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Essai historique et critique sur le duel/Chapitre IV

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CHAPITRE IV.

louis xv.


Louis xv promit aussi, à son sacre, de ne faire grâce à personne de la peine portée contre le duel : ce serment, déjà consacré par la religion, se trouve encore consigné dans l’édit du 12 avril 1723, qui confirme les dispositions de l’ordonnance de 1629.

Le roi y déclare, 1o. que ceux qui, ayant eu querelle ou démêlé dont ils n’auraient point donné avis à MM. les maréchaux de France, ou aux juges du point d’honneur, en viendraient à un combat, seront, sur la preuve de ladite querelle, condamnés à mort ; 2o. que, dans le cas où ils auraient donné cet avis, s’il y a preuve d’agression de part ou d’autre, et si la rencontre n’a pas été fortuite, l’agresseur seul sera puni de mort.

Cette loi, qui est la dernière que nos rois aient rendue sur cette matière, n’eut pas plus d’influence que les précédentes, et les duels continuèrent d’avoir lieu aussi publiquement, plus fréquemment, et plus généralement que jamais ; ce qui dura jusques vers la fin de ce règne, où cette fureur s’amortit comme d’elle-même, ainsi qu’on le verra dans la suite.

Ces duels eurent lieu, non-seulement de gentilshommes à gentilshommes, mais encore de gentilshommes à roturiers, et de roturiers entre eux. Ils eurent lieu lorsque certains régimens se rencontraient avec certains autres. Ils eurent lieu entre des régimens et certaines agrégations d’hommes ; comme tous les jeunes gens d’une ville ou les étudians d’une université, ce qui est arrivé plusieurs fois à Nantes, Toulouse, Montpellier et autres. Ils eurent lieu enfin presque toujours sous les yeux des parlemens et cours souveraines, sans que jamais les lois pénales, si solennellement proclamées, aient eu une application effective.

Nous disons application effective pour éviter toute équivoque, car nous n’ignorons pas que souvent des procédures ont été commencées, que des arrêts de mort ont été prononcés par contumace, même des lettres d’abolition, comme celles qui furent accordées au sieur Peisson, roturier, ancien garde du corps, qui avait tué le marquis de Clermont Mont-Saint-Jean ; mais, en dernière analyse, toutes les affaires de duel se sont arrangées de manière ou d’autre, et les tribunaux français n’ont point à gémir d’avoir fait exécuter une sentence de mort pour cette espèce de délit[1].

On trouve dans les recueils plusieurs arrêts de règlement du parlement de Paris : ces arrêts sont rendus à l’occasion de duels dont les parties sont nommées, et cependant on n’y trouve que des dispositions générales, et aucune condamnation particulière.

Il est encore vrai qu’en 1769 le parlement de Grenoble condamna par contumace le conseiller Duchelas, qui s’était battu avec le sieur Beguin, à être rompu vif.

Mais cet arrêt, comme on peut le voir par la nature de la peine, ne punit pas un duel : c’était un assassinat[2] que Duchelas avait commis à l’aide de son domestique, qui fut condamné à la marque et à servir quatre ans sur les galères. L’arrêt portait, en outre, que la mémoire du condamné serait et demeurerait éteinte et supprimée à perpétuité, les arrérages de ses pensions confisqués au profit du roi, ainsi que le tiers de ses biens.

  1. Ceci doit s’entendre que nous n’en ayons trouvé aucun dans les arrêts les plus connus.
  2. Beguin, capitaine dans la légion de Flandre, était un très-beau garçon, fort damoiseau, mais très-brave. Duchelas vint plastronné au rendez-vous ; et Beguin l’ayant touché de plusieurs bottes sans le blesser, lui dit : « Diable, monsieur, tous êtes bien dur ; » à quoi son adversaire répondit en fureur : « Tire toujours ; nous ne sommes pas ici pour nous faire des complimens. » Beguin, ainsi averti, adressa ses coups à la tête ; alors le domestique s’en mêla, et l’assassinat fut consommé.

    Le parlement de Grenoble se fit beaucoup d’honneur par la juste sévérité qu’il mit dans cette affaire contre un de ses membres.