Esprit des lois (1777)/L30/C23

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CHAPITRE XXIII.
Idée générale du livre de l’établissement de la monarchie Françoise dans les Gaules, par M. l’abbé Dubos.


Il est bon qu’avant de finir ce livre, j’examine un peu l’ouvrage de M. l’abbé Dubos, parce que mes idées sont perpétuellement contraires aux siennes ; & que, s’il a trouvé la vérité, je ne l’ai pas trouvée.

Cet ouvrage a séduit beaucoup de gens, parce qu’il est écrit avec beaucoup d’art ; parce qu’on y suppose éternellement ce qui est en question ; parce que plus on y manque de preuves, plus on y multiple les probabilités ; parce qu’une infinité de conjectures sont mises en principe, & qu’on en tire comme conséquences d’autres conjectures. Le lecteur oublie qu’il a douté, pour commencer à croire. Et comme une érudition sans fin est placée, non pas dans le systême, mais à côté du systême, l’esprit est distrait par des accessoires, & ne s’occupe plus plus principal. D’ailleurs, tant de recherches ne permettent pas d’imaginer qu’on n’ait rien trouvé ; la longueur du voyage fait croire qu’on est enfin arrivé.

Mais, quand on examine bien, on trouve un colosse immense qui a des pieds d’argile ; & c’est parce que les pieds sont d’argile, que le colosse est immense. Si le systême de M. l’abbé Dubos avoit eu de bons fondemens, il n’auroit pas été obligé de faire trois mortels volumes pour le prouver ; il auroit tout trouvé dans son sujet ; &, sans aller chercher de toutes parts ce qui en étoit très-loin, la raison elle-même se seroit chargée de placer cette vérité dans la chaîne des autres vérités. L’histoire & nos lois lui auroient dit : « Ne prenez pas tant de peine : nous rendrons témoignage de vous. »