Esprit des lois (1777)/L5/C18

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CHAPITRE XVIII.

Des récompenses que le souverain donne.


Dans les gouvernemens despotiques, où, comme nous l’avons dit, on n’est déterminé à agir que par l’espérance des commodités de la vie, le prince qui récompense n’a que de l’argent à donner. Dans une monarchie, où l’honneur regne seul, le prince ne récompenseroit que par des distinctions, si les distinctions que l’honneur établit n’étoient jointes à un luxe qui donne nécessairement des besoins : le prince y récompense donc par des honneurs qui menent à la fortune. Mais dans une république où la vertu regne, motif qui se suffit à lui-même, & qui exclut tous les autres, l’état ne récompense que par des témoignages de cette vertu.

C’est une regle générale, que les grandes récompenses, dans une monarchie & dans une république, sont un signe de leur décadence ; parce qu’elles prouvent que leurs principes sont corrompus ; que d’un côté l’idée de l’honneur n’y a plus tant de force, que de l’autre la qualité de citoyen s’est affoiblie.

Les plus mauvais empereurs Romains ont été ceux qui ont le plus donné, par exemple, Caligula, Claude, Néron, Othon, Vitellius, Commode, Héliogabale & Caracalla. Les meilleurs, comme Auguste, Vespasien, Antonin Pie, Marc-Aurele & Pertinax, ont été économes. Sous les bons empereurs l’état reprenoit ses principes ; le trésor de l’honneur suppléoit aux autres trésors.