Esprit des lois (1777)/L29/C6

La bibliothèque libre.
◄  Livre XXIX
Chapitre V
Livre XXIX Livre XXIX
Chapitre VII
  ►


CHAPITRE VI.

Que les lois qui paroissent les mêmes, n’ont pas toujours le même effet.


César défendit[1] de garder chez soi plus de soixante sesterces. Cette loi fut regardée à Rome comme très-propre à concilier les débiteurs avec les créanciers ; parce qu’en obligeant les riches à prêter aux pauvres, elle mettoit ceux-ci en état de satisfaire les riches. Une même loi faite en France, du temps du systême, fut très-funeste : c’est que la circonstance dans laquelle on la fit, étoit affreuse. Après avoir ôté tous les moyens de placer son argent, on ôta même la ressource de le garder chez soi ; ce qui étoit égal à un enlevement fait par violence. César fit la loi pour que l’argent circulât parmi le peuple ; le ministre de France fit la sienne pour que l’argent fût mis dans une seule main. Le premier donna pour de l’argent des fonds de terre, ou des hypotheques sur des particuliers ; le second proposa pour de l’argent des effets qui n’avoient point de valeur, & qui n’en pouvoient avoir par leur nature, par la raison que sa loi obligeoit de les prendre.


  1. Dion, liv. XLI.