Esprit des lois (1777)/L22/C12

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CHAPITRE XII.

Circonstances dans lesquelles les Romains firent leurs opérations sur la monnoie.


Il y avoit anciennement très-peu d’or & d’argent en Italie ; ce pays a peu ou point de mines d’or & d’argent : lorsque Rome fut prise pas les Gaulois, il ne s’y trouva que mille livres d’or[1]. Cependant les Romains avoient saccagé plusieurs villes puissantes, & ils en avoient transporté les richesses chez eux. Ils ne se servirent long-temps que de monnoie de cuivre : ce ne fut qu’après la paix de Pyrrhus, qu’ils eurent assez d’argent pour en faire de la monnoie[2] : ils firent des deniers de ce métal, qui valoient dix as[3], ou dix livres de cuivre : pour lors la proportion de l’argent au cuivre étoit comme 1 à 960 ; car le denier Romain valant dix as ou dix livres de cuivre, il valoit cent vingt onces de cuivre ; & le même denier valant un huitieme[4] d’once d’argent, cela faisoit la proportion que nous venons de dire.

Romme devenue maîtresse de cette partie de l’Italie la plus voisine de la Grece & de la Sicile, se trouva peu à peu entre deux peuples riches, les Grecs & les Carthaginois ; l’argent augmenta chez elle ; & la proportion de 1 à 960 entre l’argent & le cuivre ne pouvant plus se soutenir, elle fit diverses opérations sur les monnoies que nous ne connoissons pas. Nous savons seulement qu’au commencement de la seconde guerre Punique, le denier[5] Romain ne valoit plus que vingt onces de cuivre ; & qu’ainsi la proportion entre l’argent & le cuivre n’étoit plus que comme 1 à 160 ; la réduction étoit bien considérable, puisque la république gagna cinq sixiemes sur toute la monnoie de cuivre : mais on ne fit que ce que demandoit la nature des choses, & rétablir la proportion entre les métaux qui servoient la monnaie.

La paix qui termina la premiere guerre Punique, avoit laissé les Romains maîtres de la Sicile. Bientôt ils entrerent en Sardaigne, ils commencerent à connoître l’Espagne : la masse de l’argent augmenta encore à Rome ; on y fit l’opération qui réduisit[6] le denier d’argent de vingt onces à seize ; & elle eut cet effet, qu’elle remit en proportion l’argent & le cuivre ; cette proportion étoit comme 1 est à 160, elle fut comme 1 est à 128.

Examinez les Romains, vous ne les trouverez jamais si supérieurs, que dans le choix des circonstances dans lesquelles ils firent les biens & les maux.


  1. Pline, livre XXXIII. art. 5.
  2. Freinshemius, liv. V. de la seconde décade.
  3. Ibid. loco citato : Ils frapperent aussi, dit le même Auteur, des demis, appellés quinaires, & des quarts appellés sesterces.
  4. Un huitieme selon Budée, un septieme selon d’autres Auteurs.
  5. Pline, hist.nat. liv. XXXIII. art. 13.
  6. Pline, hist. nat. liv. XXXIII. art. 13.