Esprit des lois (1777)/L31/C5
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Comment les Maires obtinrent le commandement des armées.
Pendant que les rois commanderent les armées, la nation ne pensa point à se choisir un chef. Clovis & ses quatre fils furent à la tête des François, & les menerent de victoire en victoire. Thibault, fils de Théodébert, prince jeune, foible & malade, fut le premier[1] des rois qui resta dans son palais. Il refusa de faire une expédition en Italie contre Narsès, & il eut le chagrin[2] de voir les Francs se choisir deux chefs qui les y menerent. Des quatre enfans de Clotaire I, Gontran[3] fut celui qui négligea le plus de commander les armées : d’autres rois suivirent cet exemple : Et pour remettre, sans péril, le commandement en d’autres mains, ils le donnerent à plusieurs chefs ou ducs[4].
On en vit naître des inconvéniens sans nombre : il n’y eut plus de discipline, on ne sut plus obéir ; les armées ne furent plus funestes qu’à leur propre pays ; elles étoient chargées de dépouilles avant d’arriver chez les ennemis. On trouve dans Grégoire de Tours une vive peinture[5] de tous ces maux. « Comment pourrons-nous obtenir la victoire, disoit Gontran[6], nous qui ne conservons pas ce que nos peres ont acquis ? notre nation n’est plus la même… » Chose singuliere ! elle étoit dans la décadence dès le temps des petits-fils de Clovis.
Il étoit donc naturel qu’on en vînt à faire un duc unique ; un duc qui eût de l’autorité sur cette multitude infinie de seigneurs & de leudes qui ne connoissoient plus leurs engagemens ; un duc qui rétablît la discipline militaire, & qui menât contre l’ennemi une nation qui ne savoit plus faire la guerre qu’à elle-même. On donna la puissance aux maires du palais.
La premiere fonction des maires du palais fut le gouvernement économique des maisons royales. Ils eurent, concurremment[7] avec d’autres officiers, le gouvernement politique des fiefs ; & à la fin, ils en disposerent seuls. Ils eurent aussi l’administration des affaires de la guerre & le commandement des armées ; & ces deux fonctions se trouverent nécessairement liées avec les deux autres. Dans ces temps-là il étoit plus difficile d’assembler les armées que de les commander : & quel autre que celui qui disposoit des graces, pouvoit avoir cette autorité ? Dans cette nation indépendante & guerriere, il falloit plutôt inviter que contraindre ; il falloit donner ou faire espérer les fiefs qui vaquoient par la mort du possesseur, récompenser sans cesse, faire craindre les préférences : celui qui avoit la surintendance du palais, devoit donc être le général de l’armée.
- ↑ L’an 552.
- ↑ Meutheris verò & Butilinus, tametsi id regi ipsorum minimè placebat, belii cum eis societatem inierunt. Agathias, liv. I. Grégoire de Tours, liv. IV, ch. ix.
- ↑ Gontran ne fit pas même l’expédition contre Gondovalde, qui se disoit fils de Clotaire, & demandoit sa part du royaume.
- ↑ Quelquefois au nombre de vingt. Voyez Grégoire de Tours, liv. V, chap. xxvii ; liv. VIII, chap. xviii & xxx ; liv. X, chap. iii. Dagobert, qui n’avoir point de maire en Bourgogne, eut la même politique, & envoya contre les Gascons dix ducs & plusieurs comtes qui n’avoient point de ducs sur eux. Chronique de Frédégaire, ch. lxxviii, sur l’an 636.
- ↑ Grégoire de Tours, liv. VIII, ch. xxx ; & liv. X. ch. iii. Ibid. liv. VIII, ch. xxx.
- ↑ Ibid.
- ↑ Voyez le second supplément à la loi des Bourguignons, tit. 13 ; & Grégoire de Tours, livre IX. ch. xxxvi.