Esprit des lois (1777)/L30/C16

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CHAPITRE XVI.

Des leudes ou vassaux.


J’ai parlé de ces volontaires qui, chez les Germains, suivoient les princes dans leurs entreprises. Le même usage se conserva après la conquête. Tacite les désigne par le nom de compagnons[1] : la loi salique par celui d’hommes qui sont sous la foi du roi[2] ; les formules de Marculse[3] par celui d’antrustions du roi[4] ; nos premiers historiens par celui de leudes[5], de fideles ; & les suivans par celui de vassaux[6] & seigneurs.

On trouve dans les lois Saliques & Ripuaires un nombre infini de dispositions pour les Francs, & quelques-unes seulement pour les antrustions. Les dispositions sur ces antrustions sont différentes de celles faites pour les autres Francs ; on y regle par-tout les biens des Francs ; & on ne dit rien de ceux des antrustions : ce qui vient de ce que les biens de ceux-ci se régloient plutôt par la loi politique que par la loi civile, & qu’ils étoient le sort d’une armée & non le patrimoine d’une famille.

Les biens réservés pour les leudes furent appelés des biens fiscaux[7], des bénéfices, des honneurs, des fiefs, dans les divers auteurs & dans les divers temps.

On ne peut pas douter que d’abord les fiefs ne fussent amovibles[8]. On voit dans Grégoire de Tours[9], que l’on ôte à Sunegisile & à Galloman tout ce qu’ils tenoient du fisc, & qu’on ne leur laisse que ce qu’ils avoient en propriété. Gontran, élevant au trône son neveu Childebert, eut une conférence secrette avec lui, & lui indiqua ceux[10] à qui il devoit donner des fiefs, & ceux à qui il devoit les ôter. Dans une formule de Marculse[11], le roi donne en échange non-seulement des bénéfices que son fisc tenoit, mais encore ceux qu’un autre avoit tenus. La loi des Lombards oppose les bénéfices à la propriété[12]. Les historiens, les formules, les codes des différens peuples barbares, tous les monumens qui nous restent, sont unanimes. Enfin, ceux qui ont écrit le livre des fiefs[13], nous apprennent que d’abord les seigneurs purent les ôter à leur volonté, qu’ensuite ils les assurerent pour un an[14], & après les donnerent pour la vie.


  1. Comites.
  2. Qui sunt in trusteregis, tit. 44, art. 4.
  3. Livre I, formule 18.
  4. Du mot trew, qui signifie fidele chez les Allemands, & chez les Anglois true, vrai.
  5. Leudes, fideles.
  6. Vassalli, seniores.
  7. Fiscalia. Voyez la formule 14 de Marculse, livre I. Il est dit dans la vie de Saint Maur, dedit siscum unum ; & dans les annales de Metz sur l’an 747, dedit illi comitatus & siscos plurimos. Les biens destinés à l’entretien de la famille royale étoient appelés regalia.
  8. Voyez le livre I, tit. I, des fiefs ; & Cujas sur ce livre.
  9. Livre IX, ch. xxxviii.
  10. Quos honoraret muneribus, quos ab honore depelleret, ibid. liv. VII.
  11. Vel reliquis quibuscumque beneficiis, quod cumque ille, vel siscus noster, in ipsis locis tenuisse nosestur. Livre I, formule 30.
  12. Livre III, tit. 8, § 3.
  13. Feudorum, lib. I, tit. I.
  14. C’étoit une espece de précaire que le seigneur renouvelloit, ou ne renouvelloit pas l’année d’ensuite, comme Cujas l’a remarqué.