Encyclopédie anarchiste/Téléphone - Tempéraments
TÉLÉPHONE n. m. du grec télé, loin et phoné, voix. C’est un appareil qui permet de transmettre la parole à distance. Le premier fut imaginé par Graham Bell, en 1876. Depuis cette époque, la téléphonie a fait d’immenses progrès, et un nombre considérable de brevets furent pris à son sujet. Cependant, de nos jours encore, c’est toujours le même principe qui est appliqué.
Ce principe est simple. Un téléphone est constitué par un aimant permanent sur lequel est bobiné un fil et dont l’armature est formée par une membrane de fer doux. Si l’on dispose de deux appareils identiques, et si l’on relie par deux fils conducteurs les enroulements réalisés autour des aimants, on obtiendra un circuit fermé électriquement. Tant que tout est au repos, le flux magnétique est constant dans chacun des électro-aimants. Mais supposons que l’on déforme le circuit magnétique d’un des appareils par exemple en déplaçant son armature, cela provoquera la naissance d’un courant induit dans le circuit ; ce courant induit passant dans l’appareil, fera varier la force d’attraction exercée par l’aimant sur la membrane qui lui sert d’armature. On conçoit que, si la membrane est constituée par un métal convenable, si elle est encastrée, si la valeur de l’entrefer est bien choisie, etc., la membrane prenne un mouvement correspondant à celui qui est imprimé à l’autre extrémité de la ligne. Si, en particulier, le mouvement imprimé à l’appareil émetteur est provoqué par des vibrations de la voix, on conçoit que la membrane de l’appareil récepteur puisse reproduire les mêmes mouvements et, par conséquent, le son qui a été produit devant la membrane de l’appareil émetteur.
Un ensemble téléphonique fonctionnant d’après ce système, serait plutôt une curiosité de laboratoire avec portée maxima de cent à deux cents mètres. Mais il résulte de ce que nous avons vu que le but à atteindre est simplement de provoquer dans le récepteur une variation de flux assez forte ; pour ce faire, on a trouvé un autre procédé. Il consiste à insérer le récepteur téléphonique dans un circuit où il est en série avec une source de courant continu et une résistance variable. Les variations de cette résistance provoqueront des variations de flux magnétique dans l’électro-aimant. En pratique, on utilise comme résistance variable un microphone : c’est un organe généralement constitué par deux électrodes entre lesquelles est enfermé du charbon en grenaille. L’une de ces électrodes peut vibrer quand on parle devant elle, ce qui entraîne des variations de pression des grains de charbon les uns sur les autres et sur 1es électrodes et, par suite, des variations de résistance. L’expérience prouve que le courant ainsi modulé par les variations de résistance du microphone, en passant dans l’électro du récepteur, imprime à la membrane des mouvements qui reproduisent les sons émis.
Si l’on analyse le courant téléphonique au moyen de l’oscillographe enregistreur, on note une courbe analogue à celle d’un enregistrement phonographique. Une étude de ces courbes montre l’existence de plusieurs harmoniques. La transmission exacte de ces harmoniques ou du moins des plus importants, permet de reproduire le timbre exact de la voix.
La portée des communications téléphoniques a été augmentée une première fois par l’emploi de transformateurs, Ensuite, la lampe à trois électrodes, étudiée sommairement au mot Télégraphie sans fil, employée comme relai, augmenta encore dans des proportions plus grande, cette portée. Et, par l’emploi de plusieurs relais, on arrive à téléphoner de Paris à Londres, de Paris à Alger.
Un perfectionnement intéressant de la téléphonie dû en grande partie aux études entreprises en T. S. F., permet d’avoir plusieurs communications sur la même ligne. Une façon de résoudre ce problème est l’emploi de la haute fréquence. Sur un même circuit, on peut faire passer plusieurs courants à haute fréquence, à fréquence différente. Chacun de ces courants étant modulé par la parole, un même circuit peut transmettre plusieurs conversations. Il suffit, à l’arrivée, de faire une sélection, comme en T. S. F. on arrive à sélectionner des stations à longueurs d’ondes différentes. Ces installations sont peu encombrantes, et facilement amovibles et on peut, ainsi, envisager leur emploi lorsqu’il y a lieu, en un point quelconque, de parer à un afflux de trafic momentané, comme cela se produit au moment des foires ou de la saison, dans les stations balnéaires. D’autre part, le fait de l’emploi de fréquences élevées rend la captation de ces communications extrêmement difficile et l’emploi de ce système garantit, d’une façon à peu près absolue, le secret des communications.
Voyons maintenant comment on coordonne un ensemble de lignes, pour former un réseau. Le problème ne présente aucune difficulté spéciale lorsqu’il y a peu de lignes ; on imagine alors aisément les solutions à envisager. C’est le cas, par exemple, des communes comprenant quelques abonnés ; ceux-ci sont desservis par des lignes entièrement aériennes, allant directement, par le chemin le plus court, du bureau téléphonique chez l’abonné. Les conducteurs de cuivre ou de bronze sont placés sur des solateurs fixés eux-mêmes, le plus souvent, par des consoles, à des potelets scellés dans les murs des maisons.
Lorsque le nombre de lignes augmente, il y a intérêt, lorsqu’on construit la ligne, à ne pas se borner à tirer des lignes droites, pour réduire la longueur des fils, mais à les grouper ensemble de façon à former des nappes de fils plus importantes, supportées par les mêmes potelets ou poteaux.
Lorsque les réseaux atteignent cinquante abonnés et plus, on est conduit à réaliser des réseaux dits aéro-souterrains. Les lignes des abonnés partent du central, dans des câbles sous plomb ; ceux-ci vont ensuite se ramifier en des câbles de moindre importance, pour finir en câbles de sept et vingt-huit paires qui aboutissent à des points de concentration d’où partent des lignes aériennes. C’est sur ce principe que sont constitués la quasi-totalité des réseaux urbains en France ; il n’y a guère que Paris et Lyon qui ne comprennent que des lignes entièrement souterraines.
L’étude du téléphone automatique date de 1880. Déjà en 1900, des villes américaines étaient entièrement équipées en automatique. En Europe, les premiers de ces postes furent installés en Allemagne. Quel que soit le système employé, la manœuvre à exécuter par l’abonné, ainsi que son poste sont les mêmes. Le poste de l’abonné est un poste à batterie centrale, simplement complété par un interrupteur normalement au repos, placé en série sur la ligne, et actionné par un cadran. Ce cadran est formé d’une partie fixe comportant un disque sur lequel sont figurés des numéros devant 1esquels peut se déplacer un disque percé de trous. On enfonce le doigt dans le trou correspondant au chiffre que l’on veut émettre et on fait tourner le cadran jusqu’à ce que le doigt rencontre une butée d’arrêt ; à ce moment on abandonne le disque mobile, celui-ci, en revenant au repos, entraîne une came isolante qui passe à travers des ressorts, au contact en position de repos. Ces ressorts sont placés en série sur la ligne de l’abonné. Chaque fois que la came passe entre eux, elle produit donc une rupture de circuit ; ces ruptures en nombre égal au chiffre composé, ont pour effet de matérialiser en quelque sorte le chiffre émis. Le rythme de ces ruptures de courant doit être déterminé avec précision : la cadence doit être de neuf à onze ruptures par secondes. Cette vitesse devant être indépendante de la personne qui manipule le cadran, celui-ci n’est actif que pendant le retour au repos sous l’action d’un ressort, l’abonné ayant abandonné le ressort. Supposons que nous soyons dans une installation de cent abonnés et que l’on demande le poste 24. Si nous provoquons, au moyen du cadran d’abord, deux interruption, puis quatre, on conçoit qu’un mécanisme au central puisse en déduire que c’est le numéro 24 qui est demandé.
Indiquons comment ce mécanisme fonctionne dans les systèmes pas à pas. Dans le système de beaucoup le plus répandu, le système pas à pas ou Stromger et ses dérivés Siémens et Halske, Automatic Electric. Co, etc., voici comment agissent ces impulsions : la ligne du demandeur aboutit à un appareil mécanique appelé connecteur, constitué par un arbre portant deux frotteurs reliés aux fils de la ligne du demandeur, et susceptible de se déplacer devant une série de 100 double contacts disposés en 10 rangées horizontales de 10 superposées. L’arbre peut prendre un mouvement d’ascension, puis un mouvement de rotation. On conçoit que si l’on fait monter l’arbre de deux rangées, puis si on l’amène dans cette rangée au quatrième contact, le frotteur relie les contacts de la ligne appelante à ceux de la ligne appelée. Il faudra donc que les deux premières impulsions émises agissent sur un organe faisant monter le connecteur, et les quatre autres sur un organe le faisant tourner. Ces organes sont des électro-aimants dont l’armature porte un cliquet qui agit sur un pignon denté. On distingue deux électros, celui d’ascension et celui de rotation.
Avec le téléphone automatique, on arrive, en Suisse, à communiquer avec un correspondant se trouvant à cinquante kilomètres. Dans le programme des téléphones français, on compte transformer tous les postes manuels en automatiques. Dans l’exploitation du service public des téléphones, un appareil qui se complique de plus en plus avec l’automatique, c’est le compteur taxeur de communications. Car, dans le prix que l’on fait payer à l’abonné, intervient à la fois la durée des communications, leur nombre et la distance à laquelle on téléphone.
Dans la vie moderne, on peut dire que les réseaux téléphoniques jouent un rôle de premier plan. C’est principalement dans le monde des affaires, des trafiquants et des agioteurs que ces appareils sont le plus utilisés.
Une particularité des communications téléphoniques, qu’on ne doit pas ignorer, c’est que le secret des communications n’existe pas. Il y a même, dépendant de la police parisienne, un système de tables d’écoute très perfectionnées où certains numéros particulièrement repérés sont l’objet d’une surveillance attentive. — Alexandre Laurant.
TÉLÉPHONIE SANS FIL ou RADIOPHONIE. Le problème de la radiophonie, c’est celui de la transmission du son par les ondes électro-magnétiques. Pour radio-téléphoner, il est nécessaire de disposer d’une onde entretenue pure que l’on module à la fréquence de la voix ou de la musique. Pour ce faire, on dispose d’un microphone devant lequel on produit les sons à transmettre. Le courant de sortie du microphone est, après amplification éventuelle, amené à agir sur un certain point du système producteur de l’onde porteuse par l’intermédiaire de ce qu’on appelle le dispositif de modulation : le courant d’antenne, et par suite l’onde porteuse, sont modulés à la fréquence du son à transmettre. Une étude mathématique de l’onde modulée par le son, indique qu’une émission radiotéléphonique occupe toujours une bande totale de 10.000 périodes par seconde, que l’on appelle bande de modulation. Cet « encombrement » constant en fréquence varie en longueur d’onde suivant celle de l’onde porteuse. Pour une onde porteuse de 20.000 mètres, la bande de longueur d’onde encombrée ira de 15.000 à 30.000 mètres, soit un encombrement très important de 15.000 mètres. Si, au contraire, l’onde porteuse est de 300 mètres, la région occupée par l’émission radiophonique s’étendra de 298 m. 5 à 301 m. 5, soit un encombrement très réduit de 3 mètres. Il en résulte que, plus on descend en longueur d’onde, plus on pourra augmenter le nombre de stations dans une bande donnée. De 200 à 600 mètres par exemple, on peut faire travailler simultanément, sans gêne réciproque, cent stations radiotéléphoniques. Tandis que de 600 à 1.000 mètres, il n’y a plus place que pour vingt stations. Enfin, dernier inconvénient des grandes ondes : pour recevoir une station radiophonique travaillant sur 20.000 mètres, il faudrait se trouver dans les mêmes conditions de sensibilité que pour la bande allant de 15.000 à 30.000 mètres ; ce qui correspondrait à un récepteur de sélectivité et, par suite, de sensibilité lamentable. On ne peut donc concevoir dans le spectre des fréquences, l’existence sans brouillage, de stations situées à moins de 10.000 périodes les unes des autres. Outre le chevauchement des bandes de modulation, il importe d’ailleurs d’éviter que les ondes porteuses de deux stations voisines en longueur d’onde ne s’hétérodynent audiblement, c’est-à-dire ne produisent des battements à fréquence acoustique. Ce phénomène de l’hétérodynage audible des ondes porteuses s’est observé fréquemment au cours de ces dernières années, au fur et à mesure que les stations de radiodiffusion augmentaient, La conférence internationale de Madrid a fait un partage des longueurs d’ondes entre les postes des différents États, ce qui a commencé à mettre un certain ordre dans l’éther, milieu théorique de propagation des ondes.
Émission. — Avant de songer à moduler une émission, il faut que cette émission corresponde à une onde entretenue rigoureusement pure. Une pareille condition n’est obtenue que si la tension appliquée à la plaque de la lampe oscillante est rigoureusement continue. On obtient ce résultat soit par des batteries d’accumulateurs, soit par des dynamos entraînées par moteurs électriques ou autres, soit enfin par courant alternatif, préalablement redressé et filtré. Il existe trois procédés principaux de modulation.
a) Modulation par absorption. — Autour d’une bobine de l’antenne d’émission, on entoure une ou deux spires de gros fil isolé que l’on ferme sur un microphone du type « solid back ». Le courant d’antenne induit un courant de haute fréquence dans ces spires. Ce courant est modulé par les variations de résistance du microphone. De l’action secondaire des spires sur la bobine résulte la modulation du courant d’antenne.
b) Modulation par grille. — On intercale le secondaire d’un transformateur de modulation de rapport 50, dans le circuit grille de la lampe d’émission. Dans le primaire se trouve le microphone et une batterie de 4 à 6 volts. Le primaire est schunté par une capacité de 500 micromicrofarads. Ce transformateur est placé à la partie inférieure du circuit oscillant de grille, afin d’éviter les pertes qui se produiraient dans ce transformateur s’il était porté à un potentiel de haute fréquence élevé.
c) Modulation par « choc system ». — Une lampe oscillatrice et une modulatrice sont montées en parallèle sur un ensemble haute tension bobine à fer. Cette bobine dite « bobine de modulation » ou « self de parole » est destinée à empêcher les variations d’intensité à basse fréquence (courants acoustiques), produite dans le circuit-plaque par le microphone, de se répercuter dans la partie haute tension de l’alimentation commune aux deux lampes. Le courant qui traverse la bobine à fer est constant, d’où le nom donné quelquefois à ce système. L’espace filament plaque de l’oscillatrice, se trouve en définitive schunté par la résistance espace filament plaque de la modulatrice, dont la valeur varie au rythme de la modulation. Comme le courant débité par la haute tension est constant, lorsque le courant plaque de la modulatrice augmente, celui de l’oscillatrice diminue et vice-versa : le courant plaque de l’oscillatrice suit donc fidèlement la modulation.
Réception. — Le problème de la réception en radiophonie est le même que celui de la réception en télégraphie sans fil. Le poste comprend principalement une amplification à haute fréquence, une détection, puis une amplification à basse fréquence. Les différents circuits d’accord de ces étages ne doivent pas être couplés d’une façon très pointue, c’est-à-dire doivent posséder un certain amortissement propre, pour être capable de recevoir, non seulement l’onde émise, mais toute la plage de la modulation qui, nous l’avons vu, occupe une bande de 10.000 périodes entourant la longueur d’onde de l’émission porteuse. Par conséquent, les réceptions de radiophonie sont toujours moins sélectives que celles de télégraphie sans fil, leur portée est aussi en général moins élevée.
Dans les récepteurs modernes, la source d’énergie n’est plus la batterie d’accumulateurs ou les piles. Les postes sont directement branchés sur le secteur qui sert en même temps d’antenne. Le circuit de chauffage du filament est constitué par le secondaire d’un transformateur, qui abaisse la tension du réseau aux environs de quatre volts. Si le filament est chauffé directement par le courant alternatif, on a le chauffage direct.
D’autres lampes possèdent un fil métallique, élément chauffant, qui porté au blanc, communique sa chaleur à un élément voisin dont le seul rôle est d’émettre des élections c’est-à-dire à jouer à proprement parler le rôle de cathode. C’est le chauffage indirect ou par rayonnement. Pour assurer le potentiel positif des plaques, le courant alternatif du secteur, après avoir été en général survolté, est redressé et filtré.
Les lampes à écran sont des lampes dans lesquelles la capacité grille plaque est annulée par la présence d’un écran. Ce sont les meilleures lampes amplificatrices à chauffage indirect.
Les récepteurs modernes de radiophonie sont tous livrés dans une boîte ou « Midget » comprenant un haut-parleur. Ce haut-parleur est un reproducteur de sons puissant, composé d’un dispositif moteur transformant les oscillations électriques en vibrations mécaniques, et d’un dispositif acoustique renforçateur, destiné à provoquer la vibration de l’air, pavillon, écran, etc… Le haut-parleur permet de faire entendre un concert dans toute une salle, et les spéciaux de plein air, dans un rayon de quelques kilomètres.
Les haut-parleurs doivent être placés à la sortie d’une amplification basse fréquence d’autant plus poussée que le volume du son désiré est plus grand. Pour les auditions de petite intensité, une puissance modulée de 0,5 watt suffit. Pour les auditions plus fortes, il faut 1, 2, 3 voire même 5 watts modulés ou plus. On appelle moteur d’un haut-parleur le dispositif dans lequel les courants téléphoniques se transforment en mouvements mécaniques de même fréquence. Ces moteurs sont actuellement construits suivant deux types principaux : les moteurs électromagnétiques et les moteurs électrodynamiques. Les électromagnétiques conviennent particulièrement aux auditions de moyenne puissance habituellement recherchées par les amateurs. Les modèles les plus simples et les plus anciens sont basés sur le dispositif Ader, diaphragme circulaire plat, ou sur le dispositif Brown, à anche. Le diaphragme peut attaquer l’air du pavillon soit directement, soit par l’intermédiaire d’un diaphragme de plus grand diamètre et de forme conique, qui en est solidaire mécaniquement, L’anche n’attaque jamais directement l’air d’un pavillon ; cette attaque se fait par l’intermédiaire d’un cône, en aluminium dans le haut-parleur Brown.
Dans les moteurs dont il vient d’être question, le diaphragme ou l’anche doit se trouver dans un champ, uniforme que les oscillations à transformer en sons déforment asymétriquement. Faute de cette précaution, il se produirait un effet de doublage de fréquence et le diaphragme ou l’anche vibrerait à l’octave supérieure de la fréquence d’attaque. Ce champ uniforme est créé par un aimant permanent dont l’intensité d’aimantation varie suivant les modèles.
Un réglage de l’entrefer, c’est-à-dire de la distance entre les pièces polaires et le diaphragme ou l’anche, est très utile dans ces haut-parleurs. Plus cet entrefer est réduit, meilleures sont la sensibilité et la puissance du haut-parleur. Mais, ici comme dans le cas d’un écouteur ordinaire, il ne faut pas que le diaphragme touche les pièces polaires, il en résulterait une déformation considérable des sons, le fameux bruit de « casserole ». L’entrefer sera donc réglé de telle façon que, pour une intensité donnée de réception, intensité dépendant de la station d’émission et de la puissance de l’amplificateur utilisé, le diaphragme ou ce qui en tient lieu ne vienne jamais en contact avec les pièces polaires des électro-aimant. Le réglage des entrefers devrait s’effectuer ainsi sur chaque audition.
Un perfectionnement des moteurs simples, mais un peu primitifs, qui précèdent, est constitué par le moteur à deux pôles qui est basé sur le principe du relai polarisé. Dans ce moteur, on règle la position d’équilibre de l’anche de telle manière qu’elle coïncide avec le plan équidistant des pièces polaires.
Un dispositif plus récent encore est celui du moteur à quatre pôles où chaque groupe de deux pôles agit en sens contraire sur l’anche. Le point fixe de l’anche se trouve à son centre de gravité.
Moteurs à deux pôles et moteurs à quatre pôles ne présentent pas en général de réglage de l’entrefer. Cet entrefer est réglé une fois pour toutes par le constructeur.
En général les dispositifs à moteurs électromagnétiques sont de bon rendement. Leur sensibilité est assez poussée pour qu’ils puissent être dans certains cas montés immédiatement à la sortie d’une détectrice à réaction opérant sur’des potentiels haute fréquence suffisamment élevés.
Malheureusement le moteur électromagnétique présente, dans son principe, une cause de distorsion et une cause de reproduction médiocre des fréquences acoustiques basses si nécessaires à la fidélité des auditions.
En effet, au cours de ses vibrations, l’anche se rapproche et s’éloigne des pièces polaires ; l’action magnétique de ces pièces n’est donc pas uniforme puisque, comme le montre la loi de Coulomb, cette action est inversement proportionnelle au carré de la distance ; l’action antagoniste de cette action magnétique est produite par un ressort qui crée une « force de rappel » inversement proportionnelle à la distance. De l’inégalité algébrique de degré des deux forces en présence, résulte une inégalité entre les vibrations électriques lancées dans les enroulements et les vibrations mécaniques du diaphragme ou de l’anche, d’où distorsion et introduction d’harmoniques. On peut remédier à ce défaut par des artifices de résonance acoustique.
D’autre part, pour que la sensibilité soit bonne, l’espace dans lequel se meut l’anche d’un haut parleur électromagnétique, entrefer, est rendu aussi petit que possible ; le ressort de rappel est très tendu, afin que les vibrations de grande amplitude de l’anche n’amènent pas cette anche en contact avec les pièces polaires, contact qui produirait des bruits désastreux. Les notes basses, correspondent justement à des vibrations d’amplitude relativement importante, on s’explique que ces notes soient mal reproduites par les hauts parleurs électromagnétiques.
Le moteur électrodynamique est constitué par une bobine mobile dans un champ permanent de forte intensité, créé par un puissant électro-aimant excité en continu ou en alternatif redressé et filtré. Le courant téléphonique à transformer en sons est lancé dans une bobine mobile qui est solidaire d’un cône, en carton ou en étoffe bakélisée, à bords guidés, chargé de communiquer les vibrations à l’air environnant. Comme la bobine mobile est le plus souvent de faible résistance, il est nécessaire de la coupler au dernier circuit plaque de l’amplificateur par un transformateur abaisseur convenablement calculé. Ce transformateur est généralement compris dans le châssis du haut-parleur.
Ici l’entrefer reste absolument constant, la bobine mobile peut effectuer parallèlement à son axe des déplacements très importants : les notes basses sont reproduites avec une fidélité absolue. L’équipage étant d’autre part très léger, les notes élevées sont également respectées. Du fait de la faiblesse des champs produits dans la bobine mobile par les courants de sortie de l’amplificateur dont on dispose, le haut-parleur électrodynamique n’est pas très sensible. Il exige pour fonctionner normalement des puissances modulées considérables, de l’ordre du watt au moins. Pour loger la bobine mobile il faut un entrefer relativement important, comme d’autre part, la faiblesse des champs fournis par la bobine mobile oblige à disposer d’un champ permanent considérable, il faut créer ce champ avec un électro-aimant alimenté par une source locale, alternatif redressé et filtré par exemple ; c’est cet électro-aimant que l’on appelle l’excitation du haut-parleur électrodynamique. La nécessité de cette excitation en continu, contribue à compliquer l’emploi de ces hauts parleurs, aussi a-t-on proposé des électrodynamiques dans lesquels le champ magnétique est créé par un puissant aimant permanent. Les défauts de ces électrodynamiques à aimant sont leur poids (pour être puissant l’aimant doit être volumineux) et la tendance à se désaimanter, désaimantation lente, mais néanmoins sensible.
Le haut-parleur électrodynamique est l’appareil fidèle par excellence. Il procure des auditions très puissantes qui donnent l’illusion de la présence réelle des artistes et des orchestres, but recherché de tous les fervents de bonnes reproductions. Son défaut est la complication d’attaque, d’amplifications, et d’emploi, et son excitation spéciale.
La radiophonie, à sa naissance, a été saluée d’enthousiasme par tous ceux qui ont à cœur la libération des individus, libération de l’ignorance aussi bien scientifique que politique. À côté des magnifiques concerts qui tous les jours sont servis à ceux qui veulent bien capter les ondes, on aurait aimé des discussions philosophiques ou politiques entre les leaders des différentes opinions. Le peuple aurait pu choisir dans ce magnifique exposé public des idées celles qu’il préfère, auxquelles un souffle plus généreux lui fait sentir qu’elles approchent plus que les autres de la vérité. Par la volonté des gouvernants, la censure a été constituée, censure toujours dirigée vers les mêmes aspirations. Seules, la morale officielle, la doctrine politique qui encense les maîtres de l’heure ont droit de se faire entendre. La radio se présente actuellement, pour un esprit critique, indépendant, comme la plus magnifique entreprise de bourrage de crâne que peuvent posséder les gens du gouvernement. Comme ils sauraient, en cas de menace de conflit armé, par des discours enflammés, écoutés de tous les foyers, faire pencher les hésitants de leur côté, et fortifier la foi des patriotes attiédis. — Alexandre Laurant.
TÉLESCOPE n. m. (du grec télé, loin, et skopein, examiner). Le télescope est un instrument d’optique, fondé sur les propriétés des miroirs et servant à observer les astres du ciel. Avec la lunette astronomique, ils constituent les deux instruments fondamentaux pour l’étude des étoiles.
La lunette se compose de deux lentilles convergentes : l’objectif et l’oculaire. Elle est destinée à obtenir une image agrandie d’un objet situé à une distance infinie. L’objectif fournit de l’objet une image située dans le plan local de cette lentille. L’image ainsi fournie, réelle et renversée par rapport à l’objet, est observée au moyen de l’oculaire de la même façon que dans le microscope (voir ce mot).
Le télescope diffère de la lunette astronomique et de la lunette terrestre en ce que l’image primitive se produit par réflexion sur un miroir sphérique concave au lieu de se reproduire par réfraction au travers d’un objectif. Il se compose donc du miroir concave qui joue le rôle d’objectif et d’une lentille convergente jouant le rôle d’oculaire. Le miroir concave fournit d’un objet quelconque se trouvant à l’infini, une image réelle se trouvant dans le plan local du miroir, réelle et renversée par rapport à l’objet. Mais on ne laisse pas cette image se former, on intercepte les rayons réfléchis qui concourent à sa formation au moyen d’un autre petit miroir plan incliné à 45 degrés sur l’axe principal du miroir. Ce miroir-plan reporte l’image de l’objet dans une direction perpendiculaire à la première, le foyer se trouvant lui-même rejeté. On observe l’image réelle en se servant d’une lentille convergente fonctionnant comme loupe et on obtient ainsi de l’objet observé, une image virtuelle renversée par rapport à l’objet.
Cet appareil est donc, à tout point de vue comparable à la lunette astronomique et son éclairement observe la mène loi que pour la lunette. Le grossissement est égal au rapport de la distance locale du miroir concave objectif à la distance locale de l’instrument. Dans les grands télescopes modernes, l’oculaire n’est pas une simple loupe, mais un oculaire composé fonctionnant comme un véritable microscope.
Comme l’oculaire des télescopes peut être différemment placé par rapport au réflecteur, cette disposition variable de l’oculaire nous donne trois types de télescopes, à savoir : télescopes de Grégory, de Newton, de Cassegrain.
Dans le modèle le plus usité (télescope de Newton) pour observer l’image observée au foyer du miroir, un petit miroir plan ou un prisme à réflexion totale est disposé en avant de ce point. Il renvoie le rayon lumineux à angle droit vers l’oculaire qui est placé sur le côté du tube et monté à crémaillère. Dans les modèles de Grégory, le miroir concave est percé d’un trou au centre, trou par lequel passent les rayons lumineux qui sont alors réfléchis par un second miroir concave placé en avant du foyer. Au lieu d’être incliné comme dans le type précédent, ce miroir est normalement placé afin que l’image locale puisse être reprise par l’oculaire placé comme dans une lunette ordinaire. Le télescope du troisième type (Cassegrain) est disposé de même, mais la seule différence consiste en ce que le petit miroir est convexe au lieu d’être concave.
Le professeur Grégory, inventeur du télescope qui porte son nom, s’était borné à en donner la description dans un ouvrage, Optica promota, publié à Londres en 1636. Mais ce ne fut qu’un siècle plus tard, vers 1730, qu’il fut construit.
Newton employait, pour ses télescopes, des miroirs sphériques en bronze, mais ceux-ci s’altéraient vite au contact de l’air ; on était obligé de les repolir. Or, en les repolissant, on risquait fortement de les déformer ; l’opération, de ce fait, devenait assez compliquée et aussi coûteuse que pour l’établissement d’un miroir neuf.
Foucault, le premier, remplaça les miroirs métalliques par des miroirs de verre argenté. Actuellement, pour fabriquer un miroir de télescope, on commence par creuser, dans un bloc de cristal, une surface concave parfaitement régulière ; on argente le verre en y déposant, par un procédé chimique, un précipité à base d’argent. Quand celui-ci est altéré, on le dissout par un réactif approprié et on argente à nouveau le verre qui n’a subi aucune altération.
Comme on vient de le voir, il existe des différences profondes entre les lunettes astronomiques ou réfracteurs et les télescopes ou réflecteurs. De ces différences proviennent des avantages et des inconvénients inhérents à chaque type. Plus maniables et moins encombrants que les lunettes, permettant l’observation d’une façon plus commode, les télescopes donnent moins de clarté et ne supportent pas d’aussi forts grossissements. Néanmoins, leur usage est très répandu. On les utilise notamment pour certaines recherches de spectroscopie, en particulier pour celles qu’utilisent les radiations ultra-violettes. Tous les grands observatoires en possèdent et dans le passé, William Herschell, qui posséda longtemps le plus fort instrument du monde, découvrit, grâce à lui, de véritables merveilles célestes, notamment la planète Uranus. Le plus puissant instrument du monde se trouve actuellement aux États-Unis, à l’observatoire du Mont-Wilson, à Pasadena (Californie). Son miroir a 2 m. 57 de diamètre et pèse 4.500 kilos.
L’époque de l’invention des télescopes est inconnue. Certains indices permettent de conclure que quelques physiciens ont dû connaître, depuis les temps les plus anciens, des instruments de ce genre. Mais la question de savoir si ces instruments étaient de simples tubes ou s’ils étaient munis de verre, reste indécise. On n’a, jusqu’ici, rien trouvé de positif à ce sujet. Les premières nouvelles concernant la construction de télescopes et des lunettes datent de la fin du XVIe siècle et il est probable que le célèbre mathématicien Jacques Metius prit une grande part à l’invention du télescope. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’en 1608 il remit aux États Généraux un écrit contenant la description exacte de cet instrument, mais en affirmant en même temps qu’un autre avant lui avait dû construire un instrument analogue. Cet autre semble avoir été l’opticien hollandais Lippersky. La question de savoir si, à cette époque, on n’inventa pas de télescopes dans d’autres pays n’est pas résolue. Ce qui n’aurait rien d’étonnant étant donné qu’à partir du commencement du XVIIe siècle, les nouveaux instruments se répandirent dans tous les pays et, au bout de peu de temps, beaucoup de savants en possédèrent.
Les premiers télescopes, appelés télescopes hollandais, d’après leur pays d’origine, étaient peu propices à l’étude des astres, leur agrandissement étant très faible. Seuls, des perfectionnements ultérieurs permirent la construction des véritables télescopes astronomiques.
Les savants des périodes suivantes surent utiliser ces instruments avec la plus grande précision et, grâce à eux, ils arrivèrent à reconnaître des vérités nouvelles jusqu’alors inconnues. En dehors des connaissances positives que ces instruments nous ont appris, ils ont encore été, par ailleurs, très utiles à l’humanité. Toujours la scholastique et l’Église s’opposèrent à toute vérité nouvelle. Les hommes qui, les premiers, annoncèrent au monde les faits nouveaux reconnus à l’aide du télescope furent exposés aux dangers qui, à cette époque, menaçaient les chercheurs. Mais, malgré le fanatisme des obscurantistes, la vérité ne s’en fit pas moins jour et, après de longs et durs combats, la science, par ces conquêtes impérissables, emporta définitivement la victoire sur les forces d’ignorance représentées par l’Église et ses suppôts. — Charles Alexandre.
TÉLESCOPE. C’est un instrument optique utilisé pour l’examen des objets éloignés. On peut différencier les télescopes en deux classes, suivant la nature de leur objectif :
Les télescopes dioptriques ou lunettes. — Ils ont pour objectif une lentille convergente.
Les télescopes catoptriques ou télescopes proprement dits. — Ils ont comme objectif un miroir concave.
1° Lunette. — Principe. — La lunette a pour but de remplacer la vision directe d’un objet par celle d’une image virtuelle, vue sous un plus grand angle, et placée à la distance la plus favorable à la vision.
Généralement, une lunette est constituée par deux systèmes optiques :
a) Un objectif convergent, donnant de l’objet que l’on regarde, généralement éloigné, une image réelle et renversée, située sensiblement dans son plan focal.
b) Un oculaire, transformant cette image réelle renversée en une image virtuelle redressée et agrandie.
Pour la mise au point, l’œil se place au cercle oculaire, c’est-à-dire à l’image virtuelle de l’objectif donné par l’oculaire. En faisant varier la distance de l’objectif à l’oculaire, on arrive à faire occuper à l’image virtuelle de l’objet une place où l’œil de l’observateur la voit sans accommodation. Cette distance varie suivant les caractéristiques de l’œil de l’observateur. La mise au point est réalisée par le déplacement de deux tubes concentriques contenant l’un l’objectif, l’autre l’oculaire. Par extension, on a donné à ce mouvement de deux tubes l’un dans l’autre le nom de télescopique.
Dans une lunette, il est utile de considérer le grossissement, le pouvoir séparateur, le champ et la clarté.
Le grossissement, c’est le rapport entre les images rétiniennes, d’un même objet, vu à l’œil nu, puis à travers la lunette ; ce qui revient au même d’ailleurs que le rapport entre le diamètre de l’objet vu à l’œil nu et le diamètre apparent de l’image donnée par l’instrument.
Le pouvoir séparateur, c’est la distance angulaire minima perceptible, à travers l’instrument. Théoriquement, pour des lunettes parfaites au point de vue optique, c’est-à-dire n’ayant ni diffraction ni aberration, le pouvoir séparateur serait proportionnel au grossissement. En effet, plus le grossissement est grand, plus on a de chances de distinguer les détails d’un objet. Mais n’oublions pas que par suite des défauts signalés plus haut, commun à tous les instruments d’optique, l’image d’un point est une petite tâche, et on ne pourra séparer visuellement deux points que si la distance des deux tâches est plus grande que leur diamètre commun.
Le champ d’une lunette, c’est l’angle solide ou cône comprenant toute la région de l’espace observée, pour une position fixe de la lunette.
On distingue deux sortes de champs, le champ réel ou de pleine lumière et le champ apparent. Un point lumineux est situé dans le champ de pleine lumière ou dans le champ apparent suivant que le faisceau lumineux matérialisé par ce point et par l’objectif de la lunette rencontre en entier ou partiellement les systèmes optiques intérieurs.
Pour étudier la clarté d’une lunette, disons quelques mots sur ce qu’on entend par clarté d’un objet. C’est la quantité de lumière qu’il envoie sur la rétine de l’observateur. Elle est donc proportionnelle à l’éclat de l’objet et, inversement proportionnelle à l’ouverture de l’iris, car l’œil accommode toujours pour éviter les changements dans la lumière totale reçue.
On définira la clarté d’une lunette par le rapport entre l’éclairement de l’image rétinienne de l’objet, vu à l’œil nu ou à travers la lunette, l’iris de l’œil de l’observateur étant dans les deux cas à la même ouverture. Pour une lunette théorique, ce rapport est évidemment égal à 1. Dans la pratique, il varie de 0,8 à 0,9.
Ces différentes qualités d’une lunette, qui sont d’ailleurs les mêmes pour les autres instruments d’optique, sont contradictoires. Par exemple, en augmentant le grossissement, on n’améliore pas le pouvoir séparateur, on diminue sûrement le champ et la clarté. Suivant le but poursuivi, on développera certaines d’entre elles au détriment des autres.
Différentes sortes de lunettes. — La lunette astronomique, comme son nom l’indique, sert à l’étude des astres. Il est indifférent d’avoir des images renversées, et l’oculaire n’aura pas à redresser l’image donnée par l’objectif.
La lunette terrestre, au contraire, devra donner la même orientation à l’image qu’à l’objet. Ce redressement s’obtient :
Par système de lentilles ; on a, alors, la lunette terrestre proprement dite, ou longue-vue.
Par système de prisme ; on a, alors, la lunette à prisme ; par l’oculaire lui-même, qui est divergent, on a la lunette de Galilée.
2° Télescope. — Un télescope, c’est une lunette dans laquelle on a remplacé la lentille objectif par un miroir concave. L’image donnée par ce miroir est examinée par un oculaire ordinaire à deux verres, après interposition d’un dispositif qui, par son action sur les faisceaux lumineux, permet à l’observateur d’examiner l’image objective sans entraver la propagation des rayons. Souvent, ce dispositif n’a qu’une action orientante sur les faisceaux lumineux ; on n’en tient pas compte dans l’étude des qualités optiques du télescope qui se définissent comme celles des lunettes.
Miroirs des télescopes. — Les premiers télescopes comportaient comme objectif un miroir sphérique en bronze poli. Les aberrations de sphéricité de tels miroirs étant notables, les images qu’ils donnaient étaient défectueuses et ne permettaient que l’emploi d’oculaires peu puissants ; par suite, les instruments devaient atteindre des dimensions considérables pour avoir des grossissements notables. En outre, le pouvoir réflecteur du bronze atteignait rarement 0,75 pour les miroirs neufs, et ne tardaient pas à baisser par suite du ternissement de la surface polie. Foucault fit faire un grand progrès aux télescopes en introduisant les miroirs paraboliques en verre argenté, et en étudiant les moyens de les tailler et de les vérifier. De tels miroirs sont rigoureusement stigmatiques pour un point à l’infini dans la direction de l’axe. Ils le sont sensiblement pour les points à l’infini dans des directions voisines, c’est-à-dire pour tous ceux du champ du télescope.
Outre cet avantage important résultant de leur forme, les miroirs en verre argenté ont un pouvoir réflecteur supérieur d’un dixième environ à celui des miroirs métalliques. Lorsque la clarté de l’instrument baisse, par suite de l’altération de l’argenture, il suffit de le dissoudre par l’acide azotique et de réargenter le miroir, opération beaucoup moins coûteuse et moins délicate que celle du repolissage d’un miroir métallique.
Tous les miroirs de télescopes modernes sont paraboliques et, le plus souvent en verre argenté. Ils ne diffèrent des miroirs de Foucault que par une épaisseur de verre beaucoup plus grande, ce qui en facilite le montage et réduit les déformations.
Équatorial. — Les lunettes astronomiques et les télescopes sont habituellement employés montés sur équatorial. On désigne ainsi une monture mobile, qui, à l’aide d’un mouvement d’horlogerie, donne à ces instruments, un déplacement convenable. Ce déplacement permet de corriger le mouvement apparent du ciel, et le point observé ne quitte pas le champ de l’appareil sans cette monture équatoriale ; avec les appareils à fort grossissement, on ne pourrait faire aucune observation. Pour les instruments de grande dimension, l’observateur est placé sur un siège faisant corps avec l’instrument, et qui participe, lui aussi, au mouvement équatorial. D’autres fois, l’œil de l’observateur est remplacé par un appareil photographique, ce qui permet de découvrir des astres que l’œil, même appliqué à l’oculaire, n’arrive pas à distinguer.
Un artifice astucieux permet de se passer de la monture équatoriale. Il suffit de regarder la région du ciel à laquelle on s’intéresse non pas directement mais par l’intermédiaire d’un miroir en deux parties dont une moitié est fixe, l’autre suit le mouvement apparent des astres, à vitesse moitié. C’est le cœleostat.
Réticule. — Dans l’astronomie de position, pour les travaux d’arpentage, dans tous les cas où l’on a à mesurer des angles, il est nécessaire de viser exactement un point particulier. On l’observe à travers des lunettes où se trouvent disposés deux fils en croix, placés au foyer de l’objectif. C’est le réticule. Les appareils peuvent alors se déplacer par rapport à leur monture, ces déplacements étant mesurés sur des cercles gradués en angles. On peut même mesurer ces déplacements dans deux plans perpendiculaires. Il faut rattacher à cette famille d’instruments de mesure, le théodolite et le sextant des navigateurs.
Galilée étudia le premier télescope et ses études astronomiques portèrent d’abord sur la lune.
Du temps de Huygens, Hévelius, Cassini, Bianchini, qui vivaient au XVIIe siècle, on s’évertua à construire des lunettes monstres mesurant plus de 100 pieds. Mais l’imperfection de ces instruments ne permettait guère un grossissement de plus de 2.000. Parmi les télescopes les plus célèbres, on cite celui de Lord Rosse, le grand télescope de Lassel, la lunette de l’observatoire de Washington. Des appareils modernes, le plus important est le télescope du Mont-Wilson. Son miroir a deux mètres cinquante de diamètre et il pèse 4 tonnes. Il est abrité dans un bâtiment entièrement en acier et recouvert d’un dôme ou coupole hémisphérique mobile de 17 m. 70 de diamètre. Un volet permet de découvrir dans ce dôme une ouverture de 5 mètres de largeur par laquelle se font les observations.
Parmi les découvertes qui précédèrent l’époque scientifique moderne, celle du télescope fut une des plus fécondes en résultats.
Au point de vue philosophique, ces appareils amenèrent les hommes à réfléchir sur les mondes lointains. Toute la doctrine religieuse, qui faisait de la terre le centre de l’univers, subit un rude assaut. Dans la lutte que se livrent journellement la science et la foi, qu’on le veuille ou non, ce qui est gagné par l’une est forcément perdu par l’autre, et nous pouvons dire du télescope qu’il fut un magnifique outil d’émancipation pour la pensée humaine. – Alexandre Laurant.
TÉLÉVISION. C’est le problème de la transmission à distance des images, que cette transmission soit effectuée avec fil ou sans fil. Cette technique n’est pas récente, et déjà en 1855, on envoyait des télégrammes de dessins ou d’autographes. Les images étaient tracées avec de l’encre conductrice sur un papier isolant. L’exploration avait lieu par contact, et la réception était basée sur la décomposition électrochimique.
La reproduction des images à distance est conditionnée par les dispositions réalisables pour l’émission et la réception et par les procédés de transmission : transmission sur fil ou radioélectrique.
Dans l’état actuel de la technique, il n’est pas possible de transmettre d’un seul coup l’ensemble d’une image ; il est nécessaire de la décomposer en un très grand nombre d’éléments qui sont transmis successivement et rassemblés à la réception. On se trouve donc en face de cinq problèmes :
Transformation de la lumière en courant électrique ;
Décomposition et exploration des images ;
Modulation de la lumière par un courant variable ;
Reconstitution de l’image à la réception ;
Synchronisation des mouvements de décomposition et de reconstitution ;
Transformation de la lumière en courant. — C’est la cellule photoélectrique qui permet cette transformation. A l’intérieur d’une ampoule de verre, une couche de métal alcalin est déposée sur une partie de la paroi ; la face opposée est claire pour laisser pénétrer la lumière. Au milieu de l’ampoule se trouve un anneau métallique formant anode ; le métal déposé est, lui-même, en communication électrique avec l’extérieur par un fil et forme cathode ; entre l’anode et la cathode est montée une pile. Dans l’obscurité, le courant traversant la cellule est négligeable, mais dès que celle-ci est éclairée, il s’établit un courant qui, dans des conditions convenables, est proportionnel au flux lumineux reçu.
Décomposition et exploration. — Il est impossible actuellement de transmettre d’un seul coup une image tout entière ; on la décompose alors en un très grand nombre de points que l’on transmet successivement. Si ces points sont suffisamment rapprochés, l’œil qui regarde la reproduction est incapable de les séparer et a la sensation de la continuité. Un tel procédé est employé dans la reproduction typographique des photographies. Le nombre de points de la décomposition est d’autant plus élevé que l’on désire obtenir une reproduction plus parfaite. Pour obtenir la décomposition voulue, on explore l’image à transmettre par lignes successives. A un instant donné, une très petite région de l’image est seule éclairée ; la hauteur de cette région est naturellement égale à la largeur des bandes de décomposition, sa largeur est généralement égale à sa hauteur. Des dispositions mécaniques ou électriques permettent de déplacer cette région tout le long d’une ligne, puis, immédiatement après, sur la suivante et ainsi de suite.
Comme le mouvement de déplacement est continu, il n’y a pas, à proprement parler, une série de points distincts dans l’étendue d’une ligne ; la décomposition n’est pas égale à celle d’une reproduction typographique. Le courant engendré ne traduit pas, à un instant donné, l’éclairement d’une région de l’original, mais bien une sorte de moyenne entre son éclairement et celui des régions très voisines.
L’exploration que nous venons de décrire est naturellement reproduite de façon identique du côté de la réception, de telle sorte que, à un instant donné, les régions correspondant à l’émission et à la réception se trouvent placées de façon homologue sur des figures égales ou semblables.
L’image à transmettre, en téléphotographie, est enroulée sur un cylindre animé d’un mouvement hélicoïdal dont le pas est égal à la largeur des bandes. Une lentille concentre sur une portion de la surface de cette image la lumière provenant d’une source ponctuelle. Tout près de cette partie éclairée se trouve un micro objectif qui recueille les rayons réfléchis et les envoie sur la cellule photoélectrique. Un diaphragme limite la lumière atteignant la cellule à celle qui provient d’une très petite région de la partie éclairée et qui correspond à l’élément. Dans ces conditions, quand le cylindre en tournant se sera déplacé de toute sa longueur, tous les points de l’image seront passés dans la région éclairée et auront donné lieu aux courants à transmettre.
Pour les reproductions les plus fines, le point d’image a une largeur et une hauteur d’environ 0,2 millimètres, pour les reproductions grossières, ces dimensions atteignent 0,5 mm. Le cylindre tourne généralement à la vitesse de 1 tour par seconde.
En télévision, le principe de l’exploration est le même qu’en phototélégraphie, mais la réalisation est très différente. En effet, non seulement l’original n’est généralement pas représenté sur une feuille, mais à la réception, il n’y a plus enregistrement, mais vision directe. Il faut alors explorer toute la surface utile dans une durée inférieure à celle de la persistance de l’impression lumineuse sur l’œil pour que, au moment de l’exploration du dernier point, le premier soit encore vu. On estime, en général, que l’impression lumineuse persiste pendant 1/16 de seconde, mais les durées d’exploration utilisées varient entre 1/10 et 1/25 de seconde.
Naturellement, dès qu’une exploration est terminée, une autre doit commencer, de façon à donner l’impression d’une vue continue.
Pour obtenir ces résultats, le procédé le plus simple et déjà fort ancien — il date de 1884 — est celui du disque de Nipkow. Un disque tourne autour d’un axe et fait un tour pendant la durée d’une exploration ; il est percé de trous disposés en spirale. Une source lumineuse envoie, grâce à une lentille, un faisceau parallèle sur la région traversée par les trous pendant la rotation ; les pinceaux lumineux qui passent par ces trous arrivent sur l’objet. Le pas de la spirale est égal à la hauteur de l’image et la distance entre les deux trous est égale à sa largeur ; on voit aisément que, pendant la rotation du disque, les pinceaux lumineux successifs balayeront tout l’objet en y traçant des petites bandes que la dimension des trous rendra positives. Le nombre de trous varie de 30 à 100 environ.
Autour de l’objet, et en avant de lui, sont disposées de grosses cellules, montées en parallèles et placées de façon à pouvoir recueillir la lumière provenant de tous les points de l’objet.
Modulation de la lumière par un courant variable. — Il existe d’assez nombreux procédés pour réaliser cette modulation : le plus simple, théoriquement, et le plus employé pour la télévision est basé sur la décharge dans les gaz. Si l’on applique une tension convenable entre deux électrodes intérieures à un tube contenant un gaz sous faible pression, ce dernier laisse passer un certain courant et devient lumineux. Les gaz employés sont l’argon, le néon ou l’hélium ou un mélange des deux derniers sous une pression de quelques millimètres. Les tensions employées sont de l’ordre de 150 à 250 volts et, dans des conditions convenables d’emploi, la brillance est sensiblement proportionnelle au courant d’alimentation.
L’inertie de ces lampes est négligeable.
Réceptions phototélégraphiques. — Le mode d’exploration est le même que celui décrit pour l’émission.
Un papier sensible est enroulé sur le cylindre placé dans une enveloppe imperméable à la lumière et dans laquelle pénètre un petit tube amenant la lumière modulée de la lampe à cathode creuse. Ce tube se termine par un diaphragme placé au contact du papier sensible et dont l’ouverture a les dimensions du point d’image. La région éclairée est identique à celle qui, sur l’original, provoque l’éclairement de la cellule photoélectrique. On place souvent dans le tube une petite lentille qui concentre la lumière de la source dans la région utile.
Pour la réception en télévision, on peut encore faire usage de disque de Nipkow. La lampe à surface lumineuse est alors placée derrière un disque de Nipkow, identique à celui employé à l’émission et l’on regarde ses trous défiler devant la plaque. Comme la brillance de cette plaque est à chaque instant proportionnelle à l’éclairement du point de l’original éclairé au même moment, on conçoit facilement que si les deux disques tournent en synchronisme et ont la même phase, on verra des points ayant une brillance correspondante a ceux de l’original, au même instant et à la même place.
Synchronisation. — Pour que les images soient nettes, il faut évidemment que la vitesse de rotation de l’analyseur à l’émission et à la rotation soit identique. Il faut, de plus, qu’ils soient en phase, c’est-à-dire occupent tous les deux la même position au même instant. La première condition, identité de vitesse, est réalisée par diapason étalon. La deuxième, la concordance de phase, est obtenue en général par méthode stroboscopique.
Amplification. — Elle se fait selon les procédés habituels pour la haute et la basse fréquence ; mais on peut remarquer tout de suite qu’en phototélégraphie, les courants à amplifier pourront avoir une fréquence extrêmement basse ; si la teinte est uniforme dans une région étendue de l’original, le courant photoélectrique pourra rester constant pendant quelques secondes. Il serait alors nécessaire d’employer des amplificateurs à courant continu. Si l’on peut admettre leur emploi à l’émission dans certains cas particuliers où des techniciens avertis peuvent les surveiller, on doit les rejeter pour la réception courante.
On tourne alors la difficulté en provoquant des interruptions rapides et régulières de la lumière reçue par la cellule, de telle sorte que les courants à amplifier soient des courants alternatifs, modulés par les variations d’éclairement de l’original. Si l’emploi d’une fréquence auxiliaire ne se trouvait pas justifié par les facilités apportées à l’amplification, il s’imposerait d’ailleurs pour les transmissions sur câbles, car ceux-ci ne peuvent généralement transmettre correctement que des fréquences supérieures à 100 ou 200 par seconde. La fréquence de rupture, conditionnée par le mode de transmission, est comprise entre 1.000 et 2.000 par seconde,
Ainsi, actuellement, la télévision se contente de la transmission d’images. Ce qui, pour les services de la presse, par exemple, est déjà un résultat pratique fort appréciable. Mais il est évident que la transmission de scènes animées déclencherait un plus grand enthousiasme. La solution complète viendra certainement un jour, mais ce sera peut-être par une voie radicalement différente de celles employées aujourd’hui ; par exemple, par une méthode qui, supprimant le balayage, permettrait de passer d’un seul coup une image entière, comme, en radiophonie, on transmet d’un seul coup tous les sons d’un orchestre, si nombreux que soient les exécutants. — Alexandre Laurant.
TEMPÉRAMENTS [ET GOÛTS]. Les besoins physiologiques se traduisent par l’avidité ou sensualité Cette avidité entraîne l’activité. La sensibilité, qui est caractéristique de la matière vivante, se différencie de l’émotivité dans la fonction cérébrale, en particulier chez l’homme. L’avidité, l’activité, la sensibilité (et plus spécialement l’émotivité) déterminent le tempérament de chaque individu.
Le tempérament est héréditaire, mais il ne se transmet pas en bloc comme une entité distincte et réelle. Il est la résultante imprévisible de plusieurs caractéristiques héréditaires venant d’ancêtres divers. Si donc les tempéraments sont héréditaires, et s’ils sont peu modifiables sinon dans certains cas et avec un traitement endocrinien, par exemple, ils échappent pourtant à un fatalisme étroit de transmission uniforme. Leurs variations sont dues au fonctionnement des glandes endocrines et à l’interaction encore mal connue des autres organes.
Sensualité et avidité sont primitivement la conséquence du fonctionnement des organes. Les besoins alimentaires et les besoins sexuels n’agissent pas seulement comme conséquence de leur fonction, c’est-à-dire comme facteurs de sensualité et d’avidité. Ils agissent sur l’organisme entier et sur le caractère. Un gros mangeur ou un individu ayant des besoins sexuels très développés n’ont pas la même morale ni la même moralité qu’un petit mangeur ou un individu frigide. Malgré l’éducation, la politesse et la maîtrise de soi, leur comportement sera assez différent.
Existent aussi l’avidité de l’exercice musculaire, l’avidité de savoir, etc. Toutes ces avidités, quelles qu’elles soient, dépendent du fonctionnement de l’équilibre des appareils digestif, sexuel, musculaire, respiratoire, circulatoire et déterminent une activité correspondante, qui est enfin influencée par le fonctionnement des glandes endocrines (thyroïde, surrénale, hypophyse, etc.).
Prenons l’exemple de la paresse (tendance à l’inactivité) considérée autrefois et souvent encore aujourd’hui comme un défaut moral, qu’on améliore avec les sermons et qu’on.réprime avec les châtiments. Elle peut être le résultat du surmenage musculaire ou cérébral. Elle peut être aussi la conséquence d’une insuffisance génitale : les castrats sont lents, mous et poltrons. Elle peut être la conséquence d’une insuffisance surrénalienne (fatigabilité), d’une insuffisance hypophysaire, d’une insuffisance musculaire (faiblesse physique), d’une insuffisance respiratoire ou cardiaque, etc. On constate la paresse au moment des poussées de croissance, et aussi chez certains obèses, chez les diabétiques, chez nombre de tuberculeux méconnus, chez les paludéens et les infectés de trypanosomiase, etc., chez ceux qui souffrent d’intoxication chronique, chez les arriérés mentaux, les faibles d’esprit, les déséquilibrés.
Et au point de vue moral que de nuances où l’accusation de paresse n’est qu’un moyen trop commode pour le pédagogue de mettre à couvert sa propre responsabilité. Les enfants timides ont besoin d’être encouragés. Pour les turbulents, il faut faire une part plus grande à leur activité physique et veiller à une alimentation rationnelle, d’où notamment les boissons alcoolisées et le café seront exclus. Une éducation trop sévère ou trop fantasque provoque des chocs émotifs et dépressifs répétés et amène une anxiété, une indécision, un déséquilibre persistants. Une instruction ennuyeuse, dispensée par un pédagogue idiot, provoque le dégoût. Combien d’enfants, prétendus paresseux, sont simplement rebutés par l’enseignement qu’ils reçoivent ! Enfin la paresse des adultes vient parfois de ce qu’ils sont astreints à une besogne qu’ils n’ont pas choisie, et pour laquelle ils n’ont ni goût, ni aptitude, ni intérêt pécuniaire. Reste la paresse qui est due à l’influence du milieu, milieu de vie facile, milieu d’oisiveté et de noce, où les adolescents, et surtout les adolescentes, peuvent se laisser engluer.
Les mêmes causes physiologiques, et en particulier la thyroïde, influent également sur la sensibilité (émotivité) ou l’apathie, etc.
Elles déterminent donc le tempérament et par conséquent en bonne partie le caractère, suivant l’activité fonctionnelle plus ou moins grande de chacune d’elles, et suivant leur association, entraînant ainsi les comportements les plus divers.
Là-dessus s’ajoutent les sentiments acquis au cours des âges, grâce à la vie sociale et transmis par hérédité. Je ne vois que le sentiment maternel qui paraisse primitif, en ce sens qu’il apparaît déjà assez tôt dans la série animale. À cause de la longueur de l’enfance, où les « petits d’homme » ont besoin de protection, il s’est développé davantage que dans les autres espèces animales. La douceur, le souvenir, la reconnaissance de cet amour et de cette protection se sont enracinés au cœur des enfants, même devenus grands. Point de départ d’une affectivité plus étendue, et qui s’est développée avec l’entraide sociale. Protection des adultes, et plus tard des pères, sur les petits. Amitié fraternelle entre camarades de la même génération. D’autre part, l’émotivité a été développée par les heurts de la vie en société, par la répression brutale exercée par la collectivité en cas de défaillance. La crainte et l’humiliation ont donné naissance à la honte, à la timidité, à la pudeur, l’approbation d’autrui à l’orgueil et à l’esprit de domination, qu’entretient la servilité craintive des faibles et que favorise l’inégalité sociale grandissante. Ces divers sentiments ont créé l’amour-propre, sorte de sensibilisation aux chocs moraux.
La conscience morale, qui est l’amour-propre vis-à-vis de soi-même, est venue plus tard. Elle a fini peu à peu par constituer le fondement de la nouvelle morale, La toquade de Socrate était d’apprendre à chacun à se juger soi-même. Les stoïciens surtout ont érigé en principe le perfectionnement de la personnalité. Pendant ce temps, les religions elles-mêmes évoluèrent. À la place des anciennes religions de clan, de tribu ou de cité qui « poursuivaient un intérêt collectif de caractère temporel » (Loisy) et qui ont vécu tant que le clan, la tribu ou la cité ont eu une vie indépendante, les religions nouvelles d’Attis, d’Isis ou de Mithra, et celle qui devait triompher, celle du Christ, ne s’occupaient plus que du bien spirituel des individus et de leur bonheur dans l’immortalité. Ainsi elles ont habitué leurs fidèles à l’examen personnel de conscience.
Mais la conscience morale ne s’oppose pas toujours à l’esprit de domination, et, prenant la forme de puritanisme, elle donne l’orgueil aux purs avec le droit de mépriser et de dominer ceux qui ne sont pas purs comme eux.
Les sentiments affectifs, ainsi créés, sont tellement implantés en nous que les philosophes les considèrent comme innés. En réalité, ce sont là réflexes coordonnés, acquis peut-être depuis des centaines de milliers d’années, et transmis. Cependant on rencontre encore aujourd’hui des gens chez qui les sentiments affectifs sont restés à des stades de développement fort différents. L’amour-propre, par exemple, n’est pas le même chez tout le monde. Les uns ne montrent qu’une réaction obtuse et qui frise l’indifférence, tandis que beaucoup d’autres ne sont sensibles qu’à l’opinion d’autrui, et que d’autres enfin, qui ne sont encore qu’une minorité, sont surtout sensibles à leur propre et silencieux examen de conscience. Dans le milieu même où nous sommes actuellement, nous vivons avec des gens dont les uns sont des infantiles ou des primitifs, d’autres à différents âges de l’adolescence, d’autres enfin des adultes ou des civilisés. Et chez le même individu les réactions affectives ne font pas toujours un tout harmonieux.
L’éducation n’agit pas directement sur les tempéraments. Elle agit indirectement sur les caractères dans le domaine affectif. Elle aura surtout de l’influence sur les enfants pourvus d’une affectivité déjà développée (sur les émotifs). Elle s’efforcera de favoriser chez les autres, par la confiance et l’amour, une affectivité plus grande. Elle n’aura presque pas d’influence ou pas du tout chez ceux qui en sont dépourvus et qu’on dénomme les pervers (mental insanity), et qui ne sont qu’en petit nombre.
En somme, tempérament et affectivité déterminent des caractères extrêmement différents les uns des autres et dont les comportements varient en conséquence. C’est ainsi que l’avidité (tempérament) et l’orgueil (sentiment) engendrent l’esprit de domination, tandis que l’apathie (tempérament) et la timidité (sentiment) donnent l’esprit de soumission. L’activité, en s’associant à l’orgueil, développera l’ambition. L’égoïsme et l’avidité, en s’associant à la peur, donneront l’avarice, tandis que l’exubérance et la vanité pousseront à la prodigalité. L’égoïsme et l’orgueil s’opposent au développement de la sensibilité affective et, en s’associant à la sensualité, peuvent donner lieu à la cruauté, qu’il ne faut pas confondre avec la brutalité. L’émotivité prédispose à la pitié et, avec l’appui de l’exubérance, à la générosité. Toutes ces associations peuvent se présenter avec des dosages variés et différents. Il n’y a pas que la timidité craintive, ou humilité. L’émotivité et l’orgueil peuvent donner une timidité fière, variable avec les autres composants et allant de l’amour jusqu’au mépris d’autrui et à l’esprit de dénigrement. Il ne suffit pas de l’avidité, de l’activité et de l’orgueil pour faire un arriviste et un ambitieux, il faut aussi des qualités intellectuelles. Sinon ces tendances, associées à une intelligence médiocre ou débile, feront ou bien un autoritaire insupportable à ses subordonnés (par compensation de son infériorité) lorsque celui-ci se sera haussé par la ruse, la flatterie, la protection à un poste d’autorité, ou bien un paranoïaque.
D’autres causes encore interviennent sur les formes du caractère, à savoir la différence et la multiplicité des aptitudes, des goûts, des curiosités. Les aptitudes sont moins faciles à percevoir que les sentiments. Ceux-ci, qui sont de création sociale et qui s’ajoutent au tempérament et aux tendances de chacun, déterminent la vie morale ; et chacun est obligé de faire attention au caractère de ceux qu’il approche. Les aptitudes n’intéressent pas directement autrui ; et quelquefois ni les parents, ni les maîtres, ni personne n’en veulent tenir compte. Elles peuvent passer complètement inaperçues. Au surplus, il est plus facile de voir grosso modo, au point de vue moral, si un enfant est plus ou moins actif que de distinguer à quel genre d’activité il est le plus apte, d’autant que ses capacités n’éclosent parfois qu’avec lenteur.
Les aptitudes sont, d’ailleurs, assez rarement déterminées dans un sens précis et invariable. Il arrive pourtant que des adolescents se montrent orientés de bonne heure d’une façon nette vers telle ou telle aptitude. Les musiciens de vocation, les mathématiciens, et je parle non seulement des calculateurs comme Inaudi, mais de ceux qui occupent le premier rang dans la science mathématique, montrent déjà des facilités dès leur enfance. Certains dessinateurs aussi (Gustave Doré). Ces qualités dénotent une orientation héréditaire, sans que cette hérédité puisse être fatalement décelée à l’avance dans les aptitudes des parents, chez qui les coordinations ne sont pas toujours assemblées et disposées de façon à produire une sorte d’ébauche ou d’annonciation. Dans la grande majorité des enfants les orientations professionnelles proviennent d’aptitudes plus diffuses, qui se précisent grâce à l’éducation donnée par la famille, grâce à l’influence des lectures, grâce à celle de certains maîtres, grâce encore au spectacle d’un voisin travaillant à la forge ou à l’établi, etc… L’enfant s’habitue à la pensée d’entrer dans telle ou telle profession, il y prend goût. Le penchant se développe par la pratique même du métier, surtout s’il est encouragé par le maître. Les aptitudes ont souvent besoin elles-mêmes d’être encouragées. Ainsi, l’apprenti ou l’élève travaille avec plus de cœur. Le travail fait avec goût est un travail d’art (Linert).
L’intelligence joue donc un grand rôle dans cet affinement. Par ses coordinations de plus en plus affinées et différenciées, le cerveau commande le travail manuel. Et l’individu est d’autant plus habile qu’il est plus intelligent.
En résumé, l’intelligence intervient en partie dans la genèse des aptitudes sous forme de goût intellectuel, c’est-à-dire de curiosité. Ensuite, elle participe à l’affinement de l’habileté technique ou artistique.
Le goût intellectuel est souvent lui-même sous la dépendance du goût moral. Les sentiments sont les conséquences de la vie des hommes en société. Les goûts moraux (ou sentimentaux) comportent tout le domaine des sympathies non seulement individuelles, mais sociales. Notre façon de concevoir la vie et le monde dépend beaucoup de l’éducation et des traditions familiales. Ces sortes de goûts rendent chacun de nous plus ou moins sensible à telle ou telle façon d’agir, influent sur nos sympathies et nos antipathies, sur le jugement que nous portons sur les actions d’autrui, sur nos idées sociales et morales.
Il n’est pas toujours nécessaire que nous ayons les sentiments correspondant à nos goûts. On peut avoir peu d’audace et admirer les audacieux, on peut être timide et effacé et avoir des goûts révolutionnaires, violents et indépendants et réclamer un dictateur, etc… Dans ce cas, le goût moral représente les aspirations conscientes ou inconscientes de l’individu. Parfois aussi les intérêts, au lieu d’agir directement sur les décisions à prendre, orientent les sympathies ou les antipathies, de telle sorte que les jugements sont subjectifs au lieu d’être objectifs. Les besoins agissent sur les sentiments d’abord, et ceux-ci, sur les opinions. Cette influence est loin d’être générale, sans quoi beaucoup d’opinions seraient incompréhensibles, et on ne s’expliquerait pas pourquoi tant d’ouvriers votent pour les partis conservateurs. La tradition qu’ils ont reçue pendant l’enfance continue à déterminer leurs opinions. D’où la variété des opinions parmi les hommes. En définitive, les opinions doivent être rangées dans la catégorie des goûts plutôt que dans celle des idées. La plupart des gens courbent les idées à la convenance de leurs goûts. Même nos tendances philosophiques sont certainement influencées par nos goûts sentimentaux.
Les goûts moraux, ce sont nos orientations dans le domaine affectif, y compris nos sympathies, nos aspirations, notre idéalisme. Ils ont donc une très grande importance sur le comportement des hommes et ont souvent plus d’importance que les intérêts.
En essayant d’analyser les caractères, nous avons passé en revue le tempérament avec les besoins et les impulsions, la sensibilité avec l’affectivité et les sentiments, enfin les aptitudes, tout cela formant une innéité variable avec chaque individu, et nous sommes arrivés dans le domaine des goûts, domaine qui s’ajoute au caractère, mais qui paraît échapper en grande partie à l’hérédité. Celle-ci peut tout au plus frayer une tendance de coordination à tels ou tels gestes, à tels penchants, à tels ou tels goûts. Mais la plupart des goûts semblent entièrement dépendre d’habitudes, dues au milieu et à l’éducation.
Les besoins et leurs impulsions, venus des organes divers de l’organisme et plus ou moins réglés par leur fonctionnement, en particulier par celui des glandes endocrines, ont leur centre dans ces régions du cerveau, encore mal explorées, tronc cérébral, mésencéphale, diencéphale, où s’étagent les réflexes permanents et innés, tandis que les réflexes temporaires, variables, acquis au cours de la vie individuelle, et que Pavlof a étudiés sous le nom de réflexes conditionnés, se situent dans l’écorce cérébrale.
Les goûts se conduisent comme des réflexes conditionnés qui s’établiraient dans le champ du désir. Ils orientent les désirs, ils les différencient, ils les affirment. Ils deviennent des habitudes.
Le besoin crée la faim, la curiosité, etc…, par conséquent le désir de manger ou celui de savoir. Pour un être indifférent ou pour un être affamé tout est bon pour assouvir le désir. Il n’est pas difficile pour la cuisine. Les clients des maisons de tolérance sont de cette même catégorie.
Le goût est indifférencié chez les tout jeunes enfants ; le nourrisson avalera de l’huile de foie de morue sans répulsion. De même la curiosité diffuse du jeune enfant n’est pas un goût ; elle ne le devient que lorsqu’elle commence à se spécialiser. Mais, de bonne heure, les goûts se précisent. Bientôt, les enfants acceptent difficilement tout aliment qui n’est pas de leur menu habituel. Comme les primitifs, ils ont de la répugnance pour tout ce qui leur est nouveau. Dans un autre domaine, ils ne se lassent pas de se faire raconter les mêmes histoires, mais ils n’acceptent pas les variantes, etc…
Plus tard encore, avec l’expérience, avec la possibilité de comparaisons plus étendues, les goûts prennent une extension plus grande et plus variée. De nouveaux réflexes naissent, c’est-à-dire de nouvelles coordinations. L’entraînement sportif amène un adolescent de faible complexion et qui n’avait aucun enthousiasme pour les exercices physiques à prendre goût à l’activité musculaire. L’entraînement amène l’accoutumance et même le besoin. Un enfant, après avoir fait la grimace devant du vin pur ou du fromage fort, en reprendra sans doute pour faire comme les grandes personnes. Même remarque pour le gamin qui se met à fumer malgré son dégoût, afin d’être « un homme ».
Donc les goûts ont assez souvent l’imitation pour point de départ. C’est pourquoi l’imitation a une grande importance, elle peut orienter l’individu dans des habitudes dont il pourra difficilement se déprendre.
La culture tend à l’affinement des réflexes conditionnés.et, en même temps, à leur différenciation, qu’il s’agisse de goût sexuel, de goût esthétique, de goût intellectuel ou de goût moral. Dans le domaine artistique, la masse du public portera une admiration unanime à un tableau dont tout l’intérêt est anecdotique, et Diderot ne semble pas avoir dépassé ce stade. Avec un peu plus de raffinement, beaucoup de gens seront sensibles à la beauté des corps ; mais ne faut-il pas faire intervenir ici simplement le goût sexuel, d’où l’attrait d’une femme nue sur une chromo-lithographie ? Enfin quelques-uns seront sensibles à la ligne, au volume, au mouvement et surtout au jeu des couleurs.
Dans le goût sexuel, au fur et à mesure que la femme gagne indépendance et importance, qu’elle n’avait pas dans l’antiquité et qu’elle ne commence à conquérir qu’à partir du XI- siècle ou du XIIe siècle, à mesure aussi que le substratum sentimental se développe lentement par apports héréditaires dans le cerveau humain, l’amour s’enrichit d’une plus grande complexité. A l’attrait physique s’ajoute l’attrait sentimental, et dans la beauté d’une femme interviennent la distinction et l’intelligence.
Ainsi, au cours de l’évolution de l’homme et de l’humanité, le goût tend à s’affiner. Sauf en période de privation où l’affamé accepte n’importe quoi, le goût devient plus exigeant et prétend choisir. On n’a pas le temps de s’occuper de choisir quand la vie est très dure. Au point de vue moral on n’a pas le temps non plus, ni le souci de s’apitoyer sur son prochain. On s’habitue au spectacle de la souffrance, trop commun pour émouvoir. Il faut se défendre et défendre le groupe. D’abord vivre. C’est le régime de la brutalité, ce qui n’empêche pas l’amitié, surtout entre les compagnons du même âge, entre les compagnons d’armes, sorte d’égoïsme à deux, où l’homosexualité a quelquefois eu son influence.
Les arts ne sont nés, ainsi que la philosophie, la pitié et l’amour que lorsque la sécurité sociale a été tant soit peu assurée. Alors on commence à compatir aux souffrances et mêmes aux émotions intimes ou supposées d’autrui. L’ouvrier a le temps de soigner son travail, de se consacrer tout entier à sa besogne, d’y trouver la joie. On ne fait bien que ce qu’on fait avec goût. Un travail fait avec goût est un travail d’art. Ainsi nous arrivons à la définition de l’art donnée par Linert. L’art est l’effort de l’artisan, c’est un effort créateur, un travail fait avec amour, avec enthousiasme, avec émotion. D’où parfois la répugnance de l’artiste à se défaire de ses œuvres. Celles-ci n’ont de charme que pour ceux qui partagent, qui acceptent ou qui comprennent le plaisir et l’effort de l’ouvrier. C’est ce qui explique la pluralité des jugements sur les œuvres les plus sincères. C’est ce qui explique aussi que les profanes se laissent parfois séduire par un truquage qu’ils prennent pour un effort prestigieux, accompli avec amour.
Le goût donne l’affinement du plaisir, il donne toute sa plénitude à la vie, disons plus simplement aux fonctions vitales. Déjà on ne digère bien que ce qu’on digère avec goût (Pavlof). Avec le goût, la puissance génitale est augmentée ou réveillée. Avec lui, comme je viens de le dire, augmente l’habileté de l’ouvrier, et le travail d’artisan devient un travail d’art. Le goût est une véritable « activation » de la fonction cérébrale qui retentit sur tout l’organisme. A plus forte raison, dans le domaine intellectuel, le goût donne au travail de la pensée une force et une pénétration que ne saurait avoir la besogne faite sur commande.
Étant donné la multitude des ancêtres de chaque individu et la diversité des tendances parfois contradictoires dont il a hérité, étant donné la facilité du passage de l’une à l’autre des coordinations cérébrales au moindre excitant, ce sera l’influence de l’éducation et du milieu qui favorisera telle ou telle tendance héritée. Mais cette influence est souvent diverse et contradictoire, elle aussi ; et les réflexes conditionnés, acquis au cours de la vie individuelle, autrement dit les goûts, se greffent sur le tempérament, les instincts et les tendances, au hasard des circonstances.
La personnalité humaine est multiple, variable et incohérente. Il y a donc une très grande différence des hommes aux abeilles et aux fourmis, qui sont, elles aussi, des animaux sociétaires, mais qui forment des sociétés simples, à habitudes enracinées, à instincts fixés, sans grande complexité, où les actions sociales ont un caractère presque fataliste. Dans toutes les espèces animales, l’individu n’a relativement à l’homme qu’un cerveau très simple, très réduit, et qui, par le développement rapide de l’animal, est tout de suite fixé dans les instincts. Dans l’espèce humaine, la longueur de l’enfance pendant laquelle s’emmagasinent des réflexes conditionnés (acquis), multiples et variés, permet aux individus d’échapper en partie à l’emprise des habitudes héréditaires (instincts), qui sont elles-mêmes beaucoup plus diverses que dans les autres espèces.
Déjà, pour les chiens, Pavlof n’en a pas trouvé deux qui réagissent de la même façon au même excitant. Les différences sont encore plus marquées entre les hommes, car ils sont encore plus sensibles à la complexité des phénomènes et sont davantage soumis aux hésitations.
Ce sont les hésitations et même les incohérences qui sont le fondement de notre liberté, à condition que les incohérences soient floues et variables et non pas fixées dans des marottes, ce qui nous permet d’échapper au déterminisme rigoureux d’un caractère où la dominante serait trop fortement accusée.
Le raisonnement intervient pour régulariser les incohérences dans la mesure du possible, dans la mesure de l’adaptation au milieu. La culture donne au raisonnement des facilités d’investigation et de critique et prépare un meilleur choix. L’affinement des goûts, et spécialement des goûts moraux, nous soustrait à la domination brutale des impulsions.
Le refoulement des impulsions est une nécessité créée par la vie en commun. C’est l’origine tout à fait lointaine de la morale.
La doctrine épicurienne, fondée sur la recherche du plaisir, peut aboutir à un individualisme anti-social, car la recherche du plaisir brut laisse l’homme soumis aux impulsions égoïstes de ses désirs. Mais une morale sociale, morale spontanée et sans contrainte, peut très bien être fondée sur les goûts. Le summum du plaisir n’est atteint qu’avec la participation de l’être entier. Le plaisir de la table, par exemple, demande, pour être complet, non seulement l’excellence de la cuisine, mais aussi qu’on soit assis commodément, dans une salle chauffée ou rafraîchie suivant la saison, qu’on soit en bonne disposition d’esprit, sans soucis, sans préoccupations morales à l’égard de soi ou d’autrui, et qu’on se trouve en compagnie de joyeux convives et amis. La partie affective devient encore plus grande et souvent prépondérante dans le plaisir sexuel. En général, le plein épanouissement du plaisir ne peut se faire chez l’immense majorité des humains, sauf les pervers, qu’avec la participation des goûts moraux.
Si la prédominance des goûts moraux s’établit peu à peu, c’est d’abord et avant tout parce que l’affinement moral s’ajoute aux autres plaisirs pour les exalter, donc pour augmenter la volupté. L’affinement des goûts moraux consiste essentiellement dans l’affinement de l’affectivité.
L’affinement moral n’entraîne pas la faiblesse du caractère. Au contraire. Un être affiné ne se laissera pas entraîner à passer outre à la répugnance des goûts moraux. Il y a des choses qu’il ne pourra pas faire. L’affinement moral va avec la fermeté du caractère et une certaine estime de soi.
En résumé, la masse des réflexes hérités et acquis forme une personnalité plus ou moins bien équilibré, plus ou moins influençable, ayant une conscience morale plus ou moins différente de celle des autres humains, donc ayant un jugement et un comportement différents. Personnalité d’autant plus tenace dans son jugement et dans son comportement que ces goûts moraux sont plus affinés. L’harmonie sociale ne saurait se réaliser que dans la liberté et grâce au développement des goûts affectifs. Un dictateur peut entraîne temporairement une foule amorphe et aux réflexes indifférenciés et établir son pouvoir à la faveur d’une crise sentimentale collective. Il ne pourra tenir dans la suite qu’avec des mesures de terreur policière. L’opposition grandira d’autant plus vite qu’il y a, dans la masse, plus d’individus évolués et avec des goûts moraux plus affinés. L’homme aspire à la liberté. − M. Pierrot.