Esprit des lois (1777)/L15/C13

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CHAPITRE XIII.

Danger du grand nombre d’esclaves.


Le grand nombre d’esclaves a des effets différens dans les divers gouvernemens. Il n’est point à charge dans le gouvernement despotique ; l’esclavage politique établi dans le corps de l’état, fait que l’on sent peu l’esclavage civil. Ceux que l’on appelle hommes libres, ne le sont guere plus que ceux qui n’y ont pas ce titre ; & ceux-ci, en qualité d’eunuques, d’affranchis, ou d’esclaves, ayant en main presque toutes les affaires, la condition d’un homme libre & celle d’un esclave se touchent de fort près. Il est donc presqu’indifférent que peu ou beaucoup de gens y vivent dans l’esclavage.

Mais dans les états modérés, il est très-important qu’il n’y ait point trop d’esclaves. La liberté politique y rend précieuse la liberté civile ; & celui qui est privé de cette derniere est encore privé de l’autre. Il voit une société heureuse, dont il n’est pas même partie ; il trouve la sureté établie pour les autres, & non pas pour lui ; il sent que son maître a une ame qui peut s’agrandir, & que la sienne est contrainte de s’abaisser sans cesse. Rien ne met plus près de la condition des bêtes, que de voir toujours des hommes libres & de ne l’être pas. De telles gens sont des ennemis naturels de la société ; & leur nombre seroit dangereux.

Il ne faut donc pas être étonné que dans les gouvernemens modérés l’état ait été si troublé par la révolte des esclaves, & que cela soit arrivé si rarement[1] dans les états despotiques.


  1. La révolte des Mammelus étoit un cas particulier ; c’étoit un corps de milice qui usurpa l’empire.