Esprit des lois (1777)/L31/C3

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CHAPITRE III.

Autorité des Maires du Palais.


J’ai dit que Clotaire II s’étoit engagé à ne point ôter à Warnachaire la place de maire pendant sa vie. La révolution eut un autre effet. Avant ce temps, le maire étoit le maire du roi, il devint le maire du royaume ; le roi le choisissoit, la nation le choisit. Protaire, avant la révolution, avoit été fait maire par Théodoric[1], & Landéric par Frédégonde[2] ; mais depuis, la nation fut en possession d’élire[3].

Ainsi il ne faut pas confondre, comme ont fait quelques Auteurs, ces maires du palais avec ceux qui avoient cette dignité avant la mort de Brunehault, les maires du roi avec les maires du royaume. On voit, par la loi des Bourguignons, que chez eux la charge de maire n’étoit point une des premieres de l’état[4] ; elle ne fut pas non plus une des plus éminentes[5] chez les premiers rois Francs.

Clotaire rassura ceux qui possédoient des charges & des fiefs ; & après la mort de Warnachaire, ce prince[6] ayant demandé aux seigneurs assemblés à Troies, qui ils vouloient mettre en sa place, ils s’écrierent tous qu’ils n’éliroient point ; & lui demandant sa faveur, ils se mirent entre ses mains.

Dagobert réunit, comme son pere, toute la monarchie : la nation se reposa sur lui, & ne lui donna point de maire. Ce prince se sentit en liberté ; & rassuré d’ailleurs par ses victoires, il reprit le plan de Brunehault. Mais cela lui réussit si mal, que les leudes d’Austrasie se laisserent[7] battre par les Sclavons, s’en retournerent chez eux, & les marches de l’Austrasie furent en proie aux Barbares.

Il prit le parti d’offrir aux Austrasiens de céder l’Austrasie à son fils Sigebert, avec un trésor, & de mettre le gouvernement du royaume & du palais entre les mains de Cunibert, évêque de Cologne, & du duc Adalgise. Frédégaire n’entre point dans le détail des conventions qui furent faites pour lors : mais le roi les confirma toutes par ses chartres, & d’abord[8] l’Austrasie fut mise hors de danger.

Dagobert se sentant mourir, recommanda à Æga, sa femme Nentechulde, & son fils Clovis. Les leudes de Neustrie & de Bourgogne[9] choisirent ce jeune prince pour leur roi. Æga & Nentechilde gouvernerent le palais[10] ; ils rendirent[11] tous les biens que Dagobert avoit pris ; & les plaintes cesserent en Neustrie & en Bourgogne, comme elles avoient cessé en Austrasie.

Après la mort d’Æga, la reine Nentechilde[12] engagea les seigneurs de Bourgogne à élire Floachatus pour leur maire. Celui-ci envoya aux évêques & aux principaux seigneurs du royaume de Bourgogne des lettres, par lesquelles il leur promettoit de leur conserver pour toujours[13], c’est-à-dire pendant leur vie, leurs honneurs & leurs dignités. Il confirma sa parole par un serment. C’est ici[14] que l’auteur du livre des maires de la maison royale met le commencement de l’administration du royaume par des maires du palais.

Frédégaire, qui étoit Bourguignon, est entré dans de plus grands détails sur ce qui regarde les maires de Bourgogne dans le temps de la révolution dont nous parlons, que sur les maires d’Austrasie & de Neustrie ; mais les conventions qui furent faites en Bourgogne, furent, par les mêmes raisons, faites en Neustrie & en Austrasie.

La nation crut qu’il étoit plus sûr de mettre la puissance entre les mains d’un maire qu’elle élisoit, & à qui elle pouvoit imposer des conditions, qu’entre celles d’un roi dont le pouvoir étoit héréditaire.


  1. Instigante Brunichilde, Theoderico jubente, &c. Frédégaire, ch. xxvii, sur l’an 605.
  2. Gesta regum Francorum, ch. xxxvi.
  3. Voyez Frédégaire, chronique, ch. liv, sur l’an 626 ; & son continuateur anonyme, ch. ci, sur l’an 695 ; & ch. cv, sur la 715. A. moin, liv. IV, ch. xv. Eginhard, vie de Charlemagne, ch. xlviii. Gesta regum Froncorum, ch. xlv.
  4. Voyez la loi des Bourguignons, in præsat. & le second supplément à cette loi, tit. 13.
  5. Voyez Grégoire de Tours, liv. IX, ch. xxxvi.
  6. Eo anno, Clotarius cum proceribus & leudibus Burgundiæ Trecossinis conjungitur : cùm eorum esset sollicitus, si vellent jàm, Warnachario discesso, alium is ejus honoris gradum sublimare : sed omnes unanimiter denegantes se nequaquàm velle majorem domûs eligere, regis gratiam obnixè perentes, cum rege transegère. Chronique de Frédégaire, ch. liv, sur l’an 626.
  7. Istam victorium quam Vinidi cortra Francos nesuerent non tantùm Sclarinorum fortitudo obsinuit, quantùm dementation Austrosiorum, dùm se cernebant cum Dagoberto odium incurrisse, & ossiduè expoliarentur. Chron. de Frédégaire, ch. lxviii, sur l’an 630.
  8. Deinceps Austrasii eorum studio limitem & regnum Francorum contra Vinidos utiliter desensasse noscuntur. Ibid. ch. lxxv, sur l’an 632.
  9. Ibid. ch. lxxix, sur l’an 638.
  10. Ibid.
  11. Ibid. ch. lxxx, sur l’an 639.
  12. Chronique de Frédégaire, chap. lxxxix, sur l’an 641.
  13. Ibid. Floachatus cunctis ducibus à regno Burgundiæ, seu & pontificibus, per epistolam etiam & sacramentis firmavit unicuique gradum honoris & dignitatem, seu & amicitiam, perpetuò conservare.
  14. Deinceps à temporibus Clodovci qui suit filiusDagoberti inclyti regis, pater verò Theoderici, regnum Francorum decidens per majores domûs cœpit ordinari. De majoribus domûs regiæ.