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Encyclopédie méthodique/Beaux-Arts/Histoire

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Panckoucke (1p. 412-415).
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HISTOIRE. (subst. fém.) Ce terme, dans le langage de la peinture, désigne ce qu’on regarde généralement comme le premier & le principal genre des imitations dont s’occupe cet Art.

On dit un peintre d’histoire, un tableau d’histoire. Il sembleroit, si l’on en jugeoit par cette dénomination, qu’un tableau d’histoire ne devroit représenter que des faits historiques. Cependant on comprend sous cette même dénomination, tout ce que nous connoissons de la mythologie & des fables anciennes, sans distinguer ce qu’elles peuvent contenir d’historique, d’emblematique, ou d’absolument fabuleux ; nous y comprenons même les sujets que nous offrent les Poëtes tragiques, épiques & les romanciers distingués, tant anciens que modernes. On voit que ces objets, joints à ceux que nous ont transmis les historiens, forment au genre dont il est question, un domaine si considérable, qu’il a droit à la prééminence dont il a joui jusqu’à présent. Aussi, les peintres d’histoire en jouissent-ils encore parmi ceux qui ont les connoissances réelles de l’art, & qui pas ses ouvrages arbitrairement d’après des idées superficielles, ou d’après les goûts exclusifs de la personnalité & de la propriété.

Les Artistes, qui se bornent à un genre particulier de représentation, tels que les paysagiste, les peintres d’animaux, de fabriques, de fleurs, &c. ne se permettent pas ouvertement de vouloir partager avec l’histoire, cette prééminence qui lui est due ; mais quelques genres moins distans, & que j’appellerai même limitrophes, se croyent autorisés à disputer, non sans quelques raisons apparentes & spécieuse, l’avantage d’avoir place au premier rang.

Certainement tout peintre qui imite parfaitement un objet visible, est un excellent peintre ; mais celui qui imite avec succès les objets les plus difficiles à représenter, doit posséder de plus grands talens. Et combien n’en doivent pas réunir en effet, ceux qui entreprennent ce que l’histoire de tous les tems, les religions de tous les siècles, les imaginations de tous les pays, les productions de tous les génies connus ont créé & consacré, en épuisant, pour ainsi dire, les passions, les actions, les mouvemens, les beautés, les vices & les vertus. Le peintre d’histoire embrasse à la fois toutes les formes de la nature, tous ses effets, & toutes les affections que l’homme peut éprouver.

La nature embellie, & souvent divinisée par l’exaltation des idées les plus sublimes, offre à l’artiste, qui se dévoue au genre de l’histoire, une réunion de difficultés presque innombrables à surmonter. Comment ceux qui les ont vaincues, & ceux qui font encore les plus grands efforts pour en triompher, ne jouiroient-ils pas d’une distinction si bien méritée ? Quels autres genres d’ouvrages dans la peinture ont été immorta. lisés dans les tems & les pays où les Arts étoient exercés avec plus de succès, & jugés avec plus de connoissance ? Quels autres Artistes que ceux des premiers genres, excitent en nous, par leurs réputations conservées après tant de siècles, un sentiment d’estime aussi élevé ? Quels autres enfin, dans ces âges éloignés, & depuis la renaissance des Arts, ont contribué, autant qu’eux, à la gloire nationale des pays où ils ont vécu ? Pourroit-on écrire ou se permettre d’avancer, que, s’il n’avoit existé que des représentations, telles que les autres genres en peuvent produire, l’on eût accordé à la Peinture les noms d’Art céleste, d’Art divin ? Enfin le plus beau tableau de paysage, la plus parfaite représentation d’animaux, celle-même des actions, & des passions communes peuvent-ils élever rame à ces sentimens & à ces impressions qui la font sortir d’elle-même, & la forcent à s’oublier pour ne s’occuper que d’une illusion ; & la description seule d’un tableau, dont le sujet historique ou fabuleux présente le courage dans toute son énergie, &


la générosité, la continence, la magnanimité, toutes les vertus enfin dans leur sublimité, ne produit-elle pas plus d’effet que les imitations dont s’occupent les genres particuliers ?

Mais c’est d’après une partie de cet exposé même, que les Artistes, qui peignent aussi la nature humaine sans fiction, animée par des passions, à la vérité moins ennoblies, & qui représentent enfin dans des scènes moins héroïques, les impressions du vice & de la vertu, prétendent à des droits qu’il est plus difficile de leur disputer. Aussi la Peinture, en couronnant ses poëmes épiques, & ses tragédies, ne refuse pas les prix qui sont dus aux poëmes moins élevés, tels que ses drames & ses comédies.

Les Artistes, qui se sont livrés à ces genres, peuvent, comme opinion personnelle, reprocher au merveilleux d’être hors de la nature, & aux héros d’offrir souvent des êtres imaginaires ; ils peuvent penser avec plus de raison encore, que le talent de toucher le cœur & d’attacher l’esprit, leur étant commun avec le genre de l’histoire, ils doivent participer à toutes les distinctions qu’on accorde à ce genre.

Mais les hommes distingués par le don qui a, de tout temps, eu le droit à la plus grande admiration, je veux dire par une imagination féconde, ont créé par-tout où ils se sont trouvés, d’autres êtres que ceux de leur espèce, des perfections plus sublimes que celles qu’ils possédoient, d’autres mondes enfin que celui qu’ils ont habité. Ils ont établi & ont fait admettre comme vrai, sur-tout dans l’Empire des arts, dont l’imagination & l’enthousiasme sont les divinités, ce que la froide raison dédaigne comme chimérique ou fabuleux. Il est certain qu’il se développe, chez les hommes réunis & excités par l’usage qu’ils font de leur esprit, des besoins physiques & moraux d’une sorte de superflu, & que ces besoins deviennent plus exigeans que ceux du strict nécessaire. C’est par leur instigation que, de tout temps, & dans tous les pays, les hommes ont admis le surnaturel, le merveilleux, les prodiges, & c’est sur ce fonds, qui a donné lieu en partie aux plus grandes institutions, à celles qui impriment le plus de respect, que les Arts-Libéraux ont bâti leurs chefs-d’œuvre. C’est à l’aide des êtres célestes, qu’ils s’élèvent au dessus des idées purement terrestres ; c’est à l’aide des qualités qu’il faut bien donner à ces êtres, qu’ils subliment les vertus & les qualités humaines ; c’est enfin à l’aide des formes plus parfaites qu’il a fallu leur donner, qu’ils sont parvenus aux beautés qu’on nomme idéales.

Ces consentions semblent tellement appropriées, à notre nature, qu’elles te reproduisent par-tout, & qu’elles parviennent non

à s’établir, mais à être consacrées. C’est donc d’après le besoin du merveilleux, que les Poëtes & les Peintres ont représenté des actions, des scènes, des accidens, des qualités, des formes même surnaturelles. Lorsque des circonstances heureuses les ont guidés à la perfection, ils ont étudié & approfondi, non seulement les mystères de l’ame & de l’esprit humain, mais la construction du corps, ses proportions, ses mouvemens ; ils ont procédé d’abord, par le choix le plus recherché : mais pour faire ce choix, & pour en embellir leurs ouvrages, il a fallu que les Peintres, & les Sculpteurs sur-tout, qui s’occupent des formes visibles, représentassent le corps humain sans voile. Plus ils l’ont observé, comparé, étudié nud, rlus ils ont fait de progrès vers la perfection à laquelle l’Art éclairé les invitoit d’atteindre.

Ils se sont donc écartés des usages les plus universels, ceux des vêtemens, ainsi que de plusieurs autres obstacles qu’ils trouvoient dans la nature, & qu’ils ont fait céder à de sublimes conventions. Après avoir franchi ces pas importans, ils se sont avancés dans les régions fabuleuses, & d’après les conventions reçues, ou d’après leur propre imagination, ils ont créé des Dieux humains, & des hommes divinisés ; ils les ont représentés habitant & maîtrisant les élémens. Leurs scènes ont été, tantôt le vague des airs, & les régions olimpiennes ; tantôt la surface mobile, & les abymes des eaux ; tantôt enfin des Royaumes souterrains & embrâsés par des feux éternels.

Alors leurs méditations, leurs observations, leurs études, leurs talens exercés se sont aggrandis, & il a été difficile sans doute que ceux qui ont réussi, ne se regardassent pas comme au-dessus des Artistes, qui peignoient, à la vérité, ce que la nature humaine a d’intéressant, les mœurs, les passions, mais qui les représentoient sans offrir tous les mouvemens, & toutes les beautés dont elles sont susceptibles. Il étoit difficile encore que hommes instruits, les hommes en qui l’imagination imagination prenoit l’essor, n’eussent pas, pour des Artistes qu’ils voyoient s’élever à cette hauteur, une considération particulière.

Voilà donc, à ce que je pense, l’origine & la marche de cette prééminence, dont, jusqu’à présent, ont joui les Artistes qu’on nomme Peintres d’histoire. Que quelques uns de ceux, qui approchent le plus de ce genre, & qui y touchent, pour ainsi dire, mettent en avant la perfection de leurs talens, & l’imperfection trop commune de la plupart de ceux qui les rivalisent : ce moyen ne sera jamais que captieux, parce qu’il suffit, comme je l’ai dit, de leur opposer le nombre des Peintres immortels, qui, malgré les difficultés que j’ai dési-


gnées, ont acquis cette supériorité de talent qui semble décider la question.

Quant à ceux qui penseroient que la perfection ou la vérité physique de quelque imitation que ce soit, est ce qui doit décider seul du degré d’estime que mérite un ouvrage de peinture, leur opinion se peut réduire à ceci : des animaux représentés avec une parfaite vérité, offrent un tableau qui a une plus grande perfection d’imitation qu’un sujet historique imparfaitement représenté. Il est impossible de leur donner un plus grand avantage ; mais si vous admettez une perfection égale, les difficultés vaincues par le Peintre d’histoire, je le repète encore, l’emportent tellement sur celles qu’a eu à surmonter le Peintre de genre, qu’on ne peut balancer à déciderpour le premier.

Si l’Artiste de genre insistoit, en observant que le Peintre, qui parvient à faire une plus exacte illusion, est celui qui doit l’emporter, puisqu’il exerce un art, dont l’objet est de tromper ; on pourroit a’ors opposer les genres les uns aux autres, & l’on prouveroit aisément que les objets les plus communs, représentés par des espèces d’ouvriers en peinture, trompent quelquefois plus complettement, en prenant ce terme dans son sens propre, que ne peuvent jamais faire tous les genres les plus estimables. En effet, une canne peinte & supposée attachée par un clou à une muraille, engagera même un artiste à avancer la main pour la prendre. Certainement, jamais l’animal le plus parfaitement peint, ni à plus forte raison son sujet d’histoire, un paysage, n’ont pu occasionner une semblable illusion.

En voilà assez je crois, pour mettre au moins sur la voie de cette discussion ceux qui ne sont pas assez instruits pour essayer d’y prendre parti. Mais j’ajouterai que si les Peintres d’histoire veulent conserver leur prééminence, il est plus important eue jamais qu’ils redoublent de soin, d’étude & de courage. On a vu au mot Artiste une partie des qualités qui leur sont nécessaires. Je me refuse à développer pourquoi ces qualités deviennent rares, & leur réunion plus difficile : mais je repèterai, que l’ennemi le plus dangereux de la peinture, est le luxe & la trop grande richesse répandue dans une nation. Lorsque ces deux vices des Empires sont parvenus à leur degré extrême, les ouvrages des Arts entrent dans la classe des somptuosités, des superfluités, des meubles enfin soumis à la mode. Ils ne peuvent manquer alors d’être assujettis au caprice personnel, & d’une autre part, l’évaluation de leur prix, qu’on est bientôt porté à regarder comme le tarif de leur mérite, dépend du grand nombre des hommes riches qui ne consultent que leur goût particulier ou la fantaisie régnante. Pourroient-ils, manquant de lumières, apprécier autrement la valeur vraiment libérale des ouvrages des Arts ? Et ce sont cependant ces juges qui parviennent à former ce qu’on appelle l’opinion publique & les arrêts du goût.

Ajoutons que le commerce des ouvrages de l’Art, devenu plus actif & plus raffiné, ne contribue pas moins aux erreurs qui s’établissent dans le jugement de ces ouvrages, que les marchands des objets mécaniques recherchés parle luxe, n’influent sur les extravagances des modes.

Par toutes ces raisons, les Artistes sont enfin obligés de céder à la volonté plus forte de ceux qui les dominent par le besoin qu’ils en ont. L’Art doit s’affoblir, en paroissant même gagner quelque chose dans des parties autrefois plus négligées.

Quel remède à ce mal ? il n’est peut-être que des pailliatifs. La destinée des connoissances, est de se perdre par degrés, comme elles le sont acquises, & par les mêmes causes qui les ont portées à leur perfection. C’est ainsi que les principes de la vie nous conduisent enfin à la perdre. On peut cependant penser qu’ainsi que le régime & le secours de la raison soutiennent & prolongent l’existence, de même la sagesse des administrations, l’influence dominante des Princes & des Grands, peuvent retarder la décadence des Arts, parce qu’eux seuls peuvent combattre avec avantage la sorte d’empire que s’arroge l’ignorante opulence.

C’étoit les Etats, les Villes, les Princes qui se disputoient les ouvrages des premiers genres dans la Grèce ; c’étoit eux qui soutenoient les Artistes, qui destinoient leurs travaux à faire partie des monumens qui ont porté jusqu’à nous la gloire de cette nation privilégiée. Voilà les exemples ; il ne s’agit que de les suivre, & j’ose répondre du succès. (Article de M. Watelet.)