Encyclopédie méthodique/Physique/ASPHIXIE

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ASPHIXIE. Ce mot vient du grec, & ſignifie ſans pouls ; il déſigne une abolition ſubite du mouvement & du ſentiment, accompagnée de la privation du pouls, & de la reſpiration. C’est le dernier degré de la ſyncope, & l’état le plus voiſin de la mort. Quoiqu’il paroiſſe au premier coup d’œil que cette matière eſt étrangère à la phyſique, cependant elle a avec cette ſcience un grand rapport. Les divers inſtrumens que la phyſique moderne a imaginé pour rétablir la reſpiration, tels que les soufflets apodopniques, les pompes apodopniques, &c. &c. Voyez Apodopnique. Les différentes expériences qu’on fait ſur les gaz, fluides aréiformes, dont la plupart ſont méphitiques & capables de faire tomber les animaux en aſphixie ; les divers moyens qui ſont relatifs à ces objets, & qu’on a imaginé pour éviter de tomber en aſphixie ou pour en échapper ; ce qu’on a établi à l’article de l’air, relativement à l’économie animale, n°. XII : toutes ces conſidérations prouvent qu’on ne peut ſe diſpenser de faire connoître ici ce qui a été dit de plus intéreſſant ſur cette matière, d’ailleurs ſi utile par elle-même. Voyez encore les articles Charbon, Méphitisme, Renouvellement de l’air, Gaz azote.

Les cauſes extérieures qui produiſent l’aſphixie, ſont la vapeur du charbon, le gaz fixe dégagé par la fermentation, une compreſſion quelconque du col ou de la poitrine, le froid, divers lieux méphitiques offerts par la nature, les émanations qui s’échappent des foſſes d’aiſance, & la foudre.

Pour être bien inſtruit de ce qui regarde l’état d’aſphixie, il faut ſavoir s’il y a quelque ſigne poſitif de l’extinction de la vie, & diſtinguer la mort apparente de la mort abſolue, mais cela eſt très-difficile ; il y a à ce ſujet pluſieurs opinions qui ne ſont pas du reſſort d’un ouvrage de phyſique. Nous dirons ſeulement ici deux mots ſur le ſentiment de M. Kite, non qu’il ſoit le plus certain, mais parce qu’il préſente une diſtinction aiſée à concevoir & à fixer les idées du grand nombre des lecteurs. La mort apparente conſiste dans la ſuspenſion de la circulation, de la reſpiration & de l’action du cerveau ; tandis que l’irritabilité ou cette propriété particulière des fibres muſculaires qui les rend capables de ſe contracter lorſqu’elles ſont irritées, ſubſiſte encore. La mort abſolue a lieu lorſque, non-ſeulement toutes les fonctions vitales, naturelles & animales ont ceſſé, mais que le principe même de l’irritabilité eſt détruit. La vie, ſelon M. Kite, ſubſiſte tant que l’irritabilité reſte ; quoiqu’il ne ſoit pas certain qu’on puiſſe rétablir l’exercice réglé & ſoutenu des fonctions, lors même qu’un certain degré de cette propriété ſe fait diſtinguer.

L’aſphixie eſt, comme on l’a dit, une maladie qui conſiſte dans la ceſſation ſubite du pouls, du ſentiment, du mouvement & de la reſpiration. Si elle est continuée trop long-temps, les vaiſſeaux du col, de la face & du cerveau s’engorgent, le ſang ſe raréfie, ſort quelquefois par différens émonctoires, & le poumon qui eſt alors ſouvent rétréci, ſe trouve rempli de ſang. M. Troja, qui a fait périr un grand nombre d’animaux par les vapeurs méphytiques, y a même remarqué de petites déchirures. On ſe tromperoit cependant, en regardant la léſion de la reſpiration, comme la ſeule cauſe des accidens qu’éprouvent les aſphixiés ; l’expérience ſuivante ſemble démontrer le contraire. On ſait que les grenouilles vivent quelquefois une ou deux heures après qu’on leur a ôté le poumon. M. Spalanzzani en a expoſé pluſieurs auxquelles il venoit de l’enlever, à l’action d’un fluide méphytique, ſous un bocal, & il les a vu périr preſque sur le champ. Le docteur Carminali, dans un grand ouvrage ſur les exhalaiſons méphytiques, aſſure que leur effet eſt de détruire promptement l’irritabilité.

Pluſieurs faits prouvent auſſi que les perſonnes tombées en aſphixie, ont ſouvent quelques-unes de leurs parties dans un état de ſpaſme. M. Harmant, & pluſieurs autres médecins, ont vu quelquefois les mâchoires des perſonnes aſphixiées, très-ſerrées l’une contre l’autre ; & ce ſpaſme varie ſuivant la nature du gaz dans lequel le malade a été plongé. Le gaz inflammable eſt celui de tous qui donne le plus de mal-aiſe ; il occaſionne des convulſions & même le tétanos. Le gaz fixe produit enſuite les effets les plus fâcheux ; la vapeur du charbon n’a pas tout-à-fait autant d’énergie, ainsi que l’a prouvé M. Buquet.

Tous les effets de cette maladie paroiſſent donc devoir être déduits, 1o. d’une ſorte d’engourdiſſement occaſionné par l’action des vapeurs méphytiques ſur les nerfs ; 2o. du défaut de reſpiration ; 3o. des engorgemëns plus ou moins conſidérables, qui en ſont une ſuite néceſſaire.

Les indications que l’on doit ſe propoſer en pareil cas, paroiſſent être les ſuivantes, aux commiſſaires de l’académie des ſciences, MM. Portal & Vicq-d’Azir, dans un rapport dont on trouve ici un précis.

1o. Détruire l’engourdiſſement nerveux par quelque ſecouſſe ou irritation ; 2o. rétablir le jeu des poumons ; 3o. prévenir les accidens qui ſont la ſuite de l’engorgement.

Cæſalpin, Panarolle, Boerhaave, Wagner, Lorry, Boucher, Fothergill, &c., ont conſeillé avec ſuccès d’expoſer les malades aſphixiés par la vapeur du charbon, à l’air frais, & de leur jeter de l’eau froide ſur le corps ; de leur faire reſpirer de l’eſprit volatil de ſel ammoniac ; de les frotter par tout le corps, de leur appliquer des véſicatoires, des lavemens de tabac.

L’inſufflation qui peut ſe faire par le nez ou par la bouche, avec le tuyau décrit par M. Piat, ou même avec un ſoufflet, ou de toute autre manière, eſt très-utile.

La plupart des méthodes employées pour rappeler à la vie des aſphixiés, quoique différentes, ont toutes eu du ſuccès ; la raiſon en eſt qu’elles ſont toutes irritantes, toutes excitent, réveillent & c’eſt-là l’objet eſſentiel. Telle eſt la raiſon pour laquelle les acides, les alkalis, les odeurs empireumatiques & fortes, les aſperſions d’eau froide, partielles ou totales, les bains froids, les ſternutatoires, les inſufflations dans la poitrine, les lavemens de tabac, les ſcarifications même y ont réuſſi.

S’il s’agit de ſecourir des aſphixiés dans le lieu même où ſont accumulées des vapeurs méphytiques, il faut que ceux qui s’expoſent ſe faſſent paſſer une corde sous les bras. Si une lumière plongée dans ce lieu, s’y éteint, il faut sur-le-champ y jeter abondamment de l’eau froide, & la répandre à la manière des arroſoirs, en ayant toujours ſoin que les perſonnes tombées en aſphixie, ne ſoient pas ſubmergées

Dans bien des cas, on peut employer avec ſuccès le moyen indiqué par M. de Morveau, & qui conſiſte à répandre de l’acide vitriolique ſur du ſel marin, un peu ſéché auparavant.

La perſonne ſouffoquée par les vapeurs méphytiques, étant une fois tirée de l’endroit infecté, il faut l’en éloigner & la tranſporter dans un lieu frais & bien aéré, la déſhabiller ſi ſon corps eſt ſouillé par quelques immondices, l’étendre par terre ſur un drap, la tête un peu élevée, & lui faire jeter deſſus pluſieurs ſceaux d’eau froide avec force & d’un peu loin, afin d’exciter plus de ſurpriſe. Le corps étant ſuffiſamment nettoyé, on aſſujettira le malade ſur un ſiége bas, où il ſera un peu renverſé en arrière, & pluſieurs perſonnes ſeront occupées ſans relâche à lui jeter ſur le viſage & ſur la poitrine, de l’eau la plus froide par verrées & de loin.

Inutilement on conſeilleroit, à cette époque, des potions quelconques ou la ſaignée ; la déglutition ne pouvant avoir lieu, les fluides ne parviendroient pas juſqu’à l’eſtomac ; d’un autre côté, quand la veine ſeroit ouverte, le ſang ne ſortiroit qu’en très-petite quantité à cauſe de l’inaction de tous les vaiſſeaux, & s’il ſortoit plus abondamment, il ſeroit bien à craindre qu’un affaiſſement mortel n’en fût la ſuite : ainſi, juſqu’à ce que les mouvemens vitaux ſe ſoient fait apercevoir, on ne doit rien attendre que des irritans extérieurs.

Il ne faut pas oublier de ſtimuler la membrane pituitaire, ſoit avec l’alkali volatil, qui eſt très-actif, ſoit avec le ſel de vinaigre, ſoit avec l’acide ſulfureux volatil, dégagé du ſoufre que l’on fait brûler, & qu’il eſt facile de ſe procurer par-tout.

Les frictions faites ſur les différentes parties du corps avec des linges imbibés de vinaigre, procureront auſſi un grand avantage.

Quant à l’inſufflation, pour la mettre en uſage, il ſuffit de placer un tuyau dans le nez ou dans à rétablir le mécaniſme de la reſpiration dans les perſonnes aſphixiées ; elle eſt compoſée de deux cylindres de cuivre, contenant chacun un piſton, qui s’élèvent & s’abaiſſent alternativement par le moyen d’une manivelle commune. Il y a des ſoupapes placées convenablement. Voyez Apodopnique. (pompe.)

Nous ajouterons ici que M. le Cat avoit eu autrefois l’idée d’une eſpèce de ſyphon propre à ſouffler de l’air dans la poitrine. Il propoſoit de faire paſſer une branche de ſyphon dans l’ouverture de la glotte ; mais ce moyen a paru à pluſieurs, ſujet à beaucoup de difficultés dont la principale eſt de ne pouvoir relever l’épiglotte pour introduire le tuyau ; car, dans preſque tous les cas de ſuffocation ou de ſubmerſion, les dents ſont ſerrées, & il eſt très-difficile d’introduire, même dans la bouche, un inſtrument quelconque. Alors, on fait l’inſufflation de l’air dans la poitrine par la voie d’une des deux narines, ce qui réuſſit très bien.

Il y a des aſphixies qui ſont occaſionnées par un grand froid ; nous en parlerons à l’article Froid.