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Encyclopédie anarchiste/Terre - Thaumaturge

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Collectif
Texte établi par Sébastien FaureLa Libraire internationale (p. 2748-2757).


TERRE n. f. Proviendrait du sanscrit « tars ». C’est le nom donné au sol sur lequel on marche ; c’est aussi celui de la planète habitée par l’homme, la troisième dans l’ordre des distances au soleil.

La terre est une des neuf planètes principales appartenant au système solaire et gravitant comme des compagnes autour du soleil. Quoiqu’elle soit la plus grosse des quatre planètes inférieures, elle n’est qu’un point dans l’immensité et un des plus petits astres parmi les innombrables mondes parsemant l’infini.

C’est un globe de forme sphérique entièrement isolé dans l’espace. Mais sa forme n’est pas parfaitement sphérique ; c’est un ellipsoïde de révolution aplati aux pôles et renflé à l’équateur. Cette forme lui a été imposée lors de sa formation, alors qu’étant à l’état pâteux, la force centrifuge développée par le mouvement de rotation a précipité les matériaux vers l’équateur. Son aplatissement peu marqué est de 1/2979e. Son diamètre équatorial est de 12.756 kilomètres. Son diamètre polaire vaut 12.712 kms. La circonférence du globe passant par les pôles est de 40.008 kilomètres, tandis que sa circonférence équatoriale est égale à 40.076 kilomètres. Sa surface dont les trois-quarts sont occupés par les eaux est de 510.082.700 kilomètres carrés et son volume s’élève à 1.083.260 millions de kilomètres cubes. En disant qu’un kilomètre cube vaut 420 fois le volume de la grande pyramide d’Égypte, nous aurons une idée matérielle du volume de notre terre, tributaire du soleil 1.300.000 fois plus gros qu’elle. La terre est animée de treize mouvements différents. Parmi ceux-ci, deux ont des conséquences immédiatement sensibles à notre appréciation et doivent, de ce fait, retenir particulièrement notre attention. Le premier de ces mouvements est la rotation du globe sur lui-même. La terre étant sphérique, elle n’est, comme toute sphère illuminée par une sphère lumineuse, qu’à moitié éclairée par le soleil. Par suite de ce mouvement, chaque point de la surface terrestre passe donc alternativement dans la partie éclairée et dans la partie obscure, nous donnant ainsi la succession du jour et de la nuit. Ce mouvement de rotation s’accomplit en 23 heures 56 minutes 4 secondes 091 et s’effectue d’Occident en Orient. Il produit aussi le mouvement diurne apparent de la voûte céleste et donne la mesure constante du jour sidéral, base de la mesure du temps. Le second mouvement de la terre auquel nous devons nous arrêter est le mouvement de translation. La terre décrit annuellement autour du soleil une ellipse dont le centre de cet astre occupe un des foyers. Cette route elliptique qu’elle suit dans l’espace se nomme orbite et son rayon moyen est de 149.500.000 kilomètres. La terre parcourt son orbite d’Occident en Orient en 365 jours 6 heures 9 minutes 9 secondes 15, avec une vitesse variable dont la moyenne est 29 kilomètres par seconde et telle que le rayon qui joint la planète au soleil décrit des aires égales dans des temps égaux (deuxième loi de Kepler). Ajoutons que l’axe idéal autour duquel la terre effectue sa rotation est incliné par rapport au plan suivant lequel il circule autour du soleil. Cet axe fait un angle de 23° 27’avec la verticale au plat de l’orbite. Cette inclinaison détermine les saisons et les inégales durées des jours aux diverses latitudes.

La densité moyenne des matériaux dont la terre est constituée est de 5,5, c’est-à-dire cinq fois et demi celle de l’eau. Elle va en croissant de la surface au centre ce qui porte à croire, quoique les matières qui composent les différentes parties de la croûte superficielle aient une densité voisine de 2,5, que la partie centrale de la terre se trouve constituée par des matières métalliques à l’état de fusion et soumises à des pressions énormes. Nous pouvons donc considérer notre planète comme une sphère de matières en fusion entourée d’une croûte solide dont l’épaisseur est d’environ 70 kilomètres. Cette épaisseur est proportionnellement moins grande que celle de la coquille d’un œuf par rapport au diamètre de celui-ci. Le plus étonnant est que cette fragile écorce ne soit pas plus bouleversée, plus secouée, qu’elle ne l’est par des séismes ou des éruptions volcaniques.

Notre globe est enveloppé d’une couche gazeuse dans laquelle nous sommes immergés et au fond de laquelle nous respirons et vivons. Cette couche gazeuse appelée l’atmosphère est composée de gaz (oxygène, azote, acide carbonique, hydrogène, argon, néon, krypton, xénon, hélium) et de vapeur d’eau qui s’élève constamment des océans, des lacs, des eaux courantes. C’est à cette atmosphère dont la hauteur effective est de 80 kilomètres environ que nous empruntons, par l’acte de la respiration, l’air qui nous fait vivre. C’est elle, qui n’étant pas absolument transparente, colore d’azur la voûte céleste et nous empêche de voir les étoiles en plein jour. Son rôle est considérable. C’est elle qui transporte l’eau nécessaire à la vie végétale et animale ; qui amène les nuages ; c’est dans son sein que se forment et se détruisent les orages, les tempêtes, les cyclones ; c’est à la circulation des masses gazeuses que nous devons tous les phénomènes de la vie depuis les splendeurs de l’aurore jusqu’à la fertilité des terres produisant la nourriture et la vêture de l’homme ».

Notre planète vit encore d’une vie astrale que nous ne comprenons pas très bien. Des courants magnétiques et électriques à peu près parallèles et dirigés de l’est à l’ouest la parcourent sans cesse. Dus à l’action calorifique et magnétique du soleil, ces courants affolent l’aiguille aimantée et produisent divers phénomènes parmi lesquels il convient de citer les aurores polaires, les variations magnétiques et les orages magnétiques.

La terre est divisée en deux parties bien distinctes : le domaine des eaux et celui des terres émergées. Les terres occupent 136 millions et demi de kilomètres carrés et forment trois continents : l’ancien continent, le nouveau continent et le continent austral. Ceux-ci se divisent en cinq parties nommées « parties du monde » et qui sont : l’Europe, d’une étendue d’environ 10 millions de kilomètres carrés ; l’Asie occupant 44 millions de kilomètres carrés ; les deux Amériques ayant une surface de 42 millions de kilomètres carrés ; l’Afrique, s’étendant sur 30 millions de kilomètres carrés et l’Océanie se répartissant sur une étendue de 9 millions de kilomètres carrés.

L’écorce terrestre n’est pas lisse, elle présente un ensemble de creux et de saillies auxquelles on donne le nom de relief. Les saillies peuvent atteindre des altitudes considérables, le point culminant de la terre s’élevant à 8.840 mètres au-dessus du niveau de la mer (pic Everest) et les creux ont, dans leur plus grande profondeur reconnue, 9.636 mètres (mesurée dans le Pacifique entre les îles Mariannes et les Carolines). Les montagnes sont les parties les plus hautes du relief. Citons en Europe, les Alpes, les Pyrénées, les Karpathes, les Monts Caucase et Oural. En Afrique, mentionnons : l’Atlas, les monts Abyssins et le massif équatorial. En Asie, nous remarquons le Liban, le Taurus, le Pamir et l’Himalaya, la plus haute chaîne de montagnes de la terre. En Amérique, nous trouvons la chaîne des Cordillères et le massif des Andes. En Océanie, il convient de citer le massif de Bornéo celui de la Nouvelle-Zélande, les monts des îles Hawaï, les massifs de l’Australie. Malgré ces saillies énormes et ces creux profonds, notre globe est proportionnellement plus uni qu’une écorce d’orange ; à la vérité, il est aussi lisse qu’une boule de billard puisque ces hauteurs et ces profondeurs qui nous semblent énormes ne sont que la 1.500e partie du diamètre terrestre.

L’effet produit par l’inclinaison de l’axe terrestre a fait partager la terre en cinq zones :

1° La zone torride ou équatoriale, située de part et d’autre de l’Équateur jusqu’aux Tropiques, à 23° 27’ de latitude et qui comprend tous les points de la Terre où le Soleil passe au zénith à certains moments de l’année ;

2° Les deux zones tempérées situées entre la zone tropicale et les zones glaciales ;

3° Les deux zones glaciales tracées autour des pôles à la latitude de 66° 33’. La zone torride embrasse les 40/100e de la surface totale du globe ; les deux zones tempérées les 52/100e soit plus de la moitié de l’étendue de la planète et les deux zones glaciales les 8/100e. On conçoit que le climat, c’est-à-dire l’action combinée de la température, des vents, des pluies et du relief du sol diffère d’un point à l’autre de la terre. Dans la zone équatoriale où se trouvent les régions les moins influencées par le balancement de l’axe, la température est à peu près fixe et oscille autour de 25 degrés au-dessus de zéro pendant toute l’année. Dans les régions tempérées, zones les plus favorables à l’établissement et au développement de l’espèce humaine, la moyenne de la température est de 10 degrés pour les climats dits réguliers ou marins et de 15 degrés pour les climats appelés continentaux. Quant aux zones glaciales, régions inhospitalières où, pendant un court été de trois mois, le soleil réchauffe parcimonieusement un sol glacé, le thermomètre dépasse rarement 0 degré pour descendre, pendant les longs hivers, à 45 degrés sous 0 en moyenne !

Il convient de remarquer que les indications qui précèdent ne doivent pas être prises à la lettre : la température d’un même lieu pouvant présenter des variations excessives. Les écarts de température observés à la surface du globe peuvent être énormes. Ainsi on a noté, dans le Sahara, les températures de +51° à l’ombre et, dans le voisinage de la Mer Rouge, +56°. Le thermomètre à minima a, par contre, enregistré, à Verkhoïansk en Sibérie Orientale, en décembre 1893, une température de -71° ! Notons qu’il s’agit, ici, des températures extrêmes de l’atmosphère dans lesquelles l’homme est appelé à vivre et que les dernières ne sont jamais accompagnées de vent, car, alors, nulle créature humaine ne résisterait à ces froids intenses.

Notre Terre est vieille, bien vieille. Elle a derrière elle un passé d’une durée telle que les évaluations de la Bible, concernant l’âge de la terre, ne méritent même plus une réfutation, tant ils sont en contradiction avec les acquisitions les plus récentes de la science moderne. A l’origine, notre planète était incluse, ainsi que les autres terres du système solaire, dans la nébuleuse originelle s’étendant bien au-delà de l’espace occupé par le système solaire tout entier. Formée de matière obscure et très dispersée, mais qui se condensa progressivement, la nébuleuse s’échauffa lentement et devint peu à peu lumineuse. Des condensations diverses, des mouvements tourbillonnaires la transformèrent en une seule sphère lenticulaire et la masse entière se mit à tourner avec une vitesse prodigieuse autour d’un axe idéal unique. Conformément aux lois de la force centrifuge, cette masse prit une forme sphéroïdale telle que celle de la terre, puis la région correspondant à la zone équatoriale s’est, à des époques successives, détachée en formant une série d’anneaux comparables à ceux de la planète Saturne ; anneaux continuant leur mouvement de rotation en s’éloignant de la masse dont ils sont issus. Chacun de ces anneaux finit par se briser et sa matière se concentra en un sphéroïde qui, tournant sur lui-même, accomplit un mouvement de translation autour de la masse centrale. Ainsi fut formée la Terre par la condensation lente d’un anneau gazeux détaché de la nébuleuse solaire. Ainsi condensée, échauffée par le choc incessant des matériaux qui la composent, la Terre brilla pendant des millénaires, soleil éblouissant dans la sombre nuit des espaces. De gazeuse, elle devint liquide, se couvrit de taches, puis une croute solide se forma qui subit des bouleversements et des cataclysmes formidables pour s’affermir enfin lentement et devenir apte à recevoir les eaux et se peupler d’êtres vivants. on divise l’histoire de la terre en quatre parties, à savoir :

1° L’âge primaire, qui se compte à partir de l’époque à laquelle la Terre est devenue habitable. A l’âge primaire, l’écorce à peine refroidie est bouleversée par la surrection d’énormes chaînes de montagnes ; de nombreux volcans s’allumèrent et une température élevée permit la croissance d’immenses forêts qui, fossilisées, sont devenues la houille que nous utilisons. A l’âge secondaire, qui lui succéda, des splendides conifères et des sauriens gigantesques firent leur apparition et atteignirent leurs pleins développements. La troisième époque, l’âge tertiaire, fut troublée par la surrection des chaînes de montagnes actuelles et un réveil intense du volcanisme. A l’âge quaternaire, la terre prit la forme qu’elle a encore actuellement et l’espèce humaine fit son apparition. Diverses estimations, toutes concordantes, fixent l’âge de notre globe à près de deux milliards d’années. L’âge primaire paraît avoir occupé, à lui seul, les 75% du temps qui s’est écoulé depuis l’instant où la Terre est devenue habitable ; l’époque secondaire les 19% suivants ; l’époque tertiaire 6% seulement et l’époque quaternaire occupe à peine 1% dans l’échelle des temps.

Notre Terre est née, elle mourra ! D’abord elle est soumise à des causes continuelles de destructions, d’usure. L’eau de pluie, l’eau solide, le vent, l’action des vents et des organismes vivants tendent constamment à détruire le relief du sol et à transformer la Terre en une immense plaine nivelée. Quoique d’autres forces : soulèvement des continents, apports alluvionnaires des fleuves, îles coralliennes, essaient de reconstruire ce que les premières font disparaître, les forces destructives l’emportent et finiront par faire disparaître le relief émergé de notre planète. Ensuite elle est condamnée à une mort inévitable, soit par l’absorption lente de ses éléments vitaux (air et eau), soit par l’extinction du Soleil. Il arrivera un jour où la Terre sera devenue un immense champ de glace qui tournera, tombe planétaire, autour d’un Soleil moribond, jusqu’au moment où le système solaire sera, tout entier, rayé du livre de la vie ! On évalue à six millions d’années le temps que doit encore durer notre globe avant de n’être plus qu’une immense tombe.

La vie de notre planète se manifeste par les plantes qui embellissent sa surface ; par les animaux qui la peuplent, par l’homme qui l’habite. La population de notre globe est évaluée à près de deux milliards d’individus, répartis sur toute la surface émergée. Parmi ceux-ci, il est des familles de peuples plus civilisées, plus cultivées que d’autres, mais toutes sont faites pour la liberté et cette liberté, hélas !, peu la comprennent et la désirent. Les barrières que les préjugés et les vues intéressées ont élevées entre les peuples et les hommes doivent disparaître et l’humanité tout entière doit, sans distinction de races, de nations et de religions, être considérée comme une immense famille de frères, comme un corps unique marchant vers le même but : le libre développement des forces morales. Elle doit coloniser la terre pour en faire un jardin d’Éden que les rêves de nos pères avaient placé au début de l’histoire humaine et qui se trouve, en réalité, dans le futur. Demain, les hommes, plus humains, plus fraternels, auront peut-être compris que leur bonheur est dans la fraternité et dans la liberté et cesseront de se haïr et de s’opprimer au nom d’une morale fausse autant qu’archaïque, de principes vénéneux échappés des âges d’ignorance et d’intelligence, pour construire un monde nouveau. Lorsque l’espèce humaine descendra dans le sommeil final, espérons que l’histoire des hommes ne sera pas qu’une page sanglante de luttes, de crimes et d’angoisses, ainsi qu’elle l’a été jusqu’à présent mais qu’elle comportera aussi le récit de lutte ardente mais noble, pour la conquête de l’indépendance matérielle, morale et intellectuelle pour tous les fils de la Terre. — Charles Alexandre.


TERRORISME n. m. La terreur est une crainte poussée à un très haut degré, une peur d’une intensité exceptionnellement grande. On appelle terrorisme le système de gouvernement qui s’appuie sur la terreur pour contraindre les membres d’une collectivité à l’obéissance. Mais c’est arbitrairement que l’on réserve ce terme à de très rares périodes de l’histoire. En réalité, la peur fut toujours, et demeure, à notre époque, le principal moyen d’action de l’Autorité. « Avec raison, les anciens choisirent comme symboles du pouvoir suprême des instruments de supplice et de mort. Sans le gendarme, le geôlier et le bourreau, un chef d’État perdrait sa flamboyante auréole ; force et contrainte, voilà les attributs essentiels qui caractérisent l’autorité. Inopérantes seraient la pompe carnavalesque dont les souverains s’entourent, la superbe orgueilleuse de leurs discours, toute la mythologie profane ou sacrée dont s’enveloppe leur personne, si derrière ce somptueux décor l’on n’entrevoyait prisons, bagnes, guillotine, chaise électrique, corde pour la pendaison. A un degré moindre, ceci reste vrai de quiconque détient une parcelle d’autorité, même minime. Percepteur, douanier, garde champêtre ne sont obéis, dans l’exercice de leur fonction, que par crainte des peines qui frappent le récalcitrant. Pouvoir gouvernemental, puissance administrative, se ramènent à une question de force et reposent sur la peur. Toute infraction aux ordres des chefs, aux prescriptions du code, aux lois édictées par les parlements, entraîne des représailles ; la police, voilà l’institution fondamentale qui permet à l’État de subsister. » (En marge de l’Action). Mais nous reconnaissons que la peur inspirée par les chefs comporte des degrés, qu’un gouvernement peut être plus ou moins tyrannique, plus ou moins respectueux de la vie et de l’indépendance des individus. Toutefois, même si l’on préfère, au point de vue historique, limiter le terrorisme gouvernemental à certaines époques particulièrement sanglantes, il faut reconnaître que les écrivains officiels font preuve d’une insigne partialité dans l’étude de ces époques tragiques. Chez nous, par exemple, ils racontent avec un grand luxe de détails les crimes de Robespierre et de ses partisans, mais parlent à peine des meurtres commis par les royalistes au début de la Restauration, ou de la répression qui suivit le coup d’État du 2 décembre 1851, ou encore du massacre des Communards, ordonné par le gouvernement de Thiers.

La Terreur Blanche débuta à Marseille, le 25 juin 1815, par le meurtre de 200 personnes. A Avignon, l’on égorgea 300 prisonniers ; à Nîmes, 150 individus furent mis à mort en moins de deux mois. Des bandes royalistes, comme celles des Miquelets ou des Verdets, parcoururent la, vallée du Rhône et le bassin de l’Aquitaine, incendiant les maisons, égorgeant leurs adversaires politiques avec des raffinements de cruauté. Et les autorités locales laissaient faire, quand elles n’encourageaient pas les assassins. Bientôt, d’ailleurs, les violences et les meurtres furent organisés d’une façon parfaitement, légale. Sous prétexte d’empêcher tout complot contre l’autorité royale, les Chambres votèrent des mesures draconiennes. « Il faut des fers, des bourreaux, des supplices, s’écriait le comte de la Bourdonnaye. La mort, la mort seule peut mettre fin à leurs complots. Ce ne sera qu’en jetant une salutaire terreur dans l’âme des rebelles que vous préviendrez leurs coupables projets ». Dans chaque département, une cour prévotale jugea sans appel les accusés politiques, et ses sentences impitoyables étaient exécutoires dans les 24 heures. Les victimes furent nombreuses, les peines de mort et de bannissement étant distribuées à profusion.

Après le coup d’État, exécuté au profit du président Louis-Napoléon dans la nuit du lundi, 1er au mardi 2 décembre 1851, coup d’État organisé sous la haute direction du franc-maçon Morny et qui, en fait, marqua la fin de ! a Seconde République, un régime de terreur s’installa en France. Vainement, quelques braves dressèrent des barricades et, se firent tuer courageusement. Le 4, la troupe tira au hasard sur des femmes, des enfants, des citoyens inoffensifs qui se promenaient sur les grands boulevards de Paris. Un rapport officiel déclare qu’il y eut 26.800 arrestations ; en réalité, elles furent beaucoup plus nombreuses. L’état de siège fut proclamé dans 32 départements. Des commissions mixtes, composées du préfet, du procureur et d’un général, jugèrent les emprisonnés ; elles se montrèrent féroces. Le gouvernement reconnut qu’il avait déporté 9.581 personnes en Algérie et 239 en Guyane ; mais ces chiffres ne donnent qu’une faible idée de ce que fut la répression exercée par le président Louis-Napoléon. Devenu empereur, il continuera pendant de longues années à bâillonner complètement ses adversaires et à rendre impossible toute expression de la pensée indépendante.

Lorsque les troupes du gouvernement de Versailles pénétrèrent à Paris, le dimanche 21 mai 1871, après une héroïque résistance des Communards, elles commirent d’inqualifiables atrocités. Les soldats de Mac-Mahon, encouragés par l’ignoble Thiers, massacrèrent, sans nul souci de la justice ou de l’équité, quiconque leur semblait suspect. Un maire de Paris, qui n’était point du côté des rebelles, a déclaré : « J’ai la conviction profonde que l’on a fusillé plus d’hommes qu’il n’y en avait derrière les barricades. » Et les historiens bourgeois, dont la partialité est révoltante dès qu’il s’agit de la Commune, reconnaissent que 20.000 malheureux au moins furent sommairement exécutés par les Versaillais. Jusqu’en 1876, les conseils de guerre continuèrent de prononcer des milliers de condamnations à mort, au bagne, à la déportation. Et les assassins qui présidèrent à ces tueries occuperont longtemps les plus hautes charges de l’État. Ainsi, la Troisième République a débuté, tout comme la Restauration et le Second Empire, en installant un terrorisme de droite.

Aujourd’hui, la Terreur règne en maîtresse sur la plus grande partie de l’Europe : terreur rouge en Russie, terreur blanche en Italie, en Allemagne, en Autriche, en Hongrie, etc… L’installation d’une dictature marxiste en Russie provoqua, par contre-coup, une violente et durable réaction fasciste dans de nombreux pays. Après une tentative de révolution bolchéviste, la terreur blanche s’est installée en Hongrie avec le régent Horthy. En octobre 1922, Mussolini, aidé par les réactionnaires, par de nombreux francs-maçons et par des marxistes traîtres à la classe ouvrière, s’empara du pouvoir par un coup de force. Implacable a l’égard de ses adversaires, le duce ne s’est pas montré plus bienveillant. à l’égard de quelques-uns de ses anciens alliés, les francs-maçons par exemple. Mais il a baissé pavillon devant le pape et s’est fait le protecteur du catholicisme. La malheureuse Pologne étouffe sous la botte de Pilsudski, que les socialistes contribuèrent en 1926 à investir, sinon en droit du moins en fait, du souverain pouvoir. En Allemagne, Hitler et ses lieutenants sont les maîtres absolus du pays. Pour sa propagande, le chef des nazis avait reçu des sommes énormes de grands industriels allemands et même de capitalistes étrangers, de Schneider du Creusot par exemple. Ni les communistes, ni les socialistes, ni la franc-maçonnerie, ni les syndicats ouvriers ne se dressèrent contre le nouveau et tout puissant chancelier ; ils se soumirent dans l’ensemble, avec un empressement et une bassesse qui ne les honorent pas. Pour les récompenser de leur servilisme, Hitler a dissous leurs groupements et s’est emparé de leurs biens. Des mesures draconiennes ont été prises contre les juifs et contre tous ceux qui pensent autrement, que les nazis. La liberté de la presse est abolie ; les prisons regorgent ; les condamnations à mort pour crime politique sont fréquentes ; les camps de concentration sont remplis de suspects auxquels on inflige les supplices les plus raffinés. En Autriche, le pieux chancelier Dollfuss a fait massacrer les ouvriers courageux qui tentaient de lui résister. Approuvé par le pape, soutenu par Mussolini, il s’est révélé sanguinaire, dès qu’il a pu jeter sans danger le masque doucereux qui lui permit d’endormir ceux dont il méditait la perte. En Espagne, radicaux et socialistes ont égalé, surpassé même, dans le crime, le dictateur Primo de Rivera. Au Portugal, le terrorisme sévit pareillement, ainsi que dans les pays balkaniques où les souverains ont d’ailleurs toujours exercé une autorité tyrannique.

On voit qu’en fait de terrorisme, les hommes d’ordre, les soutiens de l’autorité détiennent le record. Mais, comble de l’hypocrisie, les écrivains bien-pensants affectent de ne songer qu’aux excès commis lors des révolutions populaires ou aux attentats dûs aux organisations ou aux individus d’avant-garde, lorsqu’ils parlent de terrorisme. Ces excès, ces attentats sont pourtant bien peu de chose à côté des crimes innombrables et monstrueux que perpètrent, chaque jour, au nom de la loi et de la morale, les séides du Pouvoir. Simples ripostes aux attaques injustifiées de chefs inhumains, ces actes de désespoir s’expliquent sans peine, hélas ! Et le droit de légitime défense les justifie en bien des cas. Celui qui se résigne à toutes les servitudes mérite le mépris, en effet. — L. Barbedette.


TERTIAIRE adjectif (Du latin tertius, troisième, qui occupe le troisième rang.) Terme de botanique : pédoncule tertiaire : second degré de ramification d’un pédoncule composé. Se dit aussi du rameau de la branche qu’émet ce pédoncule.

Géologie. — Ère tertiaire : troisième époque géologique. On appelle Ère tertiaire, la troisième des grandes divisions de l’histoire de la terre (voir ce mot). L’ère tertiaire se situe immédiatement après l’ère secondaire et précède l’ère quaternaire, celle que nous vivons actuellement et qui a vu apparaître et se développer l’espèce humaine. L’ère tertiaire se divise en deux grandes périodes ou systèmes : la période éogène et la période néogène. Celles-ci se subdivisent à leur tour en époques ou séries ; les époques éocènes et oligocènes pour la période éogène ; les époques miocènes et pliocènes pour la période néogène.

C’est durant l’âge tertiaire que la terre prit l’aspect que nous lui connaissons aujourd’hui ; car c’est au début du tertiaire que les conditions physiques du globe, et par suite, les conditions biologiques commencèrent à se différencier, annonçant l’aurore d’un âge nouveau. Jusqu’à la fin du secondaire, les climats avaient, sur toute l’étendue du globe, un caractère frappant d’uniformité, ainsi que l’atteste l’identité de la faune et de la flore. La nouvelle époque géologique va connaître les zones de climat et se caractérisera par de nombreuses modifications.

Le régime fluvial a acquis, durant le tertiaire, une puissance encore inconnue. De grands fleuves amèneront, des continents aux mers, des alluvions considérables. A différentes reprises, de nombreuses oscillations du sol, auront pour conséquence, des retraits et des envahissements de la mer qui modifieront complètement l’aspect des régions émergées. De plus, le sol sera bouleversé par de puissants soulèvements. C’est à l’âge tertiaire que les montagnes des Pyrénées, des Alpes, des Carpates, de l’Himalaya se sont formées ou ont achevé de se former. La surrection des Pyrénées a eu lieu à l’époque éocène, celle des Alpes à l’époque miocène. C’est aussi durant cette époque que le volcanisme, en repos depuis la fin de l’ère primaire, va se réveiller et se manifester avec une extraordinaire intensité, dans toutes les parties du monde. En Europe, la plaine centrale d’Allemagne, la Hongrie, la Transylvanie, l’Auvergne et le Plateau central, l’Italie seront les régions où ces manifestations seront les plus actives.

A la fin du secondaire, trois vastes continents se partageaient la surface du globe. Le premier, le continent Américain boréal ou Nord-Atlantique, comprenait une grande partie de l’Océan Atlantique nord et presque toute l’Amérique Centrale, le nord et l’ouest de l’Amérique du Sud, s’étendait sur une partie de la place occupée par l’Atlantique Équatoriale, couvrait l’Espagne, une partie de l’Afrique du nord, l’Italie, la Turquie, la Grèce, l’Asie Mineure, la Perse, l’emplacement de l’Himalaya et s’étendait jusqu’en Chine. Au sud de cette mer existait le continent Brésilien-Africain qui comprenait la partie émergée de l’Amérique du sud, la partie méridionale de l’Océan Atlantique jusqu’aux Indes, en embrassant toute l’Arabie et toute l’Afrique, à l’exception des États du Nord qui étaient encore sous les eaux.

A l’Est de ce dernier continent s’étendait la troisième partie du monde, le continent Australien comprenant l’Asie orientale, les Indes orientales, l’archipel indien, la Nouvelle-Hollande jusqu’à la Nouvelle-Zélande. Il embrassait, au nord, le Japon et une partie de la Chine actuelle et se prolongeait à l’ouest par deux presqu’îles séparées par une mer étroite d’une grande île située en Asie Centrale. L’Europe n’était qu’un vaste archipel où se remarquait la grande île scandinave qui s’étendait des îles Féroé jusqu’au fond de la Finlande, sur toute l’étendue de la Scandinavie et de la mer Baltique. Un vaste continent, occupant une grande partie de l’Océan Pacifique, était, depuis le jurassique, en voie de s’effondrer définitivement sous les eaux.

C’est en comparant une carte du monde actuel avec celle que nous pourrions tracer des terres émergées au début du tertiaire, que nous pourrions facilement nous rendre compte des changements importants qui se sont produits dans la répartition des terres et des mers depuis le commencement de la troisième période géologique. Les plus importants sont : 1° La formation du Pacifique par l’effondrement définitif du continent Pacifique déjà très morcelé à la fin de l’âge secondaire ; 2°La formation du continent américain par le soulèvement de l’Amérique centrale unissant le nord et le sud du continent américain actuel et formant une barrière entre l’océan Pacifique et l’océan Atlantique ; 3° La formation définitive de ce dernier qui recouvre une grande partie de l’ancien continent Nord-Atlantique et du continent Brésilien-Africain, Cap Vert, Sainte-Hélène et Saint-Paul ; 4° La formation définitive du continent asiatique qui, graduellement, prend la forme que nous lui voyons aujourd’hui, en même temps que son système montagneux se développe. En Europe les changements ne sont pas moins importants : formation de la Méditerranée actuelle ; soulèvement des Pyrénées, des Alpes ; diminution graduelle de l’espace occupé par la mer du nord ; et en Afrique, soulèvement des monts Atlas isolant de l’Europe, l’Afrique toute entière. Ce vaste mouvement géologique ne s’est accompli généralement très lentement et s’est réparti sur toute la durée des temps tertiaires. Il a été accompagné d’une modification radicale de la faune et de la flore, qui ont évolué en se modifiant sans cesse, jusqu’aux formes actuelles.

Au début de l’âge tertiaire, les zones tropicales n’étaient, pas encore nettement différenciées. A côté de nos chênes, de nos noyers, de nos érables, on pouvait voir s’élever, lauriers, magnolias, figuiers, palmiers et cocotiers. Au point de vue botanique, la période éogène peut se diviser en trois époques : l’éocène inférieur, avec les arbres que nous venons de citer et dont la présence simultanée sur tout le globe atteste que le climat était celui de la zone torride nord sur la majeure partie dl’l’étendue de la planète ; l’éocène supérieur, qui témoigne d’une recrudescence de chaleur et l’oligocène qui marque, par la prédominance des arbres à feuilles caduques, l’apparition des saisons. La terre était couverte de forêts immenses composées d’essences les plus variées et d’une végétation herbacée excessivement florissante. A la période néogène, la végétation prit l’aspect que nous lui connaissons et marque, par la composition des forêts qui continuent à orner la surface de la terre, le retour périodique de saisons, alternativement chaudes et froides.

La faune, elle aussi, subit des changements profonds et définitifs durant l’ère tertiaire. Les mammifères qui, apparus durant le secondaire, avaient cédé le pas devant les gigantesques créations du second âge du monde, vont évoluer rapidement et conquérir la suprématie sur tout le règne animal. Au début de l’époque éogène, les nummulites, les foraminifères envahissent les mers pour disparaitre à l’époque oligocène. Parmi les mollusques, les lamellibranches et les gastéropodes pullulent. La classe des poissons atteint un grand développement : plus de deux cents espèces ont été identifiées, rien que dans la formation éocène. Les reptiles sont encore nombreux, mais les dinosauriens terrestres, les sauriens aquatiques ainsi que les ptérosauriens sont disparus ; seuls, les crocodiles, les lézards, les tortues et les serpents sont en grand nombre. Les insectes se multiplient et atteignent leur apogée : coléoptères, hémiptères, névroptères, diptères sont largement représentés. Les oiseaux se dégagent définitivement des reptiles et prennent tout leur développement pendant la période miocène. Les hirondelles, les cigognes, les cormorans, les oies et beaucoup d’oiseaux aquatiques existent et voisinent avec des espèces disparues, dont certaines, tels les gastornis, mesuraient deux fois la taille d’un homme.

Mais, comme nous l’avons fait remarquer, ce sont les mammifères qui caractérisent l’ère tertiaire. Issus des marsupiaux du jurassique et des protothériens, plus anciens encore, les mammifères se sont multipliés avec une rapidité inconcevable. Les ongulés dominent à l’époque éogène ; les pachydermes se rapprochant plus ou moins des tapirs, des rhinocéros, des chameaux, dominent paléothériums, lophiodons, anoplothériums, adapis, etc… Les premiers carnassiers et les rongeurs existent également et bientôt atteindront leur apogée.

A l’âge néogène, la faune se rapproche beaucoup de la faune actuelle qui compte encore environ 90% des types de cette époque. Les insectes sont arrivés dans leurs formes à la perfection après avoir, pour la plupart, traversé les âges géologiques précédents, sans éprouver de grands changements dans leurs structures. Les poissons, les amphibies, les reptiles ne sont pas tout à fait identiques aux espèces actuelles mais s’en rapprochent de plus en plus. Les mammifères atteignent, au miocène, leur apogée : zeuglodons, dinothériums, hipparions (ancêtres directs du cheval), machairodus, etc… Tous les ordres sont représentés : pachydermes, carnassiers, chéiroptères, amphibies, rongeurs, etc… Les édentés prennent une extension extraordinaire au pliocène. Les carnassiers pullulent : tous les groupes de carnassiers plantigrades et digitigrades sont reliés par une série continue de transition et ils font leur proie de gigantesques herbivores dont la terre est peuplée. Les ongulés et parmi eux l’hipparion, atteignent leur développement maximum à l’époque pliocène. Les ruminants apparaissent dans le miocène, atteignent leur apogée au pliocène et supplantent définitivement, par le nombre et la diversité des groupes, les autres ongulés. Le genre des éléphants qui se réduit aujourd’hui à deux espèces, était très riche au tertiaire. Citons le ganessa, précurseur immédiat du mammouth ; le gigantesque mastodonte qui est le type de transition conduisant à l’éléphant actuel et le monstrueux dinothérium, le plus grand des mammifères connus. Mais ce qui fut particulier à l’âge tertiaire, ce fut l’apparition des véritables singes. L’époque éocène vit apparaître les lémuriens ou prosimiens, êtres intermédiaires entre les chéiroptères et les singes. Les véritables singes apparaissent à l’époque suivante et vers le milieu du miocène, les principales variétés de singes existent et parmi elles, les singes anthropomorphes desquels l’homme est issu.

Avec l’oligocène qui voit finir l’âge tertiaire, la terre a pris la forme que nous lui connaissons ; la faune et la flore ne contiennent plus que les types d’animaux et de végétaux actuels. Les dernières espèces fossiles vont bientôt mourir et l’âge quaternaire, qui succédera au troisième âge du monde, verra la bête humaine naître et se développer pour conquérir toute la terre avec son intelligence, et affirmer sa prédominance sur le monde animal. L’ère de la pensée va bientôt commencer et ajouter un fleuron magnifique aux créations antérieures de la nature. — Charles Alexandre.


TEST n. m. Qu’est-ce qu’un test ? Une définition précise et complète est difficile. Les tests ont d’abord été seulement des épreuves objectives destinées à mesurer le développement mental, les aptitudes ou les connaissances acquises par les individus (enfants, adultes). Actuellement, les applications de la méthode des tests sont telles que le sens de ce mot s’est considérablement étendu.

Pour indiquer clairement ce qui caractérise les tests, il est indispensable de les comparer aux examens.

Prenons comme exemple le plus simple et le plus répandu de ceux-ci : le certificat d’études primaires. En 1933, les candidats à cet examen qui se présentaient à Amplepuis (Rhône), eurent à subir l’épreuve de dictée et les questions qui suivent :


« La timidité. — La timidité est une infirmité chronique commune à l’espèce humaine et à certaines espèces d’animaux. Le lièvre est timide. Le loup aussi. Le singe et le chien ne sont pas timides. La souris est timide. La chauve-souris encore plus. Le moineau n’est pas timide. La taupe l’est au point de rentrer dans le sous-sol comme le lombric ou ver de terre ; moins que le ténia ou ver solitaire qui, par timidité, reste toujours caché et toujours célibataire. Ce n’est pas une question de taille, de force ou de prestance. Cette timidité est de la prudence. — G. de la Fouchardière. »


Questions. — 1. Qu’est-ce qu’une infirmité chronique ? Citez une ou deux maladies généralement chroniques ?

2. Que pensez-vous de l’affirmation de timidité concernant le ténia ? Comment pourriez-vous la qualifier ?

3. Que faut-il pour avoir de la prestance ? A qui en attribue-t-on d’ordinaire ?

En présence d’un tel sujet d’examen, choisi par un inspecteur primaire, la commission d’examen, prévoyant que de nombreux échecs, non mérités, résulteraient de la difficulté des questions, en ajoutèrent une quatrième, plus facile, destinée, dans leur esprit, à permettre aux candidats de relever leur note.

La même année, à Pierrebuffière (Haute-Vienne), les candidats eurent affaire à une commission d’examen moins prévoyante qui constata, mais un peu tard, que 56 élèves sur 84 avaient obtenu la note zéro en calcul. On nota 3 toutes les copies portant zéro et on augmenta d’autant toutes les notes de calcul. Malgré cette mesure et des repêchages, 28 candidats restèrent sur le carreau. Il est évident que les 56 candidats qui avaient tout d’abord obtenu zéro à Pierrebuffière auraient obtenu des notes différentes si on leur avait donné des problèmes ni trop faciles ni trop difficiles mais de difficulté moyenne qui, seuls, permettent un classement des candidats. Des épreuves mal choisies ne permettent pas de distinguer les cancres des bons élèves.

Dans les examens actuels, le choix des épreuves n’est pas seul condamnable : la correction des épreuves ne mérite pas moins de critiques. Prenons deux exemples, empruntés aux résultats de 1933 : en Ardèche, à Saint-Pierreville, 27 candidats : 10 échecs ; à Rochemaure, avec les mêmes épreuves, 54 candidats : 5 échecs. En Seine-Inférieure, à Saint-Valéry-en-Caux, 51 candidats : 3 échecs ; à Foucarmont, avec les mêmes épreuves, 38 candidats : 27 échecs.

Au sein même des commissions d’examen, que de différences ! Chaque membre d’un jury a sa façon de noter et cette façon varie elle-même suivant le temps et l’humeur du correcteur ; tel travail jugé bon en juin apparaîtra — au même examinateur — médiocre à quelques semaines de là.

Bref, les résultats des examens dépendent, dans une trop faible mesure de la valeur des candidats. Inégalité des épreuves, inégalité lors de la correction sont deux gros défauts que les auteurs de tests s’efforcent d’éviter.

Un test est une épreuve étalonnée : cette épreuve a déjà été donnée à un nombre assez élevé d’enfants (au moins cent du même âge et du même sexe). On dit qu’une épreuve est caractéristique d’un certain âge lorsqu’elle est réussie par 75% des enfants de cet âge. Une épreuve étalonnée permet de comparer un enfant avec les enfants de son âge et de dire, par exemple : Paul, en problèmes, a obtenu une note qui lui fait attribuer le rang percentile 40, c’est-à-dire que 60 p. 100 des élèves de son âge se classent avant lui et 39 après.

Un test est une épreuve standardisée : « Les résultats du test sont isolés de façon objective. En effet, de nombreuses épreuves sont conçues de manière à ne présenter qu’une solution correcte ; dans d’autres, le sujet doit choisir entre plusieurs réponses indiquées d’avance et arrangées de manière à ce qu’il y en ait une qui soit la meilleure ; d’autres fois, on laisse le sujet libre d’envisager une réponse et le problème peut comporter plusieurs solutions admissibles ; mais, dans ce cas, les réponses possibles sont tablées d’avance et cotées empiriquement d’après un barème établi » (Mlle Weinberg).

La façon de donner et de corriger le test est si nettement précisée, que deux correcteurs, faisant usage de ce test, noteront de même façon.

Un test est une épreuve dont le but est précisé et limité. « Ainsi, dans les tests de connaissance, on peut distinguer le bagage des connaissances, la compréhension des problèmes, le maniement des techniques. » Dans les tests d’aptitude, les épreuves sont adaptées à l’aptitude à dépister « de telle sorte que cette aptitude soit à peu près la seule qui puisse se manifester quand on les exécute ». (On a ainsi des tests d’attention, de mémoire, de raisonnement, de jugement, d’habileté motrice, etc.)

A côté des tests de connaissance (examens plus objectifs que les examens ordinaires), il existe des tests de développement, qui permettent de savoir si l’enfant testé est au-dessus ou au-dessous de son âge, s’il est avancé ou retardé, et des tests d’aptitudes qui révèlent certaines dispositions naturelles, par exemple de dire que tel enfant a une mémoire des mots au-dessus de la moyenne des enfants de son âge et préciser en indiquant le percentile. « Si l’on vous dit qu’un enfant de huit ans a pu répéter 5 mots sur 15, qu’il a pu faire en une minute 8 additions, qu’il écrit 90 lettres à la minute… ces chiffres ne vous permettent aucunement de déterminer ni même de deviner laquelle de ces aptitudes est prépondérante chez lui. Un coup d’œil sur les tables de percentilage, qui ramènent ces valeurs diverses à une même échelle, vous apprendra qu’il se classe ainsi :

Percentile
Mémoire des mots ......  50
Additions ...... 10
Rapidité d’écriture ......  75

et que, par conséquent, c’est chez lui le calcul qui dépasse les autres aptitudes considérées. » (Claparède).

Il y a aussi des tests d’entraînement ou tests correctifs qui ne rappellent en aucune façon les examens et sont des exercices destinés à remédier aux points faibles des élèves. (Exemples : tests pour apprendre à faire les retenues dans les soustractions ; tests pour apprendre à écrire correctement, sans confusions, les infinitifs en er, les participes passés en é et les imparfaits en ait, etc…).

Enfin, les tests d’enquête, employés par les inspecteurs, ne renseignent pas sur l’élève très individuellement, mais sur le rendement moyen d’une école.

Après avoir indiqué en raccourci une classification des tests selon les buts poursuivis, nous devons indiquer une autre classification qui tient compte de leur mode d’emploi. Il y a, en effet, des tests collectifs employés simultanément avec des groupes d’individus et des tests individuels qui exigent que les individus à tester soient pris isolément. Les premiers sont d’un emploi plus rapide, mais ils n’ont, généralement, pas autant de précision que les seconds.

Exemples de tests :

1° La cruche est au lait ce que ( ?) est aux fleurs.

1) tige ; 2) feuille ; 3) eau ; 4) vase ; 5) racines.

2° Un proverbe dit : « Qui sème le vent récolte la tempête », ce qui veut dire :

1) Qu’il faut semer pour récolter ; 2) que le temps va changer ; 3) Que celui qui fait du mal aux autres en supporte parfois les conséquences ; 4) Qu’il faut cultiver la terre.

3° Phrase à mettre en ordre :

« Sommes la pour de heure bonne nous campagne partis ».

4° Test de raisonnement :

Si Georges est plus âgé que Louis et si Louis est plus âgé que Jacques, alors Georges est (1) que Jacques.

1) Plus âgé que ; 2) plus jeune que ; 3) aussi âgé que ; 4) on ne peut pas dire.

Ces exemples ne sont que des extraits abrégés ; ainsi, le 3° est accompagné de deux autres phrases en désordre d’indications pour l’emploi et la notation :

« On dit : voici une phrase dont les mots sont tous mélangés, et qui n’a point de sens. Si les mots étaient rangés en ordre, ça ferait une bonne phrase. Regarde bien, et tâche de me dire comment la phrase devrait être. Si le sujet ne réussit pas la première phrase, la lui lire correctement en lui montrant chaque mot. Puis continuer. Une minute par phrase.

Notation. — Réussir deux phrases sur trois. Compter 1/2 pour toute phrase qui, quoique complète, est mal construite, exemple : Pour la campagne, nous sommes partis de bonne heure. Autoriser les corrections et modifications spontanées. »

Cette épreuve fait partie d’une série de tests de développement de 12 ans. Il en est de plus difficiles qui conviennent au classement des intellectuels et nos lecteurs en jugeront par les deux questions suivantes qui font partie d’un même test.

« I. — D’après les renseignements sur les tailles respectives des diverses personnes désignées ci-dessous par leur prénom, répondez aux cinq questions qui vous sont posées, en mettant dans les trois premières le mot qui manque (plus, moins, aussi) si la réponse vous paraît possible, et sinon, on écrivant en marge : « réponse impossible », en donnant le nom qui convient pour les deux dernières :

« Paul est plus grand que Pierre et moins que Jacques ; Émile est plus grand que Paul et moins que Louis ; André est plus grand qu’Henri et moins qu’Émile ; Jacques est plus grand que Lucien et moins que Louis ; Lucien est plus grand que Pierre et moins qu’Henri ; Joseph est plus grand qu’Étienne et moins que Pierre.

Henri est…….. grand que Pierre ; André est…… grand que Paul ; Joseph est…….. grand que Jacques ; Le plus grand de tous est…….. ; le moins grand de tous est……… ».

« II. — Le test primitif comprenait trois épreuves mais nous laissons de côté la deuxième, trop facile et peu classante ».

« III. — Vous êtes en possession d’une série de quatre couples d’anneaux fermés.

Vous avez besoin de réunir ces anneaux en une chaîne continue et solide, dont tous les anneaux soient fermés. Or, on ne vous permet pas de couper ou de souder à votre gré vos anneaux : tant en coupures qu’en soudures, on n’autorise que quatre opérations en tout : est-il possible, avec ces quatre opérations seulement (tant coupures que soudures), de constituer votre chaîne continue, à anneaux tous fermés, avec vos quatre couples d’anneaux ? Si la chose est possible, décrivez comment vous la réaliserez en indiquant les numéros des anneaux sur lesquels seront pratiqués coupures et soudures, et l’ordre des anneaux constituant la chaîne au moyen de ces opérations. »

Nous croyons inutile de reproduire les instructions très précises données aux expérimentateurs sur la façon de donner les épreuves et les notes.

Emploi des tests. — Les tests pourraient permettre de répartir les élèves en classe. En particulier, dans les villes où il existe des classes spéciales pour attardés, anormaux et surnormaux, ils permettraient un triage systématique — mais cependant sujet à révision — dès le début de la carrière scolaire de l’enfant.

Plus tard, lorsqu’il s’agirait de sélectionner les mieux doués avant de les admettre dans des écoles secondaires ou supérieures, il conviendrait de tenir compte des résultats fournis par les épreuves d’intelligence et de connaissance comme aussi des observations des maîtres. On aurait tort de se fier alors uniquement aux résultats d’épreuves assez brèves, qui comportent toujours une certaine part de hasard et qui ne permettent pas de se rendre un compte très exact de la réelle valeur des enfants émotifs.


Nous avons vu que certains tests sont employés comme exercices correctifs. Les tests contribuent ainsi doublement à l’enseignement sur mesure mieux adapté à l’enfant.

Les tests peuvent servir à de multiples enquêtes pédagogiques. Ils peuvent contribuer à déterminer les meilleurs procédés et les meilleures méthodes d’enseignement Il serait dangereux cependant de leur accorder à ce sujet un crédit excessif : certaines méthodes ne peuvent être jugées sur leur résultat qu’après une expérimentation de trois ans ou plus ; or, pendant un si long temps, les élèvent se développent, évoluent, sont soumis à d’autres influences que celles de la méthode dont on voudrait juger les résultats d’autre part ; il est assez aisé de mesurer l’acquisition des connaissances, il est plus difficile d’apprécier l’influence d’une méthode sur le développement intellectuel. Les tests peuvent aider les inspecteurs à contrôler le rendement d’une école, à constater les différences importantes de niveau qui existent entre les diverses régions.

Enfin l’emploi des tests est tout indiqué en orientation ou sélection professionnelles. Dans ce cas encore, l’emploi des tests ne doit pas être exclusif. Il faut tenir compte aussi : 1° Des rapports ou fiches fournies par les instituteurs ou les professeurs sur les inaptitudes ou les aptitudes, les défauts et les qualités de caractère qu’ils ont eu l’occasion de constater dans la dernière année d’études de l’élève ; 2° des résultats d’un examen médical et plus particulièrement de contre-indications nettes concernant le métier que désirerait exercer le candidat (par exemple, le métier de tanneur qui prédispose aux maladies occasionnées par le froid est incompatible avec les affections respiratoires et rhumatismales, etc…) ; 3° Des résultats d’un examen des aptitudes motrices et psychomotrices qui sont plus ou moins fines et plus ou moins régulières ; 4° Des données statistiques sur l’état du travail et l’encombrement de certaines professions.

Les difficultés. Les inconvénients. — Les tests sont d’un emploi relativement récent et le succès qu’ils avaient connu en Amérique à la suite de l’examen des soldats et de leur sélection lors de la grande guerre, a eu un lendemain assez bref.

Comme toute nouveauté, ils ont eu contre eux la foule des conservateurs et des routiniers. Ce n’étaient pas des adversaires bien terribles.

Ils ont eu pour eux non seulement de véritables savants, mais encore une foule de gens non qualifiés, prenant leurs hypothèses pour des vérités démontrées. Ces partisans, plus dangereux que des ennemis déclarés mais sages, ont causé aux tests le plus grand tort. Alors que les personnes vraiment qualifiées n’ignoraient pas que la méthode des tests n’en était encore qu’à son aurore ; qu’elle était encore d’un maniement délicat et ne pouvait, surtout en ce qui concerne l’orientation professionnelle, donner de bons résultats qu’à la condition d’être employée par des spécialistes compétents et prudents, des illuminés et des toqués ont attribué à la méthode en général et à leurs procédés en particulier des qualités que n’avaient ni l’une ni les autres. Qu’il en soit résulté quelque discrédit sur la méthode n’a rien qui puisse surprendre. Aux États-Unis surtout, on a eu la superstition des statistiques et des enquêtes. Il eût mieux valu moins de statistiques et moins d’enquêtes mais un peu plus d’esprit critique et de finesse.

De nombreux propagateurs de tests parfaitement stupides se sont heureusement heurtés au bon sens d’une grande partie de la population de leurs pays.

La grande difficulté réside dans l’appréciation de l’intelligence. Comment trouver une norme qui permette de juger les réponses ? Certains ont pris comme modèles les réponses fournies par des gens occupant une haute situation : directeurs, ingénieurs, etc…, et c’est d’après les réponses types des individus supposés intelligents qu’ils ont jugé du degré d’intelligence des autres réponses. De tels tests permettaient de juger le conformisme et non l’intelligence.

La France n’a point commis de tels excès ; l’application des tests dans l’enseignement y a été timide ; de rares novateurs seuls les ont employés. Il n’en a pas été tout à fait de même en ce qui concerne la sélection et l’orientation professionnelles. Il existe même un Institut National d’Orientation Professionnelle qui a des professeurs d’une réelle valeur et publie un bulletin mensuel depuis 1929. Ceci s’explique sans peine si l’on songe que les intérêts des employeurs capitalistes sont plus directement en jeu. Il est certain que l’orientation professionnelle, et, partant, l’emploi des tests, a permis, dans de nombreux cas, d’augmenter le rendement et de diminuer le nombre des accidents.

Comme toujours, la société capitaliste n’utilise les travaux des savants que dans l’intérêt des capitalistes. — E. Delaunay.


THAUMATURGE (du grec thauma, merveille ; ergon, œuvre). On appelle thaumaturge l’individu qui opère des miracles et thaumaturgie l’art d’accomplir ces derniers. L’attrait du merveilleux, le désir d’entrer en rapport avec la divinité, de participer à sa science et à son pouvoir, telles sont les raisons d’être de ce goût pour les prodiges que l’on trouve à l’aurore des temps historiques et qui, de nos jours encore, assure la fortune de nombreux faiseurs de miracles et même de véritables officines qui vendent grâces et secours célestes, comme d’autres débitent de la choucroute ou du boudin. Chez les primitifs, sorciers ou prêtres monopolisèrent à leur profit la puissance surnaturelle ; c’est par leur intermédiaire que se manifestaient les esprits bons ou mauvais ; leurs incantations et leurs prières savaient rendre favorables ou hostiles les entités de l’au-delà. Les sauvages d’Océanie, les noirs d’Afrique, les indiens d’Amérique continuent de croire à la vertu miraculeuse des opérations magiques faites par leurs sorciers. D’officiels ministres des cultes parlèrent et agirent au nom des dieux chez les peuples civilisés ; art et poésie contribuèrent à la beauté des rites ; mais le résultat final resta sensiblement le même. En Grèce, Zeus, Héraclès, Aphrodite, etc., se manifestèrent souvent aux hommes, s’il faut en croire la mythologie, A Delphes, la Pythie annonçait l’avenir que lui révélait Apollon, Hector apparut maintes fois aux habitants de la Troade et Achille se montra à de nombreux matelots du Pont-Euxin. Comment les simples n’auraient-ils pas aperçu les dieux, quand un sage, tel que Socrate, avait à son service un démon familier ? La Grèce eut même un centre de thérapeutique céleste, où les guérisons miraculeuses étaient aussi remarquables qu’à Lourdes : nous voulons parler du temple d’Esculape à Epidaure. Après un jeûne rigoureux, un bain préalable et le sacrifice rituel d’un porc et d’une chèvre, le malade passait une ou plusieurs nuits sous le portique du temple. Puis les portes du sanctuaire s’ouvraient d’elles-mêmes devant lui et la statue du dieu apparaissait brillante, au milieu d’un décor d’une féérique splendeur. On le conduisait, la nuit venue, dans un dortoir obscur et, pendant son sommeil, il recevait en songe des conseils concernant sa santé. Les guérisons immédiates et soudaines étaient fréquentes ; dans d’autres cas, Esculape se bornait à prescrire un traitement hygiénique ou des remèdes appropriés. La multitude des ex-voto découverts à Epidaure, les éloges donnés à ce centre thérapeutique par tous les auteurs anciens témoignent de la prodigieuse vogue dont il a joui durant de nombreux siècles. Beaucoup d’autres temples, à Rome et dans diverses villes furent aussi le théâtre de guérisons miraculeuses et jouirent d’une grande renommée. En somme, Esculape, Apollon, Proserpine, Isis, etc., jouèrent, chez les anciens, le rôle dévolu, chez nous, à la Vierge de Lourdes, au Sacré-Cœur et à la foule des saints thaumaturges qui peuplent le panthéon chrétien. Après avoir exaucé les prières des païens durant de longs siècles, dieu est venu au secours des catholiques, leurs mortels adversaires. Tant il est vrai que le miracle a sa source dans l’homme seulement, non dans une force qui lui serait extérieure.

Parmi les premiers chrétiens, thaumaturges et voyants furent particulièrement nombreux. Il est vrai qu’on élevait au rang de miracles des faits simplement burlesques comme la glossolalie, ou des manifestations d’un caractère pathologique très accentué, ainsi les crises, de nature épileptique probablement, auxquelles était sujet saint Paul. Si grandes étaient l’ignorance et la crédulité des fidèles, qu’ils voyaient partout la main du Très-Haut. De l’avis des historiens catholiques eux-mêmes, les premières communautés chrétiennes servirent d’asile à une multitude de détraqués, de frénétiques, d’hallucinés. La lecture des Évangiles acceptés par l’Église et celle des Evangiles qu’elle déclare apocryphes, mais qui datent, en réalité, de la même époque et possèdent une valeur équivalente, nous renseigne sur la soif du merveilleux qui tourmentait les âmes, durant les premiers, siècles de notre ère. Et le diable rivalisait avec le bon dieu, témoin les miracles de Simon le Magicien, d’Apollonius de Tyane, de Jamblique et de beaucoup d’autres thaumaturges qui relevèrent pour quelque temps le prestige du paganisme alors agonisant.

Favorisés par l’incommensurable naïveté des fidèles et par la disparition complète de tout esprit critique, les faiseurs de prodiges pullulèrent au moyen âge. Le culte des reliques prit des proportions invraisemblables ; certaines églises se vantèrent de posséder le prépuce enlevé à Jésus le jour de la circoncision ou du lait de la Vierge Marie ou le membre viril d’un bienheureux en renom. On canonisa des individus d’une moralité douteuse, parfois de vrais criminels ; on honora des saints qui n’avaient jamais existé. Des personnages excentriques, comme saint Bernard et saint François d’Assise, acquirent de leur vivant une réputation de thaumaturges que des légendes posthumes grossirent démesurément. Nombre de saints se spécialisèrent dans la fabrication de tel ou tel genre de miracles : saint Cloud guérissait les furoncles, saint Ouen la surdité, saint Fiacre les hémorroïdes. Parce qu’ils étaient nantis d’un pouvoir surhumain, les rois de France pouvaient guérir le goitre et les écrouelles par simple attouchement. Certains malades avalaient la poussière recueillie sur le tombeau du saint qu’ils invoquaient, ou la mèche des cierges qui brûlaient en son honneur. Quotidiennement, de pieuses personnes recevaient la visite des habitants des cieux ; des saints qui n’existèrent que dans l’imagination des hagiographes n’hésitaient pas, eux aussi, à se montrer. C’est ainsi que Jeanne d’Arc vit fréquemment sainte Catherine qui, de l’avis du pieux Jean de Lannoy, de Mgr Duchesne et de tous les historiens catholiques sérieux, n’a jamais vécu ni à Alexandrie, ni ailleurs. Des légions de diables s’abattaient également sur notre malheureuse planète ; des milliers de sorcières et de magiciens se rendaient chaque semaine au sabbat pour rencontrer messire Satan. Beaucoup payèrent de leur vie ce commerce avec les puissances infernales, car les moines inquisiteurs estimaient qu’un crime si atroce appelait impérieusement les flammes purificatrices du bûcher.

Comme les catholiques orthodoxes, les hérétiques eurent aussi leurs thaumaturges. Ils ne manquèrent point parmi les albigeois et les sectes mystiques écloses au moyen âge. Confirmation éclatante, disaient leurs chefs, de l’excellence de leur doctrine et du caractère diabolique des persécutions dirigées contre eux par le clergé catholique. Plus tard, le don des miracles sera départi avec prodigalité aux camisards des Cévennes, odieusement persécutés par l’autorité royale. Mais le plus fameux des thaumaturges hérétiques fut le diacre Pâris qui devait, après sa mort, causer tant de tracas aux pouvoirs publics. Ce pieux personnage n’avait pu être ordonné prêtre, parce qu’il refusait obstinément d’accepter la bulle Unigenitus. Il s’était retiré dans une petite maison du faubourg Saint-Marceau à Paris, et l’austérité de sa vie ainsi que son inépuisable charité lui valurent une réputation de sainteté que le clergé catholique ne parvint pas à ternir. Pâris mourut en 1727 et fut enterré dans le cimetière Saint-Médard. Bientôt l’on apprit que des guérisons s’opéraient sur son tombeau ; une foule de malades et de dévots vinrent implorer le nouveau saint ; et les miracles se multiplièrent d’une façon surprenante. Épouvanté de voir que le ciel se prononçait en faveur des jansénistes, le clergé obtint la fermeture du cimetière Saint-Médard, sous le ministère du cardinal Fleury. Les autorités ecclésiastiques n’admettent, en effet, jamais d’autres prodiges que ceux qui cadrent avec leurs desseins ou peuvent servir leurs intérêts. Les historiens catholiques insistent de préférence sur le caractère extravagant des scènes qui se déroulèrent. Un tremblement convulsif saisissait les assistants les plus impressionnables et gagnait, par contagion, l’ensemble des personnes présentes ; des cris aigus étaient poussés par ceux que visitait l’esprit divin. Mais des guérisons merveilleuses s’opéraient indéniablement. Charcot rapporte le cas de Mlle Coirin, atteinte depuis quinze ans d’un cancer du côté gauche, et qui fut guérie en août 1731. On pourrait multiplier les exemples de ce genre, démontrant que, malgré ses dires, l’Église catholique n’a point le monopole des prodiges divins.

Aux XIX- siècle et XXe siècle, la source des miracles ne s’est point tarie. Les catholiques continuent d’avoir des thaumaturges et des centres thérapeutiques renommés, mais ils sont dépassés par des hérétiques, par des non-chrétiens et quelquefois, chose horrible à dire ! par de notoires matérialistes. Dieu, ayant sans doute perdu la tête, néglige de plus en plus ses adorateurs et favorise des athées !

En 1846, un berger et une bergère virent la Vierge sur la montagne de La Salette, dans l’Isère. S’il faut en croire un jugement rendu le 25 février 1855 par le tribunal de Grenoble, il s’agirait seulement d’une pieuse supercherie de Mlle de la Merlière, une dévote fanatique. Mais, comme l’autorité épiscopale s’était prononcée dès 1847 en faveur de la réalité de l’apparition et que le pape confirma cette approbation, les catholiques ont continué d’aller en pèlerinage à La Salette ; et de nombreux miracles se sont produits sur cette sainte montagne. En 1858, c’est à Lourdes, dans les Hautes-Pyrénées, que la Mère de Dieu se montra plusieurs fois à une petite fille inculte et d’esprit arriéré, Bernadette Soubirous. Une source miraculeuse opéra des guérisons qui valurent à Lourdes une renommée extraordinaire, et en firent le principal centre de la thérapeutique sacerdotale. Nulle part on n’a su exploiter la crédulité humaine d’une façon plus savante et plus méthodique. Tout est disposé pour provoquer le délire mystique, pour engendrer une formidable émotion chez les assistants. Des masses vibrantes et suggestionnées chantent, vocifèrent, implorent ; un immense frisson traverse la foule des pèlerins qui s’agenouillent les bras en croix, se prosternent, pleurent, gesticulent comme des déments. De vrais malades quelquefois, souvent des hystériques ou des simulateurs hurlent avec force qu’ils sont guéris. Alors ce sont des cris d’enthousiasme, d’ardentes invocations, des appels passionnés que dirige un prêtre à la voix tonitruante. Aidée par des médecins ignares ou peu consciencieux, la presse dévote transforme ensuite ces faits parfaitement naturels en miracles de premier ordre. Et, dans la caisse des Pères de la Grotte, ces commerçants d’une adresse sans égale, s’entassent, à un rythme accéléré, les pièces et les billets. Pour le pape et pour les moines, Lourdes est une source inépuisable de revenus. Ni au point de vue des écus, ni au point de vue des miracles, Paray-le-Monial, Pont-main, Pellevoisin, etc., n’obtiennent un rendement comparable. Fatima, au Portugal (où la Vierge se montra en 1917 et annonça la fin de la guerre pour le 13 octobre de la même année : légère erreur comme on le voit !) attire de nombreux malades et possède même un bureau des constatations qui, comme celui de Lourdes, entérine les miracles et les arrange à sa façon. Les apparitions d’Ezquioza, en Espagne, et celles de Beauraing, en Belgique, ont fait couler beaucoup d’encre ces dernières années ; on ne sait encore à quels résultats pratiques elles aboutiront.

Au XIXe siècle, le catholicisme n’a pas manqué non plus de saints thaumaturges. Le plus célèbre fut le curé d’Ars qui était quotidiennement en rapport avec les habitants des cieux, en particulier avec sainte Philomène qui se montrait souvent à lui et guérissait les malades par son entremise. Pourtant un religieux, le Père Delahaye, démontra plus tard, d’une façon irréfutable, que cette sainte n’a jamais existé ! Quant au démon, il jouait, assure-t-on, mille niches au curé d’Ars, surtout pendant la nuit. Sainte Thérèse de Lisieux, aujourd’hui si populaire, n’opéra aucun miracle durant sa vie ; c’est seulement après sa mort que de pieux charlatans firent, à son sujet, un battage aussi ignoble que fructueux. Un jeune cancre, qui mourut à douze ans, le 24 janvier 1925, et dont la mère fut une grande amie du nonce Ceretti, Guy de Fontgalland, commence, lui aussi, à opérer des prodiges. C’est une savante publicité qui a permis d’obtenir ce résultat, car ceux qui l’ont connu parlent sans bienveillance de sa dissipation en classe et de son indécrottable paresse : ils s’indignent en voyant qu’on veut faire un saint de ce garçonnet ridicule.

Narguant les catholiques, une secte protestante, la Christian Science, opère des miracles bien supérieurs à ceux que les papistes enregistrent à Lourdes. Elle fut fondée à Boston, vers 1880, par Mary Eddy, une femme adroite mais dépourvue de scrupules qui se moqua de ses contemporains avec audace et sang-froid. Thaumaturges et prophètes abondent dans les pays anglo-saxons, où l’on continue de prendre au sérieux les histoires rocambolesques racontées dans la Bible. Parmi les faiseurs de miracles des États-Unis, citons Dowie qui fonda une religion nouvelle vers 1894. Son temple était tapissé de béquilles, de bandages herniaires et d’autres « trophées de la Cure divine » par la seule imposition des mains, il accomplit des guérisons innombrables. La fille d’un banquier fut instantanément guérie d’une déviation de l’épine dorsale, des rachitiques, des incurables de toutes sortes retrouvèrent la santé ; mais il ne put sauver sa propre fille. Ce commerce lui permit du moins d’encaisser des millions de dollars. Schlatter, un autre thaumaturge fameux, fut plus désintéressé ; il disparut brusquement le 13 novembre 1895, avertissant ses admirateurs que son Père Céleste le rappelait à lui. Cancer, phtisie, tumeur, surdité, cécité, paralysie, rien ne résistait à l’influence de son action curative ; pour être guéri, il suffisait de toucher un de ses gants. Aussi apportait-on d’énormes monceaux de gants autour de sa demeure ; Schlatter les touchait pour en faire des agents du miracle. Les mormons, ces prosélytes de la polygamie, prétendent eux aussi que leurs saints accomplissent de fréquents et merveilleux prodiges. On voit combien est encore enfantine la mentalité de certains anglo-saxons.

Spirites, occultistes, théosophes ont leurs guérisseurs ; quelques-uns éclipsent même, et de beaucoup, les faiseurs de miracles approuvés par les autorités ecclésiastiques. Pour ne parler que des disparus, rappelons le souvenir du père Antoine et celui du zouave Jacob. À Jemmapes-sur-Meuse, où habitait le père Antoine, se renouvelaient, chaque jour, les scènes qui se passent à Lourdes au moment des pèlerinages. Riches et pauvres, accourus de toute la Belgique, des nations voisines et parfois des contrées du globe les plus reculées, se pressaient autour de sa pauvre maison, et au contact de sa main salvatrice, les paralytiques se levaient, les sourds entendaient, les aveugles voyaient, les cancéreux, les phtisiques se déclaraient guéris. Le père Antoine fonda une nouvelle religion qui compte, aujourd’hui encore, de nombreux adhérents. C’est à Paris que le zouave Jacob opéra ses merveilleuses cures. Dans son officine, les personnages officiels coudoyaient les ignorants, tous également désireux de s’imprégner du fluide rédempteur qui faisait fuir la maladie. Il guérit le maréchal Forey, le comte de Chateauvillers et beaucoup d’autres notabilités de l’époque ; son succès fut prodigieux. Enfin, de nos jours, sont apparus des thaumaturges qui ne rattachent leurs miracles à aucune croyance religieuse, qui, parfois, sont des athées convaincus. Ils ont pour ancêtre Mesmer, le créateur du magnétisme animal, qui connut, au XVIIIe siècle, une vogue éclatante. Le Docteur Charcot et beaucoup d’autres psychiatres foncièrement irréligieux ont réalisé des miracles de tous points comparables à ceux qu’opèrent les thaumaturges chrétiens. Ce n’est pas en faisant appel à des forces surnaturelles, mais en s’adressant aux énergies latentes de l’inconscient, que Coué put guérir tant de malades déclarés incurables. Contrairement à ce que l’on admit longtemps, la pensée exerce une action efficace, non seulement sur les troubles nerveux, mais encore sur les troubles organiques. Les petites tumeurs de la peau appelées verrues résistent rarement à la suggestion, ainsi que l’ont établi d’une façon rigoureuse les docteurs Farez et Bonjour. La laïcisation du miracle apparait comme un fait accompli ; la thaumaturgie n’est plus qu’une branche de la médecine ordinaire. Et voilà qui démontre que jamais, et nulle part, l’on n’a constaté sur notre globe une intervention de dieu ou d’entités immatérielles. — L. Barbedette.