Esquisses du Cœur/03
PAQUITA.
Depuis six mois qu’il était revenu à Ségovie après avoir achevé ses cours de théologie à l’université de Salamanque, Lorenzo menait une vie dont chacun admirait la sagesse et l’austérité.
À le voir traverser sur le soir l’Alameda avec de gros livres sous le bras, sortant de la bibliothèque des moines du Parral, chez lesquels il passait habituellement ses journées ; à le voir dans son costume noir d’estudiante, le visage pâle, la tête et les yeux baissés, les señoritas se disaient tout bas entr’elles que c’était grand dommage qu’un si jeune et si beau garçon s’exténuât ainsi d’études et de veilles, et se cloîtrât d’avance avec les Hyéronimites, comme s’il était déjà de leur ordre.
Lorenzo était-il en effet bien né pour l’état monastique auquel le destinait sa mère, veuve âgée et sans fortune ?
Certes, quiconque eût observé avec soin quel feu brillait dans le regard humide et voilé de ce jeune homme eût au moins douté que ce fût là sa vocation.
Et puis son front rougissant, sa voix mourante sur ses lèvres décolorées, toutes les fibres de son corps qui tressaillaient chaque fois que l’on venait à prononcer devant lui le nom de Paquita ; ces symptômes-là ne trahissaient-ils point quelque vive et ardente passion, quelque violent amour que les verroux d’un cloître auraient un jour grande peine à retenir captif ?
Mais qu’était-ce donc que cette Paquita dont l’influence semblait si puissante sur l’ame de Lorenzo ?
Oh ! c’était bien, en vérité, la plus belle enfant de la ville. C’était une délicieuse brune de quatorze ans, la fille de l’alcade de Ségovie, qui demeurait rue San Esteban ; justement vis-à-vis du logement qu’habitait Lorenzo avec sa mère. Cependant, bien que cette dernière, continuant d’anciennes relations de voisinage et d’amitié, qui unissaient les deux familles, se rendît habituellement le soir aux tertulias[1] qui se tenaient dans la maison de l’alcade, son fils ne l’y avait pas accompagnée une seule fois depuis son retour de Salamanque. Jusqu’à ce qu’elle rentrât, il restait seul enfermé avec ses livres, et nul n’y trouvait à redire. N’était-il pas tout simple que par une retraite anticipée il se préparât à celle qui devait bientôt cadenasser sa vie entière ?
Mais chaque nuit, plus ou moins tard, lorsque toute la ville dormait, lorsqu’on n’y apercevait plus de loin à loin que quelques serenos accroupis à l’angle des rues, leur lance et leur lanterne en mains, qui donc, sortant de chez Lorenzo enveloppé d’un manteau noir, s’approchait doucement d’une croisée étroite et grillée au rez-de-chaussée de la maison de l’alcade ? qui donc restait là des heures entières et bien souvent jusqu’au jour, causant à voix basse et tendrement avec une jeune fille à travers les barreaux ? Qui donc était si mystérieusement heureux ?
Il faut bien vous le dire, car vous ne le devineriez point. C’était l’austère Lorenzo devisant d’amour et couvrant de baisers les blanches mains de Paquita.
Mais ce ne fut pas tout. Il y eut pour eux des nuits moins innocentes. Une clé complaisante se trouva qui ouvrit à Lorenzo une porte dérobée de la maison de l’alcade. Avant d’avoir pu prévoir et comprendre leur faute, les deux enfans s’étaient déjà donnés tout entiers l’un à l’autre.
Lorenzo et Paquita s’enivraient ainsi d’amour, insoucieux de l’avenir et ne songeant qu’à profiter de leur bonheur. Mais il se préparait des événemens qui menaçaient, sinon de le détruire tout-à-fait, au moins de le traverser pour long-temps.
Une nuit, c’était le lendemain de celle de la Sainte-Christine, Paquita épiait, depuis une heure à sa croisée, l’arrivée de Lorenzo, qui se faisait attendre contre son ordinaire.
Enfin, quelqu’un parut dans la rue, se glissant le long des maisons. C’était lui. La jeune fille descendit doucement lui ouvrir la petite porte.
— Comme tu viens tard, dit-elle, se jetant à son cou, voici qu’il est minuit ! Et puis je ne t’ai pas vu sortir de chez toi ; où étais-tu donc allé à pareille heure ?
Lorenzo avait pris dans ses mains la petite tête de la charmante enfant, et, la pressant sur son cœur, sans répondre, lui baisait les cheveux et le front.
Mais elle sentit que des larmes tombaient sur son visage.
— Oh ! mon Dieu, est-ce que tu pleures ? s’écria-t-elle, se renversant en arrière, et levant vers lui ses beaux yeux.
— Oui, je pleure, et j’ai bien sujet de pleurer, mon amour ! on nous sépare, je viens du Parral, et le père supérieur veut que je parte demain. Il m’envoie à Madrid, faire mon noviciat dans un couvent de son ordre.
— Eh bien ! est-ce que tu me laisseras ? s’écria Paquita, assez vivement émue d’abord, et effrayée de ce projet, qui menaçait de déranger sa vie, qu’elle trouvait douce et heureuse.
— Non, mon bien, je ne t’abandonnerai pas. Tu viendras avec moi. Nous fuirons ensemble. J’y ai songé déjà, vois-tu, je ne possède rien ; mais, avec notre amour, avons-nous besoin d’une autre fortune ? Nous irons à Salamanque, et nous nous y marierons. Et puis, du produit des leçons que je donnerai aux écoliers de l’université, nous en aurons bien assez pour vivre pauvres et cachés. Mais il faut nous hâter, Paquita ! Il faut partir cette nuit même ! Veux-tu venir maintenant ? Dis, veux-tu ?
Et déjà, dans son exaltation passionnée, l’impatient et fougueux jeune homme l’attirait dans ses bras, et voulait l’entraîner ; mais elle résistait doucement, et demeurait pensive et silencieuse.
C’est que Paquita, fille, à vrai dire, des plus tendres et des plus caressantes, de celles surtout qui savent pleurer et se désespérer à volonté, était, d’ailleurs au fond, pleine de prévoyance et de raison, et n’avait absolument rien de romanesque dans l’esprit. Elle avait donc embrassé, avec une sagacité merveilleuse, et d’un seul coup d’œil, tous les inconvéniens de la brusque proposition que Lorenzo venait de lui faire.
Élevée dans l’aisance et folle de la parure, elle qui ne serait jamais sortie à Ségovie, soit pour aller à la messe ou se promener à l’ Alameda, autrement qu’en fine mantille de blonde, et chaussée de satin, elle sentait bien qu’en partageant le sort de Lorenzo, il lui faudrait renoncer à ces douces habitudes de toilette et de coquetterie, et que la femme d’un petit pédagogue ferait à Salamanque une très-mince figure.
C’étaient assurément là ses plus sérieuses objections contre le projet de son amant ; elle fut cependant assez habile pour le combattre par d’autres plus spécieuses. Elle appela de grands mots à son secours. Elle parla du désespoir de sa famille, du déshonneur qu’elle attirerait sur son père. Enfin elle parla si bien, et accompagna ses paroles de tant de baisers, de caresses et de larmes, que le pauvre Lorenzo n’eut rien à répondre. Il fut seulement contraint de s’avouer à lui-même que sa maîtresse raisonnait à merveille, et qu’elle était douée de beaucoup de sagesse et de prudence.
Il comprenait bien aussi que cette épreuve n’était guère honorable pour elle, et qu’il ne devait point désormais compter de sa part sur un grand dévouement et beaucoup de sacrifices.
Cette révélation était triste, mais elle venait trop tard. Il était de ceux qui ne peuvent retirer leur amour une fois qu’ils l’ont donné, et son destin avait été d’aimer cette femme.
La nuit avançait, ou plutôt c’était déjà le jour. Nos deux amans avaient beaucoup pleuré.
— Il faut donc nous séparer, dit Lorenzo, et cette fois, c’est pour bien long-temps. Je partirai, Paquita, je partirai ce jour même. J’irai à ce couvent où l’on m’envoie ; je ne puis rester plus long-temps à la charge d’une mère infirme et pauvre. Mais j’ai un oncle riche à Madrid. Je l’y verrai sans doute. S’il me donnait un peu de son or, j’aurais bien vite quitté le cloître. Je pourrais t’épouser. Promets-moi donc de demeurer libre pendant un an, — un an entier.
— Oh ! qu’est-ce que tu dis ? un an ! toujours ! toujours ! mon bien-aimé, s’écria Paquita, l’interrompant par des baisers et des sanglots.
— Je ne te demande qu’un an, mon amie. C’était hier la Sainte-Christine. Tu es allée à la fête qu’on a donnée le soir dans le jardin du château de Saint-Ildefonse. Promets-moi de t’y trouver aussi l’année prochaine. J’y viendrai moi-même, quoi qu’il arrive. Si ce n’est avant, ce sera donc ce soir-là que nous nous reverrons. Alors notre sort sera fixé. Nous nous réunirons, ou nous nous dirons adieu pour toujours.
Paquita promit en sanglotant de se trouver à ce lointain rendez-vous. — Que n’aurait-elle pas alors promis ?
Après de nouveaux et bien longs embrassemens, comme le soleil se levait déjà, Lorenzo s’arracha enfin des bras de Paquita.
Dans la journée même, il partit pour Madrid.
Dix mois s’étaient écoulés.
La mère de Lorenzo était morte. D’ailleurs on n’avait point eu, à Ségovie, de nouvelles de son fils. Seulement le père supérieur du couvent du Parral avait dit, assurait-on, que la ferveur du jeune moine était si grande depuis son entrée au couvent, qu’on songeait à le dispenser des dernières semaines du noviciat, et qu’il serait admis à faire ses vœux avant le temps requis.
Paquita, qui s’était montrée fort triste pendant tout un mois après le départ de son amant, avait cependant insensiblement retrouvé sa bonne humeur et sa gaîté habituelles. Pour se distraire un peu, sans doute, elle avait mis plus de recherche et de soin que jamais dans sa toilette, et sa coquetterie était devenue chaque jour plus ingénieuse et plus raffinée.
Aussi combien de lechuguinos[2] de Ségovie furent pris aux filets qu’elle tendait tous les soirs à l’Alameda !
La plupart se bornèrent pourtant aux œillades et aux soupirs.
Quelques-uns hasardèrent les sérénades la nuit sous ses fenêtres.
Ce furent des regards et des concerts perdus. Paquita n’était point femme à trahir son amant pour si peu.
Mais un escribano[3] se mit aussi sur les rangs, et avec plus de chances de succès. Celui-là n’était pas seulement jeune et bien fait de sa personne, il était fort riche ! Lui seul, à Ségovie, il avait un carrosse à draperies bleues, attelé de quatre mules ! Quel moyen pour plaire à Paquita ! Comme ce luxe devait la tenter ! Combien la femme de cet escribano serait heureuse et fière d’aller au silio[4] se pavanant dans cet équipage sur la route de Saint-Ildefonse !
Ne faites pas cependant à Paquita l’injure de croire qu’elle fut infidèle à son amant, et séduite par le seul appât de cette opulence.
Don Inigo, — l’escribano se nommait ainsi, — n’avait pas tardé à la demander en mariage. C’était un de ces partis qui ne se refusent point. Elle lui fut accordée.
En fille soumise, Paquita dut obéir à son père, et accepter le jeune et riche escribano pour époux.
Ce n’est pas que sa conscience, sinon son cœur, ne lui eussent fait d’abord quelques reproches. Mais son confesseur, excellent casuiste, auquel elle confia le secret de sa promesse à Lorenzo, se chargea de lever ses scrupules, et lui prouva clairement que la volonté paternelle annulait de plein droit tous les engagemens qu’elle avait pris.
Paquita fut fort aise de se persuader qu’elle était une victime de la tyrannie des parens. Ce fut donc comme contrainte et forcée, que la veille de l’Ascension, elle se laissa conduire par don Inigo à San Esteban, où son mariage fut célébré en grande pompe au maître-autel ; ce fut sans doute aussi bien malgré elle qu’elle parut le soir radieuse et magnifique à l’Alameda, près de son mari, dans le beau carrosse à draperies bleues, attelé des quatre mules, à l’indicible admiration de toute la ville.
La fête de la reine, la Sainte-Christine, approchait. Il n’était bruit à Ségovie que des préparatifs qui se faisaient au sitio pour ce jour de baise-main et de grand gala. Les eaux des fontaines devaient jouer dans la matinée, le parterre et la grande cascade devaient être illuminés le soir en verres de couleurs. Aussi chacun se promettait bien d’aller passer cette journée à Saint-Ildefonse, afin d’y voir toutes ces belles choses.
Paquita ne songeait pas, sans une assez vive inquiétude, à cette fête, où son mari voulait la conduire. Elle pensa même d’abord à ne point s’y rendre !
Mais les dames les plus élégantes de Ségovie y allaient à pieds ou en calesin[5] ! — Elle seule irait dans une splendide voiture ! —
Et puis elle avait promis à Lorenzo de s’y trouver, et cette promesse-là, nul ne l’empêchait de la tenir ! — Elle pouvait le faire d’autant mieux qu’il n’y avait guère de chances pour elle de retrouver là son ancien amant ! — Si elle le rencontrait pourtant, combien ne se sentirait-elle pas confuse et troublée ! — Mais il ne viendrait pas assurément ! Depuis un an qu’elle n’en avait plus entendu parler, ne semblait-il pas à jamais enseveli dans son cloître ?
Quoi qu’il en soit, et quel que fût le motif qui l’eût décidée, le dimanche vingt-quatre juillet, jour de la Sainte-Christine, dès le matin, Paquita était arrivée en grande toilette à Saint-Ildefonse, et le soir, vers huit heures, donnant le bras à son mari, elle entrait avec la foule, par la grande grille du château, dans les jardins inondés déjà de curieux.
Le grand parterre qui s’étend devant la façade du palais, offrait à ce moment un bien éblouissant spectacle.
À droite, à gauche, au-dessous des ormes et des tilleuls, le long des charmilles de toutes les allées environnantes, couraient et se croisaient mille guirlandes de lanternes et de verres de couleurs ; puis, du fond de ce vaste amphithéâtre de feuillages et de lumières, s’élançaient des gerbes et des bouquets d’eau qu’on eût dit enflammés, et descendait, illuminée par enchantement, la grande cascade, précipitant ses larges nappes étincelantes comme la lave d’un volcan.
Placés de distance en distance, les musiciens des régimens de la garde du roi jouaient tour à tour des symphonies et des marches militaires.
Cependant, sous les arbres, dans les allées du parterre, au bord des bassins de la cascade, se promenait, épaisse et confuse, une foule étrange et merveilleuse. Il n’y avait là nul travestissement, mais c’était bien la plus curieuse bigarrure de costumes qui se soit vue jamais.
C’étaient les chambellans aux chapeaux à plume blanche, aux bas de soie blancs, aux habits cousus d’or, la clé d’or sur la poche ; les dames d’honneur de la reine, les camerieras, couvertes de pierreries, en toques de gaze, en robes de satin avec leurs longues queues traînantes ; — puis les Ségoviennes aux monteras garnies de boutons, les femmes de Zamarramala aux larges jupons de serge jaune, aux bas de laine rouge, aux blanches chemises brodées en cordonnet noir sur les manches.
C’étaient des arrieros avec la cuirasse et la ceinture de peau, les larges pantalons, le chapeau rabattu ; — puis des moines, des officiers, des soldats, de tout ordre, de toute arme, de tout rang, de toute couleur, avec ou sans barbe, sapeurs, cuirassiers, capucins, grenadiers, chartreux, carabiniers, bénédictins, volontaires royalistes, gardes-du-corps, et mille autres ; — puis des évêques violets, des cardinaux rouges, des curés, des escribanos et des alcades noirs, des majos et des majas, des Madrilenas[6] en basquines et en mantilles ; — puis enfin l’innombrable cohue des livrées.
Tout ce monde pêle-mêle, se croisant en tous sens, se pressant, se confondant à la clarté des illuminations, et mêlant son bourdonnement au bruit des chutes d’eau, aux accords de la musique, tandis que la pleine lune planait sur le jardin entier, suspendue à la voûte du ciel comme le grand lustre de la fête ; — oh ! c’était quelque chose d’étourdissant et de magique ; c’était de la féerie ; c’était un conte de l’Orient en action.
Après avoir fait plusieurs fois le tour du parterre en suivant la file des promeneurs, Paquita venait d’être séparée de son mari dans la foule. Le cherchant des yeux, elle marchait au hasard, inquiète et effrayée d’être ainsi perdue au milieu de cette épaisse mêlée.
Elle se trouvait à l’extrémité du parterre et derrière le cenador, lorsqu’un moine blanc, qui la suivait de loin depuis quelque temps, s’approcha d’elle rapidement et lui pressa la main.
Elle tressaillit et leva les yeux. Le moine avait écarté son capuchon, et la regardait fixement. Quoiqu’il fût bien défait et bien changé, elle le reconnut d’abord : — c’était Lorenzo.
Sans lui avoir fait le moindre signe, sans lui avoir dit un seul mot, sans lui avoir autrement parlé que par ce regard, sortant de la foule, il s’enfonça soudain dans l’une des allées sombres et solitaires qui mènent au grand bassin.
Paquita hésita un instant. Elle avait bien compris ce que lui demandait ce regard ; elle avait bien compris qu’il la sommait de venir au rendez-vous promis. Mais ne valait-il pas mieux qu’elle y manquât ? Qu’allait-elle dire à Lorenzo ? — N’était-ce pas pourtant le moins qu’elle lui avouât elle-même qu’elle n’était plus à lui ? N’était-ce pas le moins qu’elle implorât son pardon, et lui dît adieu ?
Irrésistiblement entraînée par ces remords et cette pitié de son cœur, voyant qu’elle n’était observée par personne, elle suivit Lorenzo.
Le jeune moine l’attendait au bout de l’allée.
— N’allons pas plus loin, lui dit-il d’abord, dès qu’elle fut près de lui ; je vous remercie d’être venue, Paquita. Je ne devais pas vous espérer.
Lorenzo s’interrompit un instant ; sa voix tremblait.
— Oh ! vous savez donc ?… dit Paquita.
— Oui, je sais tout, reprit-il avec calme, je sais que vous n’avez pu vous conserver à moi ; je sais que vous êtes mariée ! vous le voyez, vous n’avez rien à m’apprendre.
La jeune femme avait baissé la tête et pleurait.
— Ne pleurez pas, continua-t-il en lui prenant la main : je ne vous accuse point. Nous n’avons nul reproche à nous faire ; je ne suis plus libre moi-même, j’ai fait mes vœux.
À ce moment on entendit des voix au bas de l’allée et des pas qui s’approchaient.
— Nous ne pouvons nous entretenir plus long-temps ici sans danger pour vous et pour moi, dit Lorenzo, entraînant doucement Paquita dans une autre allée qui descendait au parterre ; mais puisque nous devons renoncer l’un à l’autre, puisque nous devons nous quitter à jamais, avant de nous séparer, n’avons-nous pas quelques souvenirs à repasser ensemble ? N’avons-nous pas d’autres adieux à nous dire ? Dans deux jours je retourne à Madrid et je rentre à mon couvent, dont j’espère bien ne plus jamais sortir ; ce jardin que la foule remplit aujourd’hui sera demain désert ; voulez-vous m’y donner un dernier rendez-vous ? Voulez-vous vous trouver demain soir, après le coucher du soleil, au bord du grand bassin, au pied de la montagne ?
— Oui, je viendrai, répondit-elle sans hésiter.
— J’y compte, Paquita. Demain donc.
— Demain !
Et prenant chacun une allée différente, ils redescendirent au parterre.
Paquita marchait plus légère et moins oppressée que quand elle était venue. Enfin, cette soirée qu’elle redoutait si fort en entrant dans le jardin, s’était passée sans orage. Elle avait revu Lorenzo ! Elle lui avait tout dit, et il ne s’était montré ni furieux ni désespéré ! Il avait pris son parti. Il était raisonnable et résigné comme elle. Et puis c’était encore pour elle un grand soulagement de savoir qu’il s’était engagé lui-même et séparé du monde. Ils étaient ainsi quittes l’un envers l’autre. Elle se sentait justifiée. Elle ne se trouvait plus coupable. Le rendez-vous qu’elle avait promis pour le lendemain ne l’effrayait pas ! Cet adieu devait achever de dissiper ses inquiétudes et assurer la paix de sa vie.
De son côté, Lorenzo revenait d’un pas rapide et pressé ; mais je ne sais quel espoir éclairait son front pâle. Je ne sais quel éclair brillait sous son capuchon dans le regard perçant de ses yeux, noirs.
Le lendemain du jour de la Sainte-Christine, vers sept heures du soir, un jeune garde du corps du roi, arrivant à cheval par la route de Ségovie, entra au grand galop à Saint-Ildefonse.
S’arrêtant bientôt à la porte d’une petite posada vis-à-vis de l’ancienne manufacture de glaces, il mit pied à terre, parla bas quelques instans à l’oreille d’un mozo[7], auquel il laissa son cheval, puis il gravit à la hâte les rues escarpées qui conduisent à la grande place.
Arrivé là, on le vit se promener assez long-temps les bras croisés devant la façade du palais.
La soirée avançait. Le soleil se couchait sur Ségovie dans des nuages de pourpre et d’or, et ses derniers rayons venaient frapper les croisées du château, dont les vitres reluisaient comme du feu.
Le jeune officier, dont le chapeau à cornes rabattues cachait presqu’entièrement le visage, tournait souvent la tête vers la grande grille de la place ; mais il ne semblait point que ce fût pour admirer la magnificence de ce coucher du soleil, c’était bien plutôt avec une impatience marquée, — comme s’il eût trouvé la nuit trop lente à venir.
Sur la place, s’étaient cependant formés des groupes assez nombreux. C’étaient les promeneurs qui, de la route de Ségovie et de celle de Madrid, remontaient dans la ville, et venaient, avant de rentrer chez eux, écouter la sérénade que donne chaque soir la musique de la garde du roi.
Le jeune officier se tenait à l’écart près de la chapelle du palais, et semblait craindre d’être abordé et reconnu.
Enfin le soleil s’était entièrement caché derrière Ségovie. De larges nuages gris accouraient du couchant rapides et pressés, et gagnaient tout le ciel.
Le jeune homme jeta autour de lui un regard inquiet, puis il se dirigea précipitamment vers la porte du jardin où il entra.
Sauf quelques factionnaires près de la grille et devant le palais, il ne s’y trouvait pas une ame. Tout était silencieux et désert.
Il traversa, presque en courant, le parterre et les allées qui le dominent ; puis quand il fut arrivé au bas de celle qui monte vers le grand bassin, il se trouva contraint de s’arrêter et de s’appuyer contre un arbre, tant il était essoufflé, tant son cœur battait avec violence.
La lune, qui s’était levée, n’éclairait que bien faiblement le jardin à travers les nuées épaisses dont le ciel s’était voilé. À peine du bas de l’allée en eût-on pu distinguer l’extrémité.
L’officier se remit en marche, et monta vers le grand bassin.
Une femme, vêtue de noir, était assise au bout de l’un des bancs de marbre blanc placés sur ses bords ; elle avait les bras croisés et la tête inclinée.
Au bruit que fit le jeune homme en approchant, elle se leva, et apercevant l’uniforme d’un officier, elle parut vouloir s’éloigner ; mais lui, saisissant soudain son bras :
— C’est moi, dit-il à voix basse ; ne me reconnaissez-vous point, Paquita ?
— Vous, Lorenzo, sous cet habit ! répondit Paquita tremblante de surprise, d’où vient que vous avez pris ce déguisement ?
— Je vais vous le dire ! Nous sommes bien seuls ce soir, et nous pouvons enfin causer en toute liberté ! Mais le vent souffle vers la montagne, je crains que vous n’ayez froid ; voulez-vous prendre mon bras, nous marcherons un peu.
Paquita prit son bras, et ils se promenèrent quelques instans en silence sous les ormes le long du bassin.
Enfin, Lorenzo s’arrêtant :
— Mais ne comprenez-vous point pourquoi je viens ainsi déguisé, Paquita ? s’écria-t-il. Vous êtes triste et silencieuse comme s’il s’agissait entre nous d’un adieu véritable ! — Un adieu ! y étiez-vous donc résolue ? ou bien si vous y consentiez, aviez-vous pu penser que je m’y résignerais, moi ?
— Que voulez-vous dire ? expliquez-vous, Lorenzo. N’est-ce pas vous-même qui m’avez hier parlé le premier d’adieux et de séparation ? et d’ailleurs, ne le faut-il pas, en effet, nous quitter ? Ne sommes-nous pas malheureusement déjà séparés ?
— Oh non ! pas encore, au moins, dit Lorenzo avec passion et attirant la jeune femme sur son cœur ; non ! pas encore. N’est-il pas vrai que tu ne le crois pas non plus, que nous puissions nous quitter et vivre l’un sans l’autre ? Non ! tu ne le croyais pas, ma Paquita ! Ne vois-tu pas que je te viens chercher, que je t’emmène ? Cet habit que j’ai pris favorisera notre fuite ; j’ai des chevaux qui nous attendent ; j’ai de l’or maintenant, je suis riche, viens donc. Dans quelques heures nous avons traversé la montagne, nous sommes à Madrid ; en quelques jours nous sommes hors de l’Espagne, libres, à nous pour toujours.
— Êtes-vous insensé, mon ami ? dit Paquita, repoussant doucement le jeune homme, qui la pressait convulsivement dans ses bras. Oubliez-vous que je suis maintenant la femme d’un autre, et que vous appartenez à Dieu ?
— Oh non ! je ne l’ai pas oublié ; mais que nous importe ? Ces engagemens-là ne sont-ils pas nuls ? Quand nous les avons contractés, ne nous appartenions-nous pas l’un à l’autre ? Ne perdons pas, mon amour, de précieux momens en de vains scrupules. Voici que déjà l’on nous attend dans la montagne. Avant de rejoindre nos chevaux, nous avons presque une lieue à faire à pied. Oh ! viens, partons
— Mais vous m’épouvantez, Lorenzo ! Quelle fuite me proposez-vous là ? Voulez-vous donc me perdre ?
— Oh ! je t’épouvante, s’écria le jeune homme, serrant fortement le bras de Paquita, je veux te perdre ! Mais tu ne m’aimes donc plus, malheureuse !
— Vous payez mal la confiance que je vous ai montrée en venant vous trouver seule ici à pareille heure. Et cette violence avec laquelle vous me traitez, est-ce que vous la prenez pour de l’amour ?
— Oh ! pardon, mon ange, dit Lorenzo, se jetant aux pieds de la jeune femme, et lui embrassant les genoux, pardon, si je m’emporte ainsi ! Mais ne voilà-t-il pas un an entier qu’ils me retiennent prisonnier loin de toi, comme un malfaiteur, dans une cellule ? Je me suis tant roulé sur ses dalles glacées, pour éteindre un peu le feu qui me brûlait, que tout mon sang s’est retiré vers mon cœur, et qu’il y bouillonne indomptable et furieux. Oui, à force de me heurter le front contre les murs de leur cloître et les marches d’autel de leur église, à force de souffrir, je suis devenu méchant et insensé ; mais n’as-tu pas quelque pitié de moi ? ne sais-tu pas quel est mon amour, et jusqu’où il me peut égarer ?
— Mais ne savez-vous pas aussi quel est le mien ? Est-ce que je ne vous le prouve pas assez par cette entrevue coupable que je vous ai accordée à l’insu de mon mari ? me voici venue de Ségovie, à pieds, seule, pour vous dire adieu, comme vous me l’aviez demandé ! Que voulez-vous de plus ? Exigez-vous donc que je déshonore mon époux, que moi, la fille de l’alcade, je vous sacrifie, — je ne vous dis pas mon honneur, — mais le sien, mais son existence, mais celle de toute ma famille ?
— Oh ! je n’exige rien, j’implore, je supplie, dit le jeune homme en sanglotant, et baisant les pieds de Paquita ! J’en appelle à ta mémoire, à notre bonheur passé. Souviens-toi donc de l’avenir que nous nous étions promis, souviens-toi que nous nous étions juré de ne vivre qu’ensemble !
— Qu’y faire, mon ami ? le ciel ne l’a pas permis. Sa volonté a été plus forte que la nôtre ? Il nous réunira quelque jour hors de ce monde ! jusque-là, ensevelissons dans nos cœurs nos souvenirs et nos espérances. Soyons malheureux, mais résignés. Allons, relevez-vous, Lorenzo ! Voici qu’il est tard. Mon absence sera remarquée. Sortons de ce jardin. Il y a loin d’ici à Ségovie. Je n’y puis retourner seule, reconduisez-moi ; tout le temps de faire ce chemin, nous serons encore ensemble !
— Non, ce n’est pas cette résignation qu’il me faut, s’écria Lorenzo, qui s’était relevé, et se promenait à grands pas sur le bord du bassin, se tordant les bras ; se frappant la poitrine ; elle est au-dessus de mes forces ! ne t’imagine pas que je vais te rendre à ton mari, Paquita ! Tu me suivras, ou bien nous mourrons ici, nous mourrons tous les deux ! Voilà le chemin que nous ferons ensemble ! — Veux-tu que nous mourions, Paquita ?
Il dit ces derniers mots à voix basse en se rapprochant d’elle.
La jeune femme poussa un cri, et se laissa tomber évanouie sur le banc de marbre auquel elle se trouvait appuyée.
Les nuages s’étaient de plus en plus épaissis. La nuit était sombre et froide. Au travers des murmures confus du vent qui soufflait dans les pins, et des chutes d’eau qui se précipitaient de la montagne, on entendit vaguement sonner l’heure à l’horloge du château.
— Dix heures déjà ! s’écria Lorenzo désespéré. Dix heures ! et à dix heures nous devions nous trouver près des ruines de Balsaïm !
Il se pencha vers la jeune femme. Elle avait perdu connaissance. Elle était là étendue, aussi froide que le banc de marbre sur lequel elle était couchée.
Lorenzo éperdu lui frappa dans les mains, puis la portant au bord du bassin, il lui jeta de l’eau au visage. Elle ne revenait point à elle.
La tête du jeune homme s’égarait. À genoux, les mains jointes près de Paquita, il l’appelait par les noms les plus chers, il la suppliait de rouvrir les yeux.
— Vois, c’est moi, c’est ton Lorenzo, réveille-toi, mon amour ! Oh ! viens ! il est tard, vois-tu ; oh ! viens, partons. On nous attend !
Et il pleurait, et il s’arrachait les cheveux.
Paquita demeurait étendue sur les dalles qui bordent le bassin, immobile et glacée.
— Oh ! mon Dieu, que faire ? s’écria Lorenzo d’une voix altérée ; mais il faut qu’elle vienne ! Mais je vais l’emporter ainsi sans connaissance ! au moins si je l’amène vivante jusqu’à Balsaïm, là je lui trouverai des secours.
Alors il prit la jeune femme dans ses bras et se dirigea vers le mur ruiné qui ferme le jardin au pied de la montagne. Il songeait sans doute à escalader cette clôture. C’était d’ailleurs le chemin le plus court pour arriver sur la grande route. Et puis il évitait ainsi de passer devant les sentinelles de la porte, et il n’avait point à traverser la ville.
La tête échevelée de Paquita était penchée sur l’épaule de Lorenzo, qui marchait avec rapidité. Ce mouvement, ou bien la fraîcheur du vent qui soufflait au front et dans les cheveux de la jeune femme, la rappela à la vie.
Lorenzo sentit que quelque chaleur avait ranimé le corps tout à l’heure glacé de sa maîtresse. Il se trouvait au bout du bassin. Il s’arrêta et la posa doucement à terre, debout, adossée contre un saule dont les branches tombaient dans l’eau.
Elle ouvrit enfin les yeux, et regarda autour d’elle d’un air égaré.
— Je suis près de toi, ne crains rien, dit Lorenzo, lui prenant les mains.
Elle tressaillit, et les lui retirant avec effroi :
— Vous me faites peur, dit-elle à voix basse, qui êtes-vous ? que me voulez-vous ?
— Oh ! ne vois-tu pas que je suis ton Lorenzo ? ton Lorenzo que tu aimais tant, et qui t’est venu chercher pour être heureuse avec lui ! Es-tu mieux maintenant, mon amour ? Si tu ne te sens pas la force de marcher, oh ! je te porterai bien dans mes bras jusqu’à Balsaïm ! Mais viens ! au nom de la sainte Vierge, viens !
Et il s’avança comme pour l’étreindre encore ; mais elle, détournant la tête, et d’un bras s’attachant au tronc du saule, tandis qu’elle le repoussait de l’autre :
— Éloignez-vous, cria-t-elle avec l’accent d’une profonde terreur ; vous voulez m’emmener pour me tuer, je n’irai pas avec vous, je ne veux pas ; laissez-moi.
À ces derniers mots, le jeune homme avait fait un pas en arrière. Il avait croisé les bras et baissé la tête. Il demeura quelques instans ainsi en silence. Enfin tout d’un coup, il porta la main à son épée qu’il tira.
— Oh ! oui, dit-il alors avec la résignation du désespoir, je vous laisserai, Paquita ! je ne vous enlèverai point de force, allez, ce n’est pas vous non plus que je tuerai, c’est moi ; mais avant que je meure, dites-moi donc au moins une parole douce et miséricordieuse ! Vous, dont je retrouve le cœur si dur et si impitoyable, dites-moi donc que vous me donnerez, quand je ne serai plus, peut-être une larme, un souvenir. Souffrez qu’en tombant je baise encore une fois vos pieds, et quand je vais les arroser de mon sang, reconnaissez donc votre amant, appelez-le une fois encore votre Lorenzo.
Et comme, l’épée à la main, il s’allait jeter à ses genoux, elle qui avait vu l’acier briller, et passer tout près de son cœur, saisie de terreur, et comme insensée :
— Non, je ne vous connais point, cria-t-elle, non, je ne vous connais point ! Vous êtes un assassin qui m’avez attirée ici pour m’égorger ! eh bien ! tuez-moi.
— Ah ! tu ne me connais point, misérable femme ! cria Lorenzo furieux et hors de lui. Tu ne me connais point ! Eh bien ! meurs donc, puisque tu l’as voulu. C’est en effet toi qu’il faut punir et non pas moi.
Et, s’élançant vers elle, il lui plongea son épée jusqu’à la garde dans le sein.
Paquita tomba sur le bord du bassin en poussant un faible cri.
Les nuages épais qui avaient couvert le ciel pendant la soirée, venaient de se déchirer ; la lune apparut au sommet de la montagne, l’éclairant soudain tout entière.
Lorenzo se tenait debout, la jeune femme étendue, immobile à ses pieds.
Il se jeta à genoux près d’elle.
— Est-ce qu’elle est morte ? cria-t-il.
Et il se pencha sur elle, comme pour écouter si elle respirait encore.
— Oh ! oui, elle est bien morte, dit-il d’une voix étrange, et il se mit à rire horriblement.
Puis, d’un rapide mouvement, il arracha l’épée qui était restée dans le corps de la jeune femme, et la retira toute sanglante.
Alors il la regarda quelques instans, il en examina la pointe attentivement, il la toucha du doigt.
Assurément il se disait que cette lame n’était point trop émoussée ; qu’elle était assez bonne encore pour percer un cœur, pour le tuer lui-même. Sans doute il allait se la plonger aussi dans le sein. Mais tout à coup une autre horrible idée passa par cette tête insensée !
— Non ! non ! s’écria-t-il, jetant son épée au loin, à travers les arbres. Puisqu’elle ne veut point venir avec moi, cette fille respectueuse et soumise, cette fidèle épouse, il faut que je la ramène à ses parens et à son mari.
Prenant soudain alors dans ses bras le corps ensanglanté de Paquita, il le chargea sur ses épaules, et se dirigea vers le mur ruiné du jardin. Il le franchit facilement, puis il gagna le chemin de Ségovie, marchant rapidement, sans s’arrêter, sans que le cruel fardeau qu’il portait, ralentît un instant son pas.
C’est que l’égarement de son esprit avait rendu bien des forces à son corps débile et exténué.
Minuit sonnait à l’horloge de la cathédrale, comme il entrait dans Ségovie. Toute la ville était silencieuse et déserte. Il passa sous les arcades du grand aqueduc, et courut droit à la rue San Esteban.
Arrivé devant la maison de l’alcade, il s’arrêta, sans déposer pourtant à terre le corps de la jeune femme.
Les croisées de la maison étaient ouvertes. On voyait de la lumière dans les appartemens. C’est que toute la famille y était sur pieds, en proie à de mortelles inquiétudes, bien naturellement excitées par l’absence et la disparition de Paquita à une heure aussi avancée de la nuit.
— Seigneur alcade, cria fortement Lorenzo, seigneur escribano, voici votre fille, — voici votre femme, — voici la señora Paquita que je vous ramène.
À ces paroles, à ce nom que chacun entendit dans la maison, on courut aux fenêtres, on descendit précipitamment.
— Que le ciel vous bénisse, seigneur officier ! dirent en même temps plusieurs voix, comme la porte s’ouvrait.
Et un homme s’élança avant tous les autres vers Lorenzo.
— Oh ! vous êtes le mari de la señora Paquita, — vous ! lui dit Lorenzo à voix basse ; tenez, la voici, je vous la rends. C’est une honnête et fidèle épouse que vous avez là ! — Par malheur, je l’ai tuée.
Et il lui mit dans les bras le corps inanimé de sa femme.
Don Inigo poussa un cri horrible, et tomba avec elle sur le pavé !
Lorenzo se tenait debout, les bras croisés, et riait.
Il se laissa saisir sans résistance par les gens de la maison, qui l’eussent tué ; si l’alcade ne se fût interposé.
On avait bien vu d’abord qu’il n’y avait pas même de procès à faire au malheureux.
Six mois après cet événement, Lorenzo mourut à l’hospice des fous de Tolède.