Endehors/Le Jeu de la cour et du hasard
Le Jeu de la cour et du hasard
La reine d’Angleterre, qui n’a touché plus de six cents millions depuis qu’elle est sur le trône, est évidemment dans l’impossibilité de faire, au prince de Galles, la petite pension nécessaire.
Le prince s’en plaint, les créanciers s’en ressentent et les événements comme ceux du « baccara scandal » en résultent directement.
L’histoire de Gordon Cumming, ce familier de l’héritier de la couronne, accusé de tricher au jeu est pour le moins symptômatique.
L’ami d’un prince convaincu de faire la poussette ! Un amiral de la flotte !…
À dire toute ma pensée — pas plus déroutée de trouver un voleur dans un officier que dans un civil — je crois qu’en l’espèce l’amitié d’un prince n’a pas été pour le baronnet un bienfait des dieux.
Le contraire peut-être.
Quand on en arrive, après une vie non soupçonnée, à tout risquer pour vingt-six francs, on est surtout un malheureux.
Dans l’entourage du prince de Galles on bat la dèche, une dèche dorée ; mais où l’or est représenté par des petits jetons de cuir qui, pour porter les armes royales, ne valent pas beaucoup plus que des sous-pieds découpés.
Toute l’Europe sait en effet que le prince est criblé de dettes : il est probable que celles du jeu figurent dans le tas.
D’autant que cette vieille maxime, inventée sans doute par un grec, « dette de jeu, dette sacrée ! » n’est pas pour impressionner une Altesse aussi moderne.
N’importe. Les cordons de la bourse, trop serrés par la reine Victoria, empêchent le prince, son fils, de faire galamment les choses. C’est un fait. Beaucoup, pour lui, autour de lui, ont ébréché leur fortune.
Qui dirait si dans le nombre, Gordon Cumming, le familier, ne compte pas ?
L’Altesse ne se souvient plus.
En cette affaire, tout est peu joli.
Cette façon d’arracher des aveux signés sous la menace de faire scandale, cette lettre que quatre gentilshommes ont forcé un cinquième à écrire, ce procédé sentant le traquenard ne peut en bonne conscience s’innocenter par l’immodéré désir de posséder un autographe.
Et les réponses des témoins ; le M. Wilson qui vient dire :
— J’étais tellement persuadé que sir Cumming trichait que je me suis associé avec lui.
Il ajoute que c’était uniquement pour le mieux surveiller. Est-ce là une circonstance bien atténuante ?
C’est ce témoin qui a vu Cumming laisser tomber, sur son premier enjeu, deux jetons de cinq livres après que les cartes eurent été abattues.
Et quand on veut savoir pourquoi, à ce moment, il n’a pas protesté :
— Mais, annonce-t-il, il y avait des dames ! Ce n’aurait pas été se conduire en gentlemen que d’avoir une discussion de jeu devant des dames.
À l’audience, les dames ne se gênent pourtant pas ; l’une d’elles, on ne sait pourquoi, ne peut prononcer le nom du vieux marin, débarqué, sans lui accoler une épithète dont la moindre est : le misérable !
Le côté des hommes ne s’exhibe point plus magnanime.
Lorsqu’on demande au prince de Galles, comme si l’on quêtait une invite à la clémence :
— Vous désirez, Monseigneur, vous montrer aussi bienveillant que possible pour sir William Gordon Cumming ?
Voici la réponse qu’on s’attire :
— Non non, je vous l’abandonne complètement !
Le prince de Galles a bien d’autres chiens à fouetter, trop de créanciers à taper, pour trouver ne fût-ce qu’un mot en faveur de l’ancien ami.
J’aime mieux retenir la déclaration de Mistress Wilson affirmant que le futur roi avait demandé qu’on fît préparer des tables spéciales pour le baccara bien avant que personne n’eût soupçonné Cumming.
On le voit, le prince se méfiait.
Ce ne devait sûrement pas être de son favori. C’était des autres.
Et il ressort que, comme les gens de tripots, les personnages de la haute — quand les fonds sont à la baisse, usent d’ingénieuse méthode pour violenter la fortune.
Ce n’est peut-être pas une nouvelle, mais cela met mieux en relief ce que deviennent, en Angleterre, les jeux de la cour et du hasard.