Esprit des lois (1777)/L28/C13

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CHAPITRE XIII.

Différence de la loi Salique ou des Francs Saliens, d’avec celle des Francs Ripuaires & des autres peuples Barbares.


La loi salique n’admettoit point l’usage des preuves négatives ; c’est-à-dire que, par la loi salique, celui qui faisoit une demande ou une accusation devoit la prouver, & qu’il ne suffisoit pas à l’accusé de la nier : ce qui est conforme aux lois de presque toutes les nations du monde.

La loi des Francs Ripuaires avoit tout un autre esprit[1] ; elle se contentoit des preuves négatives ; & celui contre qui on formoit une demande ou une accusation, pouvoit, dans la plupart des cas se justifier, en jurant avec certain nombre de témoins qu’il n’avoit point fait ce qu’on lui imputoit. Le nombre[2] des témoins qui devoient jurer, augmentoit selon l’importance de la chose ; il alloit quelquefois[3] à soixante-douze. Les lois des Allemands, des Bavarois, des Thiringiens, celles des Frisons, des Saxons, des Lombards & des Bourguignons, furent faites sur le même plan que celles des Ripuaires.

J’ai dit que la loi salique n’admettoit point les preuves négatives. Il y avoit pourtant un cas[4] où elle les admettoit ; mais dans ce cas elle ne les admettoit point seules & sans le concours des preuves positives. Le demandeur faisoit[5] ouir ses témoins pour établir sa demande, le défendeur faisoit ouir les siens pour se justifier ; & le Juge cherchoit la vérité dans les uns & dans les autres[6] témoignages. Cette pratique étoit bien différente de celle des lois Ripuaires & des autres lois Barbares, où un accusé se justifoit en jurant qu’il n’étoit point coupable, & en faisant jurer ses parens qu’il avoit dit la vérité. Ces lois ne pouvoient convenir qu’à un peuple qui avoit de la simplicité & une certaine candeur naturelle ; il fallut même que les législateurs en prévinssent l’abus, comme on le va voir tout à l’heure.


  1. Cela se rapporte à ce que dit Tacite, que les peuples Germains avoient des usages communs, & des usages particuliers.
  2. Lois des Ripuaires, tit. §, 7, 8 & autres.
  3. Ibid. tit. 11, 12 & 17.
  4. C’est celui où un antrustion, c’est-à-dire, un vassal du roi, en qui on supposoit une plus grande franchise, étoit accusé : voyez le tit. 76 du Pactus legis salicæ.
  5. Voyez le titre 76 du Pactus legis salicæ.
  6. Comme il se pratique encore aujourd’hui en Angleterre.