Encyclopédie méthodique/Physique/ANAMORPHOSE

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ANAMORPHOSE. C’eſt une projection monſtrueuſe qu’on a deſſinée & peinte ſur une ſurface plane, convexe ou concave, & qui paroît néanmoins représenter un objet régulier, lorſqu’elle eſt vue d’une certaine manière, c’eſt-à-dire, 1o. d’une certaine diſtance à la vue ſimple ; ou 2o. à travers d’un verre taillé à facettes ; ou 3o. dans des miroirs priſmatiques, coniques, cylindriques, et même concavo-cylindriques.

1o. Dans le couvent des minimes de la place Royale, à Paris, on peut voir deux anamorphoſes, peintes par le père Niceron. En les regardant directement, on n’aperçoit qu’un payſage ; mais ſi on les voit à une certaine diſtance & à un point déterminé, on appercevra dans l’une la Madelaine, & dans l’autre Saint-Jean l’évangéliſte qui écrit, & ces deux figures ſont très-diſtinctes & des plus régulières. Il eût été bien plus facile de ne peindre que des projections monſtrueuſes, qui, vues d’un certain point, auroient paru repréſenter des objets connus, que de faire voir des figures régulières dans tous les cas : un payſage, par exemple, & enſuite des figures humaines. Le P. Niceron et le P. Maignan, deux célèbres minimes, ont traité fort au long de cet art, le premier dans son Thaumaturgus opticus, & le ſecond dans ſa perſpectiva horaria.

2o. On trace ſur un carton, et ſelon un certain procédé, des figures qui paroiſſent irrégulières à la vue ſimple ; mais en les regardant au travers d’un verre polyèdre ou à pluſieurs faces, on les apperçoit régulières.

Ces figures irrégulières ſont diſpoſées autour d’un eſpace qu’on laiſſe au milieu, & c’eſt dans celui-ci qu’on met ordinairement l’image d’un objet régulier : en regardant au travers de l’eſpèce de lunette qui contient le verre polyèdre, plan convexe, on n’apperçoît point cet objet du milieu, on en voit au contraire un autre bien différent, qui eſt formé des parties irrégulières des images des objets peintes à la circonférence de l’eſpace circulaire du milieu ; ce qui ſurprend ceux qui ignorent la cauſe de cette eſpèce d’illuſion. Ces parties des images paroiſſent bien plus difformes lorſqu’on remplit leurs intervalles de figures inſignifiantes, comme on le fait ordinairement. Cependant, quelquefois, on ne met autour de l’eſpace du milieu que des figures régulières, différentes de celle qui paroît à travers le verre.

Le procédé pour former des images difformes qui paroiſſent régulières au travers d’un verre à pluſieurs faces triangulaires, ſera bientôt compris, ſi on fait attention que ce verre étant dans un tuyau qui eſt percé, au bout oppoſé à celui où eſt le verre, d’un petit trou un peu au de-là du foyer du verre, on met au-devant de ce trou une petite lumière, & que, au-delà du verre, on marque les aréoles lumineuſes & triangulaires que forment les rayons de lumière réfractés. C’eſt dans ces aréoles ou petits eſpaces qui ne doivent former qu’une ſeule image, qu’on peint les différentes parties d’un objet qui paroîtra ſeul & régulier, lorſqu’on regardera par le petit trou. J’ai pluſieurs de ces appareils dans le cabinet de phyſique de la province de Languedoc : On peut en voir auſſi de très-bien faits à la bibliothèque de l’Oratoire, rue Saint-Honoré, à Paris.

3o. Le troiſième genre d’anamorphoſe eſt celui des figures difformes peintes ſur des cartons, ſur leſquels on place des miroirs de métal, cylindriques, coniques ou priſmatiques ; en regardant dans ces miroirs, on voit des figures régulières. On trouvera à l’article Miroir, l’explication des effets que produiſent ces miroirs, dans l’art des expériences de M. l’abbé Nollet, tom. 3 ; dans le dictionnaire de mathématique de Savérien ; dans celui de l’Encyclopédie ; dans pluſieurs traités d’optique & de catoptrique : on trouvera également la méthode de tracer les anamorphoſes dont nous parlons. Voyez le mot Perspective.