Esprit des lois (1777)/L14/C14

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CHAPITRE XIV.

Autres effets du climat.


Nos peres, les anciens Germains, habitoient un climat où les passions étoient très-calmes. Leurs lois ne trouvoient dans les choses que ce qu’elles voyoient, & n’imaginoient rien de plus. Et comme elles jugeoient des insultes faites aux hommes par la grandeur des blessures, elles ne mettoient pas plus de raffinement dans les offenses faites aux femmes. La loi[1] des Allemands est là-dessus fort singuliere. Si l’on découvre une femme à la tête, on payera une amende de six sols, autant si c’est à la jambe jusqu’au genou ; le double depuis le genou. Il semble que la loi mesuroit la grandeur des outrages faits à la personne des femmes, comme on mesure une figure de géométrie ; elle ne punissoit point le crime de l’imagination, elle punissoit celui des yeux. Mais lorsqu’une nation Germanique se fut transportée en Espagne, le climat trouva bien d’autres lois. La loi des Wisigoths défendit aux médecins de saigner une femme ingénue, qu’en présence de son pere ou de sa mere, de son frere, de son fils ou de son oncle. L’imagination des peuples s’alluma, celle des législateurs s’échauffa de même ; la loi soupçonna tout, pour un peuple qui pouvoit tout soupçonner.

Ces lois eurent donc une extrême attention sur les deux sexes. Mais il semble que, dans les punitions qu’elles firent, elles songerent plus à flatter la vengeance particuliere, qu’à exercer la vengeance publique. Ainsi dans la plupart des cas, elles réduisoient les deux coupables dans la servitude des parens ou du mari offensé. Une femme[2] ingénue, qui s’étoit livrée à un homme marié, étoit remise dans la puissance de sa femme, pour en disposer à sa volonté. Elles obligeoient les esclaves[3] de lier & de présenter au mari sa femme qu’ils surprenoient en adultere : elles permettoient à ses enfans[4] de l’accuser, & de mettre à la question ses esclaves pour la convaincre. Aussi furent-elles plus propres à rafiner à l’excès un certain point d’honneur, qu’à former une bonne police. Et il ne faut pas être étonné si le comte Julien crut qu’un outrage de cette espece demandoit la perte de sa patrie & de son roi. On ne doit pas être surpris si les Maures, avec une telle conformité de mœurs, trouverent tant de facilité à s’établir en Espagne, à s’y maintenir, & à retarder la chute de leur empire.


  1. Chap. LVIII. §. 1 & 2.
  2. Loi des Wisigoths, liv. III. tit. 4. §. 9.
  3. Ibid. liv. III, tit. 4. §. 6.
  4. Ibid. liv. III. tit. 4. §. 13.