Esprit des lois (1777)/L15/C12

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CHAPITRE XII.

Abus de l’esclavage.


Dans les états Mahométans[1], on est non-seulement maître de la vie & des biens des femmes esclaves, mais encore de ce qu’on appelle leur vertu ou leur honneur. C’est un des malheurs de ces pays, que la plus grande partie de la nation n’y soit faite que pour servir à la volupté de l’autre. Cette servitude est récompensée par la paresse dont on fait jouir de pareils esclaves : ce qui est encore pour l’état un nouveau malheur.

C’est cette paresse qui rend les sérails d’orient[2] des lieux de délices, pour ceux mêmes contre qui ils sont faits. Des gens qui ne craignent que le travail, peuvent trouver leur bonheur dans ces lieux tranquilles. Mais on voit que par-là on choque même l’esprit de l’établissement de l’esclavage.

La raison veut que le pouvoir du maître ne s’étende point au-delà des choses qui sont de son service ; il faut que l’esclavage soit pour l’utilité, & non pas pour la volupté. Les lois de la pudicité sont du droit naturel, & doivent être senties par toutes les nations du monde.

Que si la loi qui conserve la pudicité des esclaves est bonne dans les états où le pouvoir sans bornes se joue de tout, combien le sera-t-elle dans les monarchies ? combien le sera-t-elle dans les états républicains ?

Il y a une disposition de la loi[3] des Lombards, qui paroît bonne pour tous les gouvernemens. « Si un maître débauche la femme de son esclave, ceux-ci seront tous deux libres ». Tempérament admirable pour prévenir & arrêter, sans trop de rigueur, l’incontinence des maîtres.

Je ne vois pas que les Romains ayent eu à cet égard une bonne police. Ils lâcherent la bride à l’incontinence des maîtres ; ils priverent même en quelque façon leurs esclaves du droit des mariages. C’étoit la partie de la nation la plus vile ; mais quelque vile qu’elle fût, il étoit bon qu’elle eut des mœurs : & de plus, en lui ôtant les mariages, on corrompoit ceux des citoyens.


  1. Voyez Chardin, voyage de Perse.
  2. Voyez Chardin, tome II. dans sa description du marché d’Izagour.
  3. Livre I. tit. 32. §. 5.