie de Juillet. Le fait est que plus on avance, plus la chose se complique, et que le moment peut venir où le réseau des lois positives sera devenu tellement inextricable que la société sera obligée, sous peine de mort, de se débarrasser de ce poids étouffant ». »

C’est là un réquisitoire précis et caractéristique dans sa sévérité modérée. Et c’est en vain qu’essaient de le redresser (par cette méthode de juste milieu qui est une concession à l’ambiance) des considérations sur les garanties d’équité indispensables qu’offre une légalité en concordance stricte avec la loi, et l’assurance, quelque peu dissonante après l’évocation de ses méfaits séculaires, que le mal de la légalité nous garde de l’arbitraire. Comme si l’arbitraire codifié épousait, sous le masque, les vertus de la justice et que nous dussions bénir la tyrannie qui invoque la sauvegarde de nos libertés ! Tout en reconnaissant, comme il convient, les différences de la légalité d’aujourd’hui avec celle du moyen âge, l’une plus brutale, l’autre plus envahissante — différences acquises grâce aux dénonciations persévérantes de la pensée inasservie et aux conquêtes douloureuses d’hommes courageux — tout en appréciant les adoucissements, plus réels dans la forme que dans le fond, arrachés à cette tourmenteuse des peuples qu’est la légalité, nous abandonnerons ici les légalistes quand même à leurs espérances inlassées (plusieurs milliers d’années d’expérience probante n’aboutiraient-elles, après une analyse à vif, qu’à cet acte de confiance obstiné) d’une légalité bonne en définitive. Nous la regardons comme un appareil néfaste, paralysant la marche de l’humanité dans un réseau de chaînes séculaires, et envisageons sa disparition comme une délivrance. Les hommes n’auraient pas eu si longtemps à batailler — la lutte dure encore — pour la « légalité meilleure » (une légalité que les dangers courus par le conservatisme fait, à toute période critique, se resserrer comme un étau sur les opposants) si les sociétés s’étaient délibérément débarrassées de ce fléau. Le décompte des services qu’on peut lui attribuer — car les institutions et les mœurs les plus oppressives ne sont jamais invariablement unilatérales et laissent toujours filtrer quelques menus bienfaits montre avec plus d’évidence quelle somme de tracasseries malfaisantes et de malheurs sérieux la légalité a accumulés sous prétexte de protection. Combien illusoire et précaire fut le secours apporté par elle, à son corps défendant, à la véritable équité ! Avec les lois « multipliées, injustes, inutiles, obscures », nous répudions la légalité « pénible, inique, tracassière et incertaine » qui lui fait cortège. Nous nous rappelons le mot de Tocqueville et retenons que si les légistes invoquent souvent la liberté « ils placent la légalité bien au-dessus ». Nous constatons que, sous le prétexte de canaliser « harmonieusement » la vie sociale, la légalité nous étouffe ; plus encore, comme disait Viennet, que « la légalité nous tue ! » — Lanarque.

LÉGALITÉ. Des lois, souvent mal connues mais inéluctables et contraignantes, président à l’écoulement des phénomènes soit physiques soit vitaux ; une nécessité interne relie, dans un ordre fatal, les causes et les effets. Pour commander à la nature, l’homme commence par lui obéir ; le réseau serré d’un déterminisme inflexible retient l’universalité des faits étudiés par le savant. A + 100 degrés l’eau bout, à — 1 elle se congèle sous la pression et dans les conditions ordinaires ; tout corps abandonné à lui-même tombe ; l’inoculation du microbe diphtérique provoque des effets connus. Dans les prétendus miracles que les religions diverses, du catholicisme à la théosophie, invoquent, il faut voir des phénomènes rares mais parfaitement naturels ; quand n ne s’agit point de pures supercheries. Ainsi des règles fixées selon un ordre toujours identique à lui-même, contre lequel nos vouloirs se brisent commandent dans le monde physique en dernier ressort. L’association, qu’elle soit humaine ou même simplement animale, est-elle soumise pareillement à des lois inéluctables engendrées par la nature et qui contraignent du dedans ? Certains le pensent, d’autres le nient ; la sociologie commence seulement à balbutier son alphabet et chacun peut encore la faire parler comme il veut. Pour Schæffle et Spencer les sociétés sont des organismes véritables soumis à toutes les lois biologiques. Tarde, au contraire, ne voit dans les événements sociaux que des phénomènes psychologiques commandés par la loi mentale d’imitation ; Dürkheim insiste sur ce fait que l’homme vivant en société possède des manières de penser, de sentir, d’agir, qu’il n’aurait pas s’il restait isolé. Préoccupés de garantir les intérêts des chefs et de l’aristocratie, nombre de sociologues visent, consciemment ou non, à légitimer l’état de chose actuel, à soutenir les prétentions des capitalistes et de l’autorité, à présenter comme naturels des faits qui résultent de l’arbitraire humain, à déclarer fatales les plus artificielles créations des privilégiés.

Au premier rang des faits sociaux, qui dépendent de vouloirs humains, se place l’ensemble des prescriptions promulguées par les gouvernants. Imitation grossière de ce qu’offre la nature, la loi décrétée par les chefs relie arbitrairement une manière d’être ou d’agir à des conséquences qu’elle ne comporte pas naturellement : au délit elle associera l’amende, la prison ; au crime la réclusion, le bagne, la mort. Et l’intérêt des grands sert de norme souveraine lorsqu’on dresse le catalogue des peines infligées aux contrevenants ! Rien ici de la fatalité interne des lois physiques ; la contrainte s’exerce du dehors, par le soin du gendarme et des agents de l’autorité ; elle disparaît dès qu’ils sont absents. Mais, pour en imposer à la naïveté populaire, les juristes identifient volontiers loi scientifique et loi sociale. « Lato sensu, écrit Baudry-Lacantinerie, le mot loi désigne toute règle qui s’impose. La matière a ses lois, les animaux ont leurs lois, l’homme a ses lois. Dans l’ordre des relations juridiques, la loi, en ce sens est large et synonyme de règle de droit. Les lois sont les règles de conduite obligatoires, dont l’ensemble constitue le droit. » Le même, il est vrai, a dû reconnaître, peu avant, que le droit « est l’ensemble des règles, dont l’observation est assurée par voie de contrainte extérieure à un moment et dans un pays donnés ». N’est-ce pas avouer que les lois promulguées par nos législateurs n’ont que le nom de commun avec les lois scientifiques ? N’est-ce pas reconnaître aussi leur caractère artificiel, puisqu’elles existent seulement en vertu d’une contrainte exercée par d’autres hommes ? Un coup d’œil sur l’histoire des législations, chez les divers peuples, depuis l’antiquité jusqu’à nos jours, suffirait à nous en convaincre. Ici on récompense ce qu’on punit ailleurs ; ce qui fut bien hier devient mal aujourd’hui. Et les institutions les plus fondamentales des états modernes : famille, propriété, impôt, armée, choix des chefs, n’échappent ni à ces changements ni à ces contradictions. De même que l’on modifie à volonté les règles du jeu de cartes, de même les autorités ont donné force de lois aux prescriptions les plus opposées, ne respectant pas toujours la nature. On croit rêver à la lecture des monstruosités admises par les codes, tant anciens que modernes, et religieusement pratiquées par des millions d’hommes.

Mais comment prit naissance cette légalité, faux pastiche du déterminisme physique ? Ses débuts coïncident avec l’avènement de la ruse, de l’habileté si l’on préfère, comme maîtresse du monde. « Aux premiers temps de l’humanité, ai-je écrit dans Pour l’Ère du Cœur, l’énergie corporelle fut souveraine ; certaines sociétés animales, asservies aux caprices du plus vigoureux, en fournissent des exemples. Les tarpans, chevaux sauvages d’Asie, vivent par groupes de plusieurs centaines, sous la conduite d’un mâle qui expulse impitoyablement les gêneurs. Dans des troupeaux de bovidés, on a vu des jeunes chasser le maître devenu vieux, puis surpris à leur tour et tués. Chez les peuples arriérés, et même chez nous, une stature dépassant la normale, une musculature puissante, la souplesse des mouvements, l’endurance à la fatigue continuent de désigner un homme à l’admiration générale. Mais presque partout le cerveau a vaincu le muscle, l’adresse a domestiqué la force. De bonne heure, hiérophantes et magiciens fabriquèrent, à l’usage des masses crédules, des mythes sacrés, des conventions sociales, capables d’assurer le pouvoir à un homme, à une famille, à une caste. » La légalité fut un des moyens essentiels utilisés par les maîtres habiles afin d’asseoir définitivement leur domination. D’origine théocratique, elle apparaît au début comme une émanation directe de la volonté divine. A Rome, la loi des Douze Tables enveloppe le droit dans un ensemble de formules sacramentelles, de rites immuables ; c’est un recueil mystérieux dont les patriciens, postérité des dieux, ont seuls le secret et qu’ils peuvent seuls interpréter. Comme les obligations religieuses le droit (fatum) résulte de prescriptions célestes ; Dieu même intervient par l’entremise du magistrat, le tribunal est un temple, le supplice une immolation. D’où le caractère de fatalité inéluctable, de destin irrémissible que présente la loi romaine primitive. Avec des variantes résultant du milieu, la législation des Hébreux et celles de tous les peuples anciens offre le même aspect théocratique. Si Moïse n’est que l’envoyé du Très-Haut, dans bien des cas le maître, créateur ou interprète du droit, fut dieu personnellement. Le Pharaon en Égypte, l’Empereur à Rome, l’Inca au Pérou, le Roi au Mexique étaient des dieux vivants, comme le Mikado l’est encore au Japon. Plus tard, surtout après le triomphe du christianisme en Occident, beaucoup de souverains perdirent leur divinité pour devenir les représentants officiels et patentés du Père Tout-Puissant. Une vertu céleste continua d’habiter en eux ; et Louis XIV, orgueilleux autant que médiocre, croyait encore participer à la connaissance et à la puissance divines, encouragé, il faut le dire, par Bossuet, cet aigle aux ailes aujourd’hui mitées, dont les interminables phrases masquent mal l’absence de raisonnement profond.

De la sorte les ordres du roi, tout en émanant d’un homme, ne cessaient pas d’être des commandements divins ; obéir aux chefs, c’était, comme autrefois, se soumettre au Maître des cieux. Depuis, le pape a poussé l’audace jusqu’à se prétendre infaillible ; s’il n’est pas une incarnation nouvelle du Verbe, du moins le Saint-Esprit parle directement par sa bouche. Mais, devant la marée montante de l’incrédulité, le droit démocratique se substitue un peu partout au droit divin. Les chefs ne disent plus : « Tel est la volonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ », ni même : « Tel est notre bon plaisir », mais ils parlent au nom de l’intérêt national dont ils s’affirment les représentants. La patrie, le devoir, l’honneur et vingt autres dieux, d’allure populaire, voire républicaine, ont remplacé le vieux Jahveh défunt. C’est d’eux, assure-t-on, et de la volonté des électeurs que s’inspire la légalité moderne. Si l’on vous brime et vous condamne, aujourd’hui, c’est au nom du peuple souverain ; si une injuste loi attente à votre liberté, c’est qu’ainsi l’a voulu la sacro-sainte majorité. Il est vrai que l’aristocratie capitaliste est experte dans l’art de faire parler à sa guise cette prétendue majorité et que la sottise populaire ne semble pas avoir sensiblement diminué depuis que tout citoyen est électeur. A l’heure actuelle la légalité s’avère le moyen préféré des forts pour satisfaire impunément, au détriment des faibles, leur volonté de jouissance et de puissance. En coulant les individus dans un moule identique, elle a rendu possible la centralisation étatiste dont nous sommes victimes sous la république comme nos pères l’étaient sous les rois. Seuls comptent en France les bureaux parisiens ; grâce à un travail d’asservissement déjà fort avancé sous Richelieu, complété par la Révolution, puis par Bonaparte, le reste du pays n’est qu’un fief, une vache à lait que l’on veut traire jusqu’à épuisement. En inspirant programmes et méthodes scolaires la même légalité conduit l’éducateur à tuer l’individualité créatrice chez les enfants qu’on lui confie. De tout fonctionnaire elle tend, d’ailleurs, à faire un rouage dépourvu de conscience, une simple pièce de la machine gouvernementale, docile à l’impulsion venue d’en haut, impitoyable pour les subordonnés d’en bas. C’est elle encore qui met la force armée à la disposition du patron mécontent de ses ouvriers. Forgée par les riches elle livre toutes les ressources économiques à la bourgeoisie ; sous le nom de profit commercial elle légitime les vols quotidiens du financier, de l’industriel, du négociant. En vertu du droit d’héritage elle permet à des paresseux de vivre dans un luxe inouï sans faire œuvre utile de leurs dix doigts ; mais elle condamne à mourir de faim le malheureux tâcheron qui ne travaille pas pour cause de vieillesse ou de maladie. Enfin c’est elle qui vous oblige à tuer vos semblables quand il plaît au chef d’État de déclarer la guerre. Il faudrait des volumes pour énumérer les crimes commis, chaque jour, au nom de la légalité. Le citoyen moderne lui doit d’être habituellement une marionnette, taillée sur un modèle uniforme, et dont les exploiteurs tirent à volonté les ficelles. Pourtant les partis avancés rêvent, en général, de renforcer l’étatisme et de forger un réseau de lois qui ligotent encore plus étroitement l’individu. Avec Auguste Comte ils semblent admettre que l’homme compte seulement en tant que membre d’une collectivité, qu’il n’a aucun droit par lui-même mais de nombreux devoirs, et que ses droits découlent exclusivement de la fonction sociale qu’il remplit. Ils ne songent à détruire la légalité ancienne que pour en établir une autre « plus juste » qui soit au service de la classe laborieuse ; d’où l’idée de dictature prolétarienne chère au communisme, d’où la tendance ordinaire des socialistes à fortifier l’autorité. Pour eux la révolte n’est qu’un moyen ; plusieurs mêmes, les réformistes, voudraient une continuité évolutive, non une brusque coupure, entre la législation capitaliste et la législation ouvrière. Bolchévisme à rebours, orienté vers la conservation sociale, le fascisme veut lui aussi mettre l’individu en tutelle au profit de l’État.

Lénine mérite d’être admiré ; et la Révolution Russe, malgré ses fautes, marquera une étape importante de l’éternel devenir humain. Pas plus qu’aucune autre elle n’est définitive ; l’instinct de liberté demandera satisfaction à son tour. « Assurer à chacun le plein épanouissement de sa personnalité, dans l’ensemble harmonieux d’une cité devenue fraternelle pour tous », voilà ce que je réclamais dans La Cité Fraternelle. De même que le bonheur me semble la norme suprême de l’activité individuelle, de même la fraternité me paraît le vrai fondement de l’association. Mais une fraternité qui ne soit ni faiblesse ni duperie comme fut celle des prêtres, comme est encore celle de nos républicains hypocrites, une fraternité qui implique disparition des hiérarchies sociales et liberté. « Trop de profiteurs sans scrupules ont caché sous un masque d’hypocrite charité leurs usurières exploitations ; il est temps, pour le bien général, que l’on cesse d’associer la sottise et la bonté ». Naturellement cela répugne à ceux qui n’ont le mot fraternité à la bouche que pour mieux tromper le public imbécile. — L. Barbedette.


LÉGENDE (latin legenda, choses à lire, de legere, lire). On désignait ainsi, à l’origine, les versets incorporés aux leçons des matines, puis le nom en fut étendu aux récits de la vie des prophètes, des martyrs et des saints qu’on devait lire dans les réfectoires des communautés (quia legendæ errant). « Quand on n’avait pas, dit l’historien Fleury, les actes d’un saint pour lire au jour de sa fête, on en composait les plus plausibles et les plus merveilleux qu’on pouvait ». Ces récits se perpétuaient à la manière des chants primitifs et populaires. « Il se formait ainsi, autour des hommes dont le christianisme avait fait ses héros, un ensemble de faits côtoyant ou épousant le surnaturel, que personne sans doute n’avait inventé tout d’une pièce, mais qui était peu à peu amplifiée par la tendance involontaire des imaginations à dénaturer et à embellir la tradition… » (Lachâtre).

On a entrevu (aux mots fable, histoire, on verra (au mot mythologie) les rapports de la légende avec la fable et la mythologie d’une part et, d’autre part, avec l’histoire. La légende, en effet, récit merveilleux, bien antérieure dans sa forme au christianisme — qui, avec son sens des foules, en saisit de bonne heure la puissance et en tira un prodigieux parti — participe de toutes les créations ou des amplifications imaginatives qui enivrèrent, durant des siècles, l’humanité et qui continuent à ravir, pour le plus long appesantissement des religions et de tous les empires basés sur la superstition, les masses crédules pt superficielles. La légende répond à ce besoin, qu’ont les faibles, impuissants à se redresser dans la vie, de s’évader des contingences vers des mondes imaginaires et d’opposer, au terre-à-terre d’une existence douloureuse et sans beauté, l’idéal flottant de paradis mystiques et compensateurs, encortégé d’équipées chimériques et de prouesses invraisemblables, pêle-mêle avec les vérités altérées du passé…

Si la légende peut provenir tout entière de la fantaisie créatrice de quelque imaginatif plus ou moins en communion avec les masses populaires, elle peut aussi sourdre dans l’inconscience de ces masses elles-mêmes et s’y propager. Les peuples enfants (et les petits des hommes en apportent le goût inné), séculairement avides de peintures saisissantes et d’évocations grandioses, toujours prompts à savourer sans contrôle les apports des charmeurs de foules et à se confier au mirage des Olympes anthropomorphistes, ont chéri de tout temps les légendes des bateleurs profanes et des magiciens religieux. « De là toutes les légendes qui encombrent les origines de l’histoire hébraïque, égyptienne, grecque, romaine, etc. L’histoire primitive n’est guère qu’une succession de légendes transmises, d’âge en âge, et auxquelles chaque siècle ajoute ou retranche ». Les mythes poétiques du Nord (Sagas), en France les chansons de geste et les romans de chevalerie sont de fond ou d’allure légendaire. « Les Védas sont le recueil de légendes aryennes et, par conséquent, le plus ancien de tous ; presque toutes ces légendes sont cosmogoniques. De même, pour la Perse, le Zend-Avesta. La mythologie égyptienne, celle des Grecs et celle des Romains sont entièrement fondées sur des légendes, et chaque dieu, chaque demi-dieu, chaque héros a la sienne, et même les siennes, car ceux qui n’en ont qu’une seule sont bien peu nombreux. C’est ce qui fait qu’il est difficile de concilier tant de traditions diverses. Le christianisme, dont une partie au moins est fondée sur la crédulité robuste des masses, trouvait donc le terrain bien préparé par l’antiquité pour semer et faire fleurir, à son tour, la légende. Tous les recueils des vies des saints, qu’ils portent ou non le titre de légendes, en sont farcis, et l’on appelle plus souvent encore leurs auteurs des légendaires que des hagiographes… » (Larousse)… Pour donner un exemple suggestif de ce que les légendes peuvent, sur les âges, emporter d’absurdités monumentales, citons au passage cette légende des « onze mille vierges de Cologne », due à la méprise inepte d’un copiste. « Sainte Ursule ayant été martyrisée, ce qui n’est même pas bien sûr, avec sa suivante Undecimilla, le copiste crut comprendre qu’elle avait été menée au supplice avec ses onze mille suivantes, qui toutes, naturellement, étaient vierges. Cette bévue énorme fut si bien prise au mot, que l’on montre encore aujourd’hui les onze mille reliques… »

Obstacle au refoulement déjà difficile des préjugés religieux, dangereuse pour les progrès si lents de la raison, la légende ne l’est pas moins pour la marche des connaissances historiques. De toutes pièces inventées, ou considérablement grossies, les aventures qui constituent le fond des légendes populaires — connue des narrations sacrées —, enregistrées ou non par les écrivains successifs, sont aussi, nous l’avons aperçu, le milieu mouvant de l’histoire qui baigne avec elles dans l’irréel et l’hypothétique. Seules valent d’être recherchés, et retenus comme appoint véridique, dans la vie des saints ou des héros légendaires, dans les épopées glorieuses ou burlesques, les exploits épiques ou les interventions miraculeuses, les détails et les traits (qui sont l’accessoire du récit) par quoi se révèlent les mœurs d’une époque et qui n’ont servi au chroniqueur que de cadre et d’enjolivement, lui ont même souvent échappé par mégarde. À ce point de vue « l’école historique moderne a su tirer un excellent parti du recueil des Bollandistes et des récits des anciens hagiographes ». Et c’est en ce sens que Voltaire disait : « Il n’y a pas jusqu’aux légendes qui ne puissent nous apprendre à connaître les mœurs de nos nations. » Mais c’est assez dire avec quelle prudence les chercheurs d’authenticité doivent s’engager dans ce dédale aux richesses chatoyantes qui dansent sous le regard comme des feux-follets et s’évanouissent à mesure qu’on veut en saisir la substance ; et que de fois ils passeront au crible critique la manne légendaire, aux abords partout séduisants. Si tant est, comme dit Renan, qu’ « il n’est pas de grande fondation qui ne repose sur une légende et que le seul coupable, en pareil cas, soit l’humanité, qui veut être trompée » le sage et le savant, qui ne se satisfont d’apparence, ne peuvent en accepter, comme aurait dit Ibsen, la paix au prix d’un mensonge. Et des investigations besogneuses, sans cesse déçues et maintes fois reprises, leur seront nécessaires pour asseoir dans les temps disparus quelques certitudes provisoires !…

Au moyen âge, quand florissait le règne d’une thaumaturgie à l’apogée de sa fécondité, et qu’erraient, à travers les manoirs écrasés d’ennui, les troubadours porteurs de rires, de chants historiés, de contes et de récits rythmés, la légende envahit littéralement tous les domaines. En dehors des saints et des bienheureux aux attitudes surhumaines et aux miracles multipliés, les princes aventureux, les preux chevaleresques et les guerriers nimbés de bravoure nourrissaient la légende de leurs prouesses brutales. Un halo d’audace, de maîtrise et de vigueur physique exceptionnelles leur faisait une renommée sans exemple et ils passaient, de la bouche déjà grisée des narrateurs aux propos rebondissants du vulgaire, comme parés d’une cuirasse magique et chevauchant l’invulnérable. Il suffit de rappeler ce que la légende a fait de Charlemagne, de ses douze pairs, de Roncevaux, d’Ogier le Danois, de Roland le paladin, d’Ollivier et de tant d’autres plus légendaires qu’historiques, si tant est que l’histoire s’affirme un jour en science exacte et puisse bâtir sur un roc où les remous de la tradition ne viennent ressaisir ses conquêtes. Des légendes particulières attachées aux Robert le Diable, aux Mélusine, à la Reine Pédauque, etc., compliquaient l’écheveau des données errantes du populaire, étendaient la zone maîtresse des croyances. Pris à ces fictions familières qui, dans une atmosphère saturée d’invraisemblable, les pénétraient à vif, nos pères renonçaient à faire la part intelligente du possible et finissaient par délivrer brevet de vie à leurs inventions fabuleuses. Délassements inoffensifs, réjouissances aux éclats fugitifs, papillons fols au seuil des âmes, diront certains, enchantés seulement du tableau. Sans doute, pour maintes histoires privées, qui tenaient plus de la littérature et du spectacle, de la poésie ou de la farce qu’elles ne visaient au document durable et à la culture sérieuse. Mais, dans un monde de crédulité, ouvert à tous les courants de la foi, où l’absurde était souverain, elles garantissaient l’emprise de l’erreur et servaient de tremplin aux trompeurs intéressés des hommes.

Des légendes à foison répandues, bon nombre au reste s’attachaient en propre à l’histoire. Elles retraçaient les hauts faits des chefs et des grands, les entreprises des conquérants, les campagnes des rois. Et, en l’exaltant, elles déformaient, des uns et des autres, le caractère, défiguraient, pour les embellir, les situations dans l’emportement de l’admiration, au souffle du dithyrambe les exploits les plus minces s’enflaient en prodiges, et gestes et personnes, naïvement boursouflés, devenaient méconnaissables. Autant que les assertions des livres sacrés, pour l’exégète, les conflits et les fragments héroïques, les étapes supposées des groupes humains, pour l’historien, s’adornent, à travers la légende, des couleurs de la féérie et posent, devant l’esprit averti, toutes les perplexités du doute. Emportée par les voies littéraires et campée sur l’écrit, après de folles chevauchées orales, la légende sert la faconde capricante des écrivains à la faveur des attachements invétérés du public. Elle trouble une pensée farcie d’idées désorbitées et de lieux communs généraux, empêtrée dans les détours et livrée aux vagues oratoires qui s’efforcent durement à la rectitude et à l’équilibre. Elle envahit toutes les formes d’expression, pénètre le dire et le style, sort des cadres imagés de la poésie et de l’art, où sa part d’influence, moins nocive et en principe reconnue, peut-être aussi délimitée, pour établir son règne jusque sur la science par d’habiles « arrangements » et des dogmes têtus, des expériences faussées d’occlusions mystiques, des divagations teintées de magie ou d’occultisme…

Qu’on ne regarde pas la légende comme une lointaine visiteuse dont le souvenir seul l’amène jusqu’à nous quelques méfaits éteints. Tout près, les annales de la Révolution française fourmillent de ses amplifications. Le xixe siècle n’a-t-il pas vu, à quelques années des événements et dans l’enthousiasme des survivants médusés, la légende impériale faire du « Corse à cheveux plats » un nouveau Sabaoth ? Écrivains et poètes du premier romantisme — Hugo en tête — n’ont-ils pas, dès la troisième décade, magnifié le soudard qui traîna jusqu’à l’Oural ses bottes ensanglantées ? Et n’est-ce pas l’apothéose du « Grand » (prestigieux Prométhée dont « le vautour Angleterre », sur son rocher d’exil « rongea le cœur » invaincu) qui valut à la France le neveu Bonaparte, fantoche défait au prix du cancer alsacien ? Est-il besoin de plonger dans l’autre siècle pour voir à l’œuvre, dans les champs falsifiés de l’histoire la légende aux ailes de nuit ? Qui, hormis quelques pionniers épars, des douteurs obstinés, des dissecteurs patients promène, à travers « la Grande Guerre » (supercherie si proche), la torche des vérités édificatrices ?

Autour des tumulus à peine affaissés, parmi les mobiles à point obscurcis, voltigent, grâce au secours des rescapés complices, les évocations erronées, s’amalgament, faisceau dénaturant, les stratégies truquées, les heureux à-propos, les faits d’armes propices, s’accréditent, comme invinciblement, les « causes » mensongères autour desquelles veillent de criminelles connivences. Sur les clartés lapidées, devant nos regards terrifiés de son envergure, s’essore ainsi et s’affermît la « grande parade », légende perfide, semence de carnage, pâture morbide du monde !

Depuis les prémices des échanges humains, la légende paralyse et fait se fourvoyer la vérité. Son baume anesthésiant retombe sur les simples en coulées de souffrance, en ténèbres sur les civilisations. Méfions-nous de ses lutins dansant au bord de nos veilles, de ses fantasmagories grisantes ou consolatrices, de ses on-dit pleins de traîtrises, des chars de triomphe abusants qu’elle ramène du passé.

Ses enchantements, qui enveloppèrent nos berceaux d’enfants, prolongent, adultes, nos périls. Sur les chemins qui montent au savoir ses séductions sont des pièges. Pernicieuse est, partout, pour qui s’y livre, la sécurité de ses joies. Il n’y aura de quiétude lucide (j’entends ici la paix en laquelle viennent mourir tous les maux évitables) dans l’univers pensant, que si les hommes, gardés enfin du récit, sceptiques à l’égard des rumeurs d’histoire, goûtent en la légende le charme seul des belles musiques qui scandent les reposantes rêveries, aux soirs lourds d’efforts véridiques…



Des légendes écrites les plus fameuses, signalons : Le Martyrologe de Saint-Jérôme, source favorite des écrivains grecs ; les compilations de Simon le Métaphraste, dont l’Église continue à fêter tant de pieux ermites et de saints imaginaires ; La Légende dorée (proprement « légende d’or » : legenda aurea), vaste recueil de la Vie des Saints, publiée en latin par J. de Voragine et réimprimée plus de 50 fois pendant les xv et xvie siècle. (La Bibliothèque Nationale en possède neuf manuscrits). Attaquée de bonne heure, pour sa fantaisie, par les catholiques eux-mêmes, cet ouvrage est aujourd’hui en défaveur. Citons encore, parmi les recueils hagiographiques, les Acta Martyrum de dom Ruinart, les vitæ Patum et Fasti sanctorum du P. Rosweid, les Acta Sanctorum de Dollandus et de son école, etc.

Notons, parmi les légendes populaires, celles du Juif Errant, de Geneviève de Brabant, la Légende des Quatre Fils Aymon et de leur cousin Maugis, etc. Parmi les légendes primitives, mentionnons les Légendes Indiennes, recueillies par C. Mathews (1854) chez les peuplades sauvages de l’Amérique. Elles nous montrent, dans un état de société déjà remarquable, des hommes industrieux, libres, serviables et doux, naïfs et modérément superstitieux, très différents des guerriers scalpeurs que les Cooper, les Aymar, les Mayne-Reid ont présenté au public européen…

Maints ouvrages portent d’ailleurs ce titre de légende et en renferment plus ou moins l’esprit. Dans La Légende Celtique et la poésie des cloitres (1859), H. de La Villemarqué s’est proposé d’étudier « les traditions orales, poétiques, religieuses, symboliques, historiques qui se sont développées à part dans l’Église d’Irlande, de Cambrie, d’Écosse et d’Armorique ». Les Légendes et Croyances de l’antiquité (A. Maury, 1863), ouvrage scrupuleux et érudit, sont des Essais qui ont pour but « d’éclairer l’histoire des religions de l’Occident à l’aide de celles de l’Orient ». L’auteur y étudie avec sagacité le naturalisme des Aryas et regarde les religions aryennes comme le fond commun de toutes les religions indœuropéennes (judéo-chrétienne y comprise). Il montre la part considérable de la légende dans la formation des cultes consacrés à la divinité. Citons encore, dans un ordre davantage littéraire, la Légende de Montrose, de Walter Scott et surtout la Légende des Siècles (de Victor Hugo) où l’auteur a tenté, dans un lyrisme souvent heureux et en larges fresques poétiques dont plusieurs sont des chefs-d’œuvre, « d’exprimer — ce sont ses termes — l’humanité dans une espèce d’œuvre cyclique, de la peindre successivement et simultanément sous tous ses aspects : histoire, philosophie, religion, science, lesquels se résument en un seul et immense mouvement d’ascension vers la lumière ; de faire apparaître dans une sorte de miroir sombre et clair, cette grande figure une et multiple, lugubre et rayonnante, fatale et sacrée : l’homme… ».

Parmi les légendes qui peuvent concourir à la formation de l’histoire, de la numismatique, etc., sont les inscriptions placées sur les monnaies, médailles, etc. D’abord brèves, puis plus explicites, « elles renfermèrent les noms et les titres honorifiques des divinités locales, des magistrats, des rois, quelques notions topographiques, etc. Les pièces consulaires romaines offrent les légendes les plus curieuses sur les principales familles de Rome, sur les hauts faits qui les avaient illustrées et sur les traditions auxquelles elles faisaient remonter leur origine. À ces factums généalogiques d’une aristocratie qui fut bientôt nivelée par le despotisme, succédèrent, après l’établissement du gouvernement impérial, les formules adulatrices de l’esclavage. Les légendes monétaires ne contiennent plus alors d’intéressant que les faits et les dates… Les légendes qui nous sont restées en langue celtibérienne, osque, samnite, étrusque, nous sont inconnues ; on explique même difficilement celles en caractères persans et sassanides » (Lachâtre). Les légendes des jetons (xve à xvie siècle), répandues dans les provinces, sont des inscriptions plus soumises encore aux caprices des temps : la galanterie elle-même s’y réfugiait, parmi les rappels bibliques et l’histoire. On trouve à la Galerie du Louvre un jeton figurant Charles IX, avec l’inscription : Pietate et justitiâ. On ne pouvait trouver, pour l’ordonnateur de la Saint-Barthélemy, plus flatteuse légende et qui donne mieux la mesure de tels documents. La proclamation dont s’enorgueillissent, en France, les républiques successives et qui pare encore de nos jours monuments et médailles, pièces et assignats, est d’une aussi riche ironie. « Liberté, Egalité, Fraternité ! », attributs officiels du régime, appartiennent en effet à la pure légende ; et la monnaie qui les porte est un socle digne de servir d’assise à l’histoire de ce temps. — S. M. S.

LÉGENDE. — Tout récit où l’histoire est déformée par la tradition peut être appelée légendaire, qu’il s’agisse de narrer des actions guerrières, les hauts faits d’un chef d’État, les vertus d’un prétendu saint ou les gestes d’un quelconque bipède que l’on trouve avantageux d’ériger en idole après sa mort. Par l’élément historique, parfois minime, parfois considérable, qu’elle comporte, la légende se distingue de la mythologie et de la fable dont Stephen Mac Say a donné une étude pénétrante. On sait combien néfastes les récits militaires qui déforment intentionnellement ce qui concerne la guerre, cette plaie hideuse du genre humain. Les généraux à la Foch, à la Joffre, à la Mangin, les gradés canailles qui cimentèrent leur gloire avec le sang du simple troupier, y deviennent des héros, des demi-dieux exempts des faiblesses ordinaires ; leurs fautes sont passées sous silence et leurs plus douteuses entreprises sont érigées en action d’éclat. Ce travail d’embellissement, poursuivi sous nos yeux par les écrivains patriotards, soucieux d’obtenir le ruban rouge ou un fauteuil à l’Académie, nous renseigne sur la sincérité des louanges décernées depuis des siècles à la vertu guerrière. Même remarque concernant les prétendus mérites des chefs d’Etat à la Napoléon ou à la Poincaré ; grâce à d’habiles subterfuges de style, ces criminels ambitieux passent pour des bienfaiteurs de leur époque.

Mais c’est dans le domaine religieux que la légende revêt les proportions les plus fantastiques. Pour tromper les âmes simples, les prêtres ne reculent devant aucune exagération ; d’un malfaiteur public ils réussissent à faire un saint et dans les songes creux de malheureuses hystériques, ils trouvent moyen de découvrir le doigt de Dieu. Rien ne les arrête. Après avoir brûlé comme sorcière la pucelle d’Orléans, ils sont parvenus à faire admettre qu’elle était inspirée par le ciel. Parmi les saints du calendrier, soi-disant faiseurs de miracles, se trouvent des fous sanguinaires ; et pour édifier les dévots on fabrique miracles, grâces, faveurs célestes et l’on falsifie la vie du bienheureux devenu populaire. Saint François d’Assise s’est vu attribuer un pouvoir presque divin par des biographes dédaigneux de l’histoire et soucieux seulement de glorifier cette victime du mysticisme outré. Saint Martin de Tours devint célèbre grâce aux fables répandues à son sujet par les écrivains ecclésiastiques. On pourrait multiplier les exemples à l’infini, car dans les pays catholiques, chaque région, chaque bourgade possède sa relique de saint ou son lieu de pèlerinage. Au moyen âge surtout, alors que l’esprit critique n’existait plus, on se gargarisait des plus absurdes légendes ; les apparitions du diable ou de la Vierge étaient quotidiennes, les femmes se croyaient la proie des lutins, les moines conversaient avec des revenants ; entre la terre et l’au-delà les limites n’étaient pas nettes et les échanges étaient constants. Lorsque l’Église eut inventé le purgatoire et que le clergé vendit des messes à l’intention des défunts, les apparitions d’âmes qui réclamaient des prières devinrent nombreuses ; personne ne pourra dire quelle inestimable source de richesses, pour les moines, s’avéra cette innovation.

Les Évangiles eux-mêmes sont d’ailleurs, pour le moins, des écrits légendaires. De nombreux exégètes ne voient plus en Jésus (voir ce mot), qu’un mythe, qu’une création subjective de l’esprit halluciné des premiers chrétiens. Même ceux qui admettent son existence réelle doivent convenir que les écrits sacrés du Nouveau Testament contiennent une multitude de fables ineptes et qu’il serait vain de vouloir identifier le Jésus de la légende avec le Jésus de l’histoire. Mais lues sur un ton doucereux, avec des allures dévotes, les mensongères légendes chrétiennes, qu’elles datent d’hier ou de plusieurs siècles, déforment les cerveaux enfantins et les obnubilent parfois pour le reste de leur existence. Travail d’autant plus facile que l’esprit qui s’ouvre, par atavisme sans doute, est naturellement avide de merveilleux, épris de fantastique. Les religions, qui répondent à l’enfance de l’humanité, sont adaptées à la faiblesse des jeunes cerveaux ; aussi l’Église veut-elle s’en emparer à tout prix avant que la réflexion devenue plus forte permette de contrôler ses affirmations. On connaît le mot d’un prêtre, rapporté par L. Barbedette : « Donnez-moi l’enfant jusqu’à l’âge de sept ans, et il demeurera l’enfant de l’Église pour le reste de son existence. » C’est à l’aide de légendes et de mensonges que ce prêtre enfonçait dans l’âme de ses élèves, les idées et les tendances chères aux Serfs du Vatican, dont parle Bontemps. Et parmi les dévotes, qui passent leurs journées à marmotter des prières, beaucoup sont plus impressionnées par les récits d’apparitions ou les vies de saints que par l’explication théologique du credo. Nous ne nions pas que certaines légendes présentent un caractère poétique et littéraire marqué ; elles ne peuvent faire oublier les maux sans nombre causés par l’amas de récits frauduleux qui entretiennent la religion dans les cerveaux faibles et les imaginations ardentes. Quand les hommes auront déserté définitivement les temples, quand les prêtres ne trouveront plus à qui vendre leurs drogues empoisonnées, les légendes, rendues inoffensives, pourront, quelquefois, être lues avec intérêt. On le constate déjà lorsqu’il s’agit de religions disparues ou étrangères à nos contrées ; mais tant que l’idole est debout et que les adorateurs ne manquent pas, il convient d’attaquer sans ménagement les légendes dont elle se pare. Rendons cette justice à l’époque moderne que les démolisseurs de fausses gloires religieuses, guerrières et autres, sont plus nombreux qu’autrefois. « Diffuser l’esprit critique c’est contribuer au bonheur tant des collectivités que des individus ». Là gît pour les hommes le grand moyen de libération.

A côté des légendes intentionnellement fabriquées par les larbins de l’Église ou des classes possédantes, d’autres naissent spontanément de la naïveté populaire. Une déformation instinctive s’opère de toute action un peu lointaine dans le temps ou dans l’espace. Les vieillards voient leurs années d’enfance sous un aspect ensoleillé qu’elles n’eurent pas toujours et ceux qui reviennent de contrées perdues, dans un autre hémisphère, finissent aisément par imaginer qu’ils accomplirent là-bas des prouesses inégalées. On conçoit que l’exagération ne connaisse plus de limites lorsqu’il s’agit d’hommes morts depuis longtemps ou d’actions d’éclat qui s’accomplirent voici plusieurs siècles. Lorsqu’une nouvelle même véridique a passé par dix bouches, elle devient souvent méconnaissable ; comment un récit transmis de générations en générations, depuis un temps immémorial, pourrait-il contenir une forte dose d’exactitude ! Les historiens savent combien il faut se méfier des traditions orales et des dires populaires ; impossible d’ordinaire d’en tirer quelque renseignement précis sur le héros ou l’action qu’ils prétendent l’appeler ; ils nous renseignent seulement sur la mentalité du milieu qui les vit éclore. Aussi ne peut-on faire état des légendes populaires lorsqu’il s’agit de vérité ; elles aussi sont menteuses, même lorsqu’elles paraissent touchantes et belles. — L. B.


LÉGISLATEUR [TRICE] n. et adj. (latin legislator, de lex, legis, loi et fero, sup. latum, je porte). Celui qui fait, qui porte, qui donne la loi à un peuple. Parmi les législateurs antiques, dont la gloire apporte jusqu’à nous les vertus souvent légendaires, rappelons : Osiris chez les Égyptiens, Moïse chez les Juifs, Zoroastre chez le peuple zend, Confucius chez les Chinois, Minos en Crète, Zaleucus chez les Locriens, Lycurgue à Lacédémone, Solon à Athènes, Romulus et Numa à Rome, etc. Plus près de nous les Justinien, les Mahomet, les Charlemagne, les Jaroslaf de Russie, Louis IX, Charles IV, Cromwell, Louis XIV, la Constituante, la Convention, Napoléon Ier sont regardés, à des titres divers, comme des législateurs dont l’histoire enregistre les noms pour la postérité… Ils ont tous, plus ou moins, invoqué la justice et prétendu l’introduire dans leurs œuvres. Un regard sur les tables qu’ils ont laissées montre la fragilité de telles espérances. Et il apparaît, à côté des contradictions sur le principe même de leurs actes, combien précaires, iniques, et finalement en désaccord avec les mœurs du temps ou le bien même des hommes, sont les règles que les arbitres des peuples — sages ou despotes — essaient de fixer dans le cadre rigide des lois…

On appelle aussi législateur : personne qui trace les règles d’une science, d’un art : le législateur du Parnasse. — N. m. Pouvoir public qui a mission de faire des lois. — La loi en général : le législateur a voulu que… — Chacun des membres de ce pouvoir.

Quand la société est régie par la caste sacerdotale, la loi est proclamée au nom de Dieu. Dieu est le législateur par excellence, sa loi est éternelle et absolue. Nul ne peut la transgresser sans que la punition s’ensuive. Or, les actes mauvais et condamnés par la loi divine ont parfois des conséquences heureuses, bonnes pour le transgresseur. Il faut donc, de toute évidence que la justice soit rendue en d’autres lieux et époques que ceux où vit le jugé. D’où nécessité de créer un ciel et un enfer, corrigés d’ailleurs par un purgatoire. Nécessité également de donner à l’homme une âme immortelle, sur laquelle s’exercera la justice de Dieu, après la mort. Ce n’est pas par hasard que les religions appuient leur morale, leur loi sur un Dieu législateur, une âme éternelle qui reçoit la loi, obéit ou désobéit, appelle un monde adéquat où la justice distribue punitions ou récompenses. Tant que les hommes « croient » la règle, ne l’examinent pas, la domination du sacerdoce est assurée, l’ordre règne.

Mais l’examen est le propre de l’homme. Vient un moment où la règle est soumise à la critique. Pour empêcher cet examen, la crainte d’un lieu de souffrances éternelles n’est plus suffisante, la caste sacerdotale fait appel à la caste des guerriers. Le chef des guerriers, le Prince, sera législateur pour la société ; mais Prince de « droit divin », il est législateur de « droit divin ».

La loi est sauvegardée par la force. Tout examen est longtemps rendu impossible par l’inquisition. Il faut que des prêtres, des princes et des grands, gênés par la loi, l’attaquent eux-mêmes dans les principes, à savoir : la réalité du législateur, pour que le prince, oubliant sur quelles bases repose l’ordre social de son temps, puisse dire : l’État, c’est moi !

Quand la loi n’apparaît plus comme divine, quand le législateur n’est plus qu’un homme ou une caste, l’examen se donne libre cours ; on peut transgresser la loi — pourvu que le législateur ne le sache pas. Le mal n’est plus dans la désobéissance, mais dans la faiblesse du révolté. Tout est bien pourvu que l’on soit fort. Mais la force est par définition : changement, mouvement, l’ordre social est dès lors instable et les révolutions ne tardent pas à faire sentir aux sociétés la nécessité de changer la règle.

L’accession au pouvoir des classes bourgeoises nous donne une autre catégorie de législateurs. La loi est encore l’expression de la force de la classe possédante. Mais le législateur tient compte de l’esprit de libre-examen des classes pauvres ou prolétariennes. La force seule est trop instable et partant, l’ordre. La force est masquée de sophisme et s’appelle : suffrage universel, volonté générale, intérêt général, loi des majorités. Le législateur, roi constitutionnel, parlement, etc…, fait la loi, établit la règle au nom de la majorité des individus. Ainsi chacun est censé être son propre législateur et la loi doit représenter la volonté de celui qui lui doit obéissance. De ce fait, s’il en était réellement ainsi, l’ordre serait indestructible.

Et cependant, le législateur opère de telle manière que la démocratie connaît aussi les révoltes et les révolutions. C’est que la somme des volontés particulières qui est censée donner la règle n’est pas du tout en accord avec la volonté de chaque particulier. D’autre part, la manière dont s’établit la loi, dont se délègue le pouvoir, la souveraineté, au législateur, met un obstacle absolument infranchissable à l’instauration de l’ordre social définitif (Voir Suffrage universel).

Ainsi : Théocratie, Royauté de droit divin, Démocratie, sont incapables de créer l’ordre par la loi. D’autres législateurs peuvent-ils obtenir ce résultat, ou la loi, l’autorité, ne sont-elles génératrices que de misère et de désordres ? (Voir Loi, Autorité, Légalité, Législation, Justice, etc.). — A. Lapeyre.


LÉGISLATIF (IVE). adj. Qui a le pouvoir de faire, qui fait des lois : Assemblée législative. Qui a rapport à la loi, à la confection des lois, qui en partage la nature ou le caractère : actes, mesures législatifs. Qui a droit de faire des lois : pouvoir législatif. « Les grands feudataires de la couronne exerçaient avec le roi le pouvoir législatif et constitutif pour les grandes sanctions de l’État. » (Saint-Simon). « Le corps législatif, dit Montesquieu, ne doit point s’assembler lui-même, car un corps n’est censé avoir de volonté que lorsqu’il est assemblé… » C’est vers une détente de la tyrannie législative que tendait Royer-Collard lorsqu’il disait : « Il n’y a de nations politiquement libres que celles qui participent sans relâche et au pouvoir législatif et au pouvoir judiciaire. » Et Proudhon cherchait le fondement de la capacité législative ailleurs que dans l’arbitraire de la naissance et du règne, la suprématie du cens ou la fantaisie du suffrage, qui proclamait que « la puissance législative n’appartient qu’à la raison, méthodiquement reconnue et démontrée »… (Voir législateur, loi, etc.)

Assemblée législative. — Fut élue pour deux ans, en vertu de la Constitution de 1791, mais ne siégea même pas une année : du 1er octobre 1791 au 20 septembre 1792. Son histoire fut marquée par deux faits essentiels : la déclaration de la guerre à l’Autriche, le 20 avril 1792, laquelle détermina la suspension de Louis XVI (imposée par l’insurrection parisienne du 10 août 1792), prélude de l’abolition de la royauté. La suspension du roi, après sa tentative de fuite à Varennes et son emprisonnement au Temple, plaça l’assemblée devant des problèmes pour lesquels elle se sentait insuffisamment armée. Elle se sépara, cédant la place à la Convention.

Assemblée législative. — Élue le 13 mai 1849. Donna une majorité réactionnaire dite : du Parti de l’Ordre. En outre, un mois après, quelques-uns des députés républicains (33) furent emprisonnés. Aussi la législative s’employa-t-elle à restreindre les libertés conquises en 1848, et à préparer le retour de l’Empire. Elle vota notamment la « Loi Falloux » sur l’enseignement, accordant des droits exorbitants aux catholiques. Il faut noter que le « républicain » Thiers, le futur assassin de la Commune, était un des chefs de ce parti de l’ordre. La législative vota également le suffrage restreint.

L’Assemblée fut dissoute par le coup d’État du 2 décembre.

Corps législatif. — Corps politique constitué en 1852 et dissous le 4 septembre 1870.


LÉGISLATION n. f. (latin législatio, de lex, legis, loi et latus, porté). Au sens ordinaire du mot, on entend par législation un ensemble de lois en vigueur à une époque et dans un pays donnés ; ainsi l’on parle de législation ancienne et moderne, française, russe, américaine, de législation des loyers, commerciale, industrielle, etc. La fabrication des lois et règlements, conséquence du pouvoir de commander que s’arrogent les gouvernants, suivit l’institution de conseils d’anciens, puis de chefs, dans les tribus primitives mais longtemps la volonté des maîtres ne fut pas codifiée de façon durable et systématique. Aujourd’hui d’innombrables prescriptions règlementent, jusque dans le détail, les moindres actions des « libres » citoyens d’Europe et d’Amérique ; d’où l’énorme développement de législations qui sans cesse empiètent sur le domaine déjà si restreint de l’indépendance individuelle. En Grèce, Lycurgue donna à Sparte des institutions imitées de celles de Crète ; impitoyables pour l’esclave et l’enfant, dures pour tous, elles visaient seulement à former des soldats. Plus humaines, celles que les Athéniens reçurent de Solon se modifièrent peu à peu ; le peuple possédait le pouvoir législatif en principe avec de nombreuses restrictions dans la pratique. Mais c’est à Rome que les deux notions corrélatives d’état et de loi devaient acquérir leur plein développement ; acceptées avec empressement par les despotes, elles se sont acclimatées depuis chez la généralité des peuples. Le droit romain fut complètement codifié sous l’empereur Justinien, au xie siècle de notre ère, par des jurisconsultes qui réunirent les prescriptions édictées aux époques antérieures ; déjà, au milieu du iiie siècle, sous le règne des Sévères, il présentait ses lignes essentielles. Coutume, loi, édits du préteur constituaient sa triple source. Ensemble de règles écrites et transmises par la tradition, la coutume des ancêtres (mos majorum) était respectée autant que la loi écrite par les Romains ; toutefois elle avait pour sanction la colère des dieux ; non des châtiments infligés par le magistrat. La loi (lex) désignait à l’origine les engagements réciproques pris, les uns envers les autres, par les citoyens. C’était du ve siècle avant notre ère que datait la Loi des Douze Tables, la première encore toute imprégnée d’esprit théocratique ; elles devinrent innombrables. Si le pouvoir législatif appartenait au peuple, il ne pouvait l’exercer qu’avec la coopération d’un magistrat. Quant aux Édits du préteur, malgré leur caractère transitoire, ils tinrent une place considérable dans la législation romaine. Lorsqu’il entrait en charge, le chef suprême de la justice, le préteur urbain, faisait connaître les principes qui le guideraient dans la rédaction de ses arrêts ; sans pouvoir contredire formellement la loi, il était libre d’innover et d’interpréter à sa façon. En droit son édit ne lui survivait pas, cessant d’être applicable lorsqu’il sortait de charge, au bout d’un an ; en fait, les édits successifs se complétèrent en général, loin de se détruire, et leur ensemble fit partie intégrante du droit. À Rome la connaissance des lois fut toujours en honneur ; mais c’est durant les trois premiers siècles de l’Empire que la jurisprudence atteignit son développement maximum avec Labéon, Julianus, Gaïus, Papien, Ulpien, Paul. Ces juristes consacrèrent la toute-puissance du prince ; dans l’État, tout sujet, disaient-ils, devait obéir aveuglément au maître. Naturellement les empereurs chrétiens ne répudièrent pas ces idées ; en 426, la Loi des Citations, rendue sous Théodose II et Valentinien III, décida même que les écrits de Papinien, Paul, Gaïus, Ulpier, Modestin auraient force de loi ; en cas de partage on prendrait l’opinion qui avait pour elle le plus grand nombre de ces jurisconsultes, et si les suffrages se répartissaient en fraction égales, celle de Papinien. Le catholicisme, qui calqua sa constitution sur celle de, l’empire, devait verser également dans les idées centralisatrices et autoritaires, inspirées du droit romain. Grâce à lui le Corpus juris civilis publié sous Justinien, et qui réunissait toutes les lois antérieures ou de l’époque dans divers ouvrages : Code, Novelles, Institutes, Pandectes continua d’être enseigné dans les Universités, au moyen âge. On connaît le rôle joué, en France, par les légistes dans l’établissement de la monarchie absolue ; la tradition qu’ils ont créée subsiste. Maintes fois le personnel gouvernemental a changé ; aux Capétiens ont succédé les Bonapartes, ainsi que des ministres et présidents républicains ; les tendances autoritaires et centralisatrices ont persisté sous tous les régimes successifs. Un Richelieu, un Robespierre, un Napoléon, un Clemenceau professaient des idées différentes ; ils se ressemblent étrangement, dès qu’on observe leur caractère et leurs procédés de gouvernement.

Au point de vue législatif, l’ancienne France comprenait des pays de coutume et des pays de droit écrit ; les premiers étant situés au nord dans l’ensemble, les seconds au midi. Fondé sur l’usage, le droit coutumier variait de province à province et même de localité à localité. On évaluait à plus de trois cent-soixante le nombre des coutumes, soit générales, soit spéciales : les premières, une soixantaine, régissaient une portion considérable de territoire, les autres se restreignaient parfois à une ville ou même à un village. Ce qui faisait dire à Voltaire que, chez nous, le voyageur changeait de lois presque aussi souvent que de chevaux. Quand le juge ignorait la coutume et que les parties n’étaient pas d’accord à son sujet, on l’établissait, grâce à la déposition de deux turbes ou groupes de dix témoins : avant la rédaction écrite des coutumes, faite à la suite de l’ordonnance de Montil-les-Tours par Charles VII, en 1453. Le droit romain servait de base à la législation, en pays de droit écrit ; mais les usages locaux et la jurisprudence des parlements l’avaient modifié plus ou moins profondément. En Bourgogne, en Franche-Comté, par exemple, il n’avait force de loi que sur les points non réglés par la coutume. Les ordonnances royales, applicables en principe à tout le pays, furent un élément d’uniformité ; néanmoins certaines restèrent sans force, dans l’une ou l’autre région, par suite du refus d’enregistrement des parlements locaux. Au droit ancien succéda le droit révolutionnaire, collection des lois faites par la Constituante, la Législative, la Convention, le Directoire et le Consulat, du moins à ses débuts. Son ère s’ouvre le 17 juin 1789 et se clôt le 15 mars 1803 ; il s’inspirait des principes consacrés par la Révolution et visait à soumettre le pays à une législation uniforme. « Il sera fait un code de lois civiles communes à tout le royaume » dit un article de la Constitution de 1791 ; mais les assemblées révolutionnaires successives échouèrent dans cette entreprise. À côté des lois qu’elles édictèrent et qui furent appliquées sur l’ensemble du territoire, le droit ancien subsista avec son infinie variété pour tous les points non réglementés par les nouveaux législateurs. C’est de la rédaction du code civil, commencée en 1800 et terminée en 1804, que date le début de la législation actuellement appliquée en France. Un arrêté des consuls du 24 thermidor, an VIII, nomma une commission de quatre membres : Tronchet, Portalis, Bigot-Préameneu, Malleville, chargée d’établir les projets primitifs. Projets que l’on modifia d’après les observations de la cour de cassation et des tribunaux d’appel, pour les transformer en lois suivant les formes admises par la Constitution de l’an VIII, alors en vigueur. Rejeté une première fois par le corps législatif, à la suite d’un vœu défavorable du tribunat, le premier projet aboutit néanmoins, grâce à Bonaparte, qui tenait absolument à son adoption. Trente-six lois furent ainsi promulguées successivement, puis, en exécution de la loi du 21 mars 1804, réunies en un seul corps pour former le code civil. Ce code (voir ce mot), était divisé en trois livres : le premier, intitulé Des personnes ; le second, Des biens et des différentes modifications de la propriété ; le troisième, Des différentes manières dont on acquiert la propriété. Il comprenait trente-six titres, en tout, correspondant aux trente-six lois primitivement votées, et chacun se subdivisait en chapitres, sections et paragraphes. Une première édition officielle en fut donnée en 1804 ; une deuxième fut décrétée par la loi du 3 septembre 1807, sous le nom de code Napoléon ; une troisième, en harmonie avec le gouvernement de la royauté, résulta d’une ordonnance de Louis XVIII, du 30 août 1816. Ce fut la dernière édition officielle, celle qui continue d’être en vigueur sous la troisième république. Naturellement le code civil, qui marquait cependant un progrès sur la législation antérieure, a consacré toutes les iniquités dont nous souffrons ; il a garanti les propriétaires contre les plus équitables réclamations, placé la femme en tutelle par rapport au mari, méconnu les droits de l’enfant naturel, assuré le triomphe définitif du veau d’or. Son complément, le code de procédure civile, fut voté en 1806, et devint obligatoire à partir du 1er janvier 1807 ; le code de commerce, voté en 1807, devint obligatoire l’année suivante. Code pénal et code d’instruction criminelle datent, le second de 1809, et le premier de 1810 ; ils n’entrèrent en vigueur qu’en 1811 ; on y trouve la liste des infractions, les règles relatives à leur poursuite et les pénalités qui les frappent. D’autres codes ont paru depuis : forestier, de justice militaire, rural, du travail et de la prévoyance sociale.

À côté du code il y a place, dans la législation, pour des lois qui le complètent ou qui l’abrogent ; leur nombre est tel qu’un seul individu ne parviendrait pas à les connaître toutes, même en étudiant sa vie entière. On voit combien plaisante la règle qui déclare : « Nul n’est censé ignorer la loi. » Cette dernière consiste dans la déclaration expresse d’une autorité compétente, d’après la Constitution, et qui règle d’une manière générale une série indéfinie de relations juridiques. Autrefois confondus dans les mains d’un monarque absolu, les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire sont, d’ordinaire, confiés à des organes différents chez les peuples modernes. Montesquieu voyait dans cette séparation des pouvoirs une garantie contre l’arbitraire gouvernemental ; nous constatons, hélas, quotidiennement qu’elle n’arrête ni les ministres ni les juges dans leur lutte contre les esprits indépendants. Certaines autorités administratives disposent d’ailleurs du pouvoir réglementaire qui s’appellerait plus exactement pouvoir législatif ; enfin les actes gouvernementaux prennent parfois le titre significatif de décrets-lois. Œuvre de l’Assemblée Nationale, les lois constitutionnelles sont votées et abrogées par elle seule, en France ; le pouvoir législatif ordinaire appartient au Sénat et à la Chambre des députés. Sauf en ce qui concerne les finances, un projet de loi peut être présenté en premier lieu devant l’une ou l’autre Assemblée indifféremment ; mais les deux doivent le voter en termes concordants pour qu’il obtienne force légale. Pour devenir exécutoire la loi doit être promulguée par le président de la République ; il est d’ailleurs obligé de le faire et peut seulement exiger une nouvelle délibération des Chambres. Cette promulgation est portée à la connaissance du public par l’insertion au Journal officiel ou au Bulletin des Lois ; après expiration d’un délai prétendu suffisant pour que ces recueils parviennent aux mains des particuliers, la loi est désormais obligatoire. Elle sera abrogée, soit d’une façon expresse par une déclaration du législateur, soit d’une façon tacite lorsqu’elle s’avère incompatible avec une loi plus récente. Quant au pouvoir réglementaire, il est exercé par le maire dans sa commune, par le préfet dans son département, par le président de la République sur l’ensemble du territoire.

La coutume n’occupe qu’une place très effacée dans notre législation ; elle ne crée de règles nouvelles que dans un domaine restreint, lorsqu’il s’agit de matières où l’on doit tenir compte de la diversité locale, et dans l’interprétation des conventions où les parties ne s’exprimèrent pas clairement. Mais l’ensemble des codes et des lois, décrétés par les gouvernements successifs, constitue un réseau aux mailles si serrées que l’individu est littéralement étouffé par ce monstrueux appareil. Après une période où la liberté fut, sinon bien comprise, du moins très prônée, l’État est redevenu le dieu par excellence, le Souverain bien ; l’individu n’existe qu’engrené, qu’intégré dans lui, son âme particulière ne doit être qu’un reflet de l’âme collective. Non seulement l’État peut faire tout ce qu’il veut, mais il doit tout faire et tout penser ; c’est la société qui nous permet de devenir ce que nous sommes, des êtres instruits et civilisés, des hommes non des animaux, disait en substance Auguste Comte, aussi n’avons-nous à son égard que des devoirs, alors qu’elle dispose contre nous de tous les droits. A la société obéissons donc, passivement, aveuglément, comme les membres obéissent au cerveau qui les commande et les dirige ; car l’individu n’est qu’une abstraction, seules existent les collectivités ! Izoulet fera même de ces dernières des animaux à part, les hyperzoaires ; et Durkheim, remplaçant le vieux Jahveh par l’État, proclamera que seul est moral ce qui est social. Naturellement les chefs deviennent les pontifes du nouveau dieu, et, comme ceux de Jésus, ils exigent le respect des multitudes prosternées. Inutile d’ajouter que les fidèles du culte sociologique se recrutent, en général, parmi les bien-casés ou parmi ceux qui espèrent l’être ; Durkheim trônait en Sorbonne, dictateur accrédité par la république pour la nomination des professeurs de philosophie dans les facultés. Cette superstition étatiste, elle est à la base du fascisme ; et, malheureusement aussi, du bolchévisme russe, que nous défendons bien volontiers contre les critiques intéressées du capitalisme, mais dont le mépris pour la liberté des individus ne cadre point avec l’idéal d’humaine fraternité, qui est nôtre. Elle constitue le côté faible des doctrines socialistes admises par beaucoup aujourd’hui ; le législateur n’a point la toute-puissance qu’on lui prête, et c’est méconnaître la valeur des individus, de les réduire au rôle de rouages impersonnels dans une administration devenue mécanique.

Très instructives à ce sujet paraissent les institutions du vieux Pérou ; elles réalisèrent, sous des formes primitives assurément, un état social que nos capitalistes déclarent impossible et qui pourtant subsista, dans ce pays, jusqu’à l’arrivée des Espagnols. Pris en tutelle de la naissance à la mort, par un état despotique mais tutélaire, l’individu était à l’abri des accidents et du besoin, à condition d’obéir et de travailler. On ne l’accablait point, n’exigeant, même dans les mines, qu’un travail proportionnel à ses forces. Le sol, propriété de l’Inca, vivante incarnation de l’État, était divisé en trois parts, l’une pour les prêtres, l’autre pour l’Inca, la troisième, répartie chaque année en lots de même valeur, pour le peuple qui cultivait l’ensemble. Marié obligatoirement avec une parente, à l’âge de vingt ans, le jeune homme obtenait un lot qui grandissait ou diminuait avec le nombre des enfants. Défense de changer de séjour ou d’abandonner la profession héritée des parents ; on devait aider ses voisins et prendre part aux travaux d’utilité publique. Les ouvriers réquisitionnés par l’État étaient entretenus à ses frais ; les femmes tissaient des vêtements chauds pour les montagnards et d’autres plus légers pour les habitants des plaines. Crime capital, l’oisiveté n’était pas tolérée même chez les enfants ; les vieillards impotents entretenus par la collectivité, s’occupaient à de menues besognes. On n’abandonnait ni les infirmes, ni les veuves ; de grands dépôts de provisions garantissaient le peuple contre la famine ; des jours de fête bien répartis permettaient un repos suffisant. La loi de l’offre et de la demande était inconnue, il n’y avait ni impôts, ni commerce. A la base, la population était répartie en groupes de dix, surveillés par un dizainier ; cinq dizaines donnaient une cinquantaine, deux cinquantaines une centaine, puis venaient des groupes de cinq cents et mille habitants, tous dotés d’un surveillant responsable. Des districts cantonaux de dix mille âmes avaient à leur tête des parents de l’Inca ; enfin la capitale, Cuzco, était divisée en quatre sections, orientées d’après les points cardinaux, et répondant à des circonscriptions qui englobaient l’ensemble de l’empire ; les quatre vice-rois chargés de leur administration formaient le conseil de l’Inca. Tout aboutissait au gouvernement central et tout en émanait ; le Pérou n’était qu’une immense usine surveillée par des contremaîtres ; aucune place, nulle part, pour la liberté individuelle. Le Mexique avait eu une organisation analogue, de nombreux vestiges l’attestaient ; mais l’avidité des rois, puis des nobles, lorsque le régime féodal eut succédé à la centralisation monarchique, finit par écraser les petits. Un fisc impitoyable vendait comme esclaves ceux qui ne pouvaient lui donner satisfaction ; les corvées devinrent excessives, le travail quotidien épuisant. Néanmoins une part des taxes en nature servait encore à l’entretien des vieillards et des pauvres. Ajoutons qu’au Paraguay les Jésuites imitèrent avec succès les institutions péruviennes ; mais, remplissant le rôle de l’Inca, ils en tirèrent d’énormes richesses pour leur congrégation. Une telle organisation n’est possible que chez des peuples jeunes, qui ignorent tout de la liberté ; la vie régulière, le confort qu’elle procure, ne sont point désirables, lorsqu’elles ont pour complément obligatoire une chaîne et un collier. Simples troupeaux que l’on parque et pousse à volonté, que l’on ménage parfois pour en tirer un plus grand profit, les peuples ne sont alors que des amas grégaires de bêtes domestiquées. Dépourvus d’initiative, habitués à obéir, Péruviens et Mexicains furent une proie facile pour les aventuriers venus d’Europe. Souhaitons que la Russie fasse une place suffisante à l’individualisme pour ne point subir le même sort ; et que ses guides, poussant au delà du marxisme, préparent l’avènement d’une ère de liberté. Sa législation contient des innovations heureuses ; rendons-lui justice, sans oublier que l’étape qu’elle représente, dans le devenir humain, doit nécessairement être dépassée. Comme celle de France et des autres pays, elle a d’ailleurs le tort de répondre seulement aux desiderata des dirigeants, rouges en Russie, roses en Angleterre, blancs en Italie, mais tous persuadés que le populaire leur doit obéissance. Fausse croyance, qui fonde leur empire, mais que dément la raison. Puisse un jour l’humanité devenue sage reléguer, au musée des antiquailles, l’attirail des lois immondes qui la ligotent depuis si longtemps. -L. Barbedette.

Quelques ouvrages traitant de la législation. — De la législation ou Principe des lois (abbé de Mably, 1776, un des précurseurs de la Révolution). Il voulait que la législation s’inspirât de l’égalité naturelle. Pour lui la propriété n’est point la cause de la réunion des hommes en société ; la nature les invitait à la communauté des biens, et la communauté des biens fut la condition des premières sociétés humaines. Il s’attaquait à l’avarice et à l’ambition comme étant les plus grands obstacles à l’équité et rappelait qu’ « on fait trop peu d’attention aux intérêts de cette multitude qu’on appelle la populace ». Selon lui des lois véritablement utiles s’affermiraient avec le temps, à l’encontre de celles qui consacrent le caprice ou le préjugé, « si la puissance législative ne concourait elle-même à les affaiblir par sa mauvaise conduite ». Mais la hardiesse théorique de Mably se fond, dans la pratique, en mesures timides et contradictoires, en vagues exhortations au législateur. — De la science de la législation (Filangeri, 1780) vaste ouvrage inachevé, qui traite des règles générales de la législation et des lois politiques et économiques, dans un esprit libéral et positif. Il se rencontre souvent avec Montesquieu (Voir loi : Esprit des lois). — Législation primitive, etc. (de Bonald, 1802). Le chef de l’école théologique au xixe siècle a écrit en épigraphe : « Un peuple qui a perdu ses mœurs en voulant se donner des lois écrites s’est imposé la nécessité de tout écrire, et même les mœurs ». Parmi des aperçus sur la philosophie et le droit, il essaie de fixer, en Dieu, la souveraineté générale et aboutit à accorder au clergé la prépondérance dans le gouvernement des choses d’ici-bas. — Traité de Législation (Ch. Comte, 1826), dans lequel l’auteur, procédant analytiquement, s’attache à rechercher « quelles sont les causes qui font prospérer ou dépérir un peuple, ou qui le rendent stationnaire ». Il fait la démarcation entre les actions qui ont leur sanction intérieure de plaisir ou de peine et celles qui sont du ressort de la législation et, avec Bentham, dont il admet le principe de l’utilité, réduit, au profit de la morale, le domaine de la législation. « L’inégalité entre les individus, dont un peuple se compose, conclut-il dans son 4e livre, est une loi de leur nature ; il faut, autant qu’il est possible, éclairer les hommes sur les causes et les conséquences de leurs actions ; mais la position la plus favorable à tous les genres de progrès est celle où chacun porte les peines de ses vices, et où nul ne peut ravir à un autre le fruit de ses vertus ou de ses travaux ». — Traités de Législation civile et pénale (d’après les manuscrits de J. Bentham par E. Dumont, 1830). Y sont étudiés les principes généraux de la législation, des codes civil et pénal, la promulgation et la raison des lois, l’influence des temps et des lieux en matière de législation, avec une vue générale d’un corps complet des lois. Bentham fixe les buts de la législation et délimite ses immixtions. Il y introduit son calcul des biens et des maux qui donne aussi, en matière pénale, le caractère du délit. Le principe de l’utilité ou de l’intérêt bien entendu, qui sert de base à sa morale (voir ce mot) s’applique aussi à la législation. L’auteur, par généralisation systématique, lui accorde quant au problème de la propriété, par exemple, un critérium abusif et justifie par lui l’iniquité : « Oter arbitrairement à celui qui possède pour donner à celui qui ne possède pas, dit-il, ce serait créer une perte d’un côté et un gain de l’autre ; mais la valeur du plaisir n’égale pas la valeur de la peine ». — Histoire de la Législation française depuis Hugues Capet (G. Schæffner, 1850), tableau érudit de l’état législatif de la France et de ses provinces, féodalité, royauté, etc, puis examen des sources du droit, de la procédure, etc., jusqu’aux codes de l’époque impériale.