Essai historique et critique sur le duel/Chapitre II

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CHAPITRE II.

législation des duels jusques à louis xiv.


Saint-Louis fut le premier de nos rois qui voulut réprimer la fureur des duels, en substituant les preuves écrites et par témoins aux combats judiciaires, qui étaient pour lors en quelque façon tout le droit civil de la France et même de l’Europe.

Mais il fut mal obéi : soit parce que ses lois ne contiennent qu’un principe qui resta sans organisation, soit par la résistance intéressée de ceux qui profitaient des amendes et confiscations, soit enfin parce que l’autorité royale n’était point encore assez reconnue, pour qu’il pût faire exécuter chez les grands vassaux ce qu’il ordonnait pour ses propres domaines.

Les défenses faites par Saint-Louis furent renouvelées, en 1303, par Philippe-le-Bel ; mais on s’aperçut bientôt, disent les auteurs contemporains, que ceux qu’on privait de la faculté de combattre à armes égales, cherchaient à se faire justice avec avantage, et qu’on n’avait fait que substituer l’assassinat à un combat régulier.

Aussi furent-ils rétablis par l’édit du même monarque rendu en 1306. Cette loi qui règle les cas où le combat peut être demandé, et les nombreuses formalités et cérémonies dont il doit être précédé, accompagné ou suivi, est un monument historique très-remarquable.

De cette loi le principe seul resta : tout le reste fut éludé ou interprété à volonté, et les combats particuliers eurent lieu comme auparavant.

Environ deux siècles après, Charles ix fit encore des lois contre les duellistes. Il alla jusqu’à les déclarer criminels de lèse-majesté ; l’édit de 1609 contient à la fois l’aveu de l’inutilité de cette mesure extrême, et une espèce de transaction entre l’autorité et l’opinion régnante. On y lit ces expressions remarquables :

« Mais tant s’en faut que nous ayons obtenu notre louable désir, que lesdits duels ont été depuis plus fréquens à notre extrême regret, et non moindre mépris des commandemens de Dieu et des nôtres ; ce que nous avons remarqué procéder d’une fausse et erronée opinion de longue main conçue et trop enracinée ès cœurs de la noblesse de notredit royaume, qui a toujours eu l’honneur plus cher que la vie, de ne vouloir demander ni pouvoir rechercher raison d’une injure reçue, par autre voie que par celle des armes, sans flétrir sa réputation et encourir note de lâcheté et faute de courage, singulièrement ès cas qu’elle s’imagine ne pouvoir être suffisamment réparés que par les armes..........

» Et d’autant que par l’indiscrétion et malice des uns, les autres sont quelquefois si grièvement outragés, qu’il leur semble impossible d’en tirer réparation qui les satisfasse en leur honneur que par la voie des armes, laquelle étant interdite et défendue par nos édits, ils s’ingèrent à la rechercher eux-mêmes ou par leurs amis, la pratiquent et exercent journellement au grand mépris de nos lois et de notre autorité, de quoi naissent les désordres et meurtres si fréquens que nous voulons à présent réprimer : nous avons jugé nécessaire, pour remédier à plus grands et périlleux accidens de permettre, comme par ces présentes nous permettons à toute personne qui s’estimera offensée par une autre en son honneur et réputation, de s’en plaindre à nous ou à nos très-chers et amés cousins les maréchaux de France ; nous demander, ou à eux, le combat, lequel leur sera par nous accordé, selon que nous jugerons qu’il sera nécessaire pour leur honneur. »

Henri iv resserra encore la doctrine de ses prédécesseurs. Il renvoya d’une manière absolue, par-devant les maréchaux de France, toutes les querelles des gentilshommes, et par un édit prononça la peine de mort contre ceux qui chercheraient à se faire justice par le duel.

Les esprits étaient mal préparés à cette amélioration ; la guerre civile exerçait en France toutes ses fureurs, et quoique l’esprit de parti vînt encore ajouter une nouvelle cause à toutes celles qui avaient rendu les duels fréquens, on ne voit pas que quelque jugement criminel ait prononcé la peine de mort dont le monarque avait menacé les duellistes.

Au reste l’opinion sur la manière de venger les injures n’avait pas changé : on peut en juger par les faits suivans.

En 1597, le sieur Duplessis ayant attaqué le sieur Saint-Phal avec avantage, et l’ayant frappé d’un bâton, cette affaire fut portée devant le connétable et MM. les maréchaux. Il fut dressé un acte de satisfaction, dans lequel on fait dire au sieur Duplessis : « Je sortis peu de temps après vous, plus accompagné que vous, et en trouvai d’autres qui se joignirent à moi ; et vous ayant atteint, je voulus m’éclaircir de ce fait avec vous ; sur quoi me tîntes d’honnêtes langages, m’offrant de m’en rendre raison telle qu’on a coutume entre gens d’honneur, chose suffisante pour me contenter. »

On y lit encore : « M. Duplessis dira au roi qu’il le supplie très-humblement de pardonner son offense audit sieur de Saint-Phal, et que, pour le regard de la sienne, il en eût bien voulu tirer sa raison par autre voie.

» Le roi fera lors cet honneur au sieur Duplessis de lui dire qu’il a toujours jugé l’acte tel qu’il ne devait être recherché par la voie des armes… »

En 1601, le prince de Joinville ayant blessé d’un coup d’épée M. Le Grand qui n’était point armé, on lit les termes suivans dans l’acte de satisfaction, qui fut dressé par ordre du roi par MM. les maréchaux de France : « Je mis l’épée à la main, et sans que vous en eussiez une, je vous en frappai ; ce m’est un extrême regret de vous avoir blessé avec cet avantage, je voudrais avoir donné de mon sang et ne l’avoir point fait ; croyant que si vous eussiez eu une épée, vous m’eussiez fait courre autant de risques que vous en courûtes. »

En 1626, Louis xiii fit aussi un édit sur les duels ; il paraît que les tribunaux avaient fait quelques poursuites, car le roi jugea à propos d’abolir tous les jugemens rendus en cette matière. Il fit de nouvelles dispositions, créa de nouvelles peines, et maintint celle de mort.

Pour cette fois, et pour cette fois seulement, la loi eut une apparence d’exécution ; et d’après un arrêt du parlement, les comtes de Montmorenci, Bouteville et Deschapelles, eurent la tête tranchée le 22 juin 1627.

Mais il ne faut pas regarder cette exécution comme la peine d’un duel simple ; ce fut bien plutôt un grand exemple reconnu nécessaire pour soutenir l’autorité du roi contre un sujet rebelle.

Effectivement l’épée du comte de Bouteville avait acquis une célébrité funeste, et son duel avec Beuvron était au moins le quatrième dont l’histoire ait conservé le souvenir.

Déjà condamné à mort par un arrêt rendu contre lui par défaut pour un autre duel, il avait fait abattre par ses valets, soutenus par quelques cavaliers, le poteau dressé pour y afficher sa condamnation ; et forcé de quitter la France, il avait fait accompagner son carrosse par deux cents hommes armés.

Réfugié à Bruxelles, il avait résisté à la prière que le roi lui avait fait faire de ne pas se battre contre Beuvron, quoique cette prière lui eût été transmise par l’infante archiduchesse des Pays-Bas.

Enfin quoique le roi lui eût refusé des lettres d’abolition, il eut l’audace de revenir à Paris, de s’y montrer en plein jour, et le combat qui fut de trois contre trois, et où deux personnes furent tuées, eut lieu sur la place Royale, à trois heures après-midi.

Malgré l’audace et la publicité de cette action, les coupables ne furent point arrêtés sur-le-champ ; ils eurent tout le temps de quitter Paris, et n’eussent probablement pas été pris, s’ils n’avaient pas mis dans leur voyage une lenteur justifiée en quelque sorte par l’impunité de tant d’autres duels.

Ce ne fut donc point un duel simple que le roi eut à faire punir ; les comtes de Bouteville et Deschapelles durent être regardés comme en révolte ouverte contre l’autorité royale, et c’est par cette raison que Richelieu, alors tout-puissant, soutint la fermeté de Louis xiii, d’ailleurs naturellement sévère. On sait que quand la comtesse, prosternée aux pieds de ce monarque, le conjurait d’épargner le sang de son mari, le prince ne répondit point à sa prière, et dit seulement à ceux qui l’accompagnaient : « La femme me fait pitié, mais je veux et dois conserver mon autorité. »

Quoi qu’il en soit, pendant tout ce règne les duels furent très-fréquens ; on sait que le chevalier de Guise, qui avait tué en duel le baron De Luz et avait donné lieu à la déclaration de 1613, tua encore le fils de ce même baron, sans qu’il fût fait à cet égard aucunes poursuites ; et les préambules des édits de 1643 et 1646 complètent la preuve, que depuis l’arrêt de 1627 la fureur des duels n’avait fait que s’accroître.