Endehors/Agression

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Chamuel (p. 190-194).
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Agression


Celui qui aura frappé par le fer périra par le fer, dit l’Évangile qui n’est pas la plus ridicule des lectures.

Nous eûmes le malheur d’être rudes pour les pornographes ; ils nous le rendent aujourd’hui.

Le Parquet nous brutalise.

Nous avions écrit, combien nous paraissait peu séduisant le labeur des spécialistes de la gaudriole. Tout en reconnaissant que certains tableaux sensuels avaient un intérêt vif, nous montrions comme les prétendus artistes qui récidivent constamment la même scène de genre — de genre photographie d’Amsterdam, finissent par être rasants et rageants. Si ces êtres-là, de temps en temps, avaient des visées plus hautes, si parfois ils allaient au cerveau du lecteur et pas sans cesse à son bas-ventre — on distinguerait en leurs œuvres les successives impressions d’un esprit subtil qui s’affirme austère ici, là passionné, on y trouverait ce qui d’ordinaire y manque totalement, on y découvrirait quelque chose de propre. Mais Armand Silvestre est le seul vieux gaulois qui soit à la fois soyeux et sentimental. Cette noble exception ne suffit pas. La trichine va devenir le phylloxéra des lettres !

Nous disions à peu près cela, il y a six mois. C’était dur.

Et, par un juste retour des choses d’ici-bas : on saisit notre journal, on perquisitionne, on nous cite chez le juge d’instruction et ce monsieur nous annonce, sans rire, qu’il s’agit de la répression des publications obscènes.

Les vrais pornos grognent :

— C’est bien fait !


Si nous avions eu souci d’éclairer la foi de ce juge d’instruction, qui du reste ne semblait pas désirer essentiellement lui-même instruire sa religion et documenter son avis, nous lui aurions répondu ce que nous avons réservé pour nos lecteurs, pour nos camarades.

Nul ne pouvait un instant s’y méprendre.

À qui la faute ?, l’article de M.-J. Le Coq, cette chronique incriminée comme attentatoire à la moralité des foules indiquait seulement — et sans fioritures à la Mendès — le besoin, pour la femme, d’un amour moins bestial que l’amour craché par l’écœurante brutalité des hommes « sans respect pour les chastetés d’âme que garde la plus dépravée ».

Le sujet n’était pas cherché à plaisir, pas voulu. L’actualité l’imposait. L’aventure de Mme de Rute avait mis sous la plume d’un gros tas de journalistes de rustaudes invectives, de prudhommesques effarouchements. Il était de bonne riposte que l’un de nous dît strictement : À la fin, laissez-nous tranquilles avec vos pudeurs détailleuses. En admettant même l’exactitude des accusations — lesbiennes caresses — à quel titre sermonnez-vous ? Et le Baiser n’est-il pas libre ?

Dans ce journal, où la lutte est pour la Liberté toute, c’est, selon l’à-propos, cette thèse et pas une autre que forcément on doit soutenir.

Pour ne point s’en rendre compte, pour voir autre chose dans l’article en cause, il faut être un vieux goret ou bien un jeune et soupçonneux magistrat.


La vérité vraie c’est que depuis longtemps on nous guettait, prêt à s’emparer du premier prétexte. On nous épiait attendant l’occasion de frapper un sale coup — le coup traître. Cette occasion, on a cru la trouver.

On s’est bien gardé de nous poursuivre lors des plus osés cris de révolte. On n’ignorait pas que nous craignons peu l’amende et la prison, suffisamment prémunis que nous sommes contre l’une — et bravant l’autre. On a patiemment attendu et le dandin qui, l’autre jour, a annoncé : Nous les tenons comme pornographes ! s’est pris pour feu Machiavel.

Il s’est mis le code dans l’œil.

En vain on tentera de nous entraîner sur un terrain qui n’est pas nôtre.

Nous ne nous laisserons pas faire.

Nous sommes des hommes.

Les agressions par derrière ne peuvent réussir, aux magistrats, que quand ils s’en prennent à des enfants.