Esprit des lois (1777)/L19/C27

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CHAPITRE XXVII.

Comment les lois peuvent contribuer & former les mœurs, les manieres & le caractere d’une nation.


Les coutumes d’un peuple esclave sont une partie de sa servitude : celles d’un peuple libre sont une partie de sa liberté.

J’ai parlé au livre XI[1] d’un peuple libre ; j’ai donné les principes de sa constitution : voyons les effets qui ont dû suivre, le caractere qui a pu s’en former, & les manieres qui en résultent.

Je ne dis point que le climat n’ait produit en grande partie les lois, les mœurs & les manieres dans cette nation ; mais je dis que les mœurs & les manieres de cette nation devroient avoir un grand rapport à ses lois.

Comme il y auroit dans cet état deux pouvoirs visibles, la puissance législative & l’exécutrice ; & que tout citoyen y auroit sa volonté propre, & feroit valoir à son gré son indépendance ; la plupart des gens auroient plus d’affection pour une de ces puissances que pour l’autre, le grand nombre n’ayant pas ordinairement assez d’équité ni de sens pour les affectionner également toutes les deux.

Et comme la puissance exécutrice, disposant de tous les emplois, pourroit donner de grandes espérances & jamais des craintes : tous ceux qui obtiendroient d’elle seroient portés à se tourner de son côté, & elle pourroit être attaquée par tous ceux qui n’en espéreroient rien.

Toutes les passions y étant libres, la haine, l’envie, la jalousie, l’ardeur de s’enrichir & de se distinguer, paroîtroient dans toute leur étendue ; & si cela étoit autrement, l’état seroit comme un homme abattu par la maladie, qui n’a point de passions, parce qu’il n’a point de forces.

La haine qui seroit entre les deux partis dureroit, parce qu’elle seroit toujours impuissante.

Ces partis étant composés d’hommes libres, si l’un prenoit trop le dessus, l’effet de la liberté seroit que celui-ci seroit abaissé, tandis que les citoyens, comme les mains qui secourent le corps, viendroient relever l’autre.

Comme chaque particulier, toujours indépendant suivroit beaucoup ses caprices & ses fantaisies, on changeroit souvent de parti : on en abandonneroit un où l’on laisseroit tous ses amis, pour se lier à un autre dans lequel on trouveroit tous ses ennemis ; & souvent, dans cette nation, on pourroit oublier les lots de l’amitié & celles de la haine.

Le monarque seroit dans le cas des particuliers ; & contre les maximes ordinaires de la prudence, il seroit souvent obligé de donner sa confiance à ceux qui l’auroient le plus choqué, & de disgracier ceux qui l’auroient le mieux servi, faisant par nécessité ce que les autres princes font par choix.

On craint de voir échapper un bien que l’on sent, que l’on ne connoît guere, & qu’on peut nous déguiser ; & la crainte grossit toujours les objets. Le peuple seroit inquiet sur sa situation, & croiroit être en danger dans les momens même les plus surs.

D’autant mieux que ceux qui s’opposeroient le plus vivement à la puissance exécutrice, ne pouvant avouer les motifs intéressés de leur opposition, ils augmenteroient les terreurs du peuple, qui ne sauroit jamais au juste s’il seroit en danger ou non. Mais cela même contribueroit à lui faire éviter les vrais périls où il pourroit dans la suite être exposé.

Mais le corps législatif ayant la confiance du peuple, & étant plus éclairé que lui ; il pourroit le faire revenir des mauvaises impressions qu’on lui auroit données, & calmer ses mouvemens.

C’est le grand avantage qu’auroit ce gouvernement sur les démocraties anciennes, dans lesquelles le peuple avoit une puissance immédiate ; car lorsque des orateurs l’agitoient, ces agitations avoient toujours leur effet.

Ainsi quand les terreurs imprimées n’auroient point d’objet certain, elles ne produiroient que de vaines clameurs & des injures ; & elles auroient même ce bon effet, qu’elles tendroient tous les ressorts du gouvernement, & rendroient tous les citoyens attentifs. Mais si elles naissoient à l’occasion du renversement des lois fondamentales, elles seroient sourdes, funestes, atroces, & produiroient des catastrophes.

Bientôt on verroit un calme affreux, pendant lequel tout se réuniroit contre la puissance violatrice des lois.

Si, dans le cas où les inquiétudes n’ont pas d’objet certain, quelque puissance étrangere menaçoit l’état, & le mettoit en danger de sa fortune ou de sa gloire ; pour lors, les petits intérêts cédant aux plus grands, tout se réuniroit en faveur de la puissance exécutrice.

Que si les disputes étoient formées à l’occasion de la violation des lois fondamentales, & qu’une puissance étrangere parut ; il y auroit une révolution qui ne changeroit pas la forme du gouvernement, ni sa constitution : car les revolutions que forme la liberté ne sont qu’une confirmation de la liberté.

Une nation libre peut avoir un libérateur ; une nation subjuguée ne peut avoir qu’un autre oppresseur.

Car tout homme qui a assez de force pour chasser celui qui est déjà le maître absolu dans un état, en a assez pour le devenir lui-même.

Comme, pour jouir de la liberté, il faut que chacun puisse dire ce qu’il pense ; & que, pour la conserver, il faut encore que chacun puisse dire ce qu’il pense ; un citoyen, dans cet état, diroit & écriroit tout ce que les lois ne lui ont pas défendu expressément de dire, ou d’écrire.

Cette nation, toujours échauffée, pourroit plus aisément être conduite par ses passions que par la raison, qui ne produit jamais de grands effets sur l’esprit des hommes ; & il seroit facile à ceux qui la gouverneroient, de lui faire faire des entreprises contre ses véritables intérêts.

Cette nation aimeroit prodigieusement sa liberté, parce que cette liberté seroit vraie : & il pourroit arriver que, pour la défendre, elle sacrifieroit son bien, son aisance, ses intérêts ; qu’elle se chargeroit des impôts les plus durs, & tels que le prince le plus absolu n’oseroit les faire supporter à ses sujets.

Mais comme elle auroit une connoissance certaine de la nécessité de s’y soumettre, qu’elle payeroit dans l’espérance bien fondée de ne payer plus ; les charges y seroient plus pesantes que le sentiment de ces charges : au lieu qu’il y a des états où le sentiment est infiniment au dessus du mal.

Elle auroit un crédit sûr, parce qu’elle emprunteroit à elle-même, & se payeroit elle-même. Il pourroit arriver qu’elle entreprendroit au dessus de ses forces naturelles, & feroit valoir contre ses ennemis d’immenses richesses de fiction, que la confiance & la nature de son gouvernement rendroient réelles.

Pour conserver la liberté, elle emprunteroit de ses sujets ; & ses sujets, qui verroient que son crédit seroit perdu si elle étoit conquise, auroient un nouveau motif de faire des efforts pour défendre sa liberté.

Si cette nation habitoit une île, elle ne seroit point conquérante, parce que des conquêtes séparées l’affoibliroient. Si le terrain de cette île étoit bon, elle le seroit encore moins, parce qu’elle n’auroit pas besoin de la guerre pour s’enrichir. Et comme aucun citoyen ne dépendroit d’un autre citoyen, chacun feroit plus de cas de sa liberté, que de la gloire de quelques citoyens, ou d’un seul.

Là on regarderoit les hommes de guerre comme des gens d’un métier qui peut être utile & souvent dangereux, comme des gens dont les services sont laborieux pour la nation même ; & les qualités civiles y seroient plus considérées.

Cette nation, que la paix & la liberté rendroient aisée, affranchie des préjugés destructeurs, seroit portée à devenir commerçante. Si elle avoit quelqu’une de ces marchandises primitives qui servent à faire de ces choses auxquelles la main de l’ouvrier donne un grand prix, elle pourroit faire des établissemens propres à se procurer la jouissance de ce don du ciel dans toute son étendue.

Si cette nation étoit située vers le nord, & qu’elle eût un grand nombre de denrées superflues ; comme elle manqueroit ainsi d’un grand nombre de marchandises que son climat lui refuseroit, elle feroit un commerce nécessaire, mais grand, avec les peuples du midi : & choisissant les états qu’elle favoriseroit d’un commerce avantageux, elle feroit des traités réciproquement utiles avec la nation qu’elle auroit choisie.

Dans un état où d’un côté l’opulence seroit extrême, & de l’autre les impôts excessifs, on ne pourroit guere vivre sans industrie avec une fortune bornée. Bien des gens, sous prétexte de voyages ou de santé, s’exileroient de chez eux, & iroient chercher l’abondance dans les pays de la servitude même.

Une nation commerçante a un nombre prodigieux de petis intérêts particuliers ; elle peut donc choquer & être choquée d’une infinité de manieres. Celle-ci deviendroit souverainement jalouse ; & elle s’affligeroit plus de la prospérité des autres, qu’elle ne jouiroit de la sienne.

Et ses lois d’ailleurs douces & faciles, pourroient être si rigides à l’égard du commerce & de la navigation qu’on feroit chez elle, qu’elle sembleroit ne négocier qu’avec des ennemis.

Si cette nation envoyoit au loin des colonies, elle le feroit plus pour étendre son commerce que sa domination.

Comme on aime à établir ailleurs ce qu’on trouve établi chez soi, elle donneroit aux peuples de ses colonies la forme de son gouvernement propre ; & ce gouvernement portant avec lui la prospérité, on verroit se former de grands peuples dans les forêts mêmes qu’elle enverroit habiter.

Il pourroit être qu’elle auroit autrefois subjugué une nation voisine, qui, par sa situation, la bonté de ses ports, la nature de ses richesses, lui donneroit de la jalousie : ainsi, quoiqu’elle lui eût donné ses propres lois, elle la tiendroit dans une grande dépendance, de façon que les citoyens-y seroient libres, & que l’état lui-même seroit esclave.

L’état conquis auroit un très-bon gouvernement civil ; mais il seroit accablé par le droit des gens ; & on lui imposeroit des lois de nation à nation, qui seroient telles, que sa prospérité ne seroit que précaire & seulement en dépôt pour un maître.

La nation dominante habitant une grande île, & étant en possession d’un grand commerce, auroit toutes sortes de facilités pour avoir des forces de mer : & comme la conservation de sa liberté demanderoit qu’elle n’eût ni places, ni forteresses, ni armées de terre, elle auroit besoin d’une armée de mer qui la garantît des invasions ; & sa marine seroit supérieure à celle de toutes les autres puissances ; qui, ayant besoin d’employer leurs finances pour la guerre de terre, n’en auroient plus assez pour la guerre de mer.

L’empire de la mer a toujours donné aux peuples qui l’ont possédé, une fierté naturelle ; parce que, se sentant capables d’insulter par-tout, ils croient que leur pouvoir n’a pas plus de bornes que l’océan.

Cette nation pourroit avoir une grande influence dans les affaires de ses voisins. Car, comme elle n’emploieroit pas sa puissance à conquérir, on rechercheroit plus son amitié, & l’on craindroit plus sa haine, que l’inconstance de son gouvernement & son agitation intérieure ne sembleroit le promettre.

Ainsi ce seroit le destin de la puissance exécutrice, d’être presque toujours inquiétée au-dedans, & respectée au-dehors.

S’il arrivoit que cette nation devînt en quelques occasions le centre des négociations de l’Europe, elle y porteroit un peu plus de probité & de bonne foi que les autres, parce que ses ministres étant souvent obligés de justifier leur conduite devant un conseil populaire, leurs négociations ne pourrroient être secrettes, & ils seroient forcés d’être à cet égard un peu plus honnêtes gens.

De plus, comme ils seroient en quelque façon garans des événemens qu’une conduite détournée pourroit faire naître, le plus sûr pour eux seroit de prendre le plus droit chemin.

Si les nobles avoient eu dans de certains temps un pouvoir immodéré dans la nation, & que le monarque eût trouvé le moyen de les abaisser en élevant le peuple ; le point de l’extrême servitude auroit été entre le moment de l’abaissement des grands, & celui où le peuple auroit commencé à sentir son pouvoir.

Il pourroit être que cette nation ayant été autrefois soumise à un pouvoir arbitraire, en auroit en plusieurs occasions conservé le style ; de maniere que, sur le fond d’un gouvernement libre, on verroit souvent la forme d’un gouvernement absolu.

À l’égard de la religion, comme dans cet état chaque citoyen auroit sa volonté propre, & seroit par conséquent conduit par ses propres lumieres, ou ses fantaisies ; il arriveroit, ou que chacun auroit beaucoup d’indifférence pour toutes sortes de religions de quelqu’espece qu’elles fussent, moyennant quoi tout le monde seroit porté à embrasser la religion dominante ; ou que l’on seroit zélé pour la religion en général, moyennant quoi les sectes se multiplieroient.

Il ne seroit pas impossible qu’il y eût dans cette nation des gens qui n’auroient point de religion, & qui ne voudroient pas cependant souffrir qu’on les obligeât à changer celle qu’ils auroient s’ils en avoient une : car ils sentiroient d’abord, que la vie & les biens ne sont pas plus à eux que leur maniere de penser ; & que qui veut ravir l’un peut encore mieux ôter l’autre.

Si parmi les différentes religions il y en avoit une à l’établissement de laquelle on eût tenté de parvenir par la voie de l’esclavage, elle y seroit odieuse ; parce que, comme nous jugeons des choses par les liaisons & les accessoires que nous y mettons, celle-ci ne se présenteroit jamais à l’esprit avec l’idée de liberté.

Les lois contre ceux qui professeroient cette religion, ne seroient point sanguinaires ; car la liberté n’imagine point ces sortes de peines : mais elles seroient si réprimantes, qu’elles feroient tout le mal qui peut se faire de sang-froid.

Il pourroit arriver de mille manieres, que le clergé auroit si peu de crédit, que les autres citoyens en auroient davantage. Ainsi, au lieu de se séparer, il aimeroit mieux supporter les mêmes charges que les laïques, & ne faire à cet égard qu’un même corps : mais comme il chercheroit toujours à s’attirer le respect du peuple, il se distingueroit par une vie plus retirée, une conduite plus réservée, & des mœurs plus pures.

Ce clergé ne pouvant protéger la religion ni être protégé par elle, sans force pour contraindre, chercheroit à persuader : on verroit sortir de la plume de très-bons ouvrages, pour prouver la révélation & la providence du grand Être.

Il pourroit arriver qu’on éluderoit ses assemblées, & qu’on ne voudroit pas lui permettre de corriger ses abus mêmes ; & que, par un délire de la liberté, on aimeroit mieux laisser sa reforme imparfaite, que de souffrir qu’il fût réformateur.

Les dignités faisant partie de la constitution fondamentale, seroient plus fixes qu’ailleurs : mais d’un autre côté, les grands, dans ce pays de liberté, s’approcheroient plus du peuple ; les rangs seroient donc plus séparés, & les personnes plus confondues.

Ceux qui gouvernent ayant une puissance qui se remonte, pour ainsi dire, & se refait tous les jours, auroient plus d’égards pour ceux qui leur sont utiles, que pour ceux qui les divertissent : ainsi on y verroit peu de courtisans, de flatteurs, de complaisans, enfin de toutes ces sortes de gens qui font payer aux grands le vide même de leur esprit.

On n’y estimeroit guere les hommes par des talens ou des attributs frivoles, mais par des qualités réelles ; & de ce genre il n’y en a que deux, les richesses & le mérite personnel.

Il y auroit un luxe solide, fondé, non pas sur le rafinement de la vanité, mais sur celui des besoins réels ; & l’on ne chercheroit guere dans les choses que les plaisirs que la nature y a mis.

On y jouiroit d’un grand superflu, & cependant les choses frivoles y seroient proscrites : ainsi plusieurs ayant plus de bien que d’occasions de dépense, l’emploieroient d’une maniere bizarre : & dans cette nation, il y auroit plus d’esprit que de goût.

Comme on seroit toujours occupé de ses intérêts, on n’auroit point cette politesse qui est fondée sur l’oisiveté ; & réellement on n’en auroit pas le temps.

L’époque de la politesse des Romains est la même que celle de l’établissement du pouvoir arbitraire. Le gouvernement absolu produit l’oisiveté ; & l’oisiveté fait naître la politesse.

Plus il y a de gens dans une nation qui ont besoin d’avoir des ménagemens entr’eux & de ne pas déplaire, plus il y a de politesse. Mais c’est plus la politesse des mœurs que celle des manieres, qui doit nous distinguer des peuples barbares.

Dans une nation où tout homme à sa maniere prendroit part à l’administration de l’état, les femmes ne devroient guere vivre avec les hommes. Elles seroient donc modestes, c’est-à-dire, timides : cette timidité seroit leur vertu, tandis que les hommes sans galanterie se jetteroient dans une débauche qui leur laisseroit toute leur liberté & leur loisir.

Les lois n’y étant pas faites pour un particulier plus que pour un autre, chacun se regarderoit comme monarque ; & les hommes, dans cette nation, seroient plutôt des confédérés, que des concitoyens.

Si le climat avoit donné à bien des gens un esprit inquiet & des vues étendues, dans un pays où la constitution donneroit à tout le monde une part au gouvernement & des intérêts politiques, on parleroit beaucoup de politique ; on verroit des gens qui passeroient leur vie à calculer des événemens, qui, vu la nature des choses & le caprice de la fortune, c’est-à-dire des hommes, ne sont guere soumis au calcul.

Dans une nation libre, il est très-souvent indifférent que les particuliers raisonnent bien ou mal ; il suffit qu’ils raisonnent : de là sort la liberté qui garantit des effets de ces mêmes raisonnemens.

De même, dans un gouvernement despotique, il est également pernicieux qu’on raisonne bien ou mal ; il suffit qu’on raisonne, pour que le principe du gouvernement soit choqué.

Bien des gens qui ne se soucieroient de plaire à personne, s’abandonneroient à leur humeur ; la plupart, avec de l’esprit, seroient tourmentés par leur esprit même : dans le dédain ou le dégoût de toutes choses, ils seroient malheureux avec tant de sujets de ne l’être pas.

Aucun citoyen ne craignant aucun citoyen, cette nation seroit fiere ; car la fierté des rois n’est fondée que sur leur indépendance.

Les nations libres sont superbes, les autres peuvent plus aisément être vaines.

Mais ces hommes si fiers vivant beaucoup avec eux-mêmes, se trouveroient souvent au milieu de gens inconnus ; ils seroient timides, & l’on verroit en eux la plupart du temps un mélange bizarre de mauvaise honte & de fierté.

Le caractere de la nation paroîtroit sur-tout dans leurs ouvrages d’esprit, dans lesquels on verroit des gens recueillis, & qui auroient pensé tout seuls.

La société nous apprend à sentir les ridicules ; la retraite nous rend plus propres à sentir les vices. Leurs écrits satiriques seroient sanglans ; & l’on verroit bien des Juvenals chez eux, avant d’avoir trouvé un Horace.

Dans les monarchies extrêmement absolues, les historiens trahissent la vérité, parce qu’ils n’ont pas la liberté de la dire : dans les états extrêmement libres, ils trahissent la vérité à cause de leur liberté même, qui produisant toujours des divisions, chacun devient aussi esclave des préjugés de sa faction, qu’il le seroit d’un despote.

Leurs poëtes auroient plus souvent cette rudesse originale de l’invention, qu’une certaine délicatesse que donne le goût ; on y trouveroit quelque chose qui approcheroit plus de la force de Michel-Ange, que de la grace de Raphaël.


  1. Chapitre VI.