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Endehors/La Fille du Régiment

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Chamuel (p. 105-109).


La Fille du Régiment


Il ne s’agit pas de l’opéra-comique bien connu.

La fille du régiment dont il est question n’a que de lointains rapports avec une œuvre musicale. Nous voulons parler de cette gracieuse personnalité que les chasseurs à cheval de Châlons-sur-Marne appelaient couramment Suzanne.

On connaît le scandale nouveau. Les journaux ont raconté, avec force piquants détails, la curieuse aventure d’un capitaine, d’un lieutenant, d’une douzaine de sous-officiers et soldats et enfin de cette Suzanne indiscutablement moins chaste que celle de l’Ancien Testament.

Cette Suzanne, que le régiment nommait aussi familièrement « la fille », n’était autre qu’un jeune militaire au duvet naissant très goûté par nombre de galonnés — délicats appréciateurs de sa façon de faire l’exercice.

Le petit pantalon rouge avait une réputation assise.


Certes ce fut une insigne maladresse qui entraîna, au grand jour, une série de faits destinés plutôt, dans l’esprit de leurs auteurs, à jouir d’une clarté moins vive.

Le maréchal des logis de garde qui, un soir où Suzanne, joliment sanglée dans un dolman de fantaisie, se présentait pour sortir, s’amusa à lui faire faire demi-tour (histoire d’habitude) commit une irrémédiable gaffe.

La vengeance de la fille ne se fit pas attendre et fut cruelle.

L’œuvre perverse de sa nuit consista, cette fois-là, à dessiner naïvement, au charbon, sur les murs du quartier, une petite suite de scènes représentant des incidents vécus. On y voyait le sous-officier ayant refusé la permission, se livrer avec Suzanne même à de bizarres fantaisies semblant indiquer un point de vue tout spécial dans l’envisagement des choses. Et, machiavélique précaution ! pour qu’aucun doute ne fût permis, des inscriptions explicatives documentaient les primitifs croquis.

Ces décorations osées parurent le lendemain un spectacle assez inattendu. On voulut passer l’éponge sur les murs et étouffer l’affaire ; mais la fille s’y prêta aussi mal que possible.

— J’en ai assez, répondit Suzanne au commandant qui l’interrogeait, j’en ai assez de servir de femelle à quatre escadrons. Avec ça qu’on me doit des masses d’argent : le capitaine Fixe ne m’a pas payé la semaine dernière, le lieutenant Machin m’a posé un lapin, les brigadiers et les fourriers m’annulent à la course et quant au maréchal des logis qui était de garde hier, qu’il me règle d’abord mes vingt francs !

Il fallut bien se résoudre à tirer de ce cas, une affaire — une affaire qui pourra s’appeler : l’armée active et passive ou l’imprudence du sous-off planton.

Trop simple serait de partir de là pour un éreintement de tout ce qui, de près ou de loin, touche au militarisme. Des feuilles quotidiennes et bourgeoises lancent elles-mêmes l’anathème aux brebis galeuses — boucs serait plus juste — que le conseil de guerre frappera demain. De toutes parts on constate, on voit, on sent que le fameux prestige de l’armée s’effrite et tombe en miettes comme de l’anticaille vermoulue. La gent soldatesque n’avait peut-être plus pour elle que les amoureuses de couleurs, de clinquant et de panache — les femmes — et voici qu’elle les perd !

Ces dégringolades de la Grande Muette sont également faciles à noter. L’aventure de Châlons-sur-Marne n’est vraiment point la pire de toutes.

La maladive dépravation de quelques porteurs d’uniformes ne sera pas, pour nous, occasion à grandes phrases. Nos haines, qu’avivent les crimes cyniques des gradés, ne se surexcitent point aux lamentables chutes des hommes.

C’est seulement à ces traîneurs de sabre qui prétendent, par tous moyens, poétiser l’avilissant métier des armes, que l’on serait tenté de rappeler rudement la Fille du Régiment.

De fait, les tristes amants de Suzanne sont à jamais terrassés. Disons-le : ils sont à plaindre.

Nous ne les accablerons pas.

Et, tout au plus sourirons-nous, quand les flambards et les casseurs viendront encore nous parler de trous de balle dans le drapeau.