Encyclopédie méthodique/Physique/ARGENT

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ARGENT. L’argent que les anciens nommoient lune eſt un métal parfait, d’un blanc brillant & éclatant. Il n’a aucune odeur ni ſaveur. Plus dur que l’or, l’étain & le plomb, il l’eſt moins que le cuivre & le fer. Peſé à la balance hydroſtatique, il perd environ un onzième de ſon poids : un pied cube d’argent fondu, pèſe ſept cent vingt livres. La ténacité de ſes parties eſt près de moitié moindre que celle de l’or : un fil d’argent, d’un dixième de pouce de diamètre, ne peut ſoutenir qu’un poids de deux cent ſoixante-dix livres avant que de ſe rompre, ſelon les expériences de M. Bertoud, dans ſon eſſai ſur l’horlogerie.

Après l’or, l’argent eſt le plus ductile des métaux ; à force de le battre on le réduit en lames ou feuilles plus minces que le papier le plus fin. Un grain d’argent, qui esſ bien peu de choſes, peut former par ſon extenſion un vaiſſeau capable de contenir une once d’eau ou une lame de trois aunes de long & de deux pouces de large. On peut en faire de même des fils de la plus grande fineſſe, comme on le verra à l’article Divisibilité.

L’argent eſt plus ſonore & plus dur que l’or, le ſon qu’il rend a de l’éclat. Il se fond à un degré de feu un peu moindre que l’or : & il eſt preſqu’auſſi fixe & auſſi indeſtructible que l’or. Kunkel a tenu de l’argent, de même que de l’or, dans un feu de verrerie, pendant plus d’un mois, ſans éprouver aucune altération : on n’y a remarqué qu’un petit déchet de quelques grains, qui pouvoit venir de l’alliage de quelque matière étrangère. La chaleur fond, fait bouillir & volatiliſe l’argent, mais ſans altération. Tenu en fuſion pendant quelque temps, ce métal ſe bourſoufle & il exhale des vapeurs qui ne ſont que de l’argent volatiliſé, ainſi que le prouvent les expériences faites en 1772, par MM. Macquer, Tillet, Lavoisier & Briſſon, au foyer des deux grandes lentilles de Tſchirnhauſen, de 33 pouces de diamètre, & de la loupe de M. de Trudaine. On y vit l’argent fondu répandre une fumée épaiſſe de cinq à ſix pouces de hauteur, qui blanchiſſoit une lame d’or qu’on y exposoit ; on obſerva de même une lame d’argent ſe dorer à la fumée de l’or ; d’où il ſuit que la fumée de l’or & de l’argent ne ſont que ces métaux eux-mêmes volatiliſés, comme la fumée de l’eau, celle du mercure, &c., ne ſont que l’eau réduite en vapeurs, ou le mercure volatiliſé. La fixité des métaux parfaits, ni probablement celle d’aucun autre corps, n’eſt donc point abſolue, comme le remarque M. Macquer, elle eſt ſeulement relative au degré de chaleur qu’ils éprouvent.

L’argent ſe criſtalliſe en pyramides tétraëdres, mais pour cet effet le refroidiſſement doit être lent & tranquille ; l’action combinée de l’air & de l’eau n’altère pas la couleur & le brillant de l’argent, & n’y occaſionne aucune rouille ; néanmoins la ſurface de ce métal ſe ternit un peu. On a cru long-temps que ce métal étoit indeſtructible par l’action combinée de la chaleur & de l’air ; il eſt certain que, tenu en fuſion avec le contact de l’air, il ne paroît pas s’altérer ſenſiblement. Cependant Macquer ayant expoſé de l’argent dans un creuſet de porcelaine au feu qui cuit celle de Sève ; a obtenu, à la vingtième fuſion, une matière vitriforme d’un vert d’olive qui paroît être un véritable oxide (chaux) d’argent vitreux. Junker avoit eu le même réſultat par un autre procédé. L’argent expoſé au foyer des verres ardens dont on a parlé plus haut, a toujours préſenté une matière blanche, pulvérulente à ſa ſurface, & un enduit vitreux verdâtre. Ces deux faits, dit M. Fourcroy, ne peuvent laiſſer de doute ſur l’altération de l’argent, quoiqu’il ſoit beaucoup plus difficile à oxider que les autres matières métalliques ; il eſt cependant ſuſceptible de ſe changer à la longue en un oxide blanc qui, traité à un feu violent, donne un verre couleur d’olive. La commotion électrique paroît oxider ce métal.

L’eau n’a pas d’action ſur l’argent. Les matières ſalino-terreuſes & les alkalis n’agiſſent pas non plus ſur lui d’une manière ſenſible.

L’acide vitriolique (ſulfurique) très-concentré & bouillant, diſſout l’argent très-diviſé : de cette diſſolution, on obtient une grande-quantité de gaz acide ſulfureux.

L’acide nitreux (nitrique) oxide & diſſout l’argent avec rapidité, même ſans chaleur ; & il ſe dégage alors beaucoup de gaz nitreux. L’acide nitrique peut même diſſoudre plus de la moitié de ſon poids d’argent. Cette diſſolution eſt d’une très-grande cauſticité : en faiſant évaporer, on obtient par le refroidiſſement une grande quantité de cristaux blancs, en forme d’écailles, nommés cryſtaux de lune. C’eſt du nitrate d’argent qui détonne bien ſur un charbon ardent, & laiſſe enſuite une poudre blanche qui eſt de l’argent pur : il eſt très-fuſible & forme la pierre infernale.

Preſque toutes les matières métalliques décompoſent la diſſolution nitrique d’argent ayant plus d’affinité avec ce métal, qu’avec l’acide nitrique. La plupart des métaux & des demi-métaux précipitent l’argent dans ſon état métallique parce qu’ils lui enlèvent l’oxigène avec lequel ils ont plus d’affinité. Dans une diſſolution de l’argent par l’acide nitrique, étendue dans l’eau, la lenteur de la précipitation par le mercure, produit un arrangement ſymmétrique auquel on a donné le nom d’arbre de Diane (Voyez arbre de Diane.) parce qu’il repréſente une ſorte de végétation en forme de buiſſon, plus ou moins touffu.

Le cuivre plongé dans une diſſolution d’argent en précipite de même ce métal ſous la forme brillante & métallique. C’eſt le procédé uſité pour ſéparer l’argent de ſon diſſolvant après l’opération du départ.

L’acide marin (muriatique) ne diſſout point immédiatement l’argent, mais bien ſon oxide. Lorſque cet acide eſt ſurchargé d’oxigène, il oxide facilement le métal. L’acide nitro-muriatique agit ſur l’argent, & le précipite à meſure que la diſſolution s’opère. On ne connoît pas bien l’action des autres acides ſur l’argent.

L’argent s’unit avec l’arſenic, qui le rend caſſant, il se combine difficilement avec le cobalt. Il s’allie très-bien au biſmuth, & forme avec lui un métal mixte fragile. Ce métal ſe fond avec l’antimoine, & l’alliage qui en réſulte eſt très-fragile ; il ſe combine facilement avec le zinc, par la fuſion, & l’alliage eſt très-caſſant. Il s’unit très-bien avec l’étain qui, même en petite doſe, lui fait perdre toute ſa ductilité. Il s’allie promptement avec le plomb, qui le rend très-fuſible, & qui lui ôte ſon élaſticité & ſa qualité ſonore. Il ſe combine avec le fer. De cet alliage, il réſulte une ſubſtance preſqu’auſſi blanche que l’argent, laquelle eſt malléable & attirable à l’aimant. Il ſe fond & ſe combine en toutes proportions avec le cuivre qui ne lui ôte pas ſa ductilité, mais le rend plus dur & plus ſonore, & avec lequel il forme un alliage ſouvent employé dans les arts.

Le mercure diſſout complétement, & même à froid, l’argent ; mais il diſſout l’or plus facilement, & moins aiſément le plomb, l’étain, le cuivre & le fer. L’alliage de l’argent avec le mercure a non-ſeulement une peſanteur ſpécifique plus grande qu’elle ne devroit être, ſuivant les règles de l’alliage, mais encore elle eſt plus grande que celle du mercure même, quoique l’argent ſoit plus léger. La preuve en eſt que l’amalgame d’argent va au fond du mercure ; & de plus cela eſt démontré par les expériences de la balanee hydroſtatique.

On trouve l’argent ſous différentes formes dans l’intérieur de la terre : l’argent vierge ou natif qui a ſon brillant & ſa ductilité ; on remarque en lui différentes variétés pour la forme ; mais plus communément la nature nous le préſente dans l’état minéral ; il eſt alors uni avec beaucoup de matières hétérogènes, telles que des ſubſtances métalliques & des ſubſtances minéraliſantes, qui ſont le soufre & l’arſenic, dont on le ſepare par divers procédés usités dans l’art docimaſtique & dans les travaux en grand des mines.

L’argent eſt purifié de l’alliage des autres métaux deſtructibles, en le traitant avec le nitre ou avec le plomb, cette purification de l’argent s’appelle affinage ou coupellation, parce qu’elle ſe fait dans une coupelle. Ces opérations ſont fondées en général ſur la deſtructibilité des métaux imparfaits, & l’indeſtructibilité de l’argent qui eſt un métal parfait. Mais ſi l’or eſt mêlé avec l’argent, il faut avoir recours, pour ſéparer ces deux métaux, à l’opération du depart, dans laquelle on emploie un diſſolvant qui n’a pas d’action ſur l’or.

L’argent qui eſt plus peſant que l’étain, le fer & le cuivre, pèſe moins que l’or & le plomb fondu & bien pur ; ſa peſanteur ſpécifique, ſelon M. Briſſon, eſt à celle de l’eau diſtillée comme 104 743 eſt à 10 000. Un pouce cube de cet argent pèſe 6 onces 6 gros 22 grains ; & un pied cube pèſe 733 livres 3 onces 1 gros 52 grains. Cet argent fortement écroui a plus de peſanteur ſpécifique, puiſqu’elle eſt alors 105 107 ; ce qui fait une augmentation d’. Un pouce cube de cet argent pèſe 6 onces 0 gros 36 grains ; & un pied cube pèſe 735 livres 11 onces 7 gros 43 grains.

L’argent parfaitement fin eſt à douze deniers, chaque denier ſe diviſant en 24 grains. « Celui que l’on emploie dans l’orfévrerie de Paris a un vingt-quatrième d’alliage ; c’eſt-à-dire, qu’il eſt à 11 deniers de fin : encore permet-on de denier ou 2 grains d’alliage de plus : de ſorte qu’il eſt ordinairement à 11 deniers 10 grains de fin, & 14 grains d’alliage. Cet argent n’étant que ſimplement fondu, a une peſanteur ſpécifique, qui eſt à celle de l’eau de pluie ou de l’eau diſtillée, comme 10 175 eſt à 10 000. Ainſi, le pouce cube de cet argent pèſe 6 onces 4 gros 55 grains, & le pied cube pèſe 712 livres 4 onces 1 gros 57 grains. Mais lorſque cet argent a été fortement écroui, ſa peſanteur ſpécifique eſt à celle de l’eau de pluie, dit M. Briſſon, comme 103 765 eſt à 10 000.  Sa denſité a donc été augmentée par l’écroui d’environ . Un pouce cube de cet argent pèſe 6 onces 5 gros 57 grains ; & un pied cube pèſe 726 livres 5 onces 5 gros 32 grains.

L’argent employé pour la monnoie de France, doit être à 11 deniers de fin & un denier d’alliage ; mais on permet de denier ou 3 grains d’alliage de plus ; c’eſt-à-dire, qu’il eſt ordinairement à 10 deniers 21 grains de fin, & un denier 3 grains d’alliage. Cet argent n’étant que ſimplement fondu, a une peſanteur ſpécifique qui eſt à celle de l’eau de pluie, comme 100 476 eſt à 10 000. Le pouce cube de cet argent pèſe donc 6 onces 4 gros 7 grains, & le pied cube pèſe 703 livres 5 onces 2 gros 36 grains. Mais lorſque cet argent a été fortement comprimé ſous le balancier dont on fait uſage pour donner l’empreinte à la monnoie, ſa peſanteur ſpécifique eſt conſiderablement augmentée : elle est à celle de l’eau de pluie comme 104 077 à 10 000. Sa denſité eſt donc augmentée par cette forte compreſſion d’environ . Un pouce cube de cet argent ainſi comprimé, péſeroit 6 onces 5 gros 70 grains ; & un pied cube péſeroit 728 livres 8 onces 4 gros 71 grains.

Connoiſſant la peſanteur ſpécifique du cuivre rouge qu’on emploie pour allier l’argent, (voyez CUIVRE) il eſt aiſé de voir que les deux eſpèces d’argent allié dont on fait uſage, ſavoir, celui de l’orfévrerie & celui de la monnoie, n’ont pas une denſité auſſi grande que l’exigent les denſités particulières des deux métaux qui compoſent le mélange. Cela vient de ce que, non ſeulement, il n’y a point de pénétration mutuelle de ces deux métaux dans les pores l’un de l’autre, comme il y en a une dans le mélange de l’or & du cuivre, mais encore de ce que leurs parties ne ſont pas autant rapprochées qu’elles pourroient l’être. C’eſt la raſson pour laquelle la denſité de ces métaux alliés augmente ſi conſidérablement par l’écroui, qui tend à en rapprocher les parties. » (Voyez les mém. de l’acad. des ſciences. 1772. 2 Partie, pag. 13 & ſuiv.

Nous terminerons cet article, en faiſant connoítre la fulmination de l’argent. M. Bertholet qui avoit donné une nouvelle théorie de la fulmination de l’or, fut conduit par elle à la fulmination de l’argent ; il eſt parvenu à obtenir de l’argent un produit plus fulminant encore, un produit intactile, qui fulmine á l’instant qu’on le met en contact avec un corps quelconque. En voici le procédé.

Prenez de l’argent de coupelle, diſſolvez-le dans l’acide nitrique : précipitez l’argent de cette diſſolution par l’eau de chaux ; décantez & exposez l’oxide (le précipité) pendant trois jours à l’air. M. Bertholet imagine que la préſence de la lumière peut influer ſur le ſuccès de l’expérience.

Étendez cet oxide deſséché dans de l’ammoniac, (alkali volatil cauſtique) il prendra la forme d’une poudre noire ; décantez & laissez ſéchez à l’air cette poudre ; c’eſt elle qui forme l’argent fulminant.

La poudre à canon, l’or fulminant même ne peuvent pas être comparés à ce produit nouveau. Il faut le contact du feu pour faire détonner la poudre ; il faut faire prendre à l’or fulminant un degré de ehaleur ſenſible pour qu’il fulmine, tandis que le contact d’un corps froid suffit pour faire détonner l’argent fulminant ; enfin, ce produit une fois obtenu, on ne peut plus le toucher ; on ne doit pas prétendre l’enfermer dans un flacon, il faut qu’il reſte dans la capſule, où par l’évaporation, il a acquis cette terrible propriété.

Les effets ſuivans ſont certains. Le poids d’un grain d’argent fulminant qui étoit dans une petite capſule de verre, a réduit la capſule en poudre, & a lancé les éclats du verre avec aſſez de force pour percer plusieurs doubles de papier.

Le vent ayant renverſé un papier ſur lequel étoient quelques atômes de cette poudre, la portion miſe en contact avec la main, fulmina, à plus forte raiſon la portion de cette même poudre qui tomba de la hauteur de la main à terre. Enfin, une goutte d’eau tombée de haut ſur l’argent fulminant, la fait fulminer.

L’expérience ſuivante eſt bien propre à compléter l’idée que l’on doit ſe former de la propriété fulminante de cette préparation. Prenez l’ammoniac qui a été employé à la conversion de l’acide d’argent en ce précipité noir qui fait l’argent fulminant ; mettez cet ammoniac dans un petit matras de verre mince, & faites-lui prendre le degré de l’ébullition néceſſaire pour compléter la combinaiſon ; retirez le matras du feu ; il ſe formera ſur ſa paroi intérieure un enduit hériſſé de petits cristaux que recouvrira la liqueur.

Si, ſous cette liqueur refroidie, on touche un de ces cristaux, il ſe fait une explosion qui briſe le matras. On a vu dans cette occaſion le fluide élancé au plafond du laboratoire, & le matras mis en éclat par cette expérience.

De ces expériences, on doit conclure qu’il faut uſer de grandes précautions relativement à l’argent fulminant, qu’on ne doit en tenter la fulmination que ſur de petites quantités, le poids d’un grain ; car un plus grand volume donneroit lieu à une fulmination dangereuse. Il faut encore en inférer la néceſſité de ne faire cette préparation que le visage couvert d’un masque garni d’yeux de verre ; & pour éviter la rupture des capſules de verre, il eſt prudent de faire deſsécher l’argent fulminant dans de petites capſules de métal.

La théorie de ce phénomène eſt la même que celle de l’or fulminant, établie par M. Bertholet dans les mémoires de l’academie des ſciences, année 1785. Dans cette opération, l’oxigène (générateur de l’acide) qui tient très-peu à l’argent, ſe combine avec l’hydrogène (générateur de l’eau) de l’ammoniac : de la combinaiſon de l’oxigène & de l’hydrogène, il ſe forme de l’eau dans l’état de vapeur.

Cette eau vaporiſée inſtantanément, jouiſſant de toute l’élasticité, de toute la force expanſive dont elle eſt douée dans cet état de vaporiſation, eſt la cauſe principale du phénomène, dans lequel l’azote qui ſe dégage de l’ammoniac avec toute ſon expanſibilité joue un ſi grand rôle. Après la fulmination, l’argent eſt revivifié, & a repris ſon état métallique.

Argent (vif) Voyez Mercure.