Esprit des lois (1777)/L31/C4
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Quel étoit, à l’égard des Maires, le génie de la nation.
Un gouvernement, dans lequel une nation qui avoit un roi élisoit celui qui devoit exercer la puissance royale, paroît bien extraordinaire : mais, indépendamment des circonstances où l’on se trouvoit, je crois que les Francs tiroient à cet égard leurs idées de bien loin.
Ils étoient descendus des Germains, dont Tacite[1] dit que dans le choix de leur roi, ils se déterminoient par sa noblesse ; & dans le choix de leur chef par sa vertu. Voilà les rois de la premiere race, & les maires du palais ; les premiers étoient héréditaires ; les seconds étoient électifs.
On ne peut douter que ces princes, qui, dans l’assemblée de la nation, se levoient, & se proposoient pour chefs de quelqu’entreprise à tous ceux qui voudroient les suivre, ne réunissent pour la plupart, dans leur personne, & l’autorité du roi & la puissance du maire. Leur noblesse leur avoit donné la royauté ; & leur vertu, les faisant suivre par plusieurs volontaires qui les prenoient pour chef, leur donnoit la puissance du maire. C’est par la dignité royale que nos premiers rois furent à la tête des tribunaux & des assemblées, & donnerent des lois du consentement de ces assemblées : c’est par la dignité de duc ou de chef qu’ils firent leurs expéditions, & commanderent leurs armées.
Pour connoître le génie des premiers Francs à cet égard, il n’y a qu’à jeter les yeux sur la conduite[2] que tint Arbogaste, Franc de nation, à qui Valentinien avoit donné le commandement de l’armée. Il enferma l’empereur dans le palais ; il ne permit à qui que ce fût de lui parler d’aucune affaire civile ou militaire. Arbogaste fit pour lors ce que les Pépins firent depuis.