Encyclopédie anarchiste/Paléontologie - Panthéisme
PALÉONTOLOGIE (du grec palaios, ancien, ontos, être, et logos, discours). La Paléontologie est loin d’être une science morte. Elle a fait ses preuves, elle est appelée à prendre une place de plus en plus importante parmi les connaissances humaines. Elle ouvre au philosophe des horizons infinis, et peut-être nous permettra-t-elle de percer, un jour, le mystère des origines. Elle s’appuie sur les autres sciences, qui, elles-mêmes, s’appuient sur elle. Son but est de démontrer que l’homme n’est pas né d’hier, mais d’avant-hier, et qu’au lieu de sortir comme une créature parfaite des mains du créateur, il a été lentement engendré par toute la série des êtres qui l’ont précédé. C’est dire qu’il y a deux paléontologies : la paléontologie animale et la paléontologie humaine. Mais esquissons brièvement l’histoire de cette science. Nous apercevrons mieux, ensuite, son but et ses moyens.
La paléontologie se préoccupe, avant toute chose, de l’étude des fossiles, animaux et végétaux, conservés entièrement ou en partie dans les couches géologiques. C’est dire qu’elle ne peut se passer de la géologie, qu’elle s’appuie sur elle pour la dépasser. On pourrait ergoter sur le mot « fossiles », et ne l’employer que pour désigner les débris des espèces éteintes. C’est dans ce dernier sens que nous l’emploierons ici, sens qui a fait souvent donner à la paléontologie le nom de paléozoologie lorsqu’elle s’est préoccupée des animaux enfouis dans les entrailles du sol, et celui de paléobotanique, quand elle s’est appliquée à l’étude des anciens végétaux. Ces débris se sont conservés sous certaines influences, qu’il serait trop long d’énumérer ici ; d’autre part, les espèces disparues offrent plus d’un rapport avec les espèces actuelles. Elles permettent d’en mieux saisir l’évolution. L’évolution, mot qui n’a rien à voir avec les débuts de la science paléontologique, dont Cuvier peut être considéré comme le père. En remontant plus haut, on lui découvrirait des précurseurs chez les Grecs et chez deux ou trois savants des xvie et xviie siècle. Ce n’est que lorsque la géologie a vraiment existé que la paléontologie a pu exister à son tour. Cuvier, dans les Ossements fossiles et son Discours sur les révolutions du globe, publiés dans la première moitié du xixe siècle, a énoncé les grandes lois de la paléontologie. Mais Cuvier, savant officiel, respectueux de toutes les traditions, et ses disciples immédiats, prenant à la lettre son enseignement, n’avaient pas voulu entendre parler d’évolution. Et si, comme le savantasse Elie de Beaumont, ils affirmaient l’ancienneté de certains animaux fossiles, ils ne voulaient rien savoir en ce qui concernait l’ancienneté de l’homme fossile, qu’ils faisaient naître, avec la Bible, 4.000 ans avant notre ère, et ils proclamaient sur un ton qui ne souffrait point de réplique : « L’espèce humaine n’a jamais été contemporaine de l’Elephas primigenius ». Le règne animal a évolué paléontologiquement, et l’homme, bien qu’apparu le dernier sur la terre, remonte sans doute à des millions d’années ! Certains savants ont essayé d’accorder la paléontologie fondée sur la doctrine de l’évolution avec l’enseignement de l’Église, tel Albert Gaudry qui se fit l’ardent défenseur de l’hypothèse évolutionniste. Cette hypothèse ne s’opposerait pas, comme le croyaient Cuvier et ses disciples, aux dogmes chrétiens.
L’étude de l’anatomie comparée avait été pour Cuvier une révélation. Elle l’avait mis sur la voie d’admirables découvertes. Il compara les formes disparues aux formes vivantes. Alcide d’Orbigny, Charles Lyell, Lamarck et Darwin ont contribué, autant que lui, à jeter les fondements de la paléontologie. Albert Gaudry, dans ses Enchaînement du Règne animal, achève de donner à cette science droit de cité parmi les autres.
La paléontologie a ressuscité tout le passé de l’homme et de l’animal, dont les ossements ont été conservés dans les couches terrestres, formant comme les feuillets d’un grand livre qu’on pourrait appeler, avec Haeckel, la création naturelle. La phylogenèse nous fait assister à l’évolution de l’espèce dans le sein de la terre, elle est confirmée par l’ontogenèse ou constitution de l’être dans le sein de la mère. L’embryologie vient ainsi en aide à la paléontologie. Cette dernière a aussi d’étroits rapports avec la Préhistoire : elle est une de ses sources.
Nous ne ferons pas ici l’histoire des espèces qui se sont succédées dans les couches géologiques, ni l’étude du fœtus humain ; bornons-nous à dire que l’embryon passe, dans le sein maternel, par tous les états par où sont passés les espèces animales. C’est une récapitulation synthétique, les étapes du règne animal l’ont franchie rapidement. Ne subsiste que l’essentiel.
On sait que les terrains ont été divisés en primaires, secondaires, tertiaires et quaternaires, et que chacun d’eux comporte lui-même des divisions. La paléontologie a recueilli dans ces différents terrains des traces des animaux et de l’homme. Elle projette sur le mystère des origines humaines d’éclatantes lueurs. Alliée aux sciences connexes, elle nous met sur la voie de la vérité, de la vérité sans majuscule, qui nous dispense de recourir à l’hypothèse d’un Dieu ayant tiré le monde du néant, et fabriqué de toutes pièces, dans le Paradis terrestre, une créature parfaite. Désormais, on ne peut plus croire à ces balivernes. Elles cessent d’avoir cours. Seuls les cerveaux anémiés peuvent encore l’invoquer pour expliquer l’existence du ciel et de la terre. — Gérard de Lacaze-Duthiers.
Bibliographie sommaire (et récente) : Albert Gaudry : Les Enchaînements du Monde animal, les ancêtres de nos animaux dans les temps géologiques, Contemporanéité de l’espèce humaine et de diverses espèces animales aujourd’hui éteintes. — Boucher de Perthes : Des Arts à leur origine. — A. Nittel : Traité de Paléontologie. — Hornes : Manuel de Paléontologie. — Marcellin Boulé : Les Hommes fossiles. — Gérard de Lacaze-Duthier : Philosophie de la Préhistoire. — L. Joleaud : Éléments de paléontologie. — F. Roman : Paléontologie et Zoologie. — Binet-Sanglé : Nos ancêtres. — Goury : Origine et évolution de l’homme. — S. Blanc : Initiation à la Préhistoire. — Verneau : Les origines de l’Humanité, etc…
PALLIATIF n. m. On désigne par ce terme ce qui n’a qu’une efficacité incomplète ou peu durable. Dans l’ordre médical on qualifiera ainsi un remède qui peut soulager, mais non guérir ; dans l’ordre moral, le palliatif sera la demi-mesure qui masque le mal sans le faire disparaître. Notre science étant fragmentaire, nos moyens d’action limités, il faut bien se satisfaire de palliatifs, quand les procédés d’une efficacité certaine font défaut. Ainsi, lorsqu’il s’agit de souffrances intolérables ou de maladies impossibles à guérir, la morphine devient prodigieusement utile. Sous son action, la douleur se dilue, disparaît et une impression de bien-être envahit l’organisme. De même la cocaïne est précieuse pour ses vertus anesthésiantes. Mais si elles suppriment la douleur, elles n’en font pas disparaître la cause. L’abus de ces drogues conduit aux pires conséquences. « Puisse la science découvrir un médicament qui, sans offrir de dangers sérieux, terrasse la douleur organique de façon définitive. Les stupéfiants actuels entraînent des désordres trop graves pour qu’on ne répugne pas à leur emploi quotidien » (Vers l’Inaccessible). Si le palliatif peut devenir dangereux dans l’ordre physique, c’est bien autre chose dans l’ordre moral. Le plus souvent, il n’est qu’une secrète abdication, un moyen hypocrite de détourner l’attention du seul remède efficace. « Quand l’Église conseille l’aumône, c’est pour prévenir une révolte des exploités : grâce au mirage d’une charité illusoire, l’injustice créatrice de misère peut subsister. L’usinier, devenu millionnaire en tournant des obus, sacrifiera de bon cœur quelque cents francs aux œuvres de mutilés. Deux ou trois billets, donnés aux pauvres ostensiblement, suffiront à blanchir le mercanti qui, un quart de siècle, rançonna ses clients. » Nous rencontrons de prétendus amis de la paix, qui, désespérant d’empêcher la guerre, à ce qu’ils assurent, se bornent à vouloir l’humaniser. Ils acceptent qu’on se tue avec la baïonnette, le fusil, le canon, etc., mais prétendent interdire l’emploi des gaz. Ils se résignent au massacre des soldats, mais souhaitent qu’on laisse indemnes les civils, ceux des grosses agglomérations en particulier. Le soi-disant anticléricalisme de certains cache un profond respect de la religion. Ce n’est pas contre les Davidées, c’est contre Barbedette et ses amis que sévissaient encore récemment des politiciens de gauche arrivés au pouvoir. On pourrait multiplier les exemples, car en politique surtout, les mesures qualifiées d’utilité publique ne sont, en général, que des palliatifs insuffisants. Heureux quand elles ne fortifient pas un mal qu’elles prétendaient guérir.
PAMPHLET Ce mot, venu d’Angleterre et répandu en France depuis l’invention de l’imprimerie, a eu son origine dans le vieux mot composé français, palme-feuillet, dont la signification était : « feuillet qui se tient dans la paume de la main. »
A cause de sa commodité, on se servit de ce feuillet pour répandre des écrits qu’on voulait propager en grand nombre, et on prit l’habitude d’appeler pamphlets non seulement les feuillets, mais aussi les écrits qu’ils contenaient. La forme du pamphlet se prêtait remarquablement à la propagation clandestine des écrits de critique politique et sociale subversive de l’ordre établi et du conformisme du jour. Reproduit à l’infini par le moyen de l’imprimerie, pas encombrant, facile à cacher, peu coûteux et d’une lecture rapide, il devint ainsi le véhicule de la pensée indépendante et réformatrice. Son nom fut donné surtout à ces écrits subversifs parmi lesquels la satire des mœurs et des hommes occupait la plus grande place. Les pamphlets ont justifié ainsi cette définition que Paul-Louis Courier leur a donnée : « Petits écrits éphémères, d’une ou deux pages, qui vont de main en main et parlent aux gens d’à présent des faits, des choses d’aujourd’hui. » Par la suite, il arriva que le pamphlet fût composé de feuillets plus nombreux qui formèrent des brochures et même des livres.
De plus en plus le pamphlet fut spécialisé dans les écrits satiriques et il finit par se confondre avec la satire en prenant de plus grands développements. Il en fut la forme militante, combative, la transportant de la littérature plus ou moins spéculative dans la politique et dans la mêlée sociale. Il fut, et il est toujours, « le livre populaire par excellence ». (P. L. Courier). Aussi, les gouvernants, les privilégiés, les « pistons de la machine » comme Balzac appelait les bouddhas de l’ordre social, les « confréries des puissants » et des « ventrus » qui n’aiment guère la satire, redoutant d’y voir leur ombre, aiment encore moins le pamphlet. Ils le jugent diffamatoire, parce qu’il leur dit trop souvent la vérité et les dépouille, sans aucune espèce de considération, de leur dignité carnavalesque. Alors que la satire s’exerce sur des généralités qui sont de tous les temps, le pamphlet est particulier à une époque une société, des personnes. Il a une forme inférieure dans le libelle (voir ce mot) auquel on reproche plus justement d’être diffamatoire et qui s’attaque plus directement aux personnes, à leur vie privée, dans un but de scandale.
Le pamphlet est une des armes de la polémique. Quand l’argumentation de la raison est insuffisante contre la mauvaise foi qui ne veut pas se rendre, contre le préjugé qui demeure tenace, il est le coup de massue qui abat le forcené, la douche qui calme subitement l’excité. Il a le défaut de la polémique qui s’occupe plus de victoire que de vérité et avec laquelle, disait Renan, « on ne fait pas plus de bonne science que de grand art » ; mais Renan reconnaissait que la polémique est nécessaire contre l’intolérance qui fait obstacle à la science, et le pamphlet l’est aussi.
Le pamphlet ne s’embarrasse pas d’élégance académique, pas plus que d’impartialité. Il n’en sera que plus remarquable s’il possède une valeur littéraire et sert la cause d’une vérité qui n’est pas circonstancielle, relative au temps et à la mode ; il portera alors en lui la pérennité de la beauté et de la vérité éternelles. Mais il est avant tout une œuvre de passion et sa qualité essentielle est dans la netteté de sa pensée. Comme Boileau, il appelle « un chat un chat et Rolet un fripon ». À la révolution, le plus souvent lente et pacifique que la satire apporte dans les mœurs, le pamphlet donne la forme insurrectionnelle qui fait dresser des barricades et met un fusil en mains du révolté.
L’Académie Française, vieille dame qui redoute les fréquentations turbulentes, ne dit du pamphlet que ceci dans son Dictionnaire (7e édition 1878) : « Mot emprunté de l’anglais. Brochure. Il se prend souvent en mauvaise part. » De pamphlétaire, auteur de pamphlets, elle dit : « ne se prend guère qu’en mauvaise part. » L’Académie a traduit ainsi le sentiment des gens « comme il faut » et « bien pensants » pour qui l’expression, vil pamphlétaire, est devenue un cliché. Larousse, de qui l’article pamphlet est remarquable dans son Grand Dictionnaire, a écrit au mot pamphlétaire : « On dit un vil pamphlétaire, comme on dit un honorable député, un vénérable ecclésiastique, un magistrat austère. Il est vrai que ce sont les magistrats austères, les vénérables ecclésiastiques et les honorables députés qui emploient le plus souvent le terme de vil pamphlétaire. Les deux mots sont accouplés comme deux forçats à la même chaîne. »
Larousse a dit aussi : « Quel homme animé du saint amour de la vérité, n’a pas été plus ou moins pamphlétaire ? » Il y a eu des pamphlétaires même chez les magistrats austères qui condamnent les vils pamphlétaires ; depuis Montaigne jusqu’à Cormenin ils n’ont pas manqué. Il y en a encore davantage chez les vénérables ecclésiastiques qui envoient les vils pamphlétaires en enfer ; la liste en serait longue depuis l’apôtre Barnabé jusqu’a l’abbé Turmel, car c’est dans son personnel lui-même que l’Église a trouvé ses plus farouches et ses plus impitoyables adversaires. Nous le verrons au mot Satire. C’est une preuve de plus que les disciplines sociales, même les plus étroites, sont impuissantes à réfréner les manifestations des esprits véritablement indépendants. Elles n’enlèvent leur virilité qu’aux eunuques volontaires. Il y a même des pamphlétaires parmi les honorables députés qui projettent de faire une nouvelle « loi scélérate » contre la « diffamation » des vils pamphlétaires.
Paul-Louis Courier a raillé avec une verve étincelante, dans son Pamphlet des pamphlets, les bons apôtres de ce bloc enfariné qui condamne les vils pamphlétaires. Il avait été poursuivi en cour d’assises — les « lois scélérates » démocratiques n’existaient pas encore pour l’envoyer en correctionnelle — pour son Simple discours à l’occasion d’une souscription pour l’acquisition de Chambord, et l’épithète de « vil pamphlétaire » que le Procureur du Roi lui avait décochée avait suffi pour le faire condamner. Les jurés ne s’étaient même pas donne. la peine de lire son pamphlet ; la vérité qu’il pouvait renfermer ne pouvait qu’être criminelle, n’étant pas enveloppée de cette rhétorique qui confond le mensonge et la vérité et fait passer les coquins pour d’honnêtes gens. Ils avaient été fixés d’avance sur l’écrit comme sur son auteur par les étiquettes du pharisaïsme offensé : « pamphlet, vil pamphlétaire », car « un pamphlet ne saurait être bon, et qui dit pamphlet dit un écrit tout plein de poison ». On ne saurait, en « bonne police », laisser circuler du poison. Mais, le scandale, c’est que le monde aime bien ce poison, parce qu’avec lui « il y a aussi des sottises, des calembours, de méchantes plaisanteries », et les bons apôtres gémissent : « Honte du siècle et de la nation, qu’il se puisse trouver des auteurs, des imprimeurs et des lecteurs de semblables impertinences ! » Ce que ne disent pas ces bons apôtres, c’est que le pamphlet n’est pas moins goûté par eux ; ils le lisent avec délices, ils s’en gargarisent voluptueusement lorsque, au lieu de servir la vérité, il sert le mensonge et sort de l’officine de ces « Pitres dévêts, marchands d’infâmes balivernes », que V. Hugo a flétris dans ses Châtiments. La Bruyère a constaté qu’ « on n’approuve la satire que lorsqu’elle va mordre les autres ». Le pamphlet mord toujours quelqu’un et il y a toujours quelqu’un pour en rire parmi ceux qui ne sont pas mordus. De là cet amour du monde pour le poison appelé pamphlet.
Mais il y a pamphlet et pamphlet comme il y a poison et poison ; de même, il y a pamphlétaire et pamphlétaire. Que la vérité soit ou ne soit pas toujours dans le pamphlet, et de quelque parti qu’il vienne — chacun prétend détenir la vérité et la dénie à l’adversaire, — il y a plus sûrement de « vils pamphlétaires ». Ce sont ceux qui ne possèdent pas, à défaut d’une conviction absolue, un désintéressement complet au service de ce qu’ils prétendent être la vérité et tirent profit de leurs pamphlets. Le pamphlet, en raison des attaques personnelles qu’il contient et de sa vivacité, devient alors la forme la plus basse du brigandage et de la prostitution littéraires, et celui qui s’y livre est le plus bas coquin de la confrérie des lettres. Le genre fleurit particulièrement aux époques de décomposition sociale, lorsque les mœurs sont tombées à de telles turpitudes que les prétendues « élites » ont perdu tout prestige et peuvent être fouaillées, sans pouvoir trouver dans la conscience publique l’appui d’une réaction possible. L’Arétin fut, au xvie siècle, le type romantique, brillant et redouté, du « vil pamphlétaire », condottière de plume, sorte de Don Juan du chantage, qui savait à l’occasion tenir la vie de ses victimes à la pointe de son épée. L’espèce s’est encore singulièrement avilie depuis pour arriver aux « faisans » actuels, sortis des ténébreux charniers de la guerre avec les Thénardier montés au pouvoir et dont, vampires sans dégoût, ils sucent le pus qui leur tient lieu de sang. Ces « faisans » sont de ceux à qui V. Hugo disait :
« Et quand on va chez vous pour chercher vos oreilles,
Vos oreilles n’y sont jamais ! »
Le pamphlet n’est honorable que s’il n’est pas le produit d’une plume vénale, s’il sort d’une conscience pure qui n’est à la solde de personne et sert la vérité, ou ce qu’elle croit telle, avec un complet désintéressement. S’il n’y a pas un critérium infaillible de la vérité, il y en a un du pamphlétaire dans les conséquences que son pamphlet a pour lui:les persécutions, la prison et parfois l’assassinat plus ou moins légal pour les P.-L. Courier; les hautes protections, sinon la fortune et les honneurs, pour les L. Veuillot. Le plus souvent, les pamphlétaires qui servent la vérité doivent rester anonymes pour échapper aux persécutions. « Ils arrosent la terre de leur sueur et de leur sang, la moisson croît, le peuple la recueille et ne songe même pas à connaître les noms de ceux qui l’ont ensemencée pour lui. » (Pierre Larousse).
Nous n’écrirons pas ici l’histoire du pamphlet. On la trouvera avec celle de la satire, à ce mot. Nous indiquerons seulement ses époques les plus brillantes et ses différents aspects.
Le pamphlet véritable, c’est-à-dire écrit et répandu à des milliers d’exemplaires, ne date que de l’invention de l’imprimerie. Il fut la raison principale de l’opposition et des interdictions faites par les différents pouvoirs à cette invention. Il fit des débuts éclatants en Allemagne, avec les Epistolœ obscurorum virorum d’Ulrich de Hutten, inspirées par la querelle de Reuchlin et des théologiens de Cologne. Ces lettres étaient d’une telle puissance et d’une telle vie, qu’elles sont demeurées inoubliées en Allemagne où des éditions successives n’ont pas cessé d’entretenir leur popularité. Elles sont moins connues en France. Laurent Tailhade, qui voyait en Ulrich de Hutten « le Lucien de la Renaissance germanique », en a publié une traduction, il y a quelques années, sous le titre : Épîtres des hommes obscurs du chevalier Ulrich von Hutten (1924). Les pamphlets de Hutten ouvrirent la voie à ceux de Luther, non moins vigoureux, qu’il appela : Propos de table, parce qu’il n’y occupa que « le temps de ses réfections corporelles ».
Le pamphlet se multiplia à cette époque si troublée du XVI e siècle, allant des hauteurs satiriques de la Satire Ménippée jusqu’à la multitude des libelles qu’on afficha sous forme de placards et n’eurent plus aucune espèce de retenue. Il fut d’une violence extrême, passant du ton de la raillerie, quand il attaqua les mœurs d’Henri III et de sa cour dans l’Isle des hermaphrodites, nouvellement découverte, avec les mœurs, loix, coustumes et ordonnances des habitants d’icelle, à la provocation à l’assassinat et au régicide. Il exprima ainsi la forme aiguë et réaliste de la satire qui attaquait la légitimité des rois et présentait la résistance à leur pouvoir comme un devoir. L’apologie d’Harmodius, d’Aristogiton, de Brutus, de Cassius, d’Aratus de Sieyone qui avaient délivré leur pays des tyrans, était répandue par des milliers de feuillets et de placards.
Devenu immédiatement l’arme des partis, le pamphlet ne cessa de se multiplier en prenant des caractères divers ; mais il fut par-dessus tout l’expression de la pensée populaire, Il gagna en esprit ce qu’il perdit en violence quand les fureurs religieuses furent calmées, et il abandonna le ton de la diatribe pour prendre celui du burlesque, de l’épigramme et de la chanson. Les Mazarinades furent aussi nombreuses au temps de la Fronde que les libelles des temps de la Ligue. On en a compté plus de cinq mille. Elles firent vivre une nuée de pamphlétaires miteux dont Mazarin lui-même payait les insolences. Il allait même jusqu’à provoquer des émeutes qu’il exploitait à son profit, selon les procédés policiers de tous les temps. Les Henri III, Henri IV et Mazarin étaient les premiers à rire des attaques des libellistes. Les deux premiers en moururent assassinés, le troisième en fit sa fortune. Il disait : « Qu’ils crient, pourvu qu’ils paient ! » Lui encaissait. Venu à Paris sans un rouge-liard dans la domesticité d’une reine de France, il mourut dans le lit de cette reine, laissant à ses neveux une fortune de plus de cinquante millions. Cela n’empêcha pas pourtant que certains auteurs et éditeurs de mazarinades furent pendus ou envoyés aux galères.
Sous Louis XIV, sauf à la fin du règne où les turpitudes royales soulevèrent les consciences même les plus domestiquées, le pamphlet perdit complètement son âpreté, comme si la courtisanerie en eût eu raison. Les auteurs de libelles étaient d’ailleurs de plus en plus menacés. Tartufe, s’il plaisantait avec les vices des autres, n’aimait pas qu’on raillât les siens et tenait d’autant plus à ne pas voir attaquer sa vertu qu’il n’en avait guère à revendre. De plus en plus réduit aux dimensions du libelle, le pamphlet dut dissimuler ses auteurs. Il en fut ainsi jusqu’à la Révolution et il s’en vengera par son agressivité. Chavigny paya de trente ans de cage de fer, dans la forteresse du mont Saint-Michel, son pamphlet intitulé : le Cochon mitré, contre Le Tellier, frère de Louvois (1689). Cent ans plus tard la Révolution mettait fin à la captivité de Latude emprisonné depuis trente ans pour crime de lèse-majesté, parce qu’il avait adressé à Mme de Pompadour certains « hommages » déplaisants ! Latude ne fut pas le seul qui subit les cruelles vengeances de la catin royale. Dumouriez a raconté dans ses Mémoires comment il vit un jour, à la Bastille, « un homme d’environ cinquante ans, nu comme la main, avec une barbe grise très longue, des cheveux hérissés, hurlant comme un enragé ». Cet homme, qui était devenu fou, était un nommé Eustache Farcy, gentilhomme picard, capitaine au régiment de Piémont, enfermé depuis vingt-deux ans pour avoir fait ou colporté une chanson contre la Pompadour. D’autres, nombreux, connurent un sort semblable. Les libraires, éditeurs de libelles, étaient durement frappés, aussi la plupart de leurs productions avaient elles leurs presses à l’étranger, particulièrement en Hollande. Les colporteurs les apportaient ; le monde frivole les répandait, heureux de ces attaques sournoises contre des puissances que d’autre part il flagornait bassement.
Voltaire, bien qu’il fut le polémiste le plus ardent de son époque, était ennemi des libelles. Il a vivement attaqué les auteurs de ces « petits livres d’injures » auxquels ceux qui les faisaient mettaient rarement leurs noms, « parce que les assassins craignent d être saisis avec des armes défendues ». Il voyait en eux des « compilateurs insolents qui, se faisant un mérite de médire, impriment et vendent des scandales comme la Voisin vendait des poisons ». Son article Du Quisquis de Ramus ou La Ramée, dans le Dictionnaire Philosophique, est un véritable pamphlet, plein d’indignation, contre les faiseurs de libelles qui prétendaient imiter Horace et Boileau. Il leur répondait qu’Horace et Boileau n’avaient pas fait de libelles et que, si on voulait les imiter, il fallait avoir un peu de leur bon sens et de leur génie ; on ne ferait alors plus de libelles. Voltaire montrait ainsi l’exacte distinction qu’il y a lieu de faire entre la véritable satire, celle d’un Horace et d’un Boileau, et cette forme la plus vile du pamphlet qu’est le libelle. « La vie d’un forçat, disait-il encore, est préférable à celle d’un faiseur de libelles ; car l’un peut avoir été condamné injustement aux galères, et l’autre les mérite. »
La Régence, parce qu’elle avait eu beaucoup à se faire pardonner, avait été d’une certaine douceur aux pamphlétaires. Le Régent oubliait les injures faites au duc d’Orléans. Le pamphlet prit une vigueur nouvelle aux approches de la Révolution. Il contribua puissamment à l’amener. Il répandit les idées des Encyclopédistes en les vulgarisant ; il exploita les querelles du régime, celles entre autres du Parlement et de la royauté ; il dressa sur la scène l’audace de Figaro dans les deux pièces de Beaumarchais, le Barbier de Séville et Le Mariage de Figaro. Necker présenta au roi son Mémoire sur l’établissement des administrations provinciales où il attaqua l’arbitraire royal. Mirabeau lança son pamphlet Sur la liberté de la presse qui fut suivi, en 1789, par son Appel à la nation française. La royauté harcelée, même par ses plus cyniques profiteurs, ne sut plus où trouver le salut et justifia de plus en plus les attaques contre elle par l’accumulation de ses fautes.
Sous la Révolution, le pamphlet se multiplia pour et contre la royauté. Il fut presque la seule littérature du temps, avec les discours civiques, et il fut aussi verbal qu’écrit, à la tribune, sur la scène et dans la presse. Il fut lu, déclamé, chanté. Il traduisit tous les événements politiques, toutes les préoccupations populaires. Successivement parurent des pamphlets de circonstance et d’autres qui eurent la périodicité du journal. Ils commencèrent avec Le Véritable ami du peuple, de Loustalot, et La France libre, de Camille Desmoulins. Relativement mesurés et traitant de questions sociales plus que de querelles de partis et de personnes, ils exprimèrent au début la joie et les espoirs du peuple qui se croyait entièrement libéré de ses chaînes. Celui de Sieyès sur le Tiers État fut la première manifestation d’un nouvel esprit de classe qui allait diviser la Révolution et la conduire à la Terreur. Les journaux-pamphlets se multiplièrent : Le Patriote français, de Brissot, les Révolutions de Paris, de Loustalot ; la Bouche de Fer, de Fauchet et Bormeville ; l’Ami du Peuple, de Marat ; l’Orateur du peuple, de Fréron ; les Révolutions de France et de Brabant, de Desmoulins, puis son Vieux Cordelier. Les haines anti-révolutionnaires d’une part, et les souffrances populaires d’autre part, poussèrent à la virulence. L’écossais Swinton, stipendié de police, et le royaliste Moranda qui avait dû, publiquement, se reconnaître « infâme », lancèrent des libelles forcenés. Les Effets des assignats sur le prix du pain, de Dupont de Nemours, la Criminelle Neckero-Logie, de Marat, excitèrent les fureurs contre les affameurs, et des feuilles sinistres célébrèrent les exécutions de Foulon et de Berthier. Ce furent ensuite les diatribes contre Louis XVI et le pamphlet de Marat : C’en est fait de nous ! Contre les clubs se déchaînèrent les attaques royalistes des Sabbats Jacobites, des Actes des Apôtres, du Jean Bart ; contre le clergé, celles de tous les temps prirent une violence nouvelle. Des pamphlets furent écrits contre Mirabeau, contre Bailly et La Fayette après les massacres du Champ de Mars, contre Carrier. Celui-ci fut particulièrement malmené par Babeuf. La terrible question du pain ne cessa pas d’occuper l’opinion ; elle fournit matière aux pamphlets, si elle ne nourrit pas le peuple. Et c’est elle, en définitive, qui était la grande question de la Révolution ; elle faisait se recreuser entre les classes sociales le fossé qui semblait avoir été comblé par la démolition de la Bastille. Ce ne furent pas les déclamations des « buveurs de sang » qui firent la Terreur ; ce fut la misère du peuple, ce peuple qui eut voulu garder sa confiance dans « le boulanger, la boulangère et le petit mitron », et qui la garde toujours pour les endormeurs, royalistes ou démocrates. Ce fut le Père Duchesne, sous ses différents aspects, qui refléta le mieux la colère populaire jusqu’à l’exécution d’Hébert, en 1794. Hébert lui avait donné sa formule la plus caractéristique.
Le Consulat et l’Empire firent taire les pamphlétaires. Ils furent, avec tous les écrivains mal pensants, exilés, emprisonnés, déportés ou fusillés, ainsi que leurs éditeurs. Bonaparte ne tolérait autour de lui que des flagorneurs. Le pamphlet revint avec une liberté relative de la presse sous la Restauration. Chateaubriand le ressuscita avec une certaine grandeur ; il avait combattu Napoléon, il observa la décence en se réjouissant de sa chute. Ceux qui furent sans décence furent les gens de presse et de poubelle qui avaient vécu en parasites de l’Empire, avaient été ses plus plats valets jusqu’au 31 mars 1815 ; ils se mirent à l’injurier à partir du 1er avril pour recommencer leurs flagorneries pendant les Cent Jours et se replonger enfin dans leur ordure injurieuse après Waterloo. Et cette tourbe infâme prétendait parler au nom des « honnêtes gens »… comme aujourd’hui ! Chateaubriand réussit moins auprès du pouvoir avec ses pamphlets, quand il s’opposa à l’ultra-royalisme. Sa Monarchie selon la charte le fit rayer du nombre des ministres. Un Martainville inaugura en ce temps-là, contre les libéraux, les arguments qui n’ont pas cessé d’être répétés depuis, si éculés qu’ils soient devenus, par tous les partis contre ceux qui les devançaient, les appelant « partageux » qui veulent « les nez étant égaux, se moucher tous dans le même mouchoir ». Pour Martainville et la séquelle des « bien pensants » d’alors, le libéralisme était « la religion des gens qui fréquentent les galères ». Les libéraux devenus « bien pensants » en ont dit autant des républicains, puis ceux-ci des socialistes, et ces derniers des anarchistes et des bolchevistes. En 1820, « l’homme au couteau entre les dents » s’appelait Thiers ; aujourd’hui il s’appelle Staline.
Une brillante pléiade de pamphlétaires travaillèrent à l’avancement du libéralisme de plus en plus influencé par les idées républicaines et socialistes. Les pamphlets de P.-L. Courier sont demeurés les modèles du genre dans l’esprit comme dans la forme ; il paya de sa vie l’audace de sa plume. Béranger, qui donna au pamphlet la forme de la chanson, connut la prison. Les Iambes, de Barbier, la Némésis, de Barthélémy et Méry, furent écrites en vers vigoureux. Sous Louis-Philippe, de Cormenin illustra le pamphlet politique, mais plus par sa vigueur et sa verve que par son style. Ses pièces anti-cléricales, Oui et Non (1845) et Feu ! Feu ! (1846), de même que ses Avis aux contribuables et son Livre des orateurs, celui-ci publié sous le pseudonyme de Timon, eurent un succès considérable auquel répondirent les plus vives attaques. Elles venaient des deux côtés, légitimistes et libéraux, et Cormenin pouvait dire : « J’ai été l’homme le plus honni, le plus calomnié, le plus menacé, le plus biographié, le plus déchiré, le plus défiguré, le plus flétri, le plus sali, le plus souillé de boue de la tête aux pieds… Au fond, j’ai tout lieu d’être satisfait. Lorsqu’un de mes pamphlets ne m’attire que peu d’injures, je ne suis pas content de moi et je me dis : « C’est ma faute ! J’aurai mal attaqué cet abus là ! J’aurai mal défendu cette liberté-là ! »
Claude Tillier donna au pamphlet un accent plus populaire et défendit les idées généreusement révolutionnaires contre le libéralisme bourgeoisement opportuniste. Il fut en même temps un remarquable écrivain, profondément pénétré des sentiments du peuple et en possédant la sensibilité si incomprise, raillée et meurtrie. Il possédait aussi, comme Félix Pyat l’a dit, l’esprit de Voltaire et de Diderot. On était à la veille de 1848. Le peuple avait encore des illusions sur les dispositions de la bourgeoisie, malgré les répressions anti-ouvrières. Les journées de juin 1848 et celles de décembre 1851 ne lui avaient pas encore ouvert les yeux.
Alphonse Karr fit de ses Guêpes de véritables pamphlets ; il ramena ainsi le genre au pamphlet-journal de la Révolution. Il s’attaqua aux mœurs avec un esprit satirique souvent profond, dépassant le pamphlet mais respectueux, malgré ce, de « l’ordre ». Il disait : « Que les assassins commencent », ne voyant pas que les assassins sont faits par la société et qu’elle devrait « commencer » avant eux. Il définissait ainsi sa satire : « Consultant à la fois la nature de mon esprit et la nature des choses et des gens que j’attaque ; considérant que beaucoup de choses humaines sont des outres gonflées de vent, — j’ai divisé et changé mon glaive en une multitude d’épingles ; quelquefois une seule piqûre suffit pour crever et aplatir l’ennemi ; alors je l’abandonne et n’en parle plus ; mais d’autres ont la peau plus épaisse et, d’épingle en épingle, il faut que le glaive y passe tout entier. »
La Révolution de 1848 fut l’occasion de nombreux pamphlets, puis le Coup d’État inspira à V. Hugo son Napoléon le Petit en attendant les Châtiments. Le IIe Empire ne vit guère de pamphlets, jusqu’à Rochefort et sa Lanterne qui reprit le genre des Guêpes avec plus de virulence. Sous la III e République, le pamphlet s’est de plus en plus confondu avec l’article de journal. Vallès fut un ardent pamphlétaire, puis Tailhade. Tous deux connurent la prison et la misère. En Allemagne, Maximilien Harden fut un pamphlétaire de premier ordre. Nous retrouverons le pamphlet dans l’étude de la satire, manifestation plus générale, et de tous les temps, de l’esprit de liberté contre toutes les formes de l’oppression. — Edouard Rothen.
PANÉGYRIQUE n. m. Le proverbe dit : « Menteur comme un panégyrique. » Le panégyrique est un discours consacré à la louange d’un personnage plus ou moins illustre. Il ne comporte ni critique, ni blâme, ni même la moindre réserve. C’est donc la forme la plus bassement servile dans l’art oratoire.
Ironiquement : Propos qui a l’air de louanger quelqu’un et qui le décrie par des restrictions. (Lachâtre).
Les Grecs, si avides d’éloquence, prononçaient des panégyriques en l’honneur d’hommes, vivants ou morts ; de cités glorieuses (Athènes) ou d’entités métaphysiques (la Parie). Les Romains consacraient le panégyrique exclusivement aux vivants. Ce furent des élucubrations fatigantes dans lesquelles on prodigua aux puissants de l’heure les mensonges les plus éhontés, (panégyriques de Constantin, de Julien l’Apostat, de Théodose, etc…).
Les Pères de l’Église, grecs et latins, cultivèrent avec succès ce qu’on nomma « le panégyrique chrétien ». L’oraison était consacrée à un personnage destiné à être canonisé. L’Église grecque appelle encore Panégyriques des livres disposés, selon l’ordre des mois et contenant pour chacun de ces mois des discours à la louange de Jésus et des Saints.
Longtemps, panégyrique, éloge et oraison funèbre ont pu être confondus. « L’oraison funèbre était, à vrai dire, le panégyrique des morts, et le panégyrique donnait aux vivants un avant-goût de leur oraison funèbre. » (A. Gazier. Ency.).
Ce genre, en raison même du but poursuivi, ne fut presque toujours que l’étalage d’une phraséologie pompeuse et froide, un abus de lieux communs, pleins de banalités et d’enflure. Il fallait certainement n’avoir pas le souci du pain quotidien pour consacrer son temps à écouter « ces chefs-d’œuvre de pédantisme et de mauvais goût ». Au surplus c’était bien le passetemps d’ « honnêtes gens » avides de flatter les maîtres ou d’apprendre comment on les courtise.
Le panégyriste le plus éminent, Bossuet, se spécialisa dans « le panégyrique des morts ». Il s’éleva, certes, jusqu’aux plus hauts sommets de l’éloquence, mais davantage avec le souci d’instruire, de donner des leçons (pour la plus grande gloire de Dieu) que de dire la vérité, dont il n’avait cure. « L’auteur d’une oraison funèbre dira seulement ce qui est à l’honneur de son héros ; il louera des actions qu’on puisse louer sans crainte dans la chaire de vérité, et résolument, en vertu d’un accord tacite entre lui et ceux qui l’écoutent, il passera les autres sous silence. » (Encycl.) Bossuet ne manqua pas à la règle. Panégyriste de Saint-Pierre, il se garda de parler de son reniement ; de Saint-Paul il omit de signaler que le prince des apôtres fut d’abord un persécuteur acharné des chrétiens.
« De 1.500 à 1.800 oraisons funèbres imprimées de 1621 à 1789, dix ou douze tout au plus supportent la lecture. » Que de temps, et parfois de talents, mal employés ! Que d’oisifs se sont appliqués, dans ce genre boursouflé, insipide, à mentir avec art ! (le panégyrique d’Athènes coûta 15 ans de travail à Isocrats ; Bossuet eut 140 jours pour écrire l’oraison funèbre du prince de Condé et un an pour élaborer celle de la princesse palatine !) Qu’en reste-t-il aujourd’hui ?
Les gens d’Église et de robe, les personnages officiels, les bonzes de toutes les académies éprouvent certainement davantage que les prolétaires le besoin de prononcer des panégyriques. Cultivant avec amour leur petite vanité, combien se complaisent à s’encenser mutuellement ! Pour un Voltaire dérogeant une fois « à l’usage fastidieux de ne remplir un discours de réception que de louanges rebattues du Cardinal de Richelieu », que de plats valets ! Panégyrique d’hommes de lettres, d’hommes politiques, d’hommes d’État ; panégyriques de Jeanne d’Arc, de la Patrie, de la Révolution, de la République, des morts de la guerre (ô Poincaré !) qui encombrent trop souvent les colonnes des journaux ou que vomissent les postes de T. S. F., qui donc a le triste courage de vous lire ou de vous écouter jusqu’au bout ? Fléchier, qui s’y connaissait, disait : « L’imagination a plus de part aux panégyriques que la raison ; ce sont des hyperboles perpétuelles. » « Hyperboles » est poli ; nous employons à l’occasion des termes un peu plus forts pour flétrir les discours trompeurs. — Ch. B.
PANIQUE n. f. et adj. Selon les Grecs, le dieu Pan, au cours de ses randonnées nocturnes, jetait fréquemment l’effroi par de brusques apparitions. De là vient le mot panique, que l’on applique à une terreur subite et souvent collective. Quand un mouton se met à fuir, le troupeau entier prend peur. Les foules humaines aussi sont prises de paniques, car les émotions se propagent avec une incroyable rapidité. On en peut citer des exemples fameux. Préludant aux paniques qui secouent les banques modernes, la banqueroute du système de Law, en 1720 fut le signal d’une indescriptible émotion. Les spéculateurs malheureux, dont les actions et les billets ne valaient plus guère que le prix du papier, s’entassaient aux portes de la banque ; des cris et des menaces montaient à l’adresse de Law. Trois personnes furent étouffées par la foule, tant la presse était grande ; et leurs cadavres furent promenés à travers Paris par les ennemis du financier qui réclamaient vengeance. Effrayé, Law, qu’on encensait sans mesure peu auparavant, décampa secrètement et de nuit. Quand Poincaré, en 1914, s’enfuit à Bordeaux avec sa séquelle de ministres, de journalistes, de financiers et de parlementaires, ce fut sous le coup d’une panique, que l’on a vainement essayé de couvrir du manteau de prudence. Ces gens, qui épargnaient si peu le sang de l’humble soldat, craignaient pour leur propre vie, et c’est loin du danger qu’ils transportaient leurs précieuses personnes. Des armées russes, pendant la dernière guerre, furent prises d’une terreur indicible, car elles voyaient la Vierge Marie étendant la main du haut du ciel pour protéger l’adversaire. On a su depuis que des aviateurs, munis d’appareils cinématographiques, projetaient ces divines images sur les nuages qui servaient d’écran. Avec raison, ils avaient tablé sur la superstition populaire. De nombreuses paniques sont volontairement déchaînées par les financiers et les politiciens ; elles permettent de louches combinaisons, d’infâmes marchandages, impossibles à un autre moment. L’affolement provoqué en France par la chute du franc, celui qui vient de secouer l’Angleterre par suite de la baisse de la livre sterling, ont profité à certaines gens. Les gémissements officiels ne purent dissimuler complètement la joie secrète et les ambitieuses visées de ceux à qui cet affolement profitait. Réfléchir, observer, voilà ce que doit faire le sage, quand il voit ceux qui l’entourent pris d’une panique dont le motif n’est pas clair. Il ne peut oublier qu’aux yeux des chefs le peuple est un enfant qu’il est utile d’effrayer en certains cas.
PANTHÉISME n. m. (du grec pan, tout, theos, Dieu). C’est en 1705 seulement que le terme panthéiste fut employé, pour la première fois, par l’Anglais Toland ; mais, en fait, le panthéisme est aussi ancien que la philosophie. Tous les systèmes métaphysiques ou religieux qui réunissent Dieu et le monde, pour n’en former qu’un être unique, se rattachent à cette doctrine. Extrêmement nombreux et de formes très différentes, ces systèmes ne sauraient être ramenés à un seul type ; ils ont toutefois ceci de commun qu’ils considèrent Dieu comme identique à l’ensemble des réalités et n’admettent pas la distinction, chère au théisme traditionnel, entre Dieu et l’univers.
Déjà le panthéisme apparaît dans les antiques spéculations hindoues. Il est clairement exprimé dans certains livres : « La cause suprême, lit-on dans le Vedanta, désira être plusieurs et féconde, et elle devint plusieurs. Cet univers est Brahma, car il en sort, il s’y plonge, il s’en nourrit ; il faut donc l’adorer. Comme l’araignée tire d’elle et retire en elle son fil, comme les plantes sortent de la terre et y retournent, comme les cheveux de la tête et les poils du corps croissent sur un homme vivant, ainsi sort l’univers de l’Inaltérable. » Le monde n’est donc qu’apparence imaginaire, seul Brahma possède une existence vraie ; aussi, quand se termine la vie présente, l’âme, émanation de Dieu, est-elle de nouveau absorbée en lui. Dans le Bhagavad-Gita, où l’inaction complète est recommandée, Dieu est confondu avec ce qu’il y a de meilleur dans l’univers : « Je suis la vapeur dans l’eau, la lumière dans le soleil et dans la lune, l’invocation dans les Védas, le son dans l’air, l’énergie masculine dans l’homme, le doux parfum dans la terre, l’éclat dans la flamme, la vie dans les animaux, le zèle dans le zélé, la semence éternelle de toute nature. Dans le corps, je suis l’âme et dans l’âme, l’intelligence. Quelle que soit la nature d’une chose, je la suis. Enfin, qu’est-il besoin d’accumuler tant de preuves de ma puissance ? Un seul atome émané de moi a produit l’univers, et je suis encore moi tout entier. » Le célèbre philosophe chinois Lao-Tseu semble avoir été, lui aussi, panthéiste ; mais l’obscurité de son style permet difficilement de pénétrer sa pensée. Il admet un principe éternel, immuable, qu’on ne peut ni définir, ni comprendre ; le monde et les âmes sont des émanations de la substance divine ; après la mort, ces dernières retourneront au premier principe, si elles en sont dignes.
En Grèce, le panthéisme n’aura qu’un nombre assez limité de partisans. On a cru le trouver en germe chez Héraclite d’Ephèse, dont les idées sur l’universel changement et l’universel devenir influenceront Hegel. S’il est vrai qu’Anaximène de Milet identifiait l’air, dont il faisait le principe de toutes choses, avec la divinité, nous sommes, ici, en présence d’un panthéisme matérialiste. Quelques-uns voient un précurseur de Fichte et de Schelling dans Parménide d’Elée et même dans Xénophane. Les Stoïciens furent nettement panthéistes. Le monde est semblable à un être vivant, déclaraient-ils ; Dieu est la force qui imprime le mouvement et l’ordre ; il est inséparable de la matière, principe passif qui ne devient fécond que grâce à l’action divine. Ce que notre âme est pour notre corps, la force l’est pour le monde ; elle en pénètre les diverses parties comme un souffle ou mieux comme un feu qui porte en lui les germes et les raisons d’être de tout ce qui existe. De cette âme du monde, la partie supérieure et directrice réside à part. Force et matière ne se distinguent, d’ailleurs, que temporairement ; à des périodes déterminées, elles se résorbent dans le feu solitaire, d’où le monde sort de nouveau suivant des lois inflexibles. Indéfiniment et d’après un ordre rigoureusement déterminé, des univers pareils au nôtre apparaissent donc, puis font retour à la substance unique qui les a produits. F. Ravaison résume ainsi le panthéisme stoïcien : « Au commencement tout est force, souffle enflammé, tout est Dieu. En vertu de la loi du rythme, qui fait succéder le repos au travail, un relâchement se produit, et un nouvel élément se forme, l’air. Nouveau relâchement, nouvel élément : c’est l’eau qui naît de l’air comme l’air est né de l’éther. En ce moment, le monde est une masse d’eau entourée d’une sphère de feu. Sous l’influence de la chaleur du ciel, une partie de l’eau s’évapore ; l’air se forme de nouveau ; une autre partie de l’eau se condense ; c’est la terre séjour de l’homme. Alors, sous l’action dirigeante de l’esprit divin, les êtres naissent. Mais peu à peu le feu divin retrouve sa tension première. De plus en plus la terre se change en eau, l’eau en air, l’air en feu. Un jour viendra où notre univers sera de nouveau absorbé dans le sein de Dieu. Tout retournera à l’unité première par la conflagration universelle. » On sait quelle prodigieuse influence la doctrine stoïcienne exerça, non seulement en Grèce, mais à Rome. Plotin, qui entreprit de réunir et de concilier les philosophies de Platon, d’Aristote et de Zénon, supposa que, dans la nature, tout vit et tout pense d’une seule vie et d’une seule pensée (Voir Paganisme), Il admit que, par l’extase, l’homme arrive à se diviniser dès ici-bas : « Quand l’âme est devenue semblable à Dieu par les moyens connus de ceux-là seuls qui sont initiés, lit-on dans les Ennéades, elle le voit tout à coup apparaître en elle ; plus d’intervalle, plus de dualité, tous deux ne font qu’un. Dans cet état, l’âme ne sent plus son corps, elle ne sent plus si elle vit, si elle est homme, ou quoi que ce soit au monde ; elle perd toute conscience d’elle-même, et cesse de penser, elle devient Dieu, ou plutôt elle est Dieu. » Ce panthéisme mystique devait avoir une prodigieuse fortune. A la suite de Plotin, tous les ascètes chrétiens et musulmans rêveront de se perdre en Dieu comme la goutte d’eau disparaît dans l’océan ; ils voudront mourir à eux-mêmes, s’oublier pour ne faire qu’un avec l’objet de leur adoration. Les mystiques catholiques frémiraient d’apprendre qu’ils eurent pour prédécesseur un ardent adversaire du christianisme ; pour rester d’accord avec les dogmes imposés par Rome, ils ont soin de parler quelquefois d’un dieu personnel. Mais leur panthéisme latent se fait jour de mille manières dès qu’ils s’expriment avec sincérité.
Au moyen âge, deux professeurs de l’Université de Paris, Amaury, de Chartres, et David, de Dinan, enseignèrent un panthéisme rationnel. Ils s’inspiraient de la philosophie arabe alors très florissante et dont quelques représentants manifestaient des aspirations panthéistes. Amaury admettait que tout est un, que les idées de l’intelligence divine étant à la fois créatrices et créées, le créateur et la créature sont une même chose. D’où la conclusion que Dieu est tout et que tout est dieu, les êtres émanés du premier principe devant retourner à lui et s’absorber dans sa substance. C’était pousser le réalisme à ses dernières conséquences et renouveler le panthéisme que Scot Erigène avait professé au ixe siècle. David, de Dinan, identifiait le connu et le connaissant. Il distinguait trois formes d’existence : la matière, la pensée, dieu, qui se confondaient finalement dans une substance indéterminée, dont les évolutions engendraient toutes choses. Au xive siècle, le panthéisme transpire dans les écrits de plusieurs mystiques ; discret chez Tauler qui cherche à calmer les défiances des théologiens, il se dégage nettement des formules employées par son maître Eckard. « L’amour divin, écrivait ce dernier, anéantit tout ce qu’il y a d’humain dans notre âme, pour la confondre, pour la convertir en Dieu, de même que la formule sacramentelle change la substance du pain encharistique, et le fait devenir le vrai corps de Jésus-Christ. » Un mystique tout à fait hétérodoxe et qui témoigna d’une grande profondeur d’intelligence, le cordonnier de Görlitz, Jacques Boehm, déclarait, à l’époque de la Renaissance, que tout émane de Dieu. Une dualité : être et néant, tendresse et violence, bien et mal, constituerait le fond de tout ce qui existe ; mais cette dualité aboutirait à l’unité par l’identification des contraires. On trouve des conceptions panthéistes chez d’autres auteurs de la Renaissance. Giordano Bruno s’inspire des Eléates et des Alexandrins. Pour lui l’univers est la manifestation visible de Dieu ; l’infini variété des individus n’est que l’expression de son unité partout présente. Giordano Bruno fut brûlé par ordre de l’Inquisition romaine. Chez Vanini, cette autre victime de l’intolérance religieuse, on rencontre aussi des traces de panthéisme.
Avec Spinoza, au xviie siècle, nous arrivons à une doctrine dont l’importance est primordiale en philosophie. C’est d’une façon toute mathématique, sous forme de définitions, d’axiomes, de postulats, de corollaires rigoureusement enchaînés entre eux que le système est exposé. Inspiré de Descartes, le spinozisme aboutit, néanmoins, à des conclusions très originales ; parti de la définition de la substance, il montre qu’il n’y a qu’une seule cause, Dieu, et que notre univers sort de lui nécessairement. La troisième définition de l’Éthique nous renseigne sur la substance, la sixième sur Dieu. « J’entends par substance ce qui est en soi et est conçu par soi, c’est-à-dire ce dont le concept peut être formé sans avoir besoin du concept d’une autre chose. » « J’entends par Dieu un être absolument infini, c’est-à-dire une substance constituée par une infinité d’attributs, dont chacun exprime une essence éternelle et infinie. » Nous connaissons seulement deux attributs de la substance divine, la pensée et l’étendue. Ces attributs infinis s’expriment par des modes finis ; et les modes de la pensée et de l’étendue constituent l’ensemble du monde. Entre Dieu et le monde, il n’y a qu’une différence de point de vue : Dieu est la nature naturante, le monde la nature naturée. Dieu est étendu, « car tout ce qui est en Dieu, et rien ne peut être, ni être conçu sans Dieu ». Mais il n’a pas de corps et n’est pas divisible. Dieu a pour attribut la pensée ou puissance de concevoir, mais il n’a pas un esprit analogue à celui de l’homme, même toute proportion gardée. L’intelligence divine diffère absolument de l’intelligence humaine ; elles ne peuvent se ressembler « que d’une façon toute nominale, absolument comme se ressemblent entre eux le Chien, signé céleste, et le chien, animal aboyant ». Ainsi Dieu, la nature naturante, n’a rien de personnel ; l’idée de création est fausse, car elle suppose en Dieu une volonté conçue sur le type humain ; tout ce qui existe découle de la substance divine avec une inéluctable nécessité. Les corps, que nous révèle l’expérience, sont des modes de l’étendue divine ; les âmes des modes de la pensée divine. Chez l’homme nous rencontrons une double série de phénomènes d’étendue et d’idées, c’est-à-dire de modes de l’étendue et de modes de la pensée divines ; modes qui demeurent parallèles, les seconds ayant pour objet de réfléchir les premiers. Le libre arbitre est une illusion qui naît de l’ignorance où nous sommes des causes de nos actions. Dans un être fini, le principe de toute activité morale est « l’effort par lequel toute chose tend à persévérer dans son être, et qui n’est rien de plus que l’essence actuelle de cette chose ». De cette tendance fondamentale découlent nos émotions, nos sentiments, nos appétits. Pour s’identifier avec Dieu, l’homme doit s’affranchir de ses passions et oublier sa propre individualité. Il devient éternel dans la mesure où il connaît les choses comme éternelles, soit par le raisonnement, soit par l’intuition ; il se divinise dans la mesure où il prend conscience de sa vraie nature qui est identique à la nature de la pensée absolue, c’est-à-dire de Dieu. Excommunié par les juifs, ses coreligionnaires, Spinoza vécut pauvre et solitaire, polissant des verres de lunette pour gagner son pain. Mais son système devait exercer une influence prodigieuse et faire l’objet de discussions qui durent encore aujourd’hui.
Au siècle dernier, le panthéisme a connu une vogue exceptionnelle, grâce aux philosophes allemands. Fichte, Schelling, Hegel l’adoptent tous trois, mais ne le conçoivent pas de la même façon. Selon Fichte, le moi se pose lui-même, et, en développant ses virtualités, il rencontre le non-moi qui ne se distingue pas réellement du moi, qui n’est que l’idéal conçu par le moi ou mieux la partie de l’idéal que le moi n’a pas encore réalisée. Ainsi seul le moi est réel ; son activité produit tout ce qui existe ; il crée le monde qui est dû à la pensée absolue, contrainte de se limiter. Après avoir adopté la philosophie de Fichte, Schelling aboutit à une conception personnelle qui substituait un moi infini au moi relatif admis par le premier. Au commencement il place l’Absolu, principe supérieur et antérieur au moi, « principe neutre, indifférence ou identité des contraires ». L’absolu comprend en lui-même l’identité de l’objet et du sujet, de l’un et du multiple, de l’ordre réel et de l’ordre idéal, mais il évolue et se développe. Dans l’ordre réel, il engendre successivement la nature, l’animal, l’homme, « il sommeille dans la plante, rêve dans l’animal et se réveille dans l’homme ». Dans l’ordre idéal, histoire, vertu, science, bonté, etc., découlent de lui progressivement. Puis l’absolu s’élève au-dessus de ces deux ordres et enfante la philosophie, en se saisissant lui-même comme suprême identité.
Hegel, dont la renommée fut si éclatante, pose comme principe premier l’Idée, où tout le possible est contenu virtuellement, où les contradictoires sont conciliés, et qui porte en soi la nécessité de son existence. Douée d’une logique vivante, l’idée évolue : elle se pose d’abord, puis s’oppose et enfin se réconcilie ; d’où trois moments successifs, la thèse, l’antithèse, la synthèse. Pour Hegel, l’ordre idéal et l’ordre réel sont d’ailleurs identiques : « Tout ce qui est rationnel est réel » ; « Tout ce qui est réel est rationnel ». La logique, qui se confond avec la métaphysique, devient la partie essentielle de la philosophie ; mais elle repose sur la négation du principe de contradiction. L’identité des contraires n’a rien qui choque ni l’expérience, ni la raison ; c’est à tort qu’elle fut combattue par l’ancienne logique. Nous constatons par expérience que tout être est mouvement ; or tout mouvement apparaît comme le passage de la puissance à l’acte, c’est-à-dire d’un contraire à un autre contraire, par une action qui domine les deux. N’étant plus enchaîné par aucune nécessité, l’être peut se transformer et se transforme réellement en toutes choses. Un perpétuel devenir manifeste la synthèse qui contient, dans son sein, rationnel et réel, être et néant. Parti de l’être pur, ce devenir aboutit à l’homme en qui l’idée prend conscience d’elle-même ; après avoir donné le mouvement, il s’est, en effet, transformé en matière inorganique, puis en matière organique, puis en matière sensible. La doctrine hégélienne fut bien accueillie en France. Vacherot y trouvait « la vraie solution du problème de la vérité » ; Renan en a parlé avec beaucoup d’estime.
Nous pourrions rappeler d’autres systèmes et d’autres auteurs peu connus ; ce que nous avons dit suffit à donner une claire idée du panthéisme. Il est né du désir d’apporter une solution au problème des rapports de Dieu et du monde, de l’absolu et du relatif ; faux problème, à notre avis, puisque l’un des termes doit disparaître, Dieu, l’absolu n’étant que de vains mots, des entités imaginaires. Le besoin d’unité, la tendance à ramener le divers à l’identique, à simplifier l’apparent chaos du monde, si profondément enracinés dans notre esprit, ont favorisé son éclosion et son développement. Très supérieur au théisme chrétien, il est fort séduisant par sa grandeur spéculative et par son charme poétique ; il est vrai dans la mesure seulement où il se rapproche de l’athéisme. Mais, si belles qu’elles puissent être, les constructions du panthéisme restent fragiles et sans bases sérieuses. Le système des Stoïciens, celui de Plotin, de Spinoza ou d’Hegel ne sont que de beaux romans métaphysiques. Ils témoignent de la puissante imagination et du remarquable talent de leurs auteurs ; ils n’ont pas de valeur objective. Pour aboutir à de sérieux résultats en métaphysique, on devra répudier les anciennes méthodes pour adopter celles de la science expérimentale. Ce sont les astronomes, les physiciens, les chimistes, les biologistes qui élucideront les problèmes transcendants de l’origine première et de la destinée ultime de notre univers. — L. Barbedette.